Saturday, June 09, 2007

Les Néo-impressionnistes Italiens à New York

A New York, le musée Solomon R. Guggenheim s’espace sur le néo-impressionnisme italien, et dans une exposition intitulée Arcadia & Anarchy. En effet, jusqu’au 6 août 2007 et au gré du fameux musée spirale de Frank Lloyd Wright, on peut voir les oeuvres étrangement luministes de Segantini et Vittore Grubicy De Dragon, aussi de Longoni et da Volpedo, autour des figures de Pissarro et de Seurat, le fondateur de l’école pointilliste.

Outre la nouvelle approche scientifique de l’art de peindre, on notera l’engagement militant des sujets. En effet, les néo-impressionnistes italiens aimaient à peindre des personnes au labeur. Ils représentaient soit des paysans aux champs traversés de lumières papillotantes, soit des ouvriers courbés sur des aciers bleus, un peu à la façon noble du peintre Jean-François Millet. C’est-à-dire qu’ils tentaient de montrer le caractère noble et souvent héroïque des travailleurs, que le classicisme en peinture se devait de cacher pour plaire à la classe bourgeoise. Puisque, selon la terminologie de l’ancien régime, qui était perpétuée par la classe bourgeoise, il était constitutif de la structure sociale qu’on différenciât les arts libéraux des arts mécaniques, et les gens nobles des gens "méchaniques". Plus encore, on légitimait cette société de classe par une étymologie latine de moechus qui voulait dire "débauché". Il est à noter que l’"Encyclopédie de Diderot et d’Alembert employait encore ce méchant terme : "gens méchaniques".

Il s’agissait donc pour le noble art de peindre de réprimer les sujets vulgaires comme la classe ouvrière ou prolétarienne. Car ces sujets étaient dénués du moindre intérêt et même étaient-ils chargés de la subversion à tout l’ordre social. Hormis quand le tableau devait inciter les jeunes âmes à ce qu’elles ne négligent point leurs études. Et pour qu’elles ne tombent pas si bas, qu’elles seraient tantôt vouées au travail manuel et répétitif sinon mécanique. Le visionnaire Millet a peint les premières oeuvres de l’art socialiste dans la plaine de la Brie, dans l’"Ecole de 1830". Et ces figures de paysans robustes se sont échappées en une sorte d’exode rural mais sur le mode artistique aussi. Car le style de "L’Angélus" s’espaçait en un lexique d’attitudes figées de "gueroï" ou de héros de la classe prolétarienne qui construisait au marteau-pilon les architectures en fer de monsieur Eiffel. Et que cet art devint le réalisme socialiste dans les pays de la nébuleuse soviétique sur tout le XXe siècle.

Entre ces deux termes de la révolution industrielle au XIXe siècle, la peinture a tenté une juridiction du réel et de la vision assez scientifique. C’est Seurat qui formula la théorie du divisionnisme ou pointillisme. Et selon les travaux du chimiste et physicien Chevreul qui écrivit "De la loi du contraste simultané des couleurs". Depuis Goethe, le Léonardo allemand, on savait que le spectre des couleurs visibles rayonnait entre trois couleurs primaires, et vers tous les mélanges ainsi que sur la palette. Chevreul sut mettre en évidence qu’il existait une façon plus naturelle de mélanger les couleurs. Quand on juxtaposait les trois couleurs primaires, cyan et magenta, puis le jaune. Puisque devant ces juxtapositions sur la toile, l’oeil sait créer des mélanges optiques qui suggèrent les couleurs complémentaires, et dans des accords qui sont bien plus vibrants et plus vrais que sur la palette. Il s’agissait donc d’un réalisme scientifique qui devait achever les recherches impressionnistes de la représentation de la vie même, plus vibrante. Ainsi, le peintre divisionniste composait-il des peintures en posant des points à l’aide des trois couleurs primaires, pour induire des mélanges optiques plus proches de la réalité.

Georges Seurat mit en oeuvre cette théorie dans des tableaux invraisemblables, et tous voués aux visions de loisirs comme "Le Dimanche à la Grande Jatte" de 1886, et du cirque aussi. Ils firent tous scandale, tellement on trouvait grotesque de peindre comme au laboratoire, et pour inventer un art aux prétentions scientifiques. Déjà, l’"Olympia" de Manet avait-elle choqué le public en 1865. Certes, en raison du sujet qui montrait une prostituée notoire sur le divan réservé à une déesse dans l’art antique ou classique. Et sans doute, dans le public des moqueurs, trouvait-on quelques clients de la Victorine Meurant peinte sur le tableau. Mais, ce qui fit la dernière outrance, ce fut le traitement pictural de l’oeuvre, son toucher en quelque sorte. Car on y voyait tous les coups de pinceaux, ce qui ne se faisait pas dans ce monde lissé des carnations divines. Voilà la vraie raison du fameux scandale de l’"Olympia" : on y voyait trop la peinture et pas assez le sujet. On y sentait la recherche picturale incongrue et moins la thématique conventionnelle. Aussi, les peintres n’étaient-ils pas tant autorisés à penser. Puisqu’on disait couramment, au XIXe siècle : "Bête comme un peintre !".

D’une certaine façon, les artistes étaient toujours considérés comme des "gens méchaniques", et depuis l’art médiéval des moines anonymes. Et ceci, malgré la création du statut libéral des arts visuels, par Léonardo de Vinci pendant la Renaissance. Pire encore, la représentation réaliste, désormais confrontée au réalisme de la photographie dès 1830, fut assimilée à cette mécanisation de l’expression par le photoréalisme de la machine. Par ailleurs, le positivisme d’Auguste Comte pressa l’art à ce qu’il devînt scientifiquement utile à la société. L’art devait trouver sa justification vers une société techno-scientifique, comme tout le reste des productions humaines. Et Seurat inventa un procédé programmatique qu’il étendit même jusqu’à peindre le cadre avec des couleurs complémentaires au tableau. Enfin, il créa un lexique de signes graphiques et picturaux, dont les effets sur le spectateur devaient être mesurés et vérifiés. Par exemple, les sourires vers le haut et les bras levés devaient induire et suggérer la joie, et tout à l’inverse aussi... Il est évident que cet art préfigura les recherches des avant-gardes cubistes et futuristes, puis de l’agit-prop constructiviste en Union soviétique.

L’exposition au musée Guggenheim montre la spécificité des néo-impressionnistes italiens, qui ont su manier le divisionnisme pour mettre en valeur des sujets plus polémiques et sociaux, avant les autres chapelles divisionnistes. Puisqu’à l’inverse, les néo-impressionnistes parisiens furent plus appliqués aux effets plus légers, et à la seule théorie picturale. En Italie, la chose se politisa d’emblée. Plus encore, on y trouve aussi une forte coloration symboliste. Quand les symbolistes du Nord avaient négligé le divisionnisme. Car ils pensaient le pointillisme trop scientifique pour qu’il sache recevoir quelque image de l’esprit ou de l’érotisation symboliste.

Après les recherches d’une vibration particulière dans l’air et sur la toile, les pointillistes ont balancé la couleur brutale en à-plats francs et larges des Fauves, puis, ils ont entamé la déconstruction du réel. En Italie, l’avant-garde futuriste s’est tournée totalement vers l’essor du progrès techno-scientifique. Enfin, les artistes futuristes à Rome, en lien avec dada, fragmentèrent le mouvement et la vitesse pour les mettre en toile, selon les nouvelles techniques du cinéma. Et c’est le mérite de cette rare exposition, qu’elle a su combler un espace qui manquait à la compréhension de l’évolution de la peinture en Italie, qui est la plus longue et magistrale.

Demian West

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