Quand on entre dans la cour du 6 rue Furstenberg près Saint-Germain-des-Prés, on se trouve vite avalé par un étrange escalier raide de tout bois qui sent bon les senteurs du XIXème siècle. Il monte haut même très haut vers le génie Delacroix mais dans un lieu intimiste.
C'est un endroit du meilleur goût de discrétion. Peu de visiteurs, on y est presque en famille à tout le moins entre amis soudains et dont les yeux expriment beaucoup de sentiment de surprise et de bienveillance. Il en faut, car nous sommes dans l'antre du lion qui sut libérer la peinture française des règles académiques en précurseur de tous les modernes de la fin du XIXème et du XXème siècle entier.
On sent dans l'immeuble aux formes classicisantes cette poussée tumultueuse et dans le même temps intime du romantisme de l'âme ou du génie voué à n'être jamais compris. C'est l'exigence de cette peinture jamais achevée et toujours prise ou libérée dans la tempête de sa propre réflexion.
On sort de la maison pour descendre un petit escalier vers le dehors, et on entre par la petite porte dans l'atelier. C'est un endroit illuminé de couleurs délicates. Il est si vaste en impressions et si intimiste en sérénité et en dimension, que Deila et moi nous nous y sommes éclatés de joie d'être dans ce lieu. Elle est serrée dans son jean gris comme deux colonnes du marbre le plus précieux et fin d'Orient ; elle regarde les toiles léonines en bougeant nonchalamment sa crinière du blond cendré rare et poudreux dont les marchands d'onguents capillaires tentent encore la couleur.
Je suis jeté dans la ravine de l'extase, par elle, et conjointement par les esquisses de la "Mort de Sardanapale", qui donnent à voir tout le programme de la peinture vraie : c'est-à-dire la peinture qui montre le travail pictural de l'artiste et non la seule réalité brutale. On y voit des coups de crayon si savants que posés là depuis les origines à Lascaux. Tout y est juste comme dessiné par l'insecte qui sait où frapper sa proie de façon innée et imparable.
Le grand peintre est avant tout un dessinateur achevé. C'est le préalable. Dans cet atelier conçu pour recevoir la lumière comme on décharge des balles de foins depuis le haut de la grange, on se guide vite près la place où Delacroix postait son chevalet pour torturer ses critiques et contempteurs. On comprend que la lumière devait y transformer les métaux et huiles vulgaires en des lopins du soleil Alexandrin lui-même, comme l'or des orients que Delacroix sut imposer. C'est à Saint-Sulpice, non loin du musée, qu'on peut voir la toile immense "Le combat de Jacob avec l'Ange" qui est le manifeste fondateur de l'école orientaliste en France.
Dans cette atmosphère de velours qui doux-fleure l'huile et les bois, Deila sort de son sac du top-modello son éventail japonais aux couleurs de "la vague" de Hokusaï. Il faut dire qu'elle revient d'un tournage où elle fit l'actrice qui sait prendre la lumière et qu'elle sait aussi se cacher un peu comme la star warholienne. Je m'étonne de voir qu'on sache porter des bottes noires aussi longues, mais c'est un haut-fait anatomique inouï qui se prête à ses jeux vestimentaires.
On sort de l'atelier et on descend jusqu'au jardin. Là, on peut admirer la façade néo-classique à la wedgwood de la maison et de l'atelier. Il y a un bouquet d'arbres un peu exotiques et des bancs ou des chaises où l'on peut s'asseoir pour rêver à des temps échappés dans l'escalier des souvenirs épuisés. C'est donc, qu'il faut les recréer et par une belle discussion aimantée par l'art et par les charmes de la beauté ultime, assise sur le banc, que je pouvais contempler et boire sans retenue. Franchement, pour parler entre amis enchéris, les bancs à Paris et dans les jardins rares et cachés, c'est le top mondial du dernier romantique.
On remonte dans la maison, et on visite la suite des pièces emplies de petits tableaux exquis et bien-choisis qui disent l'histoire non achevée d'un Delacroix énigmatique. On sent bien que l'énigme a su harponner un peu de notre âme qui reste suspendue entre l'atelier et le jardin de ce musée unique et sur une des plus belles places de Paris. En retour, le musée ne quitte plus nos esprits. Car la vie en débord ajouté par cette visite s'éploie plus belle encore, comme la muse Deila, vers les cafés des illuminations artistiques et littéraires à Saint-Germain-des-Près.
Thursday, September 18, 2008
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3 comments:
Une fois franchi les grandes portes en bois,les cours parisiennes nous transportent en des temps où sur les pavés inégaux les chevaux et calèches composaient la musique des villes.
Ah ça oui ! ça a du cheval ! On les entend encore et on sent leur souffle chaud de rosée matutinale.
Il est à noter que dans le Paris du XIXème siècle, les familles aisées faisaient jeter de la paille sur le pavé devant leurs maisons, quand quelqu'un y était malade et au repos. Et tout pour étouffer le bruit des fers sur le pavé sonore.
C'est pour ça aussi qu'il y avait ,il me semble, certaines zones pavés en bois qui devenaient des patinoires sous la pluie.
Mais a mon avis ça devait beaucoup marcher à pieds et les trottoirs devaient être bondés.
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