De la même façon que toutes les entreprises collectives, les organes du "journalisme citoyen" cèdent aux pressions des fluctuations naturelles entre haut et bas. C'est ainsi que les débuts sont toujours montants, quand les phases au milieu semblent une croisière parfois vive, et vers des fins toujours inertes et du désenchantement.
Quand Agoravox a commencé à enfler de ses rédacteurs, la direction s'est vite jetée dans des chiffres qui étalaient des milliers de troupes. Mais chacun des rédacteurs était accepté et inscrit par un robot logiciel qui ne faisait pas le tri entre l'intervenant actif et le passant qui voulait seulement accrocher un badge aux couleurs citoyennes sur sa poitrine muette. Car au fond si peu ont parlé dans les colonnes du journal.
C'est que très vite, on vit des groupes surtout affairés à se gonfler les batteries par des multiplications de pseudonymes qui permettaient de faire illusion et de, finalement, tromper le lecteur dès les premiers mois de ce "journalisme" expérimental plutôt que réellement citoyen. Car au fond, le propre du citoyen en temps normal serait plutôt de lire que de parler en enflant le torse comme au pire grotesque des guerres et des fanfares.
Il y avait des rédacteurs qui écrivaient des articles régulièrement, et ils se groupèrent en un comité de rédacteurs. Et là, sous couvert de confidentialité et de mots de passe étrangement exclusifs de citoyens, ont débattait des projets à vocation d'installer cette nouvelle presse. Mais aussi, on y vit qu'il s'agissait, comme dans toute entreprise commerciale, d'installer les bases de conquêtes qui sont clairement de la mauvaise foi. Car d'emblée, on sentait bien qu'il n'était jamais question, ou comme d'un acte de trahison du clan, de demander des comptes à la direction de Carlo Revelli, ni même de critiquer un tant soit peu cette direction perpétuellement personnelle.
Quand ça commença à sentir le roussi, et parce que la direction ne savait plus comment modérer ou limiter un intervenant artistique, aussi citoyen que ses voisins et que je connais bien, le comité inventa le règlement de compte interne. Avec accusations de toutes les tares jetées sur l'individu qui n'obéissait pas aux règles de l'allégeance si installée que tous la confondaient avec la civilité, quand il s'agissait d'obéissance à une autorité non légitimée pour exercer un pouvoir citoyen : puisque non élue par le Peuple, ou par une de ses parties.
C'est ainsi que le malentendu naît et qu'on confond la liberté avec la servilité.
La pente naturelle fut qu'on évinça et sans raison l'artiste forcément, et parce qu'il agissait en personne réellement libre, indépendante, et en autarcie : ce qui était la condition de son discours libre et pléthorique comme une manifestation de sa grande force de vie, ce qui n'est toujours pas une tare dans une société qui voudrait bien se porter.
Il y eut d'autres péripéties et même électorales. Et dès qu'une poussée de fièvre agitait l'opinion dans le journal qui ne maîtrisait plus rien ni la justice en son sein, on avait le bouc émissaire désigné, comme il convient pour toute société sans lumière ni texte constitutif sauvegardant les droits de chacun. C'est qu'un journal dit "citoyen" n'est autre chose qu'une réunion de gens qui veulent tous s'exprimer également comme à la rue, et finalement, ça se termine en bagarre généralisée. Sous couvert d'échanges bien-mis en pages techniques et décoratives qu'on appelle le web 2 et des lopins de zéro.
La direction personnelle inventa le commentaire noté par chacun, les articles notés et toute la panoplie des mesures vexatoires qui devaient contenter les poussées pulsionnelles des personnes un peu perdues dans la société, et qu'elles n'avaient que cet organe de parole pour exprimer leur souffrance et par des accès d'une haine si régulière qu'elle finit par transformer ce journal en un champ médiatique d'une violence inadmissible.
Mais, on le constatait bien, la politique à court terme produisit une audience comme un blitzkrieg bref et sans espérance dans l'avenir. D'abord hausse des audiences en raison du pugilat autorisé qui attirait tous les frustrés de la société, puis chute progressive assurée par la lassitude et par le caractère répétitif et dépourvu de toute solution de débat sur ce mode violent.
Forcément, il y eut des critiques puis des réponses sous forme de censures et d'exclusions. A la fin, ceux qui étaient censurés s'en firent des titres de réputation de véracité. D'autres se sont jetés dans la révolte, et cette méthode prétenduement citoyenne parvint à transformer des agneaux en des loups qui se vêtaient de la vulgarité, ne serait-ce que pour être entendus par la règle ou la politesse des dents et des mâchoires qu'on constatait sur le journal.
Enfin, l'artiste s'y ennuyait tant qu'il délaissa le projet, pour des mois. Il savait que dans le même temps, il retirait à ce journal une grande part de transe de la dévoration. Puisque le bouc émissaire ne remplissait plus son rôle de détournement des vrais débats. L'échec devenait manifeste, car les meilleurs partaient. Et donc, la théorie secrète de Revelli qui voulait que chacun qui entrait dans le dispositif ne pouvait plus en sortir, elle se révéla morte.
Tant il est vrai, que les fondateurs de ce journalisme sont persuadés de la dépendance qu'ils créent et par des dispositifs techniques autant qu'informationnels. Et tout ceci est une illusion entretenue par ceux-là-mêmes qui y croient. Depuis des mois, l'audience baisse et les mêmes dialogues se répètent comme un vide qui se voudrait remplir un espace vide.
La raison est que le journalisme citoyen n'a pas de réalité citoyenne autre que toutes les activités dans la République. Il n'est qu'une activité de loisirs et rien de plus. C'est pourquoi, il ne s'exprime que sur le mode ludique. Par exemple, les dérives et délires autour du 11/9 qui sont de la fantaisie, les joutes interminables entre faiseurs de bons mots juste agréables pour la lecture mais pas pour un débat sérieux, les exclusions et censures comme on sort des joueurs au football... rien de plus.
Et, il va de soi, que c'est un journalisme plus proche des amuseries de la télévision, et si loin des articles de la Presse papier qui parle quand même d'événement, d'idées et de faits vérifiables. Le "journalisme citoyen" c'est le journal de l'homme de la foule qui veut s'amuser et se plaindre même du beau temps. On ne lui demande pas d'avoir fait des études ou de lire des livres gros et sans illustrations, non ! on lui demande de discuter le bout d'étiquette des grandes surfaces et au bistrot du coin.
C'est donc dans la dénomination inaugurale que les concepteurs de journaux citoyens ont trompé le citoyen. Car ils ne pouvaient sérieusement se convaincre qu'ils allaient trouver de l'information vérifiée en s'adressant à l'homme de la foule. En revanche, ils avaient besoin de la foule pour exister et se répandre en conquêtes économiques comme des apprentis Disney, qui voulaient amuser le monde selon les exigences les plus simplistes et les plus populaires.
Et c'est la raison de la contradiction énorme qu'on trouve entre un projet réellement citoyen et des entreprises marchandes qui doivent faire de l'argent à tout prix, et finalement en offrant des spectacles violents qui ravissent les peuples cruels et désenchantés qui tournent vite en spectacles d'esclaves.
Et c'est là qu'est l'imposture.
Demian West
Monday, September 29, 2008
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1 comment:
Qui clôt sa porte est un cloporte !
Vladimir
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