Au 47 rue Raynouard dessous le Palais de Chaillot, on s'arrête devant un porche qui donne sur le vide et sur une vue parisienne étrangère. On baisse les yeux vers le petit jardin d'un vert piqueté de petits lieux de tables et de chaises couleur bronze au milieu de bosquets sur le vieux pavé du XIXème siècle intact. On entre dans la dernière maison que Balzac occupait à Paris, dans sa déchéance de l'écrivain ruiné mais au bord de sa postérité à compte illimité ouvert.
C'est un escalier d'une bonne jetée raide vers le bas que l'on prend et pour bien prendre la vision de cette maison au toit d'ardoises bien ordonnées et luisantes de la lumière des journées d'octobre en plein krach de pluie du soleil aussi. Balzac vivait là au second étage qui donne sur le jardin. Dessous, deux niveaux donnent sur l'autre façade plus noble sur une petite cour pavée et vers un passage du vieux Paris, et restauré comme s'il était flambant neuf de ses réverbères aux teintures nocturnes des bourgeois encanaillés.
Deila et Demy sont entrés dans l'appartement de l'ogre, comme pour y être dévorés par son air chargé de toutes les vies illustres que le solitaire Balzac fréquentait, probablement pour mieux inventer ses figures exhaustives de la "Comédie Humaine". Nous sommes dans un des trois musées littéraires de Paris, après la maison de Victor Hugo et le musée de la Vie Romantique. Les salons sont rouge comme les salons des expositions du Louvre, où tout l'art du XIXème siècle s'est montré, a été débattu par le cruel dandy Baudelaire, et s'est couvert des médailles de la frime des arts officiels du tierce Napoléon.
Dans cette charmante maison de l'ogre qui nous paraît désormais un gros chat bon vivant, nous pouvons bien-voir des portraits des personnalités des connaissants de l'auteur. Il y a des oeuvres du bon Riesener, comme on en voit au Musée Delacroix, dont un portrait de Théophile Gautier qui est d'une facture quasiment hyperréaliste ou pré-raphaëlite dans sa conception si méticuleuse qu'inspirée par une lumière rasante, qui sait exalter les coloris les plus délicats de la carnation du poète d'"Emaux et Camées".
Deila, qui est déjà très bon peintre et si jeune, a remarqué abondamment les textures des robes et des tissus chargés des moires de ce XIXème siècle ingresque, qui est désormais à deux siècles du nôtre. C'est dire qu'il s'est éloigné plus profond que tous nos sauts mémoratifs, et vers des impressions que nous devons désormais quémander aux peintures, comme on se tournait il y a plusieurs décennies vers le XVIIIème siècle.
Nous entrons dans le bureau écritoire de Balzac, peut-être son gueuloir, où comme Flaubert, il aurait balancé à très haute voix ses textes pour en entendre les effets sonores les plus impavides en détails et en reliefs attablés. On l'entend presque les dire, à tout le moins les écrire, quand on voit ce bureau gratté et surchargé de ses coups de plumes trempées au canif, et dont les griffures sont noircies comme les gravures d'un Rembrandt au naturel.
Il y a des objets rares dans des vitrines aux allures de monstration d'emblèmes sacrés de l'amitié et des arts. On y voit un vidrecome : c'est-à-dire un versoir à vin pour recevoir ses amis quand ils sont de retour : De l'allemand "wiederkommen". C'est donc un objet aussi rare que l'amitié et nombreuse, et que le mot franchement disparu dans les limbes de la consommation des alcools profonds des poètes trop étreints par l'ivresse.
Dans une petite pièce plus avant, on est au centre de la "Comédie Humaine" dont on peut admirer les personnages en rang de gravures sur bois orfévries en des hauts bien noirs et des creux en réserves blanchies. Ce sont des figures d'une pantomime grotesque à la Daumier mais en plus gai. Car il y a des airs italianisants dans ces déformations de la caricature pour fracasser l'arrogance des puissants et pour adoucir la misère des déchus de la vie parisienne, qui en connut des combles, aujourd'hui encore.
On termine la visite devant les plâtres des sculpteurs qui tentèrent de prendre le contour massif de cet auteur pantagruéliquement dévoreur de la vie, mais qu'il sut bien la digérer et pour nous la rendre tout par son esprit du détail si toujours d'invention de formules littéraires surabondantes.
On sort de cette bulle du temps, par l'escalier c'est-à-dire par la porte dérobée, par laquelle Balzac pouvait fuir ses créanciers, qui sonnaient à la porte emparadée devant dont l'architecture en parement de belles pierres blondes servait probablement à tromper leurs espérances et créances en cet auteur voluptuaire qui ne vivait que pour son oeuvre... et bastant du reste !
Cette visite fut un bon prétexte pour une conversation sur la gestion de la carrière artistique par les artistes-mêmes. Et devant le Palais de Chaillot sous les mots gravés d'or de Valéry jouant avec l'azur sétois autour la Tour Eiffel éternelle, Deila et Demy ont pris leurs aises à la terrasse de café. Là où les parisiens s'ébattent pour faire accroire qu'ils bossent et qu'ils se ruent vers leur besogne de contemplateurs narcissiques de la ville lumière.
J'étais ce chanceux qui peut à loisir, au plein coeur de ce Paris-là, s'envoler plus haut encore vers d'autres continents heureux juste en entrant dans les yeux adamantins de la femme inouïe et aimantée, qui sirotait souverainement son jus de fraise, ce qui ajoutait encore à cette divine cueillette de fruition en Paradis.
Demian West
Thursday, October 09, 2008
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1 comment:
Avec Balzac j'entend le crissement de la plume sur le papier. Ce devait être un sacré boulot de tailler les plumes. Chacun devait avoir sa façon de faire et valait mieux ne pas avoir de chat quand on était écrivain. Je me demande par ailleurs si tous les écrivains apprèciait leur écriture.
Avec les claviers la question ne se pose évidement plus.
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