Monday, March 27, 2006

Le citoyInternet


Après la parution des articles sur le film "Loose Change" de Dylan Avery, le débat initié par Carlo Revelli dans AgoraVox, en manière d’activisme dit-citoyen et sur le mode journalistique large, s’est étendu, tout naturellement, à la question du droit de s’interroger quant à la thèse officielle qui devait rendre compte de l’événement le plus médiatisé du début du siècle.

Ces articles ont clairement montré tous les présupposés qui suggèrent la grande difficulté que l’on peut rencontrer, lorsqu’on tente de questionner cette thèse officielle. Et à la suite, on a vu toutes réactions qui se sont opposées à ce questionnement de la thèse officielle. Et, des oppositions qui venaient aussi bien d’en-haut comme d’en-bas. Et, elles se sont montrées si dénotatives d’un blocage qui pourrait être bien plus profond sinon institutionnel. Comme si les raisons du refus de questionner étaient si infiltrées, et déjà dans tout le tissus de notre société, qu’elles en seraient devenues organiques. Et, à un tel degré de couture, que la version officielle en serait comme le sanctuaire, presque d’un nouveau culte. Si l’on en juge par les croix qui sont plantées sur le Ground-Zero.

A la vérité, si quiconque tentait d’égratigner, un tant soit peu, cette version officielle, on pourrait craindre que tout le bâtiment de l’Empire contemporain s’effondrerait à son tour. Et, ce qui ne manquerait pas de provoquer les pires tribulations dans nos vies mêmes et pour nos familles. C’est pourquoi, le silence soit la non-information, ou pire encore la désinformation, pourraient paraître les plus avantageuses, en attendant mieux, et si elles servaient uniquement à conserver notre société dans sa survie et sa sauvegarde. Aussi, la raison, mais en tant que rationalité instrumentalisée, serait donc liée à nos intérêts les plus vitaux qu’elle préserverait, aussi bien pour les Etats que pour nous tous.

Peut-être, est-ce la raison qui voudrait que le questionnement au sujet des crash du WTC pourrait être aussitôt considéré, comme une tentative en sous-main d’amener un autre effondrement plus vaste, même par hasard ? Et donc, la meilleure posture, et journalistique aussi, serait d’attendre et de se cacher dans son quant-à soi, et d’en lâcher quelque aperçu, de temps en temps, du bout des ongles sur un mode léger et même caustique. Par crainte d’être pris pour un conspirationniste ou un ésotériste pré-psychotique. Il reste que le mode caustique est très propice à cette forme interrogative.



Dans cette approche prudente, on pourrait y voir, une forme de démarche citoyenne qui s’espacerait jusqu’à rencontrer des formes de l’auto-censure, presque nécessairement, quand il s’agit de tels sujets sensibles et trop mouvants.

Mais alors, qu’en serait-il du journalisme et de ses références ?

Le journalisme, soit les échanges des informations, ne pourrait être une quelconque censure, ni même l’auto-censure. Au mieux, ce serait d’informer de tout et sans égard pour les intérêts en jeux. Cependant, il n’en est pas moins vrai que l’information est une valeur marchande du Marché des échanges. Et donc, elle y est instaurée comme une monnaie dans la dialectique de ce Marché. Et, cette bonne information devient alors, et naturellement, constitutive de son autre forme mais pervertie, et qui verse donc nécessairement dans son moment contraire, par le fait de la dialectique des échanges : et donc, quand elle passe de main en main, ou quand elle est intéressée par d’autres intérêts que d’informer et qui la dénaturent au passage, quand donc elle verse dans la non-information puis dans la désinformation. Enfin, dans ce mouvement dialectique continu et sans fin : elle tend, à nouveau, à informer, lorsque le temps du cycle, de ses contradictions dans divers débats qui l’auront éprouvée et l’auront nourrie, la restaurerait à nouveau vers son moment initial et donc le plus informant. Autrement dit : l’information se diffuse, puis elle se pervertit en son contraire, enfin elle est débattue vers la nouvelle et meilleure information.

Somme : il en ressort que les formes du journalisme, s’il est vivant, s’étendent à tout un champ de contradictions d’une vérité qui reste toujours à formuler, et qui ne serait jamais atteinte dans sa vérité ultime. Et, le débat suscité par AgoraVox, et dans les termes citoyens de Carlo Revelli, semble se situer dans cette action, et dans ce vaste mouvement vers la meilleure information. Car, elle est projetée dans le champ le plus propice de l’internet, dont on sait qu’il favorise les réciprocités entre individus, et qui sont nécessairement tous des citoyens dans la République. Et, pour qu’ils échangent leurs "vérités" ou leurs références qui en seraient reconnues, puis débattues et enfin acceptées par le plus grand nombre. En cela, ce projet semble être bien-conforme à l’acception du terme de la citoyenneté, selon Rousseau qui voulait qu’on transmit la souveraineté au peuple. Non-pas en tant que le peuple serait une masse indifférenciée, mais qu’il serait riche de toutes ses différences. Et donc parfois, nous serions tous riches de nos faiblesses mêmes, sinon de toutes nos contradictions car éprouvées par nos contradicteurs mêmes.

Cette souveraineté citoyenne est donc une, et, en conséquence, elle est certes représentative, mais de toutes les différences qui constitueraient l’ensemble infini des potentialités de tous les individus ou les citoyens : qui seraient tous des reporters en puissance sinon en acte. Ainsi, pouvons-nous voir, dans le projet du journalisme citoyen, comme une réactivation, parmi d’autres, du moment historique : quand Rousseau voulut créer une démocratie qui ne devait pas verser dans la démagogie, trop consensuelle et plus contraignante.

Aussi, cette vertu citoyenne serait la plus manifeste et représentative, quand elle s’exprimerait par le biais et la nature même du nouveau média internet. Car, le net propose l’immédiateté des échanges et des réactions diffusées sur le net, selon les plus nombreuses singularités des informations individuelles, qui informeraient immédiatement tous les citoyens le plus réciproquement et socialement. C’est une grande vertu du pouvoir informatif et participatif du net,qui est forcément journalier et même plus immédiat à la minute, et donc transformateur de tout le tissus social, qu’il saurait informer et transformer favorablement, pour le bien commun et individuel de nous tous.

L’internet se présente, donc, comme un champ social si multiplié en d’innombrables individus, et qui en seraient des centres de rédactions et de visions activistes. Et donc, on voit bien la différence structurelle qui oppose le réseau internet de tous les citoyens, à la Presse plus traditionnelle, et l’inclut dans le même temps, par le fait citoyen. A l’inverse, la Presse traditionnelle s’était imposée, jusque-là, en représentant le plus éclairant du peuple éclairé, mais selon une structure pyramidale et hiérarchique, en tous les cas corporatiste.

Par ailleurs, il est une autre différence entre le journalisme du net et le journalisme traditionnel : le Marché de l’information et ses Maîtres savent en produire toute la valeur marchande, pour en tirer le meilleur bénéfice. Ainsi, ils peuvent en raréfier la diffusion pour en augmenter artificiellement la valeur sur le Marché. Comme ce Marché de l’information et ses Maîtres peuvent diffuser en surabondance, une information qu’ils voudraient banaliser et donc pour lui retirer sa valeur la plus précieuse : c’est-à-dire son contenu qui aurait un pouvoir transformateur de la société. Il est évident que les Instances du Marché useraient de ce dispositif de banalisation, uniquement pour neutraliser des informations qui pourraient nuire au Marché ou à leur leadership. Autrement dit : les instances de l’information qui veulent se maintenir en leurs places sommitales, se doivent de veiller à l’avènement de tout nouveau dispositif qui pourrait entamer leur leadership, et donc pour le maîtriser.

Et, les nouveaux modes de l’internet seraient, vraisemblablement, dans cette configuration d’outsider. Si l’on en juge par les réactions hostiles, mais prudentes tout-de-même, qui ont tenté le dénigrement des pages traitant du film "Loose Change" sur AgoraVox. Et, des pages qui traitaient d’un événement pas si subversif que ça. Car, ce film est un événement média de fait. Et donc, il devait être traité comme on doit traiter tout le reste. Aussi, la force exagérée des réactions critiques exprimerait-elle bien plus un malaise de fond quant à la nature du médium internet et quant au journal citoyen lui-même, qu’un débat sur la qualité de l’information d’un événement plus ponctuel, comme le fut l’annonce du film de Dylan Avery.



Il reste, qu’à se frotter à ce débat, la Presse traditionnelle s’est laissée comme emporter par les liens dans ce nouveau médium : car il apparaît vraiment comme un nouveau mode de la citoyenneté, et donc très attractif, puisqu’il diffuse un débat dans son immédiateté englobante, et sur des modes favorables qui seraient la structure même et l’économie de l’acte citoyen le plus contemporain, et par l’internet. Le journal citoyen et l’internet seraient donc des médias sans-médiateté : et finalement im-médiats.

Et, outre leurs modes de séduction, il apparaît que ces nouveaux médias agissent sur le mode, assez révolutionnaire, de l’appropriation de nouveaux territoires internet, par ceux qu’on pourrait nommer des "citoyInternets".

En effet, il est utile et légitime qu’on s’interroge quant aux tentatives de préemption d’un si bel outil en réseaux de capture comme l’internet. Soit, les forces traditionnelles tendraient à le préempter pour y étendre leur maîtrise. Soit, les citoyens eux-mêmes l’investiraient pour s’y incarner, en quelque sorte. Au préalable du net virtuel, nul ne pourrait ignorer encore que le Marché présente une structure toute-orientée vers l’appropriation. Il suffit de constater l’appétit des majors et des téléchargeurs, en face, qui sont enrôlés dans une lutte acharnée pour la mainmise sur le réseau et tous ses objets-flux, à disposition. Aussi, il faut reconnaître, d’emblée, que le processus de préemption, vers la confiscation, serait comme déjà inscrit dans le médium internet ; Puisque ce médium propose, et dès sa création par sa structure même que l’on pourrait dire réciproque et réversible, une invitation à toutes les appropriations dans ses réseaux comme offerts. Où le citoyen puis le Marché global et les Maîtres seraient tous confondus en la même personne, parce qu’ils empruntent le même flux qui dissout les frontières des identités et des rôles : c’est-à-dire qu’ils seraient tous réunis dans le même réseau universel et dans ses mêmes flux d’informations. Et finalement, sont-ils tous confondus : en un seul appétit ou une dévoration de type libidinal. Autrement dit : chaque centre et acteur du réseau est, en quelque sorte, un des citoyens et un des Maîtres à-la-fois ou simultanément. Car, il s’approprie ou préempte tous les échanges, sur le mode des flux qui sont virtuels et souvent fantasmatiques. Et, le réseau lui-même en serait la matrice amniotique ou la Mère nourricière et génératrice : soit le maître-champ.

Ainsi, la spécificité du journalisme citoyen et, singulièrement, quand il est inscrit dans le réseau internet qui est sa marque de légitimité, serait bien défini par l’acte de préemption ou d’appropriation. Et donc, il s’agit bien d’un acte citoyen d’appropriation de la chose publique, ou de la "Res Publica". Un acte d’appropriation, du réseau et des informations, réalisé par chaque citoyen, quand il s’approprie tout ou partie du réseau internet et qu’il en devient donc un maître qui saura informer le réseau, en retour contributif ou rétributif. C’est cette ancienne citoyenneté qui aurait été comme émoussée naturellement par de plus anciens médias, et notamment par la télévision, qui a su confondre tous les discours informatifs banalisés, car si entendus qu’on ne les entend plus.

Avant cet avènement actuel de la sphère internet qui agit selon ses modes propres, et qui sont les plus impliquants : qu’ils nous immergent dans une sorte de transe informative et journalière, aux retombées et prolongements certainement citoyens. Et le proNetariat et AgoraVox seraient probablement les primes manifestations des citoyInternets dans les rues ou les flux virtuels à venir.

Demian West

Libre diffusion merci

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