Saturday, September 02, 2006

Reality Shock

Durant le "Forum International d’Ete" de l’INA, on s’est interrogé, avec Pierre Sorlin l’animateur des débats entre chercheurs, sur les suites, dans les appareils médias qui ont rendu compte des évéments du 11 septembre. En effet, ces catastrophes filmées en direct, avec des morts survenant en live, a contrario si l’on peut dire, ont induit des réflexions autour de cette nouvelle exigence imposée aux médias télévisuels classiques.

Subitement, cette brutale réquisition du temps continu offrit au spectateur un dévoilement furtif des fonctions et des institutions télévisuelles. Car, l’hyperréalité déborda de l’écran en des manifestations des dessous fonctionnalistes de la télévision. En raison des bousculements des programmes et des approximations dues aux improvisations précipitées qui tenaient tout par le tremblement du fait. Plus avant, on y vit des différences culturelles émerger des choix des traitements de l’information.

D’abord, une sélection s’est imposée par la hiérarchie des coûts induits : puisqu’ il fallut bien annuler des émissions avec tous les revenus pubicitaires qui y étaient associés, sans parler des dépenses en sur-régime avalées par les embauches urgentes de tous journalistes, et des traducteurs etc. Tout l’édifice en trembla plus encore : quand on dut, dans le même temps, et rendre compte de l’événement et faire face aux rumeurs de la désinformation hâtive, qui étaient déjà à l’oeuvre comme si elle furent liées à la nature même de l’événement. C’est pourquoi, les chaînes publiques se contentèrent d’assurer le débat géopolitique : n’avaient-elles point leur certitude tranquille de conserver leur audience fidèle assez ? En revanche, les chaînes du secteur privé surent mettre en scène des accents plus humains des témoignages pris sur le vif ; et qu’ils arrachèrent les émotions d’une neuve audience qui fut acquise ou raptée à l’avantage des chaînes privées.

Certes, il fallut choisir dans la hâte extrême : soit on donna le tout crash en direct, en alternance de débats de studio ajoutés de diffusions de moments d’archives ; soit on tentait le recul semi-documentaire, rendu plus solide par tous experts auprès des sujets vite montés en explications plus ou moins magistrales. Soit encore, on osait le différé assez improvisé en des voix-off qui traduisaient le crash simultanément au fracas qui devait faire : plus vrai que vrai. Mais comment pouvait-on donner une suite cohérente à ces fragments de vies qui tombèrent en direct ? Peut-être, en jetant cette suite de récit plus ouverte, vers un deuil improbable. Et finalement, en la pressant vers une tentative d’enregistrement du choc, en des tuyaux rationalistes du plus sûr mode géopolitique. Et toute cette chaîne de production d’informations puis d’absorption et de dévoration, de l’événement fut, diffusée sur dix jours à peine.

Outre, on entreprit de donner un sens métaphorique à ces événements, car il s’agissait de les intégrer profondément dans nos mémoires en tant qu’événements historiques légitimés. On les compara donc aux chocs du passé historique et bien archivés. Certainement, pour y distribuer des nouveaux héros sentimentaux et vitaux, qui devaient constituer ce nouvel imaginaire symbolique. Comme on le fait pour ériger tout monument et mémorial dans le marbre de l’âme collective.

Là, on comprit vite qu’il était risqué de dégager une identité claire des motifs de chacun qui était impliqué dans le choc : on discerna que CNN ou de Al-Jazeera, ou les musulmans séparés de l’islam radical : étaient tous vaguement identifiés dans la connaissance collective. Puisque, toutes les instances médias étaient trop adonnées aux exigences utilitaires de la propagande et du contrôle des images aux fins des politiques, économiques aussi. Et que ces instances paraissaient bien agir depuis les coulisses mouvantes de la guerre d’opinion qui jaillit aussi en terreur. On comprit lentement que toute autorité intéressée étaient forcément plus avide de persuasion que de diffuser des informations objectives. La vérité dirait qu’on traitait l’information et le terrorisme : selon les différences établies par le rapport des forces issu du conflit israélo-palestinien.

Plus largement et plus subtilement, il fallut rationaliser la peur pour tenter de reconstruire les identités individuelles ou nationales, très éprouvées. Et par le biais d’une convalescence soutenue par tous moyens de communications : depuis les e-mails jusqu’aux téléphones portables, et en passant par toute la blogosphère si discuteuse et disputeuse. On y affirma vite que le sensationnalisme avait trop servi le terrorisme. Et on versa, aussitôt, dans la critique de la télévision. Pendant qu’on cherchait, dans le même temps, plus d’infos objectives : mais ailleurs, c’est-à-dire loin des discours dominants.

Ce qui entraîna irrémédiablement la perte d’autorité de toute la sphère télévisuelle. Et dans un glissement vers des strates ajoutées en empilements de médias et de canaux internet surabondants : et donc, vers le neuf reality shock de la blogosphère.

Demian West

Uranie en Iran

C’est en vrai maître du jeu médiatique que le Président iranien Ahmadinejad vient d’inaugurer une usine d’eau lourde, pour le programme que nul n’ignore plus. En effet, autant que cette fabrique fut construite pour alimenter le réacteur nucléaire dont l’Iran devrait s’équiper vers 2009, autant les discours, qui circulent autour de ces usines, alimentent d’autres circuits et ballets diplomatiques les plus tétanisés.
D’une part, Ahmadinejad a rompu les civilités diplomatiques en affirmant qu’il voulait, tout simplement, raser Israël. Et d’autre part, lors de l’inauguration de cette usine, il a dit explicitement que l’Iran n’est une menace pour personne, ni même pour Israël. Ce qui est nouveau : on le reconnaîtrait aisément si l’on y ajoutait quelque espérance d’y croire un peu.

Toutes ces affirmations contradictoires pour annoncer le plus important : que nul ne saurait priver l’Iran de son droit, qui est de détenir une arme nucléaire, à l’égal des autres grandes puissances. Il y faudrait bien-comprendre que l’Iran voudrait se poster en grande puissance proche-orientale et définitive par ce biais-là le plus radical. Et, dans le même temps que l’Iran souffle le chaud et le froid alternativement vers des dehors hostiles, elle applique, aux fins de son indépendance et sur son territoire, son discours permanent de sa souveraineté bien-frappée sur la table pour qu’on le comprenne à force.

En revanche, l’"Agence Internationale de l’Energie Atomique" a réagi fermement à ces progrès de l’Iran dans la technologie nucléaire, et surtout en raison des dissimulations iraniennes. Car elles laissent mal augurer de plans qui pourraient échapper aux codes internationaux des civilités nucléaires, dont nulle nation ne saurait faire l’économie sans mettre en danger tout le bâtiment de la paix vacillante. Ainsi, avant le 31 août, l’Iran est sommée de limiter son programme d’enrichissement de l’uranium. Une riche idée qui mènerait à droit fil, vers des ultimatums échelonnés, entre l’Iran et les USA. Et, vers une résolution de l’ONU sitôt engagée par les USA pour interjeter quelques sanctions et pressions sur l’Iran, qui a vu tant d’autres électifs se briser sur son noyau dur, qu’on craint bien que Ahmadinejad en serait plus stimulé qu’appauvri de ses électrons d’uranium bientôt libérés.

Pire encore : la Chine et la Russie ont un droit de Veto dont elles raffolent de l’utiliser tout-contre les USA, qui n’ont pas fini d’y prendre quelques leçons souffletées pour les grands, et qu’ils les cherchent d’eux-mêmes...Tant et si bien que les Etats-Unis, et selon les propos de leur Ambassadeur auprès de l’ONU, envisageraient déjà la constitution d’une coalition, hors les murs de l’ONU, pour exercer des pressions d’un nouveau vieux genre sorti du congélateur de la guerre encore froide, et rien que pour l’Iran. Ce qui flattera, à coup-sûr, le Président Ahmadinejad qui s’électrise de tant de gestes réveillées par ses discours d’une eau lourde des pires douches glacées. Et qu’elles nous couleraient bientôt en perles de sueurs froides dans le dos.

Si nous n’avions tant conscience de la grande habileté de Ahmadinejad, qui paraîtrait comme l’indice d’un homme et d’une politique, probablement, plus forts et sûrs d’eux-mêmes qu’ils seraient pris de la dernière folie. Et donc, un Président qui se montre plus intéressé par les avantages de l’équilibre des forces maintenu par la dissuasion nucléaire. Plutôt qu’il agirait en homme qui se précipiterait sur le détonateur des hostilités suicidaires contre Israël... Qui n’est pas en reste de hâte, si l’on peut dire un peu du Liban.

N’est-ce pas autour des rives babyloniennes et persiques qu’on vit naître des sagesses qui ont su fonder nos cités et nos civilisations les plus fermes et fixement dans le temps ? Aussi, la patience de la muse Uranie nous dirait-elle que dans cette région si électriquement mystique, il reste une grande parenté entre la folie et la sagesse.

Demian West

Le Terrorisme Media

L’INA et son Forum international d’été, où l’on reçut les conclusions des plus éminents spécialistes de la communication Daniel Dayan de Paris et Elihu Khatz de Pennsylvanie, ont poussé plus avant l’étude des liens entre le terrorisme international et les médias. Le Centre de recherche sur le terrorisme international a fixé une définition du terrorisme en tant qu’il utilise illégalement la force pour produire un changement dans la société.

Le terrorisme est plus communément compris comme un fauteur de troubles, provoqués soit par des individus groupés, soit par des gouvernements. Et, tous inscrits dans une tradition de pratiques violentes qui chercheraient à légitimer leurs causes respectives auprès des médias. C’est-à-dire, selon une tradition qui fut théorisée par la "doctrine Monroe" qui voulait que les Américains régissent leurs propres affaires. Cette politique fut aussitôt étendue, par la méthode Truman, vers l’ Amérique du Sud puis contre l’URSS.

Tout au long du XXe siècle, on assista à la montée de toutes dérives terroristes internationales et politiques, dont un des plus forts accents reste le terrorisme religieux. Comme les Zélotes qui empoisonnaient les puits en Palestine, au Ier siècle, les fanatiques religieux usent, aujourd’hui, de référents non temporels, soit spirituels. Et, en des croisades ou en des jihads qui s’autorisent abusivement de recourir au crime, pour atteindre leurs fins présupposées qui seraient en leurs plus hauts sièges, c’est-à-dire, et malheureusement, bien au-delà de la valeur - dévaluée - d’une vie humaine.

On le constate, c’est une idéologie qui semble plus radicale que le terrorisme politique, lequel annonce souvent ses attentats par avance. Certes, il fait plus volontiers preuve de retenue, mais probablement est-ce pour mieux manifester sa puissance potentielle, puisqu’il cherche, avant tout, une légitimité plus temporelle, qui doit s’installer dans le champ social pour le long terme. Parfois, il précipite d’abord le chaos pour renforcer l’Etat, et pour vite basculer le tout dans la dictature (quand il s’agit du terrorisme des extrêmes, qu’ils soient de droite ou de gauche).

C’est un terrorisme révolutionnaire et idéologique qui recourt, parfois et pour établir le chaos, au terrorisme de "droit commun", même si le terrorisme de la criminalité cherche avant tout à étendre la prospérité du crime, et par des pratiques rationalisées, comme le négoce du narcoterrorisme. Et, sans égard pour la morale convenue, ces pratiques marchandes illicites finissent même par créer des richesses pour les populations locales.

Aujourd’hui, les moyens du terrorisme international deviennent de plus en plus idéologiques, en raison de la globalisation des échanges migratoires. Le terrorisme se diffuse en une idéologie globale qui serait spécifique à notre monde contemporain, jusqu’à infiltrer les nouveaux modes technologiques ou informatiques, sans toutefois qu’on ait jamais vu d’attentat international dans la sphère informatique. Plus récemment, il s’agissait seulement de corrompre des systèmes d’un pays ou de le menacer ; ou encore, il serait d’usage d’infiltrer des agents ou des chevaux de Troie derrière les lignes adverses, en des manoeuvres qui sont lentes et difficiles. Il reste donc, tout simplement, la pratique illicite du piratage des données secrètes, qui est la forme la plus commune du terrorisme numérique.

En revanche, le nucléaire reprend du terrain, depuis que les objets nucléarisés circulent plus aisément, dans un certain chaos post-soviétique. Car ces objets nucléaires présentent surtout l’avantage d’être une menace bien plus fantasmatique, chargée de la plus grande terreur, collective et individuelle. Et donc, ils constituent une parfaite arme de terreur, en raison de la grande peur des effets des radiations, de l’anéantissement total que cette arme induirait, si l’escalade prenait, en ses effets échelonnés vers la fin ultime.

Simultanément, la plus efficace et concrète menace de destruction massive reste le bioterrorisme, dont la mise en oeuvre et les infrastructures ont l’avantage, pour les terroristes, de présenter le coût le plus faible. Et il convient donc aux systèmes nationalistes et groupes ou gouvernements fanatiques religieux du tiers-monde, qui useraient le plus promptement de la menace terroriste. Toutefois, il faut bien noter que le but du terrorisme est d’amener la cause du terroriste vers son plus haut et plus vaste siège médiatique, pour y faire entendre sa raison, et donc pour la diffuser au monde entier : c’est alors le terrorisme médiatique qui deviendrait l’arme ultime dans cette évolution, et ceci dès après le 11 septembre.

Et dans ce sens, on comprendrait finalement que les groupes occultes usent volontiers du bioterrorisme, dans le même temps que les gouvernements agiteraient plutôt l’arme nucléaire avec toute sa puissance médiatique, en tant que ces deux modes peuvent représenter les menaces le plus efficientes. Mais, paradoxalement, ce serait la menace nucléaire qui porterait son plus puissant effet, et ceci quand elle ne serait pas utilisée... C’est-à-dire quand elle serait destinée à occuper tout l’espace des médias, alimentant la pratique du terrorisme médiatique.

Demian West

Le Standard Al-Jazeera

Le 23 août, dans le Washington Post, a paru une interview de Sheikh Ahmed, qui dirige les éditions de la chaîne Al-Jazeera. David Ignatius lui demandait quelques "nouvelles" de l’état de l’opinion arabe, cinq ans après les terrifiantes vacillités du 11 septembre.

Tout d’abord, il alimenta toutes perversions médiatiques qui inquiètent communément et les USA et tout le monde arabe. De dire aussitôt, qu’aujourd’hui, le monde arabe serait bien plus divisé qu’alors. En raison de son image ternie, et cela vastement. Et le sheikh Ahmed d’insister, étrangement, sur un monde islamique qui semblerait plus affaibli en face d’Israël ; en ajoutant, toutefois, que nul ne saurait dire l’avenir de cet écheveau si entremêlé de pointes que tout y serait lié...

Le Sheikh craindrait un conflit entre shiites et sunnites, une guerre civile qui s’étendrait à toute la région proche-orientale, jusqu’au Koweit, puis au Bahrein et enfin en Arabie saoudite. Et la seule raison de la présence américaine serait qu’elle pourrait retarder ce processus, sinon nous serions en droit de douter de fins plus heureuses, dit-il en songeant au bourbier irakien après trois ans de leadership américain aussi fastidieux que décevant.

Par ailleurs, le Sheikh, qui est un militant notoire de la cause arabe, déplore, hormis pour la lutte palestinienne et la résistance irakienne, la complaisance des jihadistes qui s’enfoncent dans l’autodestruction ou dans des guerres intestines, selon un concept que les Arabes nomment la "fitna".

Le Sheikh est issu de la BBC, et il a rejoint en 1996 Al-Jazeera, qui est un organe de presse désigné, tout stratégiquement, par les officiels américains comme un relais des thèses binladenistes ou tout simplement des thèses les plus radicales de l’islam. Et c’est dans ce contexte, plus ou moins faussé, que le Sheikh Ahmed devrait, en outre, tirer ses news objectives du jeu proche-oriental, dont on sait qu’il vous explose à la figure au moindre écart de présupposés dans le langage.
Pour exemple : la chaîne vient d’ouvrir, à nouveau, une antenne en Iran, après qu’elle eut déplu aux autorités iraniennes pendant dix-huit mois. Simplement parce qu’elle avait filmé le Sud du pays et quelques plaintes des minorités arabes maltraitées par le gouvernement central. Ce reportage s’achevait en une répression des populations ; aussitôt, la sortie de la chaîne. Pire encore : en Irak, la chaîne a filmé les insurrections sunnites qui déplurent au gouvernement shiite, qui la débaucha en 2004. Depuis, Al-Jazeera n’ose plus mettre le pied sur cette mine shiite. Et ce sont ces scandales éclatants qui ont fait l’image ou la réputation d’une "télévision des insurgés", alors qu’il s’agit de couvrir les endroits chauds, comme c’est l’usage dans tous les lieux conflictuels.

Pour achever toute espérance et toute raison journalistique, entre la Syrie et le Liban : quand la chaîne fit une longue interview de Hasan Nasrallah, le leader shiite du Hezbollah, Al-Jazeera fut descendue par les salafistes, lesquels sont des sunnites pro al-Qaeda qui considèrent les shiites comme des apostats. Ensuite, le vif président syrien Bashar al-Assad traita les autres leaders arabes, ni plus ni moins, de "half men" qui n’avaient pas soutenu le Hezbollah dans son combat contre Israël.

C’est pourquoi, après dix ans d’existence, Al-Jazeera se réveille en plein coeur d’un journalisme proche-oriental qui semble éclaté, comme un écorché d’une illustration médicale le plus savamment inquiétante ; et ceci pour tout journaliste qui se voudrait honnête et objectif, ce qu’on attend à tout le moins. Car c’est une région où les sages, mêmes babyloniens ou très antiques, ne sauraient plus extraire une bonne eau de ce mauvais puits.

Et la solution à ces problèmes si organiquement entremêlés serait de mettre en oeuvre des standards de communication qui pourraient affermir les bases d’une communication réciproque enfin entendue, et comme un langage média préalable qui entraînerait les négociations vers une compréhension réciproque enfin conquise, sinon imposée. Et ce serait là un rôle majeur de l’information dans l’immense cité des médias, qui s’étend déjà entre l’Orient et l’Occident.

Demian West

Le Liban Déconstruit

Comme l’a fait remarquer l’historien Mark Levine, dans le Asia Times d’hier : c’est l’économiste autrichien Rudolph Schumpeter qui diffusa largement le concept de destruction créative, il y a plus de cinquante ans, dans une pensée qui annonçait l’achèvement, au sens aristotélicien, du capitalisme. En effet, celui-ci se devait de fagociter ou de dévorer tous les ordres sociaux anciens, afin de réaliser sa programmatique qui consistait à promouvoir le profit coûte que coûte, et selon les principes mécanistes de cette philosophie internationale, qui a tout de même vaincu tous les autres systèmes, et surtout le communisme.

Depuis, nous apprenons, lentement et par secousses, que nous avançons dans la nouvelle société dite déconstructiviste. Laquelle, après le structuralisme, a reformulé tout : l’architecture et les arts, et plus effectivement toutes les structures sociales et internationales... Dans les années 1980 à Wall Street, on y prit vite ses aises, puisqu’on ne parlait plus que management du chaos heureux, car visant la désintégration du système communiste, en droite ligne de mire. Et avec cet avantage majeur pressenti que la fin du monde collectiviste du XXe siècle, réputé souffreteux, permettrait la création d’un nouvel espace de profits tellement aérés par toutes les utopies projetées dans le XXIe siècle. Et ce fut le fin mot paradoxal de la philosophie néo-conservatrice de Michael Ledeen, qui conseillait activement le président Bush, qui y vit la plus impressionnante puissance de renouveau. Donc, cette ligne de force fut mise en oeuvre au Proche-Orient, aussi capitalistique que pétrolier, en alliance avec les conceptions du Nouveau Proche-Orient de Shimon Peres, qui tendait Israël en fer de lance de ce renouveau, tout porté par le processus des accords de paix d’Oslo.

Aujourd’hui, il apparaît mieux encore que cette ligne de force chaotique de la destruction créatrice semble bien avoir préparé le conflit israélo-libanais de cet été. Car on prétend partout, comme si on le savait d’évidence, que les belligérants ont planifié, de part et d’autres, avec toutes alliances, et l’enlèvement des soldats israéliens, qui fut une habile provocation du Hezbollah qui sut piéger Israël, et la rage de destruction d’Israël, qui piaffait d’impatience pour régler son compte au Hezbollah, sinon pour déborder sa légitimité et ses objectifs de tirs jusqu’à détruire le Liban.

Ainsi, pour Israël comme pour le Hezbollah, le but a été le même : amener un nouveau Proche-Orient, et selon le mouvement initié par Bush et tous alliés... même tous mésalliés, si l’on peut dire. Car l’Iran lui-même y va de ce pied-là, et pour d’autres rêves d’hégémonie.

Et c’est bien là ce qui n’était pas prévu par toutes ces parties : elles ont toutes joué un même jeu. Et elles l’ont fait si bien qu’il profite à tous comme ce champ de ruines, sans qu’on puisse en dégager un vainqueur qui en achèverait la reconstruction. Hormis qu’on voit le Hezbollah gagner sa légitimité sur Israël. Et mieux encore : on assiste à la progression favorable du Hezbollah dans cette partie de poker du déconstructivisme néo-libéral, qui couronne celui qui sait s’approprier les faveurs des médias. Le Hezbollah ne reconstruit-il pas déjà le Liban, pendant qu’Israël débat autour de sa défaite ? Comme si le Hezbollah avait mieux compris le système, que l’Amérique elle-même prétendait imposer au Proche-Orient, puis au monde, quand, manifestement, Bush bégaie dans sa reconstruction de l’Irak.

C’est le principe de cette architecture géopolitique du déconstructivisme international : il détruit et recrée ou reformule les structures des blocages anciens ; il reconstruit de nouvelles donnes nées du chaos et qui savent relancer la machine humaine.

Demian West

La France lâche-t-elle le Liban ?

Le "Washington Post" nous a remis de la lâcheté française dans l’assiette de son éditorial du 18 août, intitulé : "Où sont allés les Français ? Loin, dans les bas-côtés." ...du conflit israélo-libanais s’entend. Et de rappeler en ouverture bien-sentie de ce tir nourri, que la France ne s’épargne jamais quand elle aime à donner ses conseils, et pendant tout l’été que dura cette guerre. Certes, c’est la prérogative de toute nation majeure : si l’opinion américaine ne regrettait, encore une fois, que la France ne l’assumait plus sur le terrain. Et que les Américains prétendent même craindre pour la paix, à cause de ces hésitations coutumières des Français.

Il est vrai : que la France a demandé l’arrêt des hostilités, et dès le début des frappes israéliennes ; vrai aussi, elle a appuyé la demande arabe, que les belligérants se retirent du Liban, et avant toute intervention d’une force onusienne. Enfin, elle a exigé, cette semaine, la fin du blocus des ports et des aéroports Libanais. Et ceci, bien que la raison du blocus lui semblât justifiée : puisqu’il devait interdire tout flux d’armes, depuis la Syrie et l’Iran vers le Hezbollah au Liban.

Jusque-là rien à médire : hormis le refrain entonné par la France, dont le maître-mot de la diplomatie reste : une seule armée au Liban et libanaise. Mieux encore : la France a mitonné, certes avec quelques pincements du poivre-et-sel US, la résolution de l’ONU adoptée vendredi, laquelle doit installer une seule armée libanaise sur le terrain. Et, le "Post" y sent bien quelque quadrature du cercle.

Car, cette armée devrait être éployée au sud-Liban déjà occupé, et avec si peu d’armes et désuètes ; aussi sous le couvert d’une allégeance en forme de soumission aux forces onusiennes : et dont la France s’était engagée à pâtisser le ciment du plus fort contingent. Si même que l’Ambassadeur de la France auprès de l’ONU annonçait la prise de la pâte...au plus vite. Mais, dès lors que les Israéliens se furent retirés en laissant les forces du Hezbollah presque hésitantes, la pâte fut retombée sur Jacques Chirac qui ne lâcha plus qu’une seule compagnie de 200 hommes ajoutés aux 200 autres sur le terrain. Ce qui fit un sacré mécompte des promesses françaises. Joint : que le général en charge de ces troupes, désespérément innombrables, prendra sa retraite du terrain, en février : et la France avec lui. Ce qui finit de brûler, de ce pied-là, toute la cuisine diplomatique.

C’est pourquoi, l’opinion américaine piaffe de tant d’appétit déçu par cette cuisine française qu’elle ne goûte plus du tout. Quand l’Amérique sent, à quelle hauteur de légèreté fumeuse, la France ne voudrait toujours pas engager ses forces dans des conflits au Proche-Orient. Toutefois, dans les rangs français on goûte, aussi peu, la recette que le "Post" et l’opinion américaine savent habilement oublier, quand ils mettent sur la table leur soufflé bien-levé en tous prétextes. Alors que le concours consistait plutôt à composer une sorte de menu diplomatique qui visait à réduire, autant qu’on le pouvait, les interventions étrangères pour redonner enfin toute sa légitimité à une nation envahie : le Liban.

Et c’est bien ce maître-mot de la France dans toute sa meilleure diplomatie que l’Amérique bushienne répugne toujours a sentir en son fumet le plus subtil. Les USA n’auraient-ils pas pris le pli de négliger la souveraineté des nations proche-orientales ? Pour qu’ils nous servent, à nouveau, la sauce gâchée des lâchetés du maître-coq français qui met les ergotants dans le plat. Le Proche-Orient serait donc ce théâtre pimenté des cuisines diplomatiques : où l’on apprend vite qu’il est probablement deux manières d’étiquettes pour se montrer une grande puissance, qui ne serait point invitée à une table étrangère.

Demian West