Comme l’a fait remarquer l’historien Mark Levine, dans le Asia Times d’hier : c’est l’économiste autrichien Rudolph Schumpeter qui diffusa largement le concept de destruction créative, il y a plus de cinquante ans, dans une pensée qui annonçait l’achèvement, au sens aristotélicien, du capitalisme. En effet, celui-ci se devait de fagociter ou de dévorer tous les ordres sociaux anciens, afin de réaliser sa programmatique qui consistait à promouvoir le profit coûte que coûte, et selon les principes mécanistes de cette philosophie internationale, qui a tout de même vaincu tous les autres systèmes, et surtout le communisme.
Depuis, nous apprenons, lentement et par secousses, que nous avançons dans la nouvelle société dite déconstructiviste. Laquelle, après le structuralisme, a reformulé tout : l’architecture et les arts, et plus effectivement toutes les structures sociales et internationales... Dans les années 1980 à Wall Street, on y prit vite ses aises, puisqu’on ne parlait plus que management du chaos heureux, car visant la désintégration du système communiste, en droite ligne de mire. Et avec cet avantage majeur pressenti que la fin du monde collectiviste du XXe siècle, réputé souffreteux, permettrait la création d’un nouvel espace de profits tellement aérés par toutes les utopies projetées dans le XXIe siècle. Et ce fut le fin mot paradoxal de la philosophie néo-conservatrice de Michael Ledeen, qui conseillait activement le président Bush, qui y vit la plus impressionnante puissance de renouveau. Donc, cette ligne de force fut mise en oeuvre au Proche-Orient, aussi capitalistique que pétrolier, en alliance avec les conceptions du Nouveau Proche-Orient de Shimon Peres, qui tendait Israël en fer de lance de ce renouveau, tout porté par le processus des accords de paix d’Oslo.
Aujourd’hui, il apparaît mieux encore que cette ligne de force chaotique de la destruction créatrice semble bien avoir préparé le conflit israélo-libanais de cet été. Car on prétend partout, comme si on le savait d’évidence, que les belligérants ont planifié, de part et d’autres, avec toutes alliances, et l’enlèvement des soldats israéliens, qui fut une habile provocation du Hezbollah qui sut piéger Israël, et la rage de destruction d’Israël, qui piaffait d’impatience pour régler son compte au Hezbollah, sinon pour déborder sa légitimité et ses objectifs de tirs jusqu’à détruire le Liban.
Ainsi, pour Israël comme pour le Hezbollah, le but a été le même : amener un nouveau Proche-Orient, et selon le mouvement initié par Bush et tous alliés... même tous mésalliés, si l’on peut dire. Car l’Iran lui-même y va de ce pied-là, et pour d’autres rêves d’hégémonie.
Et c’est bien là ce qui n’était pas prévu par toutes ces parties : elles ont toutes joué un même jeu. Et elles l’ont fait si bien qu’il profite à tous comme ce champ de ruines, sans qu’on puisse en dégager un vainqueur qui en achèverait la reconstruction. Hormis qu’on voit le Hezbollah gagner sa légitimité sur Israël. Et mieux encore : on assiste à la progression favorable du Hezbollah dans cette partie de poker du déconstructivisme néo-libéral, qui couronne celui qui sait s’approprier les faveurs des médias. Le Hezbollah ne reconstruit-il pas déjà le Liban, pendant qu’Israël débat autour de sa défaite ? Comme si le Hezbollah avait mieux compris le système, que l’Amérique elle-même prétendait imposer au Proche-Orient, puis au monde, quand, manifestement, Bush bégaie dans sa reconstruction de l’Irak.
C’est le principe de cette architecture géopolitique du déconstructivisme international : il détruit et recrée ou reformule les structures des blocages anciens ; il reconstruit de nouvelles donnes nées du chaos et qui savent relancer la machine humaine.
Demian West
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