Il est un fait que l’on pourrait communément observer, et dans les débats menés autour des transformations de la société par les nouveaux médias, dont l’internet : que nous nous situons souvent, soit du côté qui prévoit un avenir optimiste et mus par des accents très lyriques, soit nous serions en poste et en tunique du prophète furieux qui exhorterait son public contre les pires conséquences orwelliennes de la société de l’information déjà dérémisée. Et, selon une mode qui annoncerait tant de malheurs à notre portail, pour ficher vraiment la grand’ trouille, comme il convient pour nos temps très bousculés.
Aussi, que l’on se trouvât replié dans une fratrie, et ce serait toute la qualité de l’avenir que nous prédirions qui en serait aussitôt enchantée. Ou à l’inverse dans l’autre camp mais des philosophes plus renfrognés, notre conception du même avenir pourrait être symétriquement troublée par nos peurs les plus paniques. Autant dire que ce sont nos sentiments eux-mêmes qui se sauraient transformer notre avenir ou le coucher du côté qu’ils voudraient et à leur guise, et ceci avant même que cet avenir aurait su ou aurait pu nous transformer un tant soit peu, en retour. Tant et si bien, que nous devrions vite admettre : que nul ne saurait vraiment nous dire comment il sera notre futur, et avant l’heure, sinon pour communiquer ses propres fantasmes, tellement nous sommes agis ou nous sommes émus par nos propres craintes ou nos espérances plus fantasques encore.
Le champ le plus perlaboré, ou le plus travaillé par nos peurs collectives ou archétypales, est probablement le monde ou la sphère des techno-sciences qui savent mêler, si délicieusement et troublement, l’organique au mécanique. Désormais, l’organe et la mécanique sont si entretissés qu’ils ont pris possession de notre plus intime chair ou de notre plus intime identité, que nous pensions pourtant le sanctuaire le plus inexpugnable de la personne humaine. Et, selon un mouvement initié par le premier penseur qui osa concevoir, si philosophiquement, un animal mais mécanique, plutôt que cet animal fût animé par une âme surnaturelle convenue jusque-là. Et ce fut un apport majeur de Descartes, et tout par son entreprise d’une raison qui décida de s’espacer pour elle-même, en soi ou qui s’est appliquée à ses propres questionnements, et sans devoir des comptes intéressés à quelque empire ou à quelque divinité gardienne des moeurs. Ainsi, Descartes sut-il mettre, comme en leur meilleure veille, les très-antiques nécessités morales ou éthiques, lesquelles nous imposaient maints tabous et toutes portes interdites si définitivement closes à la science, aux arts et aux techniques.
Par ce nouveau regard ajouté : on put enfin lire que les esclaves de l’antiquité étaient déjà, et en acte, des sortes d’hommes mécaniques, mais sur le mode animal. Car, ils remplaçaient la force de travail animale, et non point une quelconque force mécanique, proprement dite, puisqu’elle était quasiment inconnue ou si peu diffusée.
Tant et si bien qu’aujourd’hui, c’est notre seule conception contemporaine qui saurait, enfin, faire l’analogie entre l’esclave antique et le robot tout-mécanique et angoissant : car tout pour nourrir nos peurs d’un avenir contraignant. Comme le récent épisode des DRM ajoutés aux médias numériques l’a laissé librement exprimer, et par tous les commentateurs inquiétés par ces nouveaux modes du contrôle contraignant, qui en ont dit dans les colonnes d’AgoraVox.
Ainsi, souvent on ne comprendra la chose qu’après-coup. De la même façon, nul ne pouvait penser qu’un bel objet de la technique avait un beau design, avant la naissance de ce concept de "design", soit dans les années 1930 au "Bauhaus" de Walter Gropius à Dessau. Et ceci, même si le "Portefeuille de Vaucanson" et ses aquarelles représentant des machines illustrées par Dromard ou les dessins et gravures de Goussier pour l’"Encyclopédie" ont été présentés par Victor Hugo, comme des travaux et dessins techniques qui seraient un jour reconnus au premier rang d’oeuvres de l’art le plus intellectuel et du Beau et du Bien. Ce qu’ils sont aujourd’hui...
De la sorte, comme Victor Hugo qui avait pressenti le design, il apparaît que nous pourrions vivre dans une réalité qui saurait donc être là — nous dirions en acte — et avant même que nous en comprenions tout le... ou les concepts achevés. Et donc, avant que l’Idée vive ou réelle, qui en est le fond, se présentât à nous en des termes bien ou mieux définis ou plus précis : mais souvent plus tard, et parfois après des siècles de tranformations de ces concepts mêmes.
Aujourd’hui, nous admettons aisément que la technique numérique puis prothétique pourrait nous dépasser, et pourquoi pas : que les concepts, qu’elle recouvre, sauraient aussi, nous dépasser de la même main, et ce pendant que nous serions déjà entièrement baignés dans leurs formules de lois et au plein dans la nouvelle société sinon des univers des gens et des objets numériques, que nos usines de l’immatériel fabriquent avant même que nous puissions en comprendre toutes les conséquences, et bien que nous les amenions par là-même.
La sagesse dirait, qu’il faudrait donc se garder de trop entrevoir, ou trop hâtivement, un futur que nous dirions trop certain. Car, il ne pourrait être conçu que dans les formes que nous lui attribuons, tout par nos rêves hypnotiques et fascinants qui se jouent souvent au cheval échappé, alors que nous serions encore ignorants de ce qui serait considéré comme : le vrai art ou la vraie technique, d’aujourd’hui c’est-à-dire de demain.
Pensons donc, à tous ceux qui ont pu croiser Van Gogh, en son temps, quand les contemporains de cet artiste pensaient à croiser une personne à tel point négligeable puisque d’apparence négligée, qu’ils se pensaient ou qu’ils se voyaient... ne pas même le voir, comme transparent ou inexistant. Alors qu’ils venaient de voir ou de fréquenter pas moins que Van Gogh en personne, et en ses oeuvres les plus invendables puisqu’il n’en vendit aucune. Pourtant : c’était bien lui, l’art le plus explicite de son temps et qu’ils venaient de le rejeter, lui, le plus grand art selon des conceptions qui viendraient à se former puis à se diffuser et à s’espacer, seulement quelques décennies plus tard, et quand beaucoup de témoins seraient morts.
Enfin, l’art de notre XXè siècle, dont nous venons presque tous, n’est-il pas plus sûrement contenu dans les médias télévisuels et si banalisés partout dans nos salons chez nous, plutôt qu’en des galeries d’art vouées résolument à leur non-public. Certes, ces télévisions à bride déchaînées, qui s’achèvent en une orgie de médias entretissés, font art, quand bien même fussent-elles des spectacles trash ou triviaux comme jetés dans les plus basses-fosses du divertissement, si mécaniquement horloger que publicitaire. Vrai, la télévision semble bien le plus manifestement : l’Art de la fin du XXè siècle. Si l’on considère que nous y fûmes tous si rassemblés et si régulièrement, pour nous y nourrir de nous-mêmes et d’autrui. Certainement, verrons-nous confirmer, bientôt, ce concept-là, si ce n’est aujourd’hui : à cette heure où nous assistons, aussi certainement, à la brutale transmigration de cet art et tout vers l’internet. Et, pour la simple et meilleure raison suffisante, que nous pourrions enfin y réagir activement, pour nous y incarner, ou pour y transmigrer dans nos interventions et commentaires, que nous jetterions comme autant de tomates désinvoltes tout-contre les programmes qu’on nous imposait jadis comme des stèles en béton précontraint. Mais, afin que nous les sculptions, désormais, et selon ce nouveau mode citoyen de la taille plus directe qui critique et qui modèle les médias. Et, à ce qu’on dit tantôt : ce mode citoyen parle parfois sur un ton d’une telle franchise et si désarmante qu’il sait diluer et qu’il coule des plus fortes maisons de maçons, qu’on disait en béton dans l’ancien monde des maîtres-bâtisseurs un peu rebattus.
Ainsi, quand Warhol lançait sa prédiction, reprise sur tous les tons et à secousses : que chaque Monsieur Machinchose ou que chaque Miss’ What’dye’Callum auraient leur quart d’heure de célébrité à la télé, il balançait le tout-cash du tournant du XXè siècle. Quand déjà au XXIè siècle, chacun aurait toujours son quart d’heure de célébrité, mais qu’il serait tout-de-suite suivi d’un grandiloquent démontage en règle et très rigolo, car balancé par des citoyens-mécanos anonymes sur leurs drôles de machines. Puisqu’il est un avantage remarquable et si enregistrable de la nouvelle société de l’information : c’est que nul ne saurait plus se poster à l’abri ou à couvert derrière son écran ou son moniteur, pour se poser en maître ès-informations ou mieux encore en maître ès-certitudes. Puisqu’il est fermement exigé qu’on en réponde de nos infos, ou, à tout le moins, qu’on y réponde en toutes suites de commentaires ajoutés, et qu’ils interagissent tellement jusqu’à pouvoir mettre le branle à toute la sphère média, sitôt mise en mouvement comme une nouvelle roue de la fortune...mais des neuves réputations.
Enfin, nous assistons ou nous agissons, tous citoyens d’ensemble, comme pour amener une nouvelle manière de concepts plus mouvants et moins dominants, et donc moins mécanisés ou plus organiques. Et, dont nul ne saurait nous dire entièrement quels sont les derniers concepts ou moteurs nouveaux et définitifs qui y oeuvrent, par le fait qu’ils sont des flux mouvants et vifs, et donc toujours changeants et transformateurs sinon insaisissables. Et, ce semble une vision d’un avenir qui nous informerait mieux, tout en nous divertissant mieux puisqu’il coulerait, enfin, simultanément des deux côtés de l’écran, ce qui semble plus conforme à la vie. Ainsi, nous serions parmi les siècles au XXIè, et qu’il ne serait pas si orwellien, ni si pessimiste non plus que désenchanté. En tous les cas, pour tous ceux qui aimeraient à surfer dans les nouveaux flux qui fantasient notre vie internetisée qui se sait à nouveau transmigrer...
Demian West
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