Les débats animés sur les forums du net ne laissent guère douter de l’enjeu que représente l’art dans l’évolution de la jeune blogosphère. Soyons plus précis, il apparaît plus certainement que l’enjeu concerne plutôt les représentations de l’art que les internautes fantasmeraient, pour que l’art corresponde à leurs intérêts sinon à leurs désirs aussi arrangeants que complices.
D’une part, l’idée la plus courante sur le net serait celle d’un monde artistique assez bohème et forcément baignant dans une misère bien conforme aux clichés de l’Ecole de Paris, mais vue par le cinéma hollywoodien. On y voit, dans les forums, les visions passéistes de Kirk Douglas en Van Gogh fanatisé et roux peigné par le feu intérieur de l’art sans concession. Un peu pour obéir au credo d’Antonin Artaud le momo et prophète de l’artiste maudit. Oui mais ! Ce genre d’artiste n’existe plus aussi appliqué au malheur. Car il squatterait tantôt à Paris sans jamais payer sa facture de jus et d’eau, tout en étant soutenu par des subsides de l’Etat qui est un mécène moins salissant que l’argent privé.
A l’autre bord, les internautes pensent souvent les artistes, toujours sur le mode bohémien, mais dans les quartiers chics. Là, les artistes peignent d’immenses toiles en traversant leur loft de mille mètres carré en roller et entourés de créatures du diable, qu’on appelle tantôt les top-modello. On évoque la figure warholienne de Jeff Koons et des arts d’après le plastique gonflé à l’hélium. Et si légers que la blogosphère jugea utile d’y coller un surnom de montgolfière joyeuse, les Bobos. Quand on a dit ça, on a tout dit, dans ces nouvelles conventions de la blogosphère, qui s’applique industrieusement à reproduire la géographie des apartheids du chic parisien, certes de la place du Colonel Fabien mais juste à-côté du Palais de Windsor, du moins dans les repères de la sphère de la "bornitude" idéologique.
Evidemment tous sont dans l’errance.
Car, l’art serait avant tout un marché immense, pour la France qui est la première destination touristique du monde. Les objets plus culturels sont certainement des richesses, qui ont su maintenir le leadership culturel de la France et depuis Louis XIV. Certes, New York est plus puissante sur le marché des ventes et des valeurs des oeuvres d’art, mais la notion même de vie culturelle, entretissée dans la structure sociale de la ville soit la vie artistique, se confond en tous points avec la géographie française et plus encore parisienne. Et il en est de même dans la blogosphère.
Les artistes du net ne seraient pas la propriété de telle ou telle autre population d’internautes qui voudraient préempter cette identité culturelle française. Puisque l’artiste fait la culture par le biais de ses oeuvres d’art qu’il diffuse selon les modes qu’il aura personnellement choisi. Ainsi, il peut déléguer leur diffusion à un intermédiaire ou à une institution. Et son choix participe de la création de cette oeuvre ultime qui est sa vie ou sa légende qu’il constituerait pour devenir une richesse à son tour. Soit un monument qu’on visitera comme une architecture vivante de la culture.
C’est exactement le projet génétique qui participe de l’identité de l’artiste. Car c’est une vocation, aussi un métier et identitaires. Et même s’il veut coller au plus près de la vie la plus populaire et simple, l’artiste qui veut naturellement offrir au monde son art pour le réjouir et pour l’améliorer, il doit d’abord l’imposer par le biais du marché, et c’est le chemin de toute une vie.
C’est pourquoi, le recours au scandale fut si utile tout le long du XXe siècle. Car cette attitude théâtrale et grandiloquente offrait une précipitation de cette espérance de reconnaissance. Et, d’une certaine façon, cette technique de l’avant-garde a désormais pris le nom du "buzz", dans notre monde contemporain internétique et médiatique. C’est en quelque sorte une invention warholienne, mais plus encore du plus grand artiste du second XXe siècle français, c’est-à-dire Serge Gainsbourg.
Il était d’abord un peintre, puis il comprit que les arts mineurs et la chanson étaient bien plus propices à la diffusion de la vie artistique. Aussi, dans cette fulgurance des trente glorieuses, il conçut qu’il ne fallait jamais qu’un jour passât sans qu’on parlât de lui, d’ailleurs en bien ou en mal.
Car l’appréciation ou le jugement de goût étaient sans conséquence, et c’est la rupture même la plus quantième favorable. Comme si la médisance ou le dénigrement, soit la critique avaient été vaincus ou rendus inoffensifs par le biais de ce dispositif artistique déraisonnable mais si efficace.
Dans la blogosphère, on (c’est-à-dire l’internaute qui croit encore à l’artiste martyre et si pauvre que fantasmatique) cherche encore à saisir ce secret pouvoir mis en oeuvre par ces artistes, insaisissables parce qu’ils se moquent de ce qu’on en dira pourvu qu’on parle d’eux. Puisque le gain est de doubler la pertinence de son nom, d’une part vers le côté lumineux des louanges, et d’autre part vers le côté obscur des critiques dépités.
Finalement, pour jouer ce jeu de rôles ailés sur les vagues des surfeurs du buzz, il faut vraiment et profondément se moquer de ce qu’on dira. Ce qui n’est jamais donné au premier venu, dans les allées impitoyables des forums usinés en petites guerres mondiales instantanées et mesquines. Il faut, avant tout, mieux connaître la nature humaine si vite transposée dans la blogosphère véloce.
Demian West
Tuesday, September 25, 2007
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