Nous avons entamé cette enième visite au Louvre par l'excellente et intimiste exposition des bronzes de la Renaissance. C'était bien ! et si délicatement présenté dans des tons verts en parfait contrepoint des teintures chaudes du bronze. J'aimais particulièrement toucher ces bronzes et y repérer des entailles faites par des lames nerveuses que la soldatesque empanachée sut y laisser à force de coups portés même sur les effigies.
Cette exposition nous mena, Deila et moi, vers la grande aula des sculptures sous la grande verrière ouverte sur le soleil de décembre, qui est le plus pur au travers de l'air raréfié. Là, entre des bustes de maîtres et des philosophes barbus, on toise quelques éphèbes alanguis montrant leurs parures génésiques éployées et parfois émasculées par le coup de maillet de trop. Des visiteurs qui ont rampé depuis les antipodes dans des avions au carburant pressé comme les citrons de comités d'entreprises, se posent enfin devant des statuaires dont ils ignorent et le titre et leur auteur, juste pour honorer la photographie qui est le nouveau rite de ces lieux.
Car pour tout baptême il y faut des preuves, qu'on y était et en tenant bien à la montre le journal du jour avec le titre en gras : "Extra ! Extra ! Read all about it : Monsieur MachinChose et sa famille What'dye'callum visitent le Louvre". C'est toujours amusant de voir quelqu'un poser devant une statue mineure, quand il manque de quelques pas "La Frileuse" de Houdon ou les Carpeaux qui traînent par-là. Mais, c'est un bonheur pour Deila et moi, car nous pouvons nous y éployer et dire tout notre saoul des sujets et des techniques qui nous travaillent toute la semaine des mois et des ans.
Qui de torturer ses bronzes en des muscles animaux des fauves et des éléphants, aussi des taureaux de Barye qui savent évoquer les plus beaux athlètes surhumains d'un Michel-Ange. Qui encore de lisser ses marbres jusqu'à confondre les ailes elfiques des papillons de l'amour et psyché avec la carnation transparente du marbre, qui est la matière savante elle-même, comme des pages en papier bible et sans mots publiées par Canova ou Thorvaldsen les meilleurs néo-classiques. Lequel encore, de jeter enfin ce sourire français dans le plâtre, puis le marbre à la Carpeaux bien-inspiré par le sourire de l'ange au fond du portail gauche de la cathédrale des anges à Reims.
Gonflés d'orgueil partagé par tous ces maîtres r'assemblés dans l'aula, nous allons dans des couloirs controuvés et méandreux qui nous mettent en face du code Hammourabi. Il s'agit tout de même de la plus ancienne table de la loi qui ne rigole plus. Et c'est gravé là comme pour bien nous assener qu'avant nous et nos amours définitifs, il y avait des mondes et des tentatives dont nous sommes la pointe hallucinée. D'autant plus que le soleil, ce jour, balançait ses raies comme des hachoirs stroboscopiques du temps. Tellement, que souvent nous ne savions plus où nous étions, et dans quel temps du passé ou du futur, mais jamais du présent.
Quel privilège de passer devant et de toucher les taureaux de Khorsabad de la capitale de Sargon. Et ces princes tenant dans leurs bras d'airain des lions assujettis. Je pense aux Teutons qui découvrirent ces trésors et qu'ils imaginèrent les couleurs laquées de l'émail bleu et or recouvrant ces portes symétriques et cyclopéennes des cités babyloniques. On ne peut passer dessous sans y voir encore les détails innumérables des personnes antiques qui y vécurent. Je les vois soit mendier soit montrer leur or tissé sur leurs habits d'oiseaux emparadisés. Dans une société forcément la plus cruelle puisque r'assembleuse d'hommes.
Et ce n'est pas le plus furtif moment de ma vie, qui s'éternise du coup quand je passe cette porte au bras de la plus belle Cléopâtre des temps modernes. Les regards que nous croisons me le confirment aisément. L'aristocratie naturelle est amplifiée dans ces décors conçus pour les monarchies du coeur, quand ils sont tombés dans la république. Les grands taureaux ailés aux visages d'hommes barbus de la prêtrise signifient bien que nous sommes en pays de sacrifice. Les prêtres devaient effectuer chaque jour le Taureaubole ou sacrifice du taureau, à celle fin que le soleil se levât le lendemain. C'était la grand peur des hommes : que l'ordre cosmique soit enfreint et que le soleil restât en-dessous de la Terre. Ainsi, les artistes et prêtres avaient-ils homologué les rites ou ce théâtre pour se signifier entre-eux qu'ils étaient les auteurs de ce retour. Et d'une certaine façon, ils venaient de créer tout le bal des Dieux et du pouvoir.
Le roi était garant de l'ordre cosmique, parquoi rien ne devait changer dans l'univers et les rites devaient être conservés à l'intact pendant des millénaires. C'est ce qu'on constate quand on débouche subitement, comme perdus dans le Louvre, sur les appartements de Napoléon III et de l'art qui témoigne du pouvoir de son temps. Du grandiose comme seul le XIXème siècle sait en jeter en débord de ce que nous pouvons supporter. C'est le gavage des ors et des tissus de pourpre fleurie, des meubles romains de l'Empire dans les couleurs profondes et saturées de bleu et de rouge tranché d'or si chaud que gras comme l'huile. Il y en a partout des lustres qui tombent comme des cascades de reflets de nous-mêmes, grands comme des pièces à vivre contenant des machines à rêver du surréel.
Il y a ce grand salon où l'on voit sans s'efforcer des portraits au vif d'élégantes et de dandies souverains qui se lancent des vacheries juste avant d'entrer en scène de la salle à manger bruissante des dialogues de "Guerre et Paix" le roman fleuve. C'est une table longue comme une avalanche de quantième degré. La conversation dut y être fragmentée et légère forcément. Les meubles sont des êtres en soi : ils respirent leur luxe et on pense à leur valeur procurant à elle seule l'ivresse des chiffres. Je ne pensais pas que la France fut encore assez riche à ce plus haut degré.
On passe devant le lit de Louis XVIII dont nous ferions un meilleur usage que ce roi obèse et un peu dégénéré, il faut bien le reconnaître. On sait que les derniers Louis eurent beaucoup de mal à honorer leurs reines dans l'art de la chambre à coucher. Toutes ces fleurs-de-lys et ces plumes d'autruches des artisans orfèvres devaient érotiser ce meuble, plutôt chargé de la poussière soulevée par les ronflements d'un gisant à sa digestion. Le phymosis de Louis XVI et les excès de Louis XVIII donnent plus d'attrait au meuble lui-même, plutôt qu'aux imaginations érotiques que nous prêterions à ces monarques fatigués.
En sortant, de ces excès de luxe, Deila sait que nous devons nous interdire tout recours à la peinture. Car le mélange serait baveux et il jetterait un trouble dans ce diamant que fut cette visite. En plein drap de l'histoire vraiment bien restituée et avec un tel goût de l'excès tout conforme à l'époque, que nous fûmes enlevés dans quelque espace propre aux arts et hors du monde. Il nous fallait prendre du grossier, nous alourdir et nous requinquer la mâchoire avec de bon gros bouts de réel dedans, au mieux avec des boissons d'homme des Tontons Flingueurs à la Audiard. On se précipita vers un café qui était en fait une sorte de Burger incongru au Louvre, enfin pour notre goût et ce que nous pensons de la culture.
La lumière y était parfaitement celle d'un garage jaune et si dure que nous pouvions voir nos yeux à peine ouverts et suintant un peu de la douce cire de l'éveil. Car nous avions dormi certainement, nous étions comme couchés mais debout dans l'attente qu'on nous serve un café au moloko synthémesc plus comme dans Clockwork Orange, où le néon buzzant te tolchoke dans l'arrière boutique de la syphillisation qui se termine à la décadence des sybarites sous le Vésuve. Mais, il arrive toujours aux amoureux véritables qu'ils se sentent heureux partout, puisqu'ils s'entre-chercheraient jusqu'en enfer. J'adore et je hais dans le même temps, ce siècle qui met les princesses aux tables à-côté du commun de l'ordinaire, mais dans un mélange probablement fécond en rencontres.
Une fois reposés de notre visite en pays de pouvoir, et après avoir échangé nos petits affaires d'histoires de familles bien racontées par tout le menu des secrets, nous y sommes retournés. Où ? à la galerie d'Apollon, mazette ! On allait en voir du plus haut encore, du sérieux qui te colle au mur du fond comme à la foire du trône des suzerains qui ne regardent pas à la dépense des pièces jaunes. Et c'est ce qu'on vit. Je ne vous dirais que l'ambiance festive et exorbitée qui se trame dans le vortex autour des deux couronnes de France. Les femmes sont littéralement hypnotisées par les diamants gros comme le déluge, et des rubis rouges comme les vins à la cave de la Tour d'Argent. On y voit aussi des émeraudes et des saphirs qui sont des éléphants du phantasme. Et l'or paraît banal comme un parergon ou un cadre à ces oeuvres qui transmettaient la dynastie aux enfants-rois.
Dans ce lieu magique, tous de la République se sentent un peu rois ou royalistes à tout le moins. Comme les bolchéviks et Lénine surent conserver les trésors de la cour de Russie. Je sentais bien que cette couronne mettait Deila très aise. Et pour ma part, je compris combien j'attachais plus de valeur à ma Deila belle comme un cristal de flocon de neige, plutôt qu'à ces deux couronnes-là derrière leurs vitres blindées qui ne me semblaient plus que deux pierreries qu'on avait coutume de jeter à des pseudo barbares des Caraïbes pour leur prendre leur île à faible coût.
C'est le rayonnement des objets d'art qui en fait toute leur valeur. Et surtout, ceux ou celles qui les regardent, avec toute la compréhension que ces objets méritent, donnent leur valeur réelle ou spirituelle à ces objets supports de nos rêves. Car ils sont générateurs d'histoires et de sentiments qui savent nous dépasser. Il faut écouter et voir ces histoires rayonnantes, puisque les voir c'est comme les vivre tout par les pensements et l'imagination qui est la matière ès arts.
Demian West
Sunday, December 28, 2008
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