Louis de Cazenave est mort à 110 ans, c’est donc qu’il a connu tout le 20ème siècle. Et même qu’il la fait. Car il était l’un des deux poilus français qu’ils restaient en vie.
Autant dire que c’est un sacré lopin de mémoire vive et visuelle qui nous a quitté, plus encore qu’une bibliothèque avec tous DVD sur la Grande Warrie. Il est né au XIXè siècle et c’est déjà un prodige. Peu après la naissance du cinématographe, et ses trains qui entraient en gare en déchirant le mur et la toile pour fondre droit sur le public en quête de sensations du siècle nouveau.
En 1916, il a 19 ans, et c’est l’âge pour se cogner aux grands mouvements de masses des chairs à canons, dans la neuve société du massacre industrialisé. Nous n’avons rien inventé. C’est aussi, la fin des grands empires mondiaux européens, le français et l’anglais aussi le germanique. Les grandes familles régnantes, en des cousinages pervertis, se disqualifieront dans le massacre généralisé.
Naîtront et la folie dada et le théâtre de l’absurde puis l’existentialisme. Soient, tous les arts et les philosophies du désenchantement et du désespoir qui tisseront l’angoisse du siècle qui commença mal.
Toujours est-il que Louis de Cazenave passa au travers de tout. Il survécut au chemin des dames, en espérant "la bonne blessure" comme il disait : pour en réchapper. Il passa au travers des considérations intellectuelles sur le néant que la guerre, "mère de toutes choses" selon Héraclite le prime philosophe européen, mit en mouvements factices. Et Louis traversa même la France de Vichy, un peu plus tard, sans trop de dégât que de la prison épisodique, en guise d’ordinaire pour un bon résistant, qu’il fut à nouveau...
La leçon de ce siècle, il la voulut résolument pacifiste. Car il avait vu la guerre la pire qui se puisse voir. Et donc il était le plus escient pour en parler en ses exemples frappants de vérité odieuse et de l’épouvante. Pourtant, il en parla tardivement, quand les journalistes entrèrent dans sa vie, il y a peu.
C’est un homme qui aimait à passer ses jours dans sa chambre et seul, près d’une fenêtre ouverte sur son jardin à l’abandon, mais seulement de l’ordre. Comme une citation de la liberté et du laisser faire, ou laisser vivre les herbes comme elles voudraient. Une sorte d’évocation des milliasses d’herbes folles enchevêtrées des âmes de ses camarades pris dans les limbes de ses souvenirs. C’est donc le pacifisme monté en une sorte de philosophie de vie... après la guerre.
Il arriva même, naturellement et après un long temps, qu’on fêta ses 110 ans. Et qu’il plaqua tout le monde et le cortège de la teuf genre maire et tout le bastringue des édiles rassemblés dans son salon en champ de bataille. Et pour qu’il aille se recoucher aussitôt dans son rêve de lui-même... le survivant.
Désormais, il n’en reste qu’un, qui sera panthéonisé comme un aigle définitif. Et franchement, il craint tellement cet honneur, qu’il risque de ne pas tenir longtemps sous ce poids des grandes manoeuvres militaires qui s’annoncent et de leur grand fracas de cuivres. Car cette fête ultime pourrait déranger ses souvenirs de guerre et tout le malheur bien enfoui au-dedans de son indicible mémoire jamais exprimée.
Tuesday, January 22, 2008
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