Les manoeuvres les plus récentes de la politique ne sont guère favorables aux excès des caricaturistes même les plus prestigieux, dont on pourrait penser qu’ils auraient quelque licence privilégiée pour grossir le trait. En effet, le "Nouvel Observateur" vient de balancer des plats bouillants venus tout droit depuis la cuisine des relations brûlantes entre les dessinateurs et les grands candidats aux élections présidentielles, qui en imposent au chaland qui achète les journaux.
C’est de Plantu qu’il s’agit, dans cette affaire de la méthode sarkozyste au plein du pays de la méthode cartésienne. L’homme des 31 pour cent s’est piqué de montrer comment on devait dessiner correctement, et au plus grand caricaturiste de France et du "Monde" aussi. C’est pourquoi, la rédaction suit l’affaire de très près. Et ceci, depuis le mois de décembre 2005, quand un motard apporta un pli urgent du Ministre de l’Intérieur et destiné à Monsieur Plantureux, dit Plantu soi-même pour les dames qui aiment sourire aux artistes galants.
Le mot du Ministre devait faire un peu vache-qui-pleure, car il insistait sur la nécessité de cesser de le montrer en caricature de lui-même. Alors que c’est non seulement autorisé par la loi, mais que la caricature est conseillée par la démocratie qui aime tantôt se fendre la bobinette. Et justement à propos de ses plus éminents représentants, qui l’ont bien cherché la plupart du temps quand ils s’assoupissent à l’Assemblée ou quand ils parlent aussi. Même Louis XIV devait ne jamais mordre de sa mâchoire dorée, pendant que La Fontaine lui donnait des airs qui sentaient le fauve dont il fallait nettoyer la cage au Karcher.
Aussi, Daumier se fichait-il littéralement de tous les sénateurs et députés que son poulailler de sculpteur put contenir pour qu’il y figurât la République des cops et coquelets, bien crêtés sur le dessus du crâne. A la fin tous étaient dégarnis, car ils se furent bien enrichis et rendus gras en des hémicycles de vieilles masses soudées à leurs sièges électoraux entre-eux. On peut en voir encore les figurines modelées par Daumier qui sont exposées au Musée d’Orsay. Le trait est dur mais il rend bien tout d’une époque assez semblable à la nôtre.
Pourtant, au XXIè siècle , Sarkozy voudrait que tout ceci passe comme un pli à la police motorisée. S’il pouvait limer la mine de plomb de Plantu mine de rien, ne le tenterait-il pas sur-le-champ ? Pour commencer, il proposa à Plantureux un dîner pour en débattre (ce qui est amusant). Sans doute comme le renard invita la cigogne. Plantu se méfia pour la raison qu’il connaissait les renards, puisqu’il les croque tous les jours.
Et, Sarkozy avait fait tout ce foin de la ferme pour une mouche que Plantu dessinait au-dessus de la caricature Sarko. Il est vrai que Plantu la posait auparavant sur la tête de Le Pen pour des raisons d’hygiène politique. Puis, il mit un brassard avec "I.N." écrit dessus le bras de Sarko, qui voulait dire Ministère de l’Identité Nationale. C’est le Ministre qui avait commencé.
Plantu prit la leçon très au sérieux, car le lendemain il mit trois mouches. Pour voir s’il y avait quelque pétochard à la rédaction qui basculerait "le Monde" libre par une manière de morale très versée en soumission. Aux dernières nouvelles fraîchement sorties de la mare, la rédaction tient encore. Et le Ministre, devenu candidat, ne pourra refuser son portrait avec ses trois mouches buzzantes par Plantu. Sarko devrait se consoler en pensant que les mouches étaient des taches qui maquillaient les natures cachées des visages de séducteurs, dans la société des princes et des privilégiés de l’ancien régime dont il est issu, à ce qu’on dit tantôt dans sa biographie politique.
Et de toutes façons, ne disait-on pas au XIXè siècle : "Bête comme un artiste !" Aussi, comment les dessineux pourraient-ils comprendre ou prendre de tels plis si forcés qu’ils sont envoyés par des motards qui les effraient. Plutôt que les artistes se plieraient aux ordres du Ministre, fut-il devenu présidentiable et donc plus sujet à la caricature qui fait mouche.
Demian West