Monday, April 16, 2007

Kasparov-Poutine : échec au tsar




Sans l’avoir engagée, le président russe Poutine se trouve pris dans une partie d’échec et contre un grand maître du jeu. En effet, Garry Kasparov a su étonner toute la classe politique post-soviétique, quand il décida de marcher résolument vers son engagement politique protestataire. A tel premier rang, que, depuis sa première manifestation contre le Kremlin en décembre dernier, la mouvance, qu’il a créée sous l’intitulé "Autre Russie", a provoqué le maître du Kremlin à des pratiques de terre brûlée qui ressemblent bien à des stratégies fuyantes.


Samedi dans la rue moscovite, l’"Autre Russie" devait manifester ses craintes que le pouvoir russe soit confisqué par un seul homme et par ses premiers cercles assez "staliniens". Auparavant, la municipalité de Moscou avait tenté tous les prétextes en manière de parade pour circonscrire la protestation si bien menée par un stratège international, à tout le moins aux échecs. Certes, on accepta que la manifestation puisse prendre ses aises place Tourgueniev, mais jamais qu’elle ose s’étendre jusqu’à la place Pouchkine. Puisque ce centre est manifestement trop populaire pour ces festivités de la politique post-soviétique. Pourtant, Kasparov sut attirer 1 000 manifestants dans le circuit autorisé, quand d’autres milliers s’éployèrent partout ailleurs, et contre l’ordre municipal. Mais, n’est-il pas si conforme au principe d’une contestation qu’on fiche un peu le désordre révolutionnaire ?


On y vit même Mikhail Kasyanov qui fut le tout premier ministre de Poutine. Il est vrai que Kasparov rassemble des Russes venus de tous bords politiques, depuis l’extrême gauche jusqu’aux néolibéraux. Hormis la puissante et libérale "Yabloko" qui est trop proche de Poutine pour qu’elle ose lui faire ce genre d’enfant à côté.


La stratégie évidente de Kasparov est le gambit. C’est-à-dire qu’il use d’une tactique de joueur d’échec, qui sait sacrifier un pion pour contraindre l’adversaire à ce qu’il déplace ses pièces majeures hors de leurs cases de protections. Et pour que Kasparov prenne aussitôt les pièces précieuses de son adversaire aussi imprudent que hâtif. Et c’est bien ce qui se produisit, quand la police arrêta autour de 100 personnes, et qu’elle en repoussa 170 autres, devant le poste de police qui détenait Kasparov, son fou, sa tour et toute la troupe des pionniers, pour en libérer dans la foulée. Ce fut un sacré happening qui sut démontrer que la démocratie russe a du plomb dans l’aile plus que dans ses dents gâtées.


Dans les réseaux très étroits mais vastement étendus de la hiérarchie poutinienne, le maire de Moscou a réagi immédiatement, en affirmant que les manifestations posaient des problèmes spécifiques à Moscou. D’ailleurs, pour faire épaule à sa bonne foi, il ajouta dans une superbe langue de bois bien cireuse qu’il avait pris coutume d’interdire jusqu’aux manifestations favorables à Poutine. Voilà donc un homme qui n’a pas peur de glisser dans les escaliers lustrés du Kremlin. Plus fort encore : le Conseil de la Ville de Moscou suggère qu’il serait désormais nécessaire qu’on limite la densité des populations qui manifestent dans la rue, à deux personnes pour dix mètres carré. Démocratiquement, on pourrait s’interroger sur de telles confusions rapides et moscovites qui sont faites entre l’espace qu’il faut à la danse et celui qu’il faut aux manifestations politiques. Et surtout, sur cet empressement des maires à garantir un si vaste espace entre les opposants, mais tout pour en réduire le nombre... on s’en doute !


Toutefois, il reste intéressant de noter que, malgré la poussée des mouvements démocratiques et citoyens dans le monde, plus souvent confinés à l’internet et au cyberespace, c’est bien la rue qui reste encore le lieu de l’affrontement politique réel. Ainsi, Kasparov a-t-il démontré sa subtile analyse qui sut provoquer à la faute, un des présidents en perte de démocratie qui gouvernent depuis les Etats-Unis jusqu’en Russie. Souvenons-nous qu’à Washington, le Congrès des démocrates fait le siège de Bush, selon une légitimité accordée par la rue qui exige la destitution du président. Mieux encore : le reste du monde est le lieu d’une confrontation des forces démocratiques renaissantes contre des potentats qui sont déjà au pouvoir depuis deux mandats présidentiels, qu’ils ont corrompus tout pour s’y maintenir, en ignorant toute résistance citoyenne.


Finalement, c’est une troisième partie d’échec qui commence. Puisque nous sommes à la fin des seconds mandats présidentiels de Bush et de Poutine, et donc vers un troisième règne que Poutine voudrait bien engager. Quand, le téméraire Kasparov, lui, conteste le droit même de jouer cette partie. Aussi, Bush et Poutine, les deux tsars des superpuissances qui n’en finissent pas de décongeler la guerre froide, vont-ils certainement tomber sur un coup d’échiquier citoyen. Dans une Russie largement favorable à Poutine comme l’Amérique était fanatisée par Bush, Kasparov pourrait déjà annoncer ’"échec au tsar", à ce stade de la partie. Puisqu’un ancien conseiller économique du Kremlin, Andrei Illarionov vient de déclarer à la presse que la trop forte présence policière a clairement manifesté la peur paranoïaque et irrationnelle qui paraît lézarder tout le long le Kremlin.


Demian West

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