Thursday, June 28, 2007
Le Triomphe de la Galerie des Glaces
La galerie des Glaces à Versailles a été restaurée. Et désormais, chacun peut s’y voir comme projeté dans le plus grand des siècles, le dix-septième. C’est un peu de la tradition de l’enfant roi qui succéda à Louis XIV, et qu’il inaugura son règne en se jetant sur le parquet ciré de la galerie mythique et pour se coucher au sol afin de s’en mettre plein les yeux de ces décors de Le Brun, d’avant le cinémascope.
Le règne du plus grand des monarques changea tout dans les arts, l’architecture et jusqu’à la conception même de l’univers. A la vérité, il était né et avait été conçu et élevé comme une arme de la monarchie française. Et pour qu’elle exerçât enfin son leadership mondial. Car, on n’avait pas oublié l’affront fait à Charlemagne, quand il fut couronné par la dextre suprême du pape et par les instances au-dessus de la vaticane. C’est Napoléon Ier qui fermera cette plaie narcissique, puisqu’il osa se couronner soi-même, et devant le pape médusé par un tel changement de régime chez les dieux.
Dans l’histoire et derrière ses conflits entre empires assez cousins, on savait qu’il régnait surtout une lutte entre le pouvoir ultramontain, c’est-à-dire du pape à Rome, et à l’autre versant, le pouvoir gallican du roi de France. Celui qui gagnait l’hégémonie savait qu’il régnait aussitôt sur le monde entier. Et bien que de droit divin, le roi de France contestait, mais sans le dire, la toute-puissance de la religion, du moins dans sa jeunesse. C’est assez dire, que, dans le classicisme du baroque versaillais, on y mettait tant de dieux et de déesses grecques et romains que le paganisme s’y peignait ses galeries assez trompeuses. Et, en des scénographies chargées de prétextes picturaux qui en disaient long à qui savait les lire.
Louis XIV était le roi soleil. C’est-à-dire que l’héliocentrisme s’opposait, en quelque sorte, à la conception médiévale et chrétienne des hiérarchies dans l’univers. Et ce soleil était plutôt grec ou romain même, par ses airs grandiloquents et triomphants. Ainsi, ces renaissances de l’Antiquité dans les arts sont-elles des manifestations des programmes voués à une lente émancipation du pouvoir gallican contre la puissance ultramontaine. Vers le pouvoir économique du marché de la bourgeoisie qui montait derrière la noblesse bien tenue par le souverain, seul contre tous. On n’imagine pas les protocoles et les peurs incessantes de ces puissants qui devaient défendre leur plus haut siège, devant la meute aux mâchoires d’or comme une libido attachée au pouvoir.
Toujours est-il, que le tout puissant Louis XIV eut l’idée nécessaire de montrer sa puissance. Et à tel degré, que nul n’oserait plus le chercher en des querelles ni même y penser. C’est pourquoi, il fit construire Versailles avec de grandes fenêtres ouvertes partout, et dans toutes les directions comme un message "urbi et orbi". Ce qui signifiait nettement, et pour tout visiteur qui sortait à peine du Moyen Âge et des châteaux forts aux meurtrières aveugles, que Louis XIV était si puissant qu’il laissait ses fenêtres ouvertes à quiconque voudrait encore l’agresser. Autrement dit, il ne craignait personne. C’est un peu la leçon de Montaigne, qui disait dans ses "Essais" qu’il avait passé toutes les guerres civiles des religions, sain et sauf. Car il laissait sa porte ouverte, et donc nul ne pensait qu’il y trouverait quelque objet à voler ou à trousser.
Plus encore, Louis XIV conçut la galerie des Glaces comme une montée vers sa qualité ou sa nature de demi-dieux un peu célestin. On se souvient encore de la visite de l’ambassadeur du Grand Turc. Et comment la procession des Orientaux devait avancer lentement et jusqu’au trône placé à hauteur de quelques marches si surhumaines qu’interdites au bout de la galerie. Là, Louis XIV se tenait comme l’arbre de Noël peint par Hyacinthe Rigaud. Tout coiffé d’une perruque d’oiseau emparadé et le bas de soie autour de son pied fin. La classe des emperiers fashion qui jouent du skeptron !
Et quand l’ambassadeur fut parvenu au terme de cette humiliante démonstration de puissance, il vexa carrément le nouvel Alexandre. Puisque sa troupe n’avait même pas cligné de l’oeil sur le faste surnaturel du lieu. C’est tout juste s’il fit montre d’avoir vu la presse des courtisans qui ne respiraient plus devant tant d’affront. Cette turquerie ficha quand même le programme ludovicien un peu par terre. Et dans un silence où l’on n’entendit plus buzzer la vox d’un courtisan de l’agora.
Tout de suite après l’affront, Louis demanda à Molière qu’il se moquât à fond des Turcs. Et dans une pièce enturbannée qu’il écrirait pour l’occasion de cette galère. Et c’est ainsi, entre autres, qu’on se marra bien aux turqueries de Molière dans les chambres vertes du parc à Versailles. Plus sérieusement, si l’ambassadeur avait exprimé son admiration devant tant d’art miroitant, qu’il éprouvait forcément, il en aurait perdu sa tête dès son retour en terre turquesque. Car, c’était la mode à l’époque, que les souverains se pensaient chacun le plus grand monarque du monde, et sans second. Et ils punissaient, à la manière cruelle des rois antiques, tout porteur de mauvaise nouvelles.
Cette galerie des glaces est donc, et d’une certaine façon prospective, un escalier céleste qui monte depuis la Terre vers l’espace où réside les dieux olympiens, dont le plus solaire Louis XIV. Cette montée n’est pas sans évoquer le triomphe curialis à Rome, décrit par Suétone. Quand les empereurs et les maîtres de cavalerie entraient à Rome après leur triomphe sur les peuples barbares, c’est-à-dire nous autres. Et que, montés sur le char bige de chevaux blancs, ils avançaient vêtus de leur clamyde blanche constellée d’étoiles d’or. Ils traversaient la foule des patriciens, vers le temple du Dies Piter ou Jupiter Dialis. Et l’empereur était peint en rouge pareil au Dieu bienveillant. Enfin, quand il entrait dans le temple, tous le laissaient seul en conversation étrangère avec le Dieu soi-même qui lui disait l’avenir de la Cité.
Dans cette galerie des Glaces historiennes, on ne peut manquer d’être troublé, à la suite de ces restaurations. Car on y retrouve chaque fois des couleurs si vives du passé. Puisque, sous les couches des repeints successifs, les restaurateurs ont retrouvé les bleus flashants des fêtes de Le Brun. Comme on retrouva, sous les repeints de la Sixtine de Michel-Ange, des teintes si acides et criardes, que les experts n’en crurent pas leurs yeux ni leurs bouquins relâchés aux reliures. La couleur ne fut-elle point, d’une certaine façon, la sensualité féminine et le paganisme qui entrèrent dans les églises de la plus chaste chrétienté ? C’est pourquoi, récemment, on comprit que Michel-Ange ne fut pas seulement un artiste de la Renaissance, mais aussi le premier des maniéristes.
Après tant de reflets trompeurs, il nous faudra bien terminer sur une anecdote du désenchantement. Louis XIV est mort assez bêtement et dans son plumard. Il avait pris une gangrène assez définitive à sa jambe, qui le putréfia de son vivant. Déjà était-il perdu dans ses prières du bigot qu’il jouait au naturel par l’effet de Madame de Maintenon qui le tenait bien. Et pire encore, le jour de sa mort quand il était encore vivant, tous les courtisans s’étaient rués au lever d’Orléans, le futur régent dans quelques minutes à ce qu’on disait. Tant et si bien que le concepteur de la galerie des Glaces s’est terminé comme l’éteignoir, dans une solitude de miroirs qui n’étaient plus utiles. Tellement la réalité misérable du monde lui enseigna cruellement que, même les soleils devaient s’éteindre.
Cette nouvelle en prime time ficha une sacrée angoisse dans les couloirs médiatiques de Versailles. Et tous se jetèrent dans une fête licencieuse et libertine, pour se défouler du règne le plus écrasant qu’on vit jamais. La galerie des Glaces est vraiment ce génie du lieu des effets du baroque en trompe-l’oeil, qui savent perdre les hommes par l’effet de la fausseté de leurs sens imparfaits.
Il reste que selon la programmatique du classicisme baroque français, ces décors déchaînés, en des jeux illusionnistes dans les intérieurs, sont toujours cachés et couverts par des façades rigoureuses des ordres antiques. Finalement, cet ordre classique, au-dehors, régule la société comme la raison ou la sagesse savent modérer les passions humaines des orgueilleux.
Demian West
Wednesday, June 27, 2007
Corot dessine au Louvre
Jusqu’à la fin août, le département des arts graphiques du musée du Louvre ouvre quelques salles précieuses des dessins de Camille Corot. Afin que le public puisse être bercé par une exposition, certes temporaire, mais dans les eaux vives de cet esprit si léger.
Corot est le génie simple de la peinture si achevée, qu’il a su traverser le XIXe siècle en saisissant l’art comme un mode perpétuel de vie généreuse et, paradoxalement, insouciante des rêves d’immortalité. Il fut si populaire, à la fin de sa chaste et frugale existence, qu’il put soulager bien des misères d’artistes. Ce qui le rendit encore plus aimé et reconnu. Il acheta une maison à Daumier complètement fichu et "pété" par la méchanceté du monde. Il arriva même que Corot signât les oeuvres de ses admirateurs rapins qui l’imitaient. Afin qu’ils puissent les vendre et en tirer de quoi vivre jusqu’à la fin de leurs jours, en un tournemain. Ce qui amena une collection inouïe de vrais-faux Corot dans les musées américains à la fin du XIXe siècle. Et que certains y sont encore...
Tout était légèreté en lui. Sa chevelure de petit gris évoquait les reflets de cet argent duveteux dans ses toiles si teintées de vertes et papillotantes nuées de poussières vivantes. Comme celles que les enfants voient encore dans les rais de lumière qui entrent parfois dans les chambres oublieuses. Légèreté du regard de Corot qui était si traversé par l’esprit du regard lui-même. Avec ces accents de la petite musique de la folie des peintres, qu’on voit tantôt dans les portraits du XVIIIe siècle, qui surent saisir un peu de la présence de Voltaire. C’est donc, au Louvre, une exposition de la légèreté expressive de l’esprit français, si classique qu’il n’est jamais lourd ni monumental. Mais un esprit intelligent et surtout sensible et aérien qui sait manifester plein de sous-entendus riches et sûrs d’eux-mêmes.
Avant tout, ce sont les toiles de Corot qui sont tissées de la gaze même de cette légèreté absolue. Car ses oeuvres savent briller d’une lumière qui joue dans la couche inframince de toutes les nuances picturales, qui tiennent tout par le tremblement. Ces teintes nous rappellent un peu de ces chants des midinettes qui venaient dans la boutique de sa mère modiste, non loin du quai Voltaire à Paris. Une touche de la féminité qui sait confondre sa peinture avec une musique insouciante, sinon avec la petite chanson du coin de la rue, ou du bord de l’étang à Ville-d’Avray.
Corot fut le dernier des classiques, je veux dire qu’il règne encore à la pointe achevée de cette tradition. A l’époque et depuis le XVIIIe siècle des archéologues, un artiste sérieux ou un "connoisseur" et dilettante, comme on les appelait, devait impérativement faire le "Grand Tour". C’est-à-dire qu’ils étaient censés voyager une année entière en Italie et en Grèce, pour connaître l’Antiquité et ses sites universels. Corot en a transposé quelques toiles en passant. Mais des toiles qui sont toutes des chefs-d’oeuvre de l’art mondial. Pourtant, il les avait conçues dans une pratique qu’il pensait constitutive de petites esquisses et d’études préparatoires, pour faire épaule à de grandes oeuvres historicistes à venir et pour briller au Salon carré du Louvre. Puisque l’art pompier avait ses exigences de la grande fabrique de la propagande bourgeoise un peu clinquante. Même pour notre XXIe siècle qui se complaît résolument dans le "kitsch" et le "wahouisme", qui sont les derniers courants de l’art international qui coule depuis les pétrodollars.
Pour connaître la subtilité touchante de Corot, il faut avoir vu le "Pont de Narni". Les teintes de la réalité n’avaient jamais été saisies à ce tout premier rang de réalisme, ajouté d’une charge poétique encore inépuisable aujourd’hui. Tout est dans ce tableau, qui est un manifeste du souvenir et de la nostalgie du film de notre vie à tous et à chacun, si l’on peut ainsi dire. On y comprend qu’il faut cultiver une sorte de mémoire visuelle, pour sauvegarder les moments précieux de nos vies incertaines et insensées.
Camille Corot avait tout appris des règles de la bienséance picturale classique. Comment on fait bouger quelques faunes et des nymphes dans des jardins édéniques. Sous des verts huilés d’olives qui savent nous rappeller ardemment les petits bosquets du forum buissonnant à Rome, et tantôt des bords de l’eau sous les saules argentins d’Ile-de-France. Revenu en France, Camille Corot osa peindre en extérieur à Barbizon, où il fut le premier et donc l’inventeur de l’Ecole de 1830 ou l’Ecole de Barbizon. Plus tard Millet et Rousseau le suivront dans la forêt immense à Fontainebleau, dont Corot connaissait les bon coins pour peindre. Comme d’autres vont aux champignons des vieilles familles aux cuisines et pharmacies secrètes.
C’est dans cette banlieue verte de Paris,qu’il a pensé, conçu et imposé sa technique définitive. Avec quelques masses bien bâties sur la toile avide de simplicité, il jetait tout son savoir-faire en quelques coups de pinceaux, tout de même guidés par sa mémoire visuelle imparable. C’est le secret. Car, chaque couleur y est juste et dans le ton lumineux qu’il y faut pour qu’on y croie. A la fin de cette économie de peindre, il lui suffisait de glisser de petits accents en un désordre savamment déréglé. Là, un béret rouge du petit pêcheur sur sa barque dessous "Le Pont de Mantes". Ailleurs, trois ou quatre petits coups d’ivoire furetant, pour suggérer des feuilles vrillantes, et donc, tout le vent à l’entour pour que le tableau s’animât comme un être vivant.
Et ce maître en cherche de l’âge d’or, selon la programmatique du classicisme, enseignait que le dessin était la base et la fin de l’art. Et donc, que rien ne change jamais. C’est la leçon de Corot au Louvre. Elle diffuse beaucoup de plaisir et de joie de vivre. Ce qui est si rare à notre époque, qu’il faut vite y courir, à ce qu’on dit tantôt.
Demian West
Monday, June 25, 2007
Weegee l’oeil public au Musée Maillol
Jusqu’au 15 octobre 2007, le Musée Maillol et la Fondation Dina Vierny à Paris flashent à fond sur les photos black & white du plus mythique photojournaliste. En effet, Weegee fut le traqueur des scènes du crime de la vie newyorkaise de l’entre-deux guerres.
Il a réellement inventé un métier de toutes pièces et engrenages mécaniques et géniaux. Il exerçait depuis le coffre de sa Chevrolet rapide qui abritait son labo pour les tirages instantanés. Et à l’autre tableau de bord, il avait scotché sa radio portable toujours branchée sur les news abruptes de la maison poulaga genre cops. Ce qui était interdit par le réglement des citizen Kane. Hormis pour Weegee la star du shooting qui commençait ses nuits au commissariat de New York. Pour les achever à six heures du mat’ dans les rédactions du Herald et autres Daily News. Et pour y fourguer ses photos signées au dos, avec sa machine à écrire dans sa Chevrolet Chevy Coupe, d’un W qui voulait dire "Weegee the famous".
Les secrétaires des magazines et gazettes l’avaient appelé "Weegee". Comme une allusion finaude à sa science de la préscience des lieux des événements, enfin du crime quoi ! Un peu pour évoquer le jeu de Oui-ja. Car il était une sorte d’exorciste des picts qui te fichent franchement la trouille tout le long de la nuit du chasseur assez polar et roide. C’est qu’on avait un peu remarqué et causé des gorges chaudes dans les rédactions, sur ce fait imparable pour un scoop, que Weegee était toujours le premier sur les lieux. Tout d’abord il arrivait après la police, puis quand il acheta sa Chevrolet et sa radio, il était là bien avant les gyrophares carrément.
C’était un truc à l’instinct, comme des fauves pris dans la pire jungle des deep throats. Vrai, il avait conçu toute cette technique, pour être le premier à flasher le sang qui coule encore chaud de la déveine. Et surtout pour capter les images des accidents encore fumants des klaxons claqués. Juste avant que les maquilleurs de cadavres n’oeuvrent de leurs crèmes à ravalements. Pour mieux présenter toutes ses morts violentes à l’Amérique des glossy covers puritaines.
Aujourd’hui, on comprend mieux que les photos de Weegee sont des chefs-d’oeuvre de grimaces parlantes, qui savent dénoncer la solitude de chacun dans la grande ville où tous se crachent à la fin. C’est un peu du sang coagulé d’argentique, qu’il vendait à 5 $ le cliché. Et juste pour survivre, comme un vagabond passionné qui flashait et développait toute la nuit sans cesser. A la vérité, il était un peu nomade. Toujours un pied dans le cercueil pour prendre la photo. Et l’autre pied hors de la boîte ou hors de l’agence Acme, qui publiait lâchement ses clichés car souvent sans y apposer son nom.
Plus certainement, Weegee fut en fuite du judaïsme de son père rabbin qui avait vraiment trop marqué la photo de famille au centre. C’est d’ailleurs ainsi que Usher Fellig alias Weegee entra dans la carrière. Il prenait des clichés de la genteel qui sortait de l’église de son village du côté dimanche. Pour en faire aussitôt commerce, de ses photomatons, auprès des riches parents de ces enfants de kodack.
A notre époque, le journalisme citoyen voudrait tout photographier. Ainsi que le ferait un oeil immanent et irruptif. A l’instar de Weegee qu’on surnommait "the Public Eye". Et d’une certaine façon, il fut le précurseur de cette incitation. Sinon de cette pulsion de vouloir tout capter pour tout montrer et à tous. Tant et si bien, qu’on lui attribue la paternité de l’idéologie ou plutôt de la dévoration tabloïd. Quand, par ailleurs, on le canonise en artiste contemporain. Et malgré lui, puisqu’il était tout à fait étranger aux considérations intellectuelles.
Toujours est-il qu’il a su basculer l’ordre et les rangs des présentations sages et ordonnées des news dans la presse. Et c’est ainsi qu’il a su révéler l’épos sanglant de notre vie citadine, qui ne trouve sa raison que dans une forme de violence outrancière. Finalement, il incarnait cet esprit animal de l’immédiateté du flash, qui sait figer le maître-instant des victimes dans la toile qui fera la une : demain matin.
Comme si la presse n’était qu’un immense jardin ouvert à tous. Un peu comme les cimetières, fleuris de pleurs quotidiens, font couler le rimmel de toutes les couleurs de la vie. Quand le rouge coule noir sur la photo de l’instant Weegee.
Demian West
Sunday, June 17, 2007
Utopies et architectures des Expositions universelles, à Orsay
Jusqu’au 16 septembre 2007 au musée d’Orsay à Paris, qui fut un temple du chemin de fer au XIXe siècle, nous pouvons prendre à nouveau le train des Expositions universelles. En effet, on y trouve les stations exposées des architectures réelles et rêvées des Expositions universelles qui virent l’affrontement économique majeur entre l’Angleterre et la France.
Tout s’est ouvert avec les baies des verrières courbes du Crystal Palace qui abrita la première Exposition universelle à Londres en 1851. Là, l’architecte Paxton s’était génialement inspiré de l’architecture des jardins et des constructions des loisirs, pour créer un nouvel ordre d’architecture tout en transparence. La France répondit, en 1855, avec son majestueux palais de l’Industrie, comme une neuve cathédrale du futur technologique enfin réalisé sur Terre. A la vérité, on rivalisa d’audace en élevant les capacités de la portance, qui permettaient de jeter des arcs immenses pour laisser de vastes espaces ouverts à la lumière. Et ce progrès fut mis en oeuvre grâce à la nouvelle architecture des ponts en fer, désormais appliquée aux bâtiments.
C’est ainsi qu’on put enfin largement évider les murs et donc les remplacer par du verre, pour laisser couler les flux lumineux du dehors. Ce qui achevait la réalisation même du programme que les architectes médiévaux, dont Villard de Honnecourt, avaient lancé. Quand ils avaient commencé à monter les murs des églises romanes vers les hauteurs des arcs brisés du gothique, et par l’effet du déplacement des structures portantes vers l’extérieur du bâtiment. Ainsi, ces ingénieurs médiévaux purent-ils affiner et vider les hautes murailles pour y inclure des vitraux en une scénographie de lumières colorées, qui devait évoquer la Jérusalem céleste descendue sur Terre. Comme l’exigeait le programme religieux et monarchique de droit divin, servi et soutenu par le progrès technique.
Les Expositions universelles du XIXe siècle progressèrent sur le mode pacifique d’une lutte économique et technologique, et des arts aussi. Car, on ajouta vite aux machines, exposées dans la nef de la grande salle des Machines du palais de l’Industrie à Paris, des oeuvres d’art qui devaient manifester la suprématie culturelle des pays organisateurs de ces événements, d’abord nationaux puis mondiaux. Bien sûr, les architectures étaient préalablement testées ou présentées, esthétiquement et techniquement, dans d’admirables aquarelles jetées selon l’art des régles de présentations inchangées depuis le baroque ou l’âge classique. Aujourd’hui, nous savons que ces épures sont des oeuvres en soi, et Orsay les expose savamment. Tellement elles expriment le rêve ou l’utopie dans la transparence des aquarelles, qui évoquent déjà nos rendus en 3D.
Dans le même temps, les Expositions universelles inventaient tout le XXe siècle du progrès précipité en roue libre. Et vers des cieux invraisemblables pour l’époque, puisqu’on osa des tours verticales jusqu’à 300 mètres de hauteur, et vite assemblées en des poutres métalliques rivetées à chaud sur les lieux d’assemblage et selon les dispositifs mis en oeuvre par l’ingénieur Eiffel, qui était le plus grand spécialiste mondial de la construction des ponts en fer. On le constate, à l’identique de la révolution techno-artistique que fut la Renaissance aux quattrocento et cinquecento, le créateur d’utopie au XIXe siècle était autant un artiste qu’un architecte, et plus encore, il était un ingénieur comme Vinci en son temps. Il est utile de rappeler que Vinci vécut surtout de ses travaux d’ingénieur pour la guerre ou pour l’urbanisme, plutôt qu’il fît fortune avec ses oeuvres picturales réalisées pour le prestige ou pour le "fun", si l’on peut ainsi dire.
En 1889, on monta donc une tour de monsieur Eiffel sur le site du Gros-Caillou situé au Champ de Mars à Paris, face à l’ancien palais du Trocadéro. Et pour s’y rendre, on développa le premier trottoir roulant à trois vitesses de progression. Ainsi qu’on inventa les premiers escaliers roulants sur des tapis de cuir, dans les grands magasins très busy tout autour de l’Expostion universelle ultra-utopique. Car, tout ce qui fit le XXe siècle utopique, et parfois désastreux, fut exposé durant ces manifestations du tournant du XIXe siècle au XXè siècle.
Plus tard, les architectes du "futurismo" italien et du "constructivisme russe" dessineront leurs architectures utopiques qui ne seront jamais réalisées. Comme un genre en soi des arts et des architectures qu’on ose imaginer sans jamais pouvoir les réaliser en dur, soit par manque de moyens, soit par défaut technique. Un peu à la façon des architectes romantiques de la Révolution française, tels Ledoux et Boullée qui furent contraints à seulement dessiner les bâtiments et l’urbanisme utopique dont ils rêvaient, au plein d’une France devenue exsangue par le fait révolutionnaire et qui dut en outre se défendre contre la coalition des couronnes européennes.
La confrontation internationale, suscitée par les Expositions universelles du XIXe siècle, mena droit à la constitution du "Werkbund" en Allemagne, et à la création des grandes écoles des arts décoratifs au sein de chaque grande puissance européenne. Vers la recherche de l’hégémonie techno-artistique, comme aujourd’hui les Etats-Unis, les Dragons d’Orient et l’Europe se livrent une guerre sans cesser pour la domination mondiale infocybernétique. Au début du XXe siècle, cette guerre économique et ingénieuse favorisa la naissance du "design" et la création du "Bauhaus" en Allemagne. Puis, ce conflit mit le feu à la mèche qui éclata l’architecture depuis la skyline américaine jusqu’au style international high-tech. Car la skyline américaine fut conçue par la diaspora des designers et architectes du Bauhaus émigrés aux Etats-Unis. Après que les nazis venus au pouvoir persécutèrent l’école et ses maîtres, dont Mies van der Rohe le dernier directeur de l’école créée par le grand Gropius.
C’est ainsi que tous les inventeurs du futur paysage architectural et urbanistique quittèrent leur sol européen, depuis l’Italie fasciste jusqu’à la Russie soviétique, et pour offrir le leadership mondial aux Etats-Unis. Un leadership qui était technique autant qu’artistique. Puisque les surréalistes et toutes les avant-gardes européennes devinrent américaines. Pour fuir une Europe qui se suicidait une seconde fois après 14-18, ce qui est comme d’insister d’une façon déraisonnable pour sa propre fin et de son crédit aussi.
Finalement, les Expositions universelles et leurs motivations concurrentielles, tout d’abord sur le mode pacifique, s’achevèrent en un vrai conflit européen et mondial qui éreinta tous les leaders présupposés dans la course. A la fin, la France et l’Angleterre perdirent tout, par le fait de cette course à l’utopie, à tout le moins peu maîtrisée. Et surtout l’Allemagne s’effondra, quand elle était tout de même la première puissance mondiale. Et par le fait qu’elle déclencha une guerre dont les seules vainqueurs états-uniens tirèrent tout le profit d’une fuite, sinon d’une expulsion des cerveaux techno-artistiques.
Demian West
Tout s’est ouvert avec les baies des verrières courbes du Crystal Palace qui abrita la première Exposition universelle à Londres en 1851. Là, l’architecte Paxton s’était génialement inspiré de l’architecture des jardins et des constructions des loisirs, pour créer un nouvel ordre d’architecture tout en transparence. La France répondit, en 1855, avec son majestueux palais de l’Industrie, comme une neuve cathédrale du futur technologique enfin réalisé sur Terre. A la vérité, on rivalisa d’audace en élevant les capacités de la portance, qui permettaient de jeter des arcs immenses pour laisser de vastes espaces ouverts à la lumière. Et ce progrès fut mis en oeuvre grâce à la nouvelle architecture des ponts en fer, désormais appliquée aux bâtiments.
C’est ainsi qu’on put enfin largement évider les murs et donc les remplacer par du verre, pour laisser couler les flux lumineux du dehors. Ce qui achevait la réalisation même du programme que les architectes médiévaux, dont Villard de Honnecourt, avaient lancé. Quand ils avaient commencé à monter les murs des églises romanes vers les hauteurs des arcs brisés du gothique, et par l’effet du déplacement des structures portantes vers l’extérieur du bâtiment. Ainsi, ces ingénieurs médiévaux purent-ils affiner et vider les hautes murailles pour y inclure des vitraux en une scénographie de lumières colorées, qui devait évoquer la Jérusalem céleste descendue sur Terre. Comme l’exigeait le programme religieux et monarchique de droit divin, servi et soutenu par le progrès technique.
Les Expositions universelles du XIXe siècle progressèrent sur le mode pacifique d’une lutte économique et technologique, et des arts aussi. Car, on ajouta vite aux machines, exposées dans la nef de la grande salle des Machines du palais de l’Industrie à Paris, des oeuvres d’art qui devaient manifester la suprématie culturelle des pays organisateurs de ces événements, d’abord nationaux puis mondiaux. Bien sûr, les architectures étaient préalablement testées ou présentées, esthétiquement et techniquement, dans d’admirables aquarelles jetées selon l’art des régles de présentations inchangées depuis le baroque ou l’âge classique. Aujourd’hui, nous savons que ces épures sont des oeuvres en soi, et Orsay les expose savamment. Tellement elles expriment le rêve ou l’utopie dans la transparence des aquarelles, qui évoquent déjà nos rendus en 3D.
Dans le même temps, les Expositions universelles inventaient tout le XXe siècle du progrès précipité en roue libre. Et vers des cieux invraisemblables pour l’époque, puisqu’on osa des tours verticales jusqu’à 300 mètres de hauteur, et vite assemblées en des poutres métalliques rivetées à chaud sur les lieux d’assemblage et selon les dispositifs mis en oeuvre par l’ingénieur Eiffel, qui était le plus grand spécialiste mondial de la construction des ponts en fer. On le constate, à l’identique de la révolution techno-artistique que fut la Renaissance aux quattrocento et cinquecento, le créateur d’utopie au XIXe siècle était autant un artiste qu’un architecte, et plus encore, il était un ingénieur comme Vinci en son temps. Il est utile de rappeler que Vinci vécut surtout de ses travaux d’ingénieur pour la guerre ou pour l’urbanisme, plutôt qu’il fît fortune avec ses oeuvres picturales réalisées pour le prestige ou pour le "fun", si l’on peut ainsi dire.
En 1889, on monta donc une tour de monsieur Eiffel sur le site du Gros-Caillou situé au Champ de Mars à Paris, face à l’ancien palais du Trocadéro. Et pour s’y rendre, on développa le premier trottoir roulant à trois vitesses de progression. Ainsi qu’on inventa les premiers escaliers roulants sur des tapis de cuir, dans les grands magasins très busy tout autour de l’Expostion universelle ultra-utopique. Car, tout ce qui fit le XXe siècle utopique, et parfois désastreux, fut exposé durant ces manifestations du tournant du XIXe siècle au XXè siècle.
Plus tard, les architectes du "futurismo" italien et du "constructivisme russe" dessineront leurs architectures utopiques qui ne seront jamais réalisées. Comme un genre en soi des arts et des architectures qu’on ose imaginer sans jamais pouvoir les réaliser en dur, soit par manque de moyens, soit par défaut technique. Un peu à la façon des architectes romantiques de la Révolution française, tels Ledoux et Boullée qui furent contraints à seulement dessiner les bâtiments et l’urbanisme utopique dont ils rêvaient, au plein d’une France devenue exsangue par le fait révolutionnaire et qui dut en outre se défendre contre la coalition des couronnes européennes.
La confrontation internationale, suscitée par les Expositions universelles du XIXe siècle, mena droit à la constitution du "Werkbund" en Allemagne, et à la création des grandes écoles des arts décoratifs au sein de chaque grande puissance européenne. Vers la recherche de l’hégémonie techno-artistique, comme aujourd’hui les Etats-Unis, les Dragons d’Orient et l’Europe se livrent une guerre sans cesser pour la domination mondiale infocybernétique. Au début du XXe siècle, cette guerre économique et ingénieuse favorisa la naissance du "design" et la création du "Bauhaus" en Allemagne. Puis, ce conflit mit le feu à la mèche qui éclata l’architecture depuis la skyline américaine jusqu’au style international high-tech. Car la skyline américaine fut conçue par la diaspora des designers et architectes du Bauhaus émigrés aux Etats-Unis. Après que les nazis venus au pouvoir persécutèrent l’école et ses maîtres, dont Mies van der Rohe le dernier directeur de l’école créée par le grand Gropius.
C’est ainsi que tous les inventeurs du futur paysage architectural et urbanistique quittèrent leur sol européen, depuis l’Italie fasciste jusqu’à la Russie soviétique, et pour offrir le leadership mondial aux Etats-Unis. Un leadership qui était technique autant qu’artistique. Puisque les surréalistes et toutes les avant-gardes européennes devinrent américaines. Pour fuir une Europe qui se suicidait une seconde fois après 14-18, ce qui est comme d’insister d’une façon déraisonnable pour sa propre fin et de son crédit aussi.
Finalement, les Expositions universelles et leurs motivations concurrentielles, tout d’abord sur le mode pacifique, s’achevèrent en un vrai conflit européen et mondial qui éreinta tous les leaders présupposés dans la course. A la fin, la France et l’Angleterre perdirent tout, par le fait de cette course à l’utopie, à tout le moins peu maîtrisée. Et surtout l’Allemagne s’effondra, quand elle était tout de même la première puissance mondiale. Et par le fait qu’elle déclencha une guerre dont les seules vainqueurs états-uniens tirèrent tout le profit d’une fuite, sinon d’une expulsion des cerveaux techno-artistiques.
Demian West
Friday, June 15, 2007
Les Paysages de Renoir à Ottawa
Jusqu’à la rentrée, le 9 septembre, le musée des Beaux-Arts du Canada à Ottawa accroche les paysages du peintre lumineux Pierre-Auguste Renoir. En effet, on assiste à une véritable concentration d’expositions impressionnistes sur plus d’un continent. Et ces manifestations, probablement concertées, rendent un hommage confirmé aux impressionnistes. Comme une nostalgie des oeuvres du primesaut écologiste dans le monde de la bourgeoisie industrielle qui triomphait à la fin du XIXe siècle.
Renoir était ce petit peintre humble venu des ateliers des peintres de porcelaine. Ce qui apporta beaucoup à la matière picturale des oeuvres impressionnistes assez brouillonnes. Puisqu’on y reconnaît ce rendu "porcelainé", qui sait évoquer les natures mortes aériennes "où l’air tourne autour des objets" chez Chardin. Et dans une pâte sensuelle si chargée des caresses du pinceau obsessionnel des tendresses de Renoir.
Il a connu Monet et les premiers impressionnistes dans l’atelier du peintre académique Gleyre. Un sacré coup de pinceau qui retrouvait le film des grandes heures de l’Histoire, dans une manière hyperréaliste, comme au cinéma de la 3 D du XXIe siècle. Ainsi, dans les années 1870, on trouvait déjà cette scission entre, d’une part, l’art qui donnait à voir des images grandioses et illusionnistes de l’Histoire par l’académisme, et, d’autre part, des groupes d’artistes bohèmes qui tentaient des expériences d’avant-garde théoriciennes et purement plastiques.
L’invention majeure de Renoir fut qu’il sut extraire de la peinture pleinairiste, hors de l’atelier de Gleyre, la manière claire. En effet, lors de ses séances en extérieur avec Monet, ou plus solitaire encore, il élabora une peinture marquée et soutenue par des tons plus clairs que les vieux tons encrassés des peintures exécutées en atelier. Et il poussa le principe jusqu’à trouver une luminosité qui sut éclabousser la toile, par ses effets picturaux de blancs colorés qui ont fait son style ou sa marque identitaire. Tant et si bien qu’on reconnaît un Renoir à cette fraîcheur de tons qui tient d’une volupté charnelle du plus raffiné rococo "à la Pompadour", et par le biais de la peinture précieuse des porcelaines ingresques assez.
Il est donc un maître majeur de la permanence de l’école française, et dans l’art naissant du paysage qui s’imposa à la fin du XIXe siècle. Après que Constable eut créé le genre en soi, avec sa "Charette de foin" du salon de 1824. A la vérité, ce fut un événement inouï. Car, pour la première fois, un peintre avait pris un "paysage" comme le sujet central de son tableau.
Pire encore, c’est Courbet qui cassa la boutique de l’académisme quand il a peint "L’Enterrement à Ornans" et qu’il a su élever la peinture de paysage au statut de la peinture d’Histoire qui était le "Grand Genre", depuis la création de l’Académie royale de peinture par Charles Le Brun sous Louis XIV. Ce que Courbet a osé fut une révolution sociale et culturelle, simultanément. Car il a peint une scène d’enterrement dans son village, avec des bourgeois et le peuple rassemblés dans un moment grave mais assez banal, puisqu’il ne s’agissait pas d’un événement historique. Et il présenta cette scène, qu’on peut voir à Orsay, dans le format monumental qui était réservé uniquement aux grandes scènes des reconstitutions historicistes. Cette transgression fit un énorme scandale puisqu’elle s’attaquait à la hiérarchie de l’ordre social lui-même.
C’est pourquoi ce fut un manifeste qui bascula aussitôt la peinture de paysage, comme le nouveau et grand champ de l’expérimentation picturale et sociale. Vers les grandes plages de l’abstraction, qui a su briser les noyaux mêmes des conventions de l’ordre ancien.
Et le rôle fondateur de Renoir fut qu’il sut dégager ce champ pictural des anciennes fumées obscures stagnant dans l’atelier, trop cérébral et manoeuvrier sinon fastidieux et trop technicien. Il a libéré la toile et donc le peintre par de puissants flux luministes que Cézanne installa ensuite, en laissant simplement la toile non peinte et blanche, pour poser le puits de lumière. Aussi, comment ne pas saisir cette synchronicité assez magique de la peinture luministe de Renoir avec l’apparition de la photographie et donc de la peinture projetée par la lumière même des photons ? Plus tard, dans cette même ligne de force au XXe siècle, des artistes contemporains, tel Dan Flavin, ont peint, si l’on peut ainsi dire, avec la lumière en soi, en sculptant des néons et toutes électricités conceptuelles.
On comprend alors, par le biais de toute cette chaîne qui sut jouer du support blanc et de la couleur lumineuse, l’apport fondateur du plus grand Turner qui fut aussi le précurseur de l’impressionnisme. Souvenons-nous que Joseph Mallord William Turner peignait à l’huile en maître achevé de l’aquarelle avec ses blancs lumineux qui laissaient le papier apparent en réserve. Finalement, sans la leçon de Turner, Renoir serait resté dans les ténèbres où nous errons tous jusqu’à la rencontre avec les paysages lumineux du plus ingresque et plus galant des impressionnistes. Renoir ne fut-il pas ce grand peintre français et donc forcément léger, qui cultivait la peinture des femmes et des paysages tous doux-fleurants ?
Demian West
Renoir était ce petit peintre humble venu des ateliers des peintres de porcelaine. Ce qui apporta beaucoup à la matière picturale des oeuvres impressionnistes assez brouillonnes. Puisqu’on y reconnaît ce rendu "porcelainé", qui sait évoquer les natures mortes aériennes "où l’air tourne autour des objets" chez Chardin. Et dans une pâte sensuelle si chargée des caresses du pinceau obsessionnel des tendresses de Renoir.
Il a connu Monet et les premiers impressionnistes dans l’atelier du peintre académique Gleyre. Un sacré coup de pinceau qui retrouvait le film des grandes heures de l’Histoire, dans une manière hyperréaliste, comme au cinéma de la 3 D du XXIe siècle. Ainsi, dans les années 1870, on trouvait déjà cette scission entre, d’une part, l’art qui donnait à voir des images grandioses et illusionnistes de l’Histoire par l’académisme, et, d’autre part, des groupes d’artistes bohèmes qui tentaient des expériences d’avant-garde théoriciennes et purement plastiques.
L’invention majeure de Renoir fut qu’il sut extraire de la peinture pleinairiste, hors de l’atelier de Gleyre, la manière claire. En effet, lors de ses séances en extérieur avec Monet, ou plus solitaire encore, il élabora une peinture marquée et soutenue par des tons plus clairs que les vieux tons encrassés des peintures exécutées en atelier. Et il poussa le principe jusqu’à trouver une luminosité qui sut éclabousser la toile, par ses effets picturaux de blancs colorés qui ont fait son style ou sa marque identitaire. Tant et si bien qu’on reconnaît un Renoir à cette fraîcheur de tons qui tient d’une volupté charnelle du plus raffiné rococo "à la Pompadour", et par le biais de la peinture précieuse des porcelaines ingresques assez.
Il est donc un maître majeur de la permanence de l’école française, et dans l’art naissant du paysage qui s’imposa à la fin du XIXe siècle. Après que Constable eut créé le genre en soi, avec sa "Charette de foin" du salon de 1824. A la vérité, ce fut un événement inouï. Car, pour la première fois, un peintre avait pris un "paysage" comme le sujet central de son tableau.
Pire encore, c’est Courbet qui cassa la boutique de l’académisme quand il a peint "L’Enterrement à Ornans" et qu’il a su élever la peinture de paysage au statut de la peinture d’Histoire qui était le "Grand Genre", depuis la création de l’Académie royale de peinture par Charles Le Brun sous Louis XIV. Ce que Courbet a osé fut une révolution sociale et culturelle, simultanément. Car il a peint une scène d’enterrement dans son village, avec des bourgeois et le peuple rassemblés dans un moment grave mais assez banal, puisqu’il ne s’agissait pas d’un événement historique. Et il présenta cette scène, qu’on peut voir à Orsay, dans le format monumental qui était réservé uniquement aux grandes scènes des reconstitutions historicistes. Cette transgression fit un énorme scandale puisqu’elle s’attaquait à la hiérarchie de l’ordre social lui-même.
C’est pourquoi ce fut un manifeste qui bascula aussitôt la peinture de paysage, comme le nouveau et grand champ de l’expérimentation picturale et sociale. Vers les grandes plages de l’abstraction, qui a su briser les noyaux mêmes des conventions de l’ordre ancien.
Et le rôle fondateur de Renoir fut qu’il sut dégager ce champ pictural des anciennes fumées obscures stagnant dans l’atelier, trop cérébral et manoeuvrier sinon fastidieux et trop technicien. Il a libéré la toile et donc le peintre par de puissants flux luministes que Cézanne installa ensuite, en laissant simplement la toile non peinte et blanche, pour poser le puits de lumière. Aussi, comment ne pas saisir cette synchronicité assez magique de la peinture luministe de Renoir avec l’apparition de la photographie et donc de la peinture projetée par la lumière même des photons ? Plus tard, dans cette même ligne de force au XXe siècle, des artistes contemporains, tel Dan Flavin, ont peint, si l’on peut ainsi dire, avec la lumière en soi, en sculptant des néons et toutes électricités conceptuelles.
On comprend alors, par le biais de toute cette chaîne qui sut jouer du support blanc et de la couleur lumineuse, l’apport fondateur du plus grand Turner qui fut aussi le précurseur de l’impressionnisme. Souvenons-nous que Joseph Mallord William Turner peignait à l’huile en maître achevé de l’aquarelle avec ses blancs lumineux qui laissaient le papier apparent en réserve. Finalement, sans la leçon de Turner, Renoir serait resté dans les ténèbres où nous errons tous jusqu’à la rencontre avec les paysages lumineux du plus ingresque et plus galant des impressionnistes. Renoir ne fut-il pas ce grand peintre français et donc forcément léger, qui cultivait la peinture des femmes et des paysages tous doux-fleurants ?
Demian West
Thursday, June 14, 2007
Cyrano du Français sur France 2
Vendredi le 15 juin 2007 à 20 h 50 sur France 2, on a Cyrano à la télé, et depuis la Comédie-Française, mazette ! C’est une émission !... C’est une pièce !... Que dis-je, c’est une pièce ?... C’est le phare alexandrin de l’esprit français soi-même !
On se souvient qu’en Afrique francophile, Daniel Sorano en Cyrano conquit, et sans nez postiche, tout le peuple sénégalais réuni pour l’occasion. Et il plut à tel premier rang, qu’après cette télédiffusion héroïque de la pièce, on baptisa le théâtre "Sorano" à Dakar dans la foulée. Donc ce vendredi, un demi-siècle après la première diffusion à la télé de cette pièce maîtresse, on va en reprendre un coup de parabole sur le nez.
La pièce d’Edmond Rostand est une sorte d’astéroïde, certes assez roide et toujours surprenante. Un peu comme la machine de Savinien Cyrano de Bergerac, le people historique qui voulut aller sur la Lune. Et plusieurs siècles avant la Nasa qui eut plus de nez sur ce coup-là. La pièce baroque du romantisme au XIXe siècle tient bien son orbite et depuis sa naissance. Jugez-en ! Rostand prit peur devant ses propres témérités de langue. Et il s’excusa devant toute la troupe rassemblée derrière le rideau, juste avant la première. Tellement il était pris de trac, et que son propos lui semblait subitement désuet, incongru et trop vert. Il avait écrit la pièce en alexandrins classiques, mais si inventifs pour le plus illustre Coquelin, qui était une sorte de Raimu "granditeux" d’avant le cinéma.
Pourtant, la scène du théâtre de la Porte Saint-Martin connut ce soir-là le plus grand succès du théâtre du monde à Paris. Fini le boulevardier ! Et sitôt oubliée toute la troupe des défaites de 1870, ainsi que les boues verbeuses de l’affaire Dreyfus qui avaient franchement fichu le moral dessous le tapis de la République.
Le panache fut enfin de retour. C’est-à-dire qu’on crut, l’instant que dura la demi-heure de standing ovation, qu’un héros désintéressé s’éait enfin levé d’entre les morts. Et pour nous enseigner qu’il fallait se battre. Et surtout, quand c’était réputé inutile, juste pour le fun, quoi ! C’est la leçon de Cyrano.
Voilà pour la morale et pour l’effet public. Pour le reste, il faut bien dire, que cette pièce est un "pur" cours de drague des plus success stories. En effet, on y apprend que le gaillard le plus disgracié, du nez au milieu de sa figure toute en pointe, se pourrait tout de même accéder aux plus hauts sièges du flirt. Toutefois, s’il savait appuyer ses prétentions sur de graves lettres d’amour. Bon, il faut savoir écrire et plutôt bien ! Sinon, il faut trouver parmi ses copains de bureau ou du Web quelque bon écrivain qui sait se fendre de bons billets, comme au sabre. Pour qu’il plaidât votre cause à votre place auprès de la dame du balcon. Où l’on apprend, et bien avant Dolto de la boutique psychanalytique, que le premier organe de la jouissance chez la femme serait son oreille, quand les mots d’amour y passent et tournevirent. Comme la clé sait ouvrir la porte plus charnelle.
Tout ceci est dans la pièce merveilleuse. Mais plus encore, le verbe parfait de Rostand y tire là son coup unique. Car, il ne sut jamais écrire un autre chef-d’oeuvre qui eût autant le nez creux et sensible que son primesautier Cyrano. Il tenta bien un "Chantecler" assez superbe, et qui fut annoncé à grand coup de feuilletons de presse. Mais la pièce n’eut pas le même succès. Quoi qu’elle fut encore plus audacieuse que Cyrano. Puisqu’on y vit s’espacer des bêtes qui parlaient quelque langage emparadé du grand siècle. Et déjà sur le ton d’un surréalisme d’oiseaux masqués à la Franju.
Ce vendredi, c’est donc théâtre des grandes heures de la télévision française. Et la Comédie-Française nous propose une scène baroque comme l’herbe grasse de citations cultivées jusqu’au vertige des courbes et contrecourbes. Denis Podalydès a mis en scène des acteurs hautement vêtus de luxuriantes coutures par Christian Lacroix. Et postés en des situations de décors qui font habilement épaule au verbe très en pointe. Par des mises en abyme du théâtre dans le théâtre, qui sont conformes au baroque achevé, mais en plein dans le pif de notre vieille téloche à écran plat du XXIe siècle.
C’est simple, tous les acteurs sont bons, car ils sont mis en plans droits dans la pièce. Michel Vuillermoz en Cyrano nous donne du nez comme un Hamlet le plus philosophiquement outrancier. Aussi, il paraît tantôt en Don Quichotte somptueusement loser. Et en fin d’envoi il touche, quand il nous assène, le coup du rappel de Molière qui s’effondre agonisant dans son fauteuil au Palais-Royal, sur la scène des excommuniés de la tombale de Saint Eustache, quoi !
Quant à Rostand, il avait tout donné dans son Cyrano, quand la grippe espagnole emporta cet homme d’une seule pièce.
Demian West
On se souvient qu’en Afrique francophile, Daniel Sorano en Cyrano conquit, et sans nez postiche, tout le peuple sénégalais réuni pour l’occasion. Et il plut à tel premier rang, qu’après cette télédiffusion héroïque de la pièce, on baptisa le théâtre "Sorano" à Dakar dans la foulée. Donc ce vendredi, un demi-siècle après la première diffusion à la télé de cette pièce maîtresse, on va en reprendre un coup de parabole sur le nez.
La pièce d’Edmond Rostand est une sorte d’astéroïde, certes assez roide et toujours surprenante. Un peu comme la machine de Savinien Cyrano de Bergerac, le people historique qui voulut aller sur la Lune. Et plusieurs siècles avant la Nasa qui eut plus de nez sur ce coup-là. La pièce baroque du romantisme au XIXe siècle tient bien son orbite et depuis sa naissance. Jugez-en ! Rostand prit peur devant ses propres témérités de langue. Et il s’excusa devant toute la troupe rassemblée derrière le rideau, juste avant la première. Tellement il était pris de trac, et que son propos lui semblait subitement désuet, incongru et trop vert. Il avait écrit la pièce en alexandrins classiques, mais si inventifs pour le plus illustre Coquelin, qui était une sorte de Raimu "granditeux" d’avant le cinéma.
Pourtant, la scène du théâtre de la Porte Saint-Martin connut ce soir-là le plus grand succès du théâtre du monde à Paris. Fini le boulevardier ! Et sitôt oubliée toute la troupe des défaites de 1870, ainsi que les boues verbeuses de l’affaire Dreyfus qui avaient franchement fichu le moral dessous le tapis de la République.
Le panache fut enfin de retour. C’est-à-dire qu’on crut, l’instant que dura la demi-heure de standing ovation, qu’un héros désintéressé s’éait enfin levé d’entre les morts. Et pour nous enseigner qu’il fallait se battre. Et surtout, quand c’était réputé inutile, juste pour le fun, quoi ! C’est la leçon de Cyrano.
Voilà pour la morale et pour l’effet public. Pour le reste, il faut bien dire, que cette pièce est un "pur" cours de drague des plus success stories. En effet, on y apprend que le gaillard le plus disgracié, du nez au milieu de sa figure toute en pointe, se pourrait tout de même accéder aux plus hauts sièges du flirt. Toutefois, s’il savait appuyer ses prétentions sur de graves lettres d’amour. Bon, il faut savoir écrire et plutôt bien ! Sinon, il faut trouver parmi ses copains de bureau ou du Web quelque bon écrivain qui sait se fendre de bons billets, comme au sabre. Pour qu’il plaidât votre cause à votre place auprès de la dame du balcon. Où l’on apprend, et bien avant Dolto de la boutique psychanalytique, que le premier organe de la jouissance chez la femme serait son oreille, quand les mots d’amour y passent et tournevirent. Comme la clé sait ouvrir la porte plus charnelle.
Tout ceci est dans la pièce merveilleuse. Mais plus encore, le verbe parfait de Rostand y tire là son coup unique. Car, il ne sut jamais écrire un autre chef-d’oeuvre qui eût autant le nez creux et sensible que son primesautier Cyrano. Il tenta bien un "Chantecler" assez superbe, et qui fut annoncé à grand coup de feuilletons de presse. Mais la pièce n’eut pas le même succès. Quoi qu’elle fut encore plus audacieuse que Cyrano. Puisqu’on y vit s’espacer des bêtes qui parlaient quelque langage emparadé du grand siècle. Et déjà sur le ton d’un surréalisme d’oiseaux masqués à la Franju.
Ce vendredi, c’est donc théâtre des grandes heures de la télévision française. Et la Comédie-Française nous propose une scène baroque comme l’herbe grasse de citations cultivées jusqu’au vertige des courbes et contrecourbes. Denis Podalydès a mis en scène des acteurs hautement vêtus de luxuriantes coutures par Christian Lacroix. Et postés en des situations de décors qui font habilement épaule au verbe très en pointe. Par des mises en abyme du théâtre dans le théâtre, qui sont conformes au baroque achevé, mais en plein dans le pif de notre vieille téloche à écran plat du XXIe siècle.
C’est simple, tous les acteurs sont bons, car ils sont mis en plans droits dans la pièce. Michel Vuillermoz en Cyrano nous donne du nez comme un Hamlet le plus philosophiquement outrancier. Aussi, il paraît tantôt en Don Quichotte somptueusement loser. Et en fin d’envoi il touche, quand il nous assène, le coup du rappel de Molière qui s’effondre agonisant dans son fauteuil au Palais-Royal, sur la scène des excommuniés de la tombale de Saint Eustache, quoi !
Quant à Rostand, il avait tout donné dans son Cyrano, quand la grippe espagnole emporta cet homme d’une seule pièce.
Demian West
Wednesday, June 13, 2007
Ernest Pignon-Ernest et Ingres à Montauban
Il est un sanctuaire du dessin que l’on nomme le musée Ingres à Montauban. Cet été, on y donne une exposition du meilleur Ernest Pignon-Ernest. En effet, cet artiste contemporain a choisi d’investir les salles du culte ingresque. Là où l’amateur du néoclassicisme se plonge dans les affres du démon de la technique absolue. Vous savez, ces petits bouts de papier grignotés de portraits si savants qu’on les dirait conçus par une araignée qui sait frapper sa proie à l’instinct, droit au but, à l’organe vital.
Ingres ne savait pas que jouer du violon. Il savait jouer de nous autres regardeurs, comme l’archet joue de l’instrument. Qui n’a jamais été arrêté dans sa course à l’art facile, par les Odalisques de monsieur Ingres ? Blanches mais orientales comme nos libidos étendues, elles sont si bien dessinées en courbes de hanches qu’elles en disent à Leonardo soi-même. Et pire encore, elles causent un peu au plus féminisant Botticelli, qui fut le maître du maître ultime.
On connaît les grandes oeuvres dessinées par Ernest Pignon-Ernest. Plus avant, on sait qu’il les maroufle, c’est-à-dire qu’il les colle sur les murs pompéiens de Naples, ou en d’autres capitales des arts de la rue. Il est un grand maître du dessin reconnu, sinon le maître du graphisme aujourd’hui. Et ce n’est pas sans quelque provocation qu’il a choisi de laisser ses oeuvres, d’allure très classicisante, à l’usage sinon à l’usure des regardeurs passants. Les oeuvres à peines postées à la colle, les promeneurs peuvent en emporter quelque lopin déchiré. C’est donc une sorte de geste un peu conceptuel que l’artiste sait mettre en oeuvre pour replacer, en quelque sorte, des citations baroques du Caravage et d’autres considérables passants. Et à la rue foisonnante des situations qui inspirèrent toute la peinture en ses détails les plus triviaux et donc vrais. N’est-ce pas dans la rue et dans les boutiques méphitiques que Michel-Ange avait vu les premiers modèles des surhommes ébauchés qui peuplent sa Sixtine ?
On le voit, Pignon-Ernest est un artiste de la mouvance postmoderne qui aime à citer les peintres du passé et d’autres plus contemporains. Puis, l’artiste prend des photos de ses collages qui feront oeuvres aussi. Puisqu’elles sont exposées au musée, à côté de ses dessins et des mines de plomb d’Ingres. Pour les mettre en une perspective de maîtres quasiment bouddhiques, en tous les cas canoniques. Comme s’il s’agissait d’étalonner, une fois encore, la mesure de ce classicisme qui revient éternellement en vagues cycliques.
Cet art du "disegno" n’a jamais cessé de régler les arts visuels. Car, il en est la base même. Cette exposition est une manière de monstration, que tout l’oeuvre tiendrait dans le dessin juste, qui sous-tend l’ensemble. Telle une idée ou une "eidolon" platonicienne, soit une image qui serait une idée dans le même temps. Un paradoxe qu’Aristote sut résoudre, quand il affirma que l’oeuvre était en puissance dans le bloc de marbre ou sur le blanc de la toile comme on voudra. Et par le biais du "concetto" sis dans l’esprit du peintre qui voit et projette l’oeuvre sur la surface. Au commencement ce "deus pictor, deus artifex" dessine le dessein. Il faut reprendre en main l’oeuvre magistrale de Erwin Panofsky intitulée "Idea", et qu’elle retrace toute l’histoire du concept d’idée qui a mené à la perfection du disegno.
En conséquence, c’est toute la programmatique de la Renaissance que l’on trouve dans cette chaîne des génies toujours simples quand ils sont olympiens ou classiques. Et il n’est pas anodin, et même est-il de l’ordre du dévoilement pythagorique, qu’un artiste très contemporain comme Ernest Pignon-Ernest ait pris cette ligne claire et si précise du dessin juste. Mieux encore, quand il se réclame de Picasso dont on dit qu’il a certes cassé le dessin, mais après avoir prouvé sa virtuosité achevée dès ses 16 ans. Ici, on comprend mieux que tout artiste honnête, aujourd’hui, ne pourrait que dire dans ses oeuvres sincères que tout a déjà été dit. Ou que nous nous répétons sans fin, par cette même ligne de force du dessin qui presse nos destins en ajoutant de l’art à l’art, ou du classicisme à la modernité.
Ainsi, après Ingres ou Picasso, on ne trouverait plus de vrai progrès en art. Et finalement, le premier dessin ultime avait balancé le tout cash. Finalement, dès Lascaux, tout avait été dit...
Demian West
Exposition "Situations Ingresques" Ernest Pignon-Ernest - du 6 juillet au 14 octobre 2007 au musée Ingres à Montauban.
Ingres ne savait pas que jouer du violon. Il savait jouer de nous autres regardeurs, comme l’archet joue de l’instrument. Qui n’a jamais été arrêté dans sa course à l’art facile, par les Odalisques de monsieur Ingres ? Blanches mais orientales comme nos libidos étendues, elles sont si bien dessinées en courbes de hanches qu’elles en disent à Leonardo soi-même. Et pire encore, elles causent un peu au plus féminisant Botticelli, qui fut le maître du maître ultime.
On connaît les grandes oeuvres dessinées par Ernest Pignon-Ernest. Plus avant, on sait qu’il les maroufle, c’est-à-dire qu’il les colle sur les murs pompéiens de Naples, ou en d’autres capitales des arts de la rue. Il est un grand maître du dessin reconnu, sinon le maître du graphisme aujourd’hui. Et ce n’est pas sans quelque provocation qu’il a choisi de laisser ses oeuvres, d’allure très classicisante, à l’usage sinon à l’usure des regardeurs passants. Les oeuvres à peines postées à la colle, les promeneurs peuvent en emporter quelque lopin déchiré. C’est donc une sorte de geste un peu conceptuel que l’artiste sait mettre en oeuvre pour replacer, en quelque sorte, des citations baroques du Caravage et d’autres considérables passants. Et à la rue foisonnante des situations qui inspirèrent toute la peinture en ses détails les plus triviaux et donc vrais. N’est-ce pas dans la rue et dans les boutiques méphitiques que Michel-Ange avait vu les premiers modèles des surhommes ébauchés qui peuplent sa Sixtine ?
On le voit, Pignon-Ernest est un artiste de la mouvance postmoderne qui aime à citer les peintres du passé et d’autres plus contemporains. Puis, l’artiste prend des photos de ses collages qui feront oeuvres aussi. Puisqu’elles sont exposées au musée, à côté de ses dessins et des mines de plomb d’Ingres. Pour les mettre en une perspective de maîtres quasiment bouddhiques, en tous les cas canoniques. Comme s’il s’agissait d’étalonner, une fois encore, la mesure de ce classicisme qui revient éternellement en vagues cycliques.
Cet art du "disegno" n’a jamais cessé de régler les arts visuels. Car, il en est la base même. Cette exposition est une manière de monstration, que tout l’oeuvre tiendrait dans le dessin juste, qui sous-tend l’ensemble. Telle une idée ou une "eidolon" platonicienne, soit une image qui serait une idée dans le même temps. Un paradoxe qu’Aristote sut résoudre, quand il affirma que l’oeuvre était en puissance dans le bloc de marbre ou sur le blanc de la toile comme on voudra. Et par le biais du "concetto" sis dans l’esprit du peintre qui voit et projette l’oeuvre sur la surface. Au commencement ce "deus pictor, deus artifex" dessine le dessein. Il faut reprendre en main l’oeuvre magistrale de Erwin Panofsky intitulée "Idea", et qu’elle retrace toute l’histoire du concept d’idée qui a mené à la perfection du disegno.
En conséquence, c’est toute la programmatique de la Renaissance que l’on trouve dans cette chaîne des génies toujours simples quand ils sont olympiens ou classiques. Et il n’est pas anodin, et même est-il de l’ordre du dévoilement pythagorique, qu’un artiste très contemporain comme Ernest Pignon-Ernest ait pris cette ligne claire et si précise du dessin juste. Mieux encore, quand il se réclame de Picasso dont on dit qu’il a certes cassé le dessin, mais après avoir prouvé sa virtuosité achevée dès ses 16 ans. Ici, on comprend mieux que tout artiste honnête, aujourd’hui, ne pourrait que dire dans ses oeuvres sincères que tout a déjà été dit. Ou que nous nous répétons sans fin, par cette même ligne de force du dessin qui presse nos destins en ajoutant de l’art à l’art, ou du classicisme à la modernité.
Ainsi, après Ingres ou Picasso, on ne trouverait plus de vrai progrès en art. Et finalement, le premier dessin ultime avait balancé le tout cash. Finalement, dès Lascaux, tout avait été dit...
Demian West
Exposition "Situations Ingresques" Ernest Pignon-Ernest - du 6 juillet au 14 octobre 2007 au musée Ingres à Montauban.
Tuesday, June 12, 2007
Sophie Taeuber-Arp, Dada à Clamart
La fondation Jean Arp à Clamart consacre ses cimaises à Sophie Taeuber-Arp jusqu’au 22 juillet 2007. Cependant, il faut savoir que l’artiste est chez elle. Puisque l’exposition s’espace dans la maison-atelier du couple le plus fameux du dadaïsme. Si tant est qu’on osait encore se marier en pays dada.
Il est vrai qu’on a connu peu de femmes qui surent enfoncer l’art toujours réservé aux hommes, avant la période ouverte par dada. Il y eut bien Artemisia Gentilleschi qui peignait, sans cesser, des décollations d’hommes bibliques irréprochables, à ce qu’on dit tantôt. Et tout pour insister lourdement sur des violences qu’on suppose de son père, avec quelque raison des historiens d’art. Son père était un peintre fameux des Gentilleschi qui, malheureusement, ne lui avait pas défloré la seule peinture. En outre, il y eut plus tard une Camille Claudel gravement dévorée par son mentor Rodin, qui lui prit publiquement tout son art, et sous le couvert de son frère Paul Claudel tout en feintise et lâcheté. Tant et si bien que la malheureuse en perdit la raison, recluse à l’asile de Montfavet.
Une Jeanne Hébuterne fut tellement active en tant que modèle de Modigliani, qu’on pourrait aisément lui reconnaître un statut d’artiste de la pose comme d’une danse. Puisque les romains considéraient tous les gestes et les attitudes du corps que l’on tenait en société, comme l’art de la danse. Et c’est la danse qui mena Sophie Taeuber à la rencontre avec Jean Arp. Au plein du "Cabaret Voltaire" puisqu’elle avait rejoint la troupe des cinglés. Parmi tous masques absurdes, pour qu’elle sache bien cacher ses activités artistiques contre-culturelles. Car, en Suisse et au début du XXe siècle, il était assez nécessaire de sortir masquée quand on faisait le bal dada, qui tournait au scandale européen puis mondial avec Picabia. Et surtout, fallait-il se cacher quand on était une simple Sophie prof. d’arts appliqués, dans le civil à la ville.
Sophie avait appris la danse avec son amie Mary Wigman, et sous la dextre ailée du chorégraphe Rudolf van Laban. Ce qui n’est pas rien. Il advint naturellement que l’Alsacien de la fête dada ne sut pas trop se retenir. Et Sophie se fit outrageusement draguer par Jean Arp, qui plastronnait sa médaille du déserteur sinon du réformé volontaire de la guerre de 14. Car il était de ces apatrides bien assis sur la frontière alsaco-suisse. Tout ça pour faire dada, comme il convient de ne plus convenir.
C’est ainsi que la belle Sophie entra dans le panthéon des grandes hommes de l’art qui sont des femmes. La recherche singulière de Sophie Taeuber-Arp fut liée à l’extension des arts plastiques et abstraits à tout l’environnement architectural et de la vie même. Ainsi, elle créa le mobilier de sa maison-atelier à Clamart. Plus encore, elle influença considérablement les desseins de la nouvelle architecture constructiviste, par sa nature inventive et amicale des milieux artistiques et intellectuels. Elle fut l’amie de Théo Van Doesburg qui rivalisa avec Gropius au temps de l’expansion définitive du Bauhaus.
Et c’est dans ces années 20-30 que le trio Taeuber-Arp-Doesburg a créé le "Dancing de l’Aubette" à Strasbourg, qui fut une révolution en manière de coup d’éclat de l’architecture d’intérieur. L’oeuvre fut bâtie selon les concepts de l’"art concret", qui devint vite l’"art abstrait". Et le trio installa des modules géométriques en des couleurs primaires qui savaient réguler l’espace comme une musique plastique. Et pour induire un fonctionnalisme lié à la danse et donc à l’aisance des mouvements. Enfin, ce nouvel art proposait une économie radicale dans la fabrication des éléments, qui savait enfin démocratiser ou rendre librement accessible l’art et l’architecture pour l’homme de la rue.
Sophie Taeuber-Arp y voyait une recherche des formes "pures" dans la nature, et moins une recherche formaliste de l’idéal scientifique. Ainsi, était-elle assez proche du bio-morphisme de Jean Arp et, par ailleurs, des géométries de Mondrian qui peignait la mathésis du monde. C’est-à-dire qu’ils voulaient rendre visible sur la toile l’harmonie pythagoricienne mais inscrite dans la nature. Dans cet art, il y avait de fortes inspirations théosophiques, dont les apparences pouvaient tromper par des formes rigoureuses si semblables aux énoncés des sciences exactes. Alors que cet art abstrait exprimait surtout l’essence de l’arbre ou de la fleur. Tout ne paraît donc pas si simple en art et dans ses discours. Enfin, Mondrian, tout comme Sophie Taeuber-Arp, avait composé son atelier comme une suite de ses oeuvres peintes. Ainsi, l’environnement devint-il le prolongement de la toile-même expérimentale.
C’est donc une figure aussi novatrice qu’active et très attachante du monde des arts plastiques et architecturaux que l’on peut mieux saisir à Clamart. Et combien il est du meilleur goût qu’on puisse faire sa connaissance dans le lieu même où elle vécut. Dans cette maison qu’elle sut transformer en une atmosphère du monde nouveau. Où l’on bricole gentiment tout ce petit monde pour le mettre en oeuvres bien concrètes.
Demian West
Il est vrai qu’on a connu peu de femmes qui surent enfoncer l’art toujours réservé aux hommes, avant la période ouverte par dada. Il y eut bien Artemisia Gentilleschi qui peignait, sans cesser, des décollations d’hommes bibliques irréprochables, à ce qu’on dit tantôt. Et tout pour insister lourdement sur des violences qu’on suppose de son père, avec quelque raison des historiens d’art. Son père était un peintre fameux des Gentilleschi qui, malheureusement, ne lui avait pas défloré la seule peinture. En outre, il y eut plus tard une Camille Claudel gravement dévorée par son mentor Rodin, qui lui prit publiquement tout son art, et sous le couvert de son frère Paul Claudel tout en feintise et lâcheté. Tant et si bien que la malheureuse en perdit la raison, recluse à l’asile de Montfavet.
Une Jeanne Hébuterne fut tellement active en tant que modèle de Modigliani, qu’on pourrait aisément lui reconnaître un statut d’artiste de la pose comme d’une danse. Puisque les romains considéraient tous les gestes et les attitudes du corps que l’on tenait en société, comme l’art de la danse. Et c’est la danse qui mena Sophie Taeuber à la rencontre avec Jean Arp. Au plein du "Cabaret Voltaire" puisqu’elle avait rejoint la troupe des cinglés. Parmi tous masques absurdes, pour qu’elle sache bien cacher ses activités artistiques contre-culturelles. Car, en Suisse et au début du XXe siècle, il était assez nécessaire de sortir masquée quand on faisait le bal dada, qui tournait au scandale européen puis mondial avec Picabia. Et surtout, fallait-il se cacher quand on était une simple Sophie prof. d’arts appliqués, dans le civil à la ville.
Sophie avait appris la danse avec son amie Mary Wigman, et sous la dextre ailée du chorégraphe Rudolf van Laban. Ce qui n’est pas rien. Il advint naturellement que l’Alsacien de la fête dada ne sut pas trop se retenir. Et Sophie se fit outrageusement draguer par Jean Arp, qui plastronnait sa médaille du déserteur sinon du réformé volontaire de la guerre de 14. Car il était de ces apatrides bien assis sur la frontière alsaco-suisse. Tout ça pour faire dada, comme il convient de ne plus convenir.
C’est ainsi que la belle Sophie entra dans le panthéon des grandes hommes de l’art qui sont des femmes. La recherche singulière de Sophie Taeuber-Arp fut liée à l’extension des arts plastiques et abstraits à tout l’environnement architectural et de la vie même. Ainsi, elle créa le mobilier de sa maison-atelier à Clamart. Plus encore, elle influença considérablement les desseins de la nouvelle architecture constructiviste, par sa nature inventive et amicale des milieux artistiques et intellectuels. Elle fut l’amie de Théo Van Doesburg qui rivalisa avec Gropius au temps de l’expansion définitive du Bauhaus.
Et c’est dans ces années 20-30 que le trio Taeuber-Arp-Doesburg a créé le "Dancing de l’Aubette" à Strasbourg, qui fut une révolution en manière de coup d’éclat de l’architecture d’intérieur. L’oeuvre fut bâtie selon les concepts de l’"art concret", qui devint vite l’"art abstrait". Et le trio installa des modules géométriques en des couleurs primaires qui savaient réguler l’espace comme une musique plastique. Et pour induire un fonctionnalisme lié à la danse et donc à l’aisance des mouvements. Enfin, ce nouvel art proposait une économie radicale dans la fabrication des éléments, qui savait enfin démocratiser ou rendre librement accessible l’art et l’architecture pour l’homme de la rue.
Sophie Taeuber-Arp y voyait une recherche des formes "pures" dans la nature, et moins une recherche formaliste de l’idéal scientifique. Ainsi, était-elle assez proche du bio-morphisme de Jean Arp et, par ailleurs, des géométries de Mondrian qui peignait la mathésis du monde. C’est-à-dire qu’ils voulaient rendre visible sur la toile l’harmonie pythagoricienne mais inscrite dans la nature. Dans cet art, il y avait de fortes inspirations théosophiques, dont les apparences pouvaient tromper par des formes rigoureuses si semblables aux énoncés des sciences exactes. Alors que cet art abstrait exprimait surtout l’essence de l’arbre ou de la fleur. Tout ne paraît donc pas si simple en art et dans ses discours. Enfin, Mondrian, tout comme Sophie Taeuber-Arp, avait composé son atelier comme une suite de ses oeuvres peintes. Ainsi, l’environnement devint-il le prolongement de la toile-même expérimentale.
C’est donc une figure aussi novatrice qu’active et très attachante du monde des arts plastiques et architecturaux que l’on peut mieux saisir à Clamart. Et combien il est du meilleur goût qu’on puisse faire sa connaissance dans le lieu même où elle vécut. Dans cette maison qu’elle sut transformer en une atmosphère du monde nouveau. Où l’on bricole gentiment tout ce petit monde pour le mettre en oeuvres bien concrètes.
Demian West
Sunday, June 10, 2007
La Venise de Sargent au Musée Correr
A Venise et jusqu’au 22 juillet 2007, on se doit de vite monter au premier étage des néoclassiques du musée Correr, pour y rencontrer l’oeuvre du plus grand impressionniste américain, John Singer Sargent. Là, une soixantaine d’oeuvres, entre aquarelles et huiles, achèvent de nous démontrer la virtuosité extrême de cet artiste. En effet, il avait une main si aisée qu’il n’eut qu’à peindre tout le long de sa vie et sans autre considération de courants artistiques ou de nouveautés révolutionnaires.
C’est d’ailleurs cette aisance que des critiques, un peu éreintés par tant de talent, lui reprochèrent après sa mort en 1925. Jusqu’aux années 1960, quand il revint en force et que, depuis, la "sargentolâtrie" a bien repris. Des juges du goût hâtifs virent en lui un simple capteur des réalités et sans qu’ils y trouvent un apport personnel du peintre. Ce qui est un jugement rapide et presque surgi du dépit, devant tant de virtuosité effrontée comme on gagne et jette des fortunes au casino. Car Sargent était un dessinateur sans repentir et si juste du premier coup, et dans le même temps, il était comblé en peintre plus juste encore. A tel premier rang que sa virtuosité confinait au lumineux de la vision claire immédiate, qu’on dirait tranchée au rasoir.
D’une certaine façon, il avait cet oeil que Monet cherchait à organiser par un long travail en plein air et dans l’atelier aussi. Car nous savons, aujourd’hui, que Monet terminait des toiles en atelier. Quand on disait partout dans le sérail qu’elles étaient achevées et signées sur le motif. Ainsi, les différences entre les artistes, et leurs techniques du "pleinairisme" n’étaient-elles pas aussi marquées que la légende voulait le dire. Il reste que, tout comme Monet, Sargent peignait en plein air et sur des gondoles pour capter la vibrante expression des eaux vénitiennes, souvent irruptives en leurs reflets difficiles même pour le technicien au pied marin. Autant dire qu’il fallait connaître son manuel de l’aquarelliste à Venise, pour oser affronter le terrain mouvant des peintres vénitiens comme à la maison. Ils sont d’ailleurs exposés au côté des oeuvres de Sargent, à l’occasion de cette exposition qui sort les grands tableaux cachés.
Sargent est né en Italie, puis il a étudié dans toute l’Europe, en France, en Allemagne, à Londres et bien sûr en Italie. Mais, quand nous disons qu’il a étudié, nous parlons de son regard empirique sur la lumière, dans le même temps que nous évoquons les cours qu’il reçut chez Carolus-Duran à Paris. Partout, on comprit vite, chez les jurys de toutes natures et concours, que le jeune peintre savait tout, avant même les leçons de l’art superflu des maîtres. C’était clair, il était né avec la peinture fluante depuis la main et le bras jusqu’à ses yeux invaginant son cerveau, qui recrachait l’esquisse et le tableau a la prima, comme on dit. D’un coup, et sans effort, chaque plage de couleur apparaissait authentique, et sans aucune préparation du dessous comme l’exigeait la tradition. Et sans ces apprêts du métier, les oeuvres de Sargent naissaient conformément à l’effet du réalisme le plus immédiat et sans conteste. On y sentit bien la leçon de Velasquez, et dans le même temps, l’influence plus contemporaine de Monet, qui fut son ami régulier. Mais, Sargent parut tout autant incarner l’achèvement de la peinture victorienne, avec Alma-Tadema, Lord Leighton et les orientalistes, qu’il incarnait la persistance de l’art virtuose dans le courant moderniste des impressionnistes et des avant-gardes.
Il fut le plus grand portraitiste de son temps. Avec des figures de femmes peintes en pied, et taillées dans les plus savantes hautes coutures de la lumière des séductions définitives. Il savait bien poser des masses lumineuses qui transforment les tableaux en des synthèses parfaites et rapides aussi. En conséquence, l’oeuvre garde toute sa fraîcheur a la prima. Et c’est un peu ce que Monet avait tenté, quand il inventa la pochade impressionniste, pour conserver la naissance de la vision qui flashe. Mieux encore, Sargent a peint le tableau emblématique de la beauté à l’ère victorienne,"Carnation, Lily, Lily, Rose" qu’il faut avoir vu pour connaître ou pour tenter de comprendre "the english rose", qui est un canon de beauté équivalent au "chic parisien". Enfin, les oeuvres de Sargent évoquent le luminisme savant de Guiseppe de Nittis, le plus grand impressionniste italien qui a laissé des morceaux d’une bravoure picturale éclairant Paris.
Dans la suite des peintres victoriens, nous savons l’hégémonie des aquarellistes anglais dont Bonington et Turner. Tout pareil, Sargent aimait Venise comme son plus fétichiste sujet. C’est dire que ces peintres ont fait de Venise un sujet ou un motif sinon un genre en soi, comme le paysage ou le portrait et la peinture des chevaux, etc. D’abord, ils ont peint Venise, dont le nom vient de la déesse Vénus, dans des portraits topographiques à l’intact. Et mieux encore, ils ont rêvé Venise en y ajoutant des canaux fantasmatiques et des marbres de l’air d’une peinture qui s’espace en roue libre. Ils y prirent quelques débauches au passage, pour laisser parler sinon laisser peindre leurs pulsions plus érotisantes que seulement picturales. Et ses amis dirent, après la mort de Sargent en 1925, qu’il était un véritable faune vénitien très appliqué à l’admiration charnelle des jeunes éphèbes italiques, qui ajoutaient à la beauté féminisante de la ville inouïe.
John Singer Sargent a réalisé des aquarelles et des huiles dont la lumière donne un tel éclat et si vif à son réalisme, qu’on y est ! Mis en plant devant les architectures oniriques et byzantines de Venise. Et qu’on s’y éveille au plein du XIXe siècle heureux. Quand l’Europe était si vaste qu’elle s’étendait jusqu’aux orients dans toute la Méditerranée. Une vision qui revient doucement, aujourd’hui, et dans la fragrance de cette exposition qui ouvre au XXIe siècle peut-être heureux.
Demian West
C’est d’ailleurs cette aisance que des critiques, un peu éreintés par tant de talent, lui reprochèrent après sa mort en 1925. Jusqu’aux années 1960, quand il revint en force et que, depuis, la "sargentolâtrie" a bien repris. Des juges du goût hâtifs virent en lui un simple capteur des réalités et sans qu’ils y trouvent un apport personnel du peintre. Ce qui est un jugement rapide et presque surgi du dépit, devant tant de virtuosité effrontée comme on gagne et jette des fortunes au casino. Car Sargent était un dessinateur sans repentir et si juste du premier coup, et dans le même temps, il était comblé en peintre plus juste encore. A tel premier rang que sa virtuosité confinait au lumineux de la vision claire immédiate, qu’on dirait tranchée au rasoir.
D’une certaine façon, il avait cet oeil que Monet cherchait à organiser par un long travail en plein air et dans l’atelier aussi. Car nous savons, aujourd’hui, que Monet terminait des toiles en atelier. Quand on disait partout dans le sérail qu’elles étaient achevées et signées sur le motif. Ainsi, les différences entre les artistes, et leurs techniques du "pleinairisme" n’étaient-elles pas aussi marquées que la légende voulait le dire. Il reste que, tout comme Monet, Sargent peignait en plein air et sur des gondoles pour capter la vibrante expression des eaux vénitiennes, souvent irruptives en leurs reflets difficiles même pour le technicien au pied marin. Autant dire qu’il fallait connaître son manuel de l’aquarelliste à Venise, pour oser affronter le terrain mouvant des peintres vénitiens comme à la maison. Ils sont d’ailleurs exposés au côté des oeuvres de Sargent, à l’occasion de cette exposition qui sort les grands tableaux cachés.
Sargent est né en Italie, puis il a étudié dans toute l’Europe, en France, en Allemagne, à Londres et bien sûr en Italie. Mais, quand nous disons qu’il a étudié, nous parlons de son regard empirique sur la lumière, dans le même temps que nous évoquons les cours qu’il reçut chez Carolus-Duran à Paris. Partout, on comprit vite, chez les jurys de toutes natures et concours, que le jeune peintre savait tout, avant même les leçons de l’art superflu des maîtres. C’était clair, il était né avec la peinture fluante depuis la main et le bras jusqu’à ses yeux invaginant son cerveau, qui recrachait l’esquisse et le tableau a la prima, comme on dit. D’un coup, et sans effort, chaque plage de couleur apparaissait authentique, et sans aucune préparation du dessous comme l’exigeait la tradition. Et sans ces apprêts du métier, les oeuvres de Sargent naissaient conformément à l’effet du réalisme le plus immédiat et sans conteste. On y sentit bien la leçon de Velasquez, et dans le même temps, l’influence plus contemporaine de Monet, qui fut son ami régulier. Mais, Sargent parut tout autant incarner l’achèvement de la peinture victorienne, avec Alma-Tadema, Lord Leighton et les orientalistes, qu’il incarnait la persistance de l’art virtuose dans le courant moderniste des impressionnistes et des avant-gardes.
Il fut le plus grand portraitiste de son temps. Avec des figures de femmes peintes en pied, et taillées dans les plus savantes hautes coutures de la lumière des séductions définitives. Il savait bien poser des masses lumineuses qui transforment les tableaux en des synthèses parfaites et rapides aussi. En conséquence, l’oeuvre garde toute sa fraîcheur a la prima. Et c’est un peu ce que Monet avait tenté, quand il inventa la pochade impressionniste, pour conserver la naissance de la vision qui flashe. Mieux encore, Sargent a peint le tableau emblématique de la beauté à l’ère victorienne,"Carnation, Lily, Lily, Rose" qu’il faut avoir vu pour connaître ou pour tenter de comprendre "the english rose", qui est un canon de beauté équivalent au "chic parisien". Enfin, les oeuvres de Sargent évoquent le luminisme savant de Guiseppe de Nittis, le plus grand impressionniste italien qui a laissé des morceaux d’une bravoure picturale éclairant Paris.
Dans la suite des peintres victoriens, nous savons l’hégémonie des aquarellistes anglais dont Bonington et Turner. Tout pareil, Sargent aimait Venise comme son plus fétichiste sujet. C’est dire que ces peintres ont fait de Venise un sujet ou un motif sinon un genre en soi, comme le paysage ou le portrait et la peinture des chevaux, etc. D’abord, ils ont peint Venise, dont le nom vient de la déesse Vénus, dans des portraits topographiques à l’intact. Et mieux encore, ils ont rêvé Venise en y ajoutant des canaux fantasmatiques et des marbres de l’air d’une peinture qui s’espace en roue libre. Ils y prirent quelques débauches au passage, pour laisser parler sinon laisser peindre leurs pulsions plus érotisantes que seulement picturales. Et ses amis dirent, après la mort de Sargent en 1925, qu’il était un véritable faune vénitien très appliqué à l’admiration charnelle des jeunes éphèbes italiques, qui ajoutaient à la beauté féminisante de la ville inouïe.
John Singer Sargent a réalisé des aquarelles et des huiles dont la lumière donne un tel éclat et si vif à son réalisme, qu’on y est ! Mis en plant devant les architectures oniriques et byzantines de Venise. Et qu’on s’y éveille au plein du XIXe siècle heureux. Quand l’Europe était si vaste qu’elle s’étendait jusqu’aux orients dans toute la Méditerranée. Une vision qui revient doucement, aujourd’hui, et dans la fragrance de cette exposition qui ouvre au XXIe siècle peut-être heureux.
Demian West
Saturday, June 09, 2007
Les Néo-impressionnistes Italiens à New York
A New York, le musée Solomon R. Guggenheim s’espace sur le néo-impressionnisme italien, et dans une exposition intitulée Arcadia & Anarchy. En effet, jusqu’au 6 août 2007 et au gré du fameux musée spirale de Frank Lloyd Wright, on peut voir les oeuvres étrangement luministes de Segantini et Vittore Grubicy De Dragon, aussi de Longoni et da Volpedo, autour des figures de Pissarro et de Seurat, le fondateur de l’école pointilliste.
Outre la nouvelle approche scientifique de l’art de peindre, on notera l’engagement militant des sujets. En effet, les néo-impressionnistes italiens aimaient à peindre des personnes au labeur. Ils représentaient soit des paysans aux champs traversés de lumières papillotantes, soit des ouvriers courbés sur des aciers bleus, un peu à la façon noble du peintre Jean-François Millet. C’est-à-dire qu’ils tentaient de montrer le caractère noble et souvent héroïque des travailleurs, que le classicisme en peinture se devait de cacher pour plaire à la classe bourgeoise. Puisque, selon la terminologie de l’ancien régime, qui était perpétuée par la classe bourgeoise, il était constitutif de la structure sociale qu’on différenciât les arts libéraux des arts mécaniques, et les gens nobles des gens "méchaniques". Plus encore, on légitimait cette société de classe par une étymologie latine de moechus qui voulait dire "débauché". Il est à noter que l’"Encyclopédie de Diderot et d’Alembert employait encore ce méchant terme : "gens méchaniques".
Il s’agissait donc pour le noble art de peindre de réprimer les sujets vulgaires comme la classe ouvrière ou prolétarienne. Car ces sujets étaient dénués du moindre intérêt et même étaient-ils chargés de la subversion à tout l’ordre social. Hormis quand le tableau devait inciter les jeunes âmes à ce qu’elles ne négligent point leurs études. Et pour qu’elles ne tombent pas si bas, qu’elles seraient tantôt vouées au travail manuel et répétitif sinon mécanique. Le visionnaire Millet a peint les premières oeuvres de l’art socialiste dans la plaine de la Brie, dans l’"Ecole de 1830". Et ces figures de paysans robustes se sont échappées en une sorte d’exode rural mais sur le mode artistique aussi. Car le style de "L’Angélus" s’espaçait en un lexique d’attitudes figées de "gueroï" ou de héros de la classe prolétarienne qui construisait au marteau-pilon les architectures en fer de monsieur Eiffel. Et que cet art devint le réalisme socialiste dans les pays de la nébuleuse soviétique sur tout le XXe siècle.
Entre ces deux termes de la révolution industrielle au XIXe siècle, la peinture a tenté une juridiction du réel et de la vision assez scientifique. C’est Seurat qui formula la théorie du divisionnisme ou pointillisme. Et selon les travaux du chimiste et physicien Chevreul qui écrivit "De la loi du contraste simultané des couleurs". Depuis Goethe, le Léonardo allemand, on savait que le spectre des couleurs visibles rayonnait entre trois couleurs primaires, et vers tous les mélanges ainsi que sur la palette. Chevreul sut mettre en évidence qu’il existait une façon plus naturelle de mélanger les couleurs. Quand on juxtaposait les trois couleurs primaires, cyan et magenta, puis le jaune. Puisque devant ces juxtapositions sur la toile, l’oeil sait créer des mélanges optiques qui suggèrent les couleurs complémentaires, et dans des accords qui sont bien plus vibrants et plus vrais que sur la palette. Il s’agissait donc d’un réalisme scientifique qui devait achever les recherches impressionnistes de la représentation de la vie même, plus vibrante. Ainsi, le peintre divisionniste composait-il des peintures en posant des points à l’aide des trois couleurs primaires, pour induire des mélanges optiques plus proches de la réalité.
Georges Seurat mit en oeuvre cette théorie dans des tableaux invraisemblables, et tous voués aux visions de loisirs comme "Le Dimanche à la Grande Jatte" de 1886, et du cirque aussi. Ils firent tous scandale, tellement on trouvait grotesque de peindre comme au laboratoire, et pour inventer un art aux prétentions scientifiques. Déjà, l’"Olympia" de Manet avait-elle choqué le public en 1865. Certes, en raison du sujet qui montrait une prostituée notoire sur le divan réservé à une déesse dans l’art antique ou classique. Et sans doute, dans le public des moqueurs, trouvait-on quelques clients de la Victorine Meurant peinte sur le tableau. Mais, ce qui fit la dernière outrance, ce fut le traitement pictural de l’oeuvre, son toucher en quelque sorte. Car on y voyait tous les coups de pinceaux, ce qui ne se faisait pas dans ce monde lissé des carnations divines. Voilà la vraie raison du fameux scandale de l’"Olympia" : on y voyait trop la peinture et pas assez le sujet. On y sentait la recherche picturale incongrue et moins la thématique conventionnelle. Aussi, les peintres n’étaient-ils pas tant autorisés à penser. Puisqu’on disait couramment, au XIXe siècle : "Bête comme un peintre !".
D’une certaine façon, les artistes étaient toujours considérés comme des "gens méchaniques", et depuis l’art médiéval des moines anonymes. Et ceci, malgré la création du statut libéral des arts visuels, par Léonardo de Vinci pendant la Renaissance. Pire encore, la représentation réaliste, désormais confrontée au réalisme de la photographie dès 1830, fut assimilée à cette mécanisation de l’expression par le photoréalisme de la machine. Par ailleurs, le positivisme d’Auguste Comte pressa l’art à ce qu’il devînt scientifiquement utile à la société. L’art devait trouver sa justification vers une société techno-scientifique, comme tout le reste des productions humaines. Et Seurat inventa un procédé programmatique qu’il étendit même jusqu’à peindre le cadre avec des couleurs complémentaires au tableau. Enfin, il créa un lexique de signes graphiques et picturaux, dont les effets sur le spectateur devaient être mesurés et vérifiés. Par exemple, les sourires vers le haut et les bras levés devaient induire et suggérer la joie, et tout à l’inverse aussi... Il est évident que cet art préfigura les recherches des avant-gardes cubistes et futuristes, puis de l’agit-prop constructiviste en Union soviétique.
L’exposition au musée Guggenheim montre la spécificité des néo-impressionnistes italiens, qui ont su manier le divisionnisme pour mettre en valeur des sujets plus polémiques et sociaux, avant les autres chapelles divisionnistes. Puisqu’à l’inverse, les néo-impressionnistes parisiens furent plus appliqués aux effets plus légers, et à la seule théorie picturale. En Italie, la chose se politisa d’emblée. Plus encore, on y trouve aussi une forte coloration symboliste. Quand les symbolistes du Nord avaient négligé le divisionnisme. Car ils pensaient le pointillisme trop scientifique pour qu’il sache recevoir quelque image de l’esprit ou de l’érotisation symboliste.
Après les recherches d’une vibration particulière dans l’air et sur la toile, les pointillistes ont balancé la couleur brutale en à-plats francs et larges des Fauves, puis, ils ont entamé la déconstruction du réel. En Italie, l’avant-garde futuriste s’est tournée totalement vers l’essor du progrès techno-scientifique. Enfin, les artistes futuristes à Rome, en lien avec dada, fragmentèrent le mouvement et la vitesse pour les mettre en toile, selon les nouvelles techniques du cinéma. Et c’est le mérite de cette rare exposition, qu’elle a su combler un espace qui manquait à la compréhension de l’évolution de la peinture en Italie, qui est la plus longue et magistrale.
Demian West
Outre la nouvelle approche scientifique de l’art de peindre, on notera l’engagement militant des sujets. En effet, les néo-impressionnistes italiens aimaient à peindre des personnes au labeur. Ils représentaient soit des paysans aux champs traversés de lumières papillotantes, soit des ouvriers courbés sur des aciers bleus, un peu à la façon noble du peintre Jean-François Millet. C’est-à-dire qu’ils tentaient de montrer le caractère noble et souvent héroïque des travailleurs, que le classicisme en peinture se devait de cacher pour plaire à la classe bourgeoise. Puisque, selon la terminologie de l’ancien régime, qui était perpétuée par la classe bourgeoise, il était constitutif de la structure sociale qu’on différenciât les arts libéraux des arts mécaniques, et les gens nobles des gens "méchaniques". Plus encore, on légitimait cette société de classe par une étymologie latine de moechus qui voulait dire "débauché". Il est à noter que l’"Encyclopédie de Diderot et d’Alembert employait encore ce méchant terme : "gens méchaniques".
Il s’agissait donc pour le noble art de peindre de réprimer les sujets vulgaires comme la classe ouvrière ou prolétarienne. Car ces sujets étaient dénués du moindre intérêt et même étaient-ils chargés de la subversion à tout l’ordre social. Hormis quand le tableau devait inciter les jeunes âmes à ce qu’elles ne négligent point leurs études. Et pour qu’elles ne tombent pas si bas, qu’elles seraient tantôt vouées au travail manuel et répétitif sinon mécanique. Le visionnaire Millet a peint les premières oeuvres de l’art socialiste dans la plaine de la Brie, dans l’"Ecole de 1830". Et ces figures de paysans robustes se sont échappées en une sorte d’exode rural mais sur le mode artistique aussi. Car le style de "L’Angélus" s’espaçait en un lexique d’attitudes figées de "gueroï" ou de héros de la classe prolétarienne qui construisait au marteau-pilon les architectures en fer de monsieur Eiffel. Et que cet art devint le réalisme socialiste dans les pays de la nébuleuse soviétique sur tout le XXe siècle.
Entre ces deux termes de la révolution industrielle au XIXe siècle, la peinture a tenté une juridiction du réel et de la vision assez scientifique. C’est Seurat qui formula la théorie du divisionnisme ou pointillisme. Et selon les travaux du chimiste et physicien Chevreul qui écrivit "De la loi du contraste simultané des couleurs". Depuis Goethe, le Léonardo allemand, on savait que le spectre des couleurs visibles rayonnait entre trois couleurs primaires, et vers tous les mélanges ainsi que sur la palette. Chevreul sut mettre en évidence qu’il existait une façon plus naturelle de mélanger les couleurs. Quand on juxtaposait les trois couleurs primaires, cyan et magenta, puis le jaune. Puisque devant ces juxtapositions sur la toile, l’oeil sait créer des mélanges optiques qui suggèrent les couleurs complémentaires, et dans des accords qui sont bien plus vibrants et plus vrais que sur la palette. Il s’agissait donc d’un réalisme scientifique qui devait achever les recherches impressionnistes de la représentation de la vie même, plus vibrante. Ainsi, le peintre divisionniste composait-il des peintures en posant des points à l’aide des trois couleurs primaires, pour induire des mélanges optiques plus proches de la réalité.
Georges Seurat mit en oeuvre cette théorie dans des tableaux invraisemblables, et tous voués aux visions de loisirs comme "Le Dimanche à la Grande Jatte" de 1886, et du cirque aussi. Ils firent tous scandale, tellement on trouvait grotesque de peindre comme au laboratoire, et pour inventer un art aux prétentions scientifiques. Déjà, l’"Olympia" de Manet avait-elle choqué le public en 1865. Certes, en raison du sujet qui montrait une prostituée notoire sur le divan réservé à une déesse dans l’art antique ou classique. Et sans doute, dans le public des moqueurs, trouvait-on quelques clients de la Victorine Meurant peinte sur le tableau. Mais, ce qui fit la dernière outrance, ce fut le traitement pictural de l’oeuvre, son toucher en quelque sorte. Car on y voyait tous les coups de pinceaux, ce qui ne se faisait pas dans ce monde lissé des carnations divines. Voilà la vraie raison du fameux scandale de l’"Olympia" : on y voyait trop la peinture et pas assez le sujet. On y sentait la recherche picturale incongrue et moins la thématique conventionnelle. Aussi, les peintres n’étaient-ils pas tant autorisés à penser. Puisqu’on disait couramment, au XIXe siècle : "Bête comme un peintre !".
D’une certaine façon, les artistes étaient toujours considérés comme des "gens méchaniques", et depuis l’art médiéval des moines anonymes. Et ceci, malgré la création du statut libéral des arts visuels, par Léonardo de Vinci pendant la Renaissance. Pire encore, la représentation réaliste, désormais confrontée au réalisme de la photographie dès 1830, fut assimilée à cette mécanisation de l’expression par le photoréalisme de la machine. Par ailleurs, le positivisme d’Auguste Comte pressa l’art à ce qu’il devînt scientifiquement utile à la société. L’art devait trouver sa justification vers une société techno-scientifique, comme tout le reste des productions humaines. Et Seurat inventa un procédé programmatique qu’il étendit même jusqu’à peindre le cadre avec des couleurs complémentaires au tableau. Enfin, il créa un lexique de signes graphiques et picturaux, dont les effets sur le spectateur devaient être mesurés et vérifiés. Par exemple, les sourires vers le haut et les bras levés devaient induire et suggérer la joie, et tout à l’inverse aussi... Il est évident que cet art préfigura les recherches des avant-gardes cubistes et futuristes, puis de l’agit-prop constructiviste en Union soviétique.
L’exposition au musée Guggenheim montre la spécificité des néo-impressionnistes italiens, qui ont su manier le divisionnisme pour mettre en valeur des sujets plus polémiques et sociaux, avant les autres chapelles divisionnistes. Puisqu’à l’inverse, les néo-impressionnistes parisiens furent plus appliqués aux effets plus légers, et à la seule théorie picturale. En Italie, la chose se politisa d’emblée. Plus encore, on y trouve aussi une forte coloration symboliste. Quand les symbolistes du Nord avaient négligé le divisionnisme. Car ils pensaient le pointillisme trop scientifique pour qu’il sache recevoir quelque image de l’esprit ou de l’érotisation symboliste.
Après les recherches d’une vibration particulière dans l’air et sur la toile, les pointillistes ont balancé la couleur brutale en à-plats francs et larges des Fauves, puis, ils ont entamé la déconstruction du réel. En Italie, l’avant-garde futuriste s’est tournée totalement vers l’essor du progrès techno-scientifique. Enfin, les artistes futuristes à Rome, en lien avec dada, fragmentèrent le mouvement et la vitesse pour les mettre en toile, selon les nouvelles techniques du cinéma. Et c’est le mérite de cette rare exposition, qu’elle a su combler un espace qui manquait à la compréhension de l’évolution de la peinture en Italie, qui est la plus longue et magistrale.
Demian West
Friday, June 08, 2007
Les Thraces à Saint-Germain-en-Laye
Au Château de Saint-Germain-en-Laye, le musée d’Archéologie nationale étale d’étranges trésors de l’art et des techniques de l’antiquité bulgare. On assiste alors à un heureux dévoilement de la mystérieuse culture thrace. Aux origines de l’histoire, ces peuplades s’étendaient au nord de la civilisation grecque, depuis les territoires actuels de la Pologne jusqu’à l’Autriche et les Balkans, pour rejoindre l’Ukraine par la côte de la mer Noire ou l’antique Pont-Euxin. En effet, jusqu’au 2 juillet, nous pouvons approcher et mieux connaître les trésors de la balnéaire Varna, qui a prêté les objets les plus rares de son musée à la France. Pour une exposition itinérante qui se déplacera en Normandie après Saint-Germain-en-Laye.
On connaît encore peu de l’énigme thrace. Car, ces peuples indo-européens étaient très divisés et sans chef souverain fédérateur. Et c’est la raison de leur effacement le long des siècles, derrière la suprématie grecque puis romaine. Dans l’"Iliade" de Homère on parle de ces peuples de chefs anonymes. On connaît déjà leur art de la première métallurgie et de l’orfèvrerie, qui savaient transformer l’or. Et pour des cultes qu’ils rendaient aux divinités aussi bien qu’à la "venustas" de la nature. Il faut se souvenir que "mundus", dans l’antiquité et romaine, signifiait le "monde" aussi bien que l’ornement de la femme, le "bijou".
Les Thraces ont été les tous premiers forgerons. Et ces praticiens étaient considérés comme des magiciens ou des shamans, qui connaissaient des secrets fondamentaux pour la survie du clan. C’est pourquoi ils se réunissaient en société initiatiques, qui se transmettaient jalousement les secrets de l’art du fer et de l’or, ainsi que les savoir-faire immémoriaux qui y étaient joints. C’est ainsi, que les "MännerBund", ou sociétés d’hommes, se sont constituées selon les cercles artistiques et techniques. Et cette tradition s’est maintenue sans interruption jusqu’à l’ère moderne, quand la Révolution française a su enfin libérer les secrets des corporations médiévales, par la constitution de l’"Encyclopédie" de Diderot et d’Alembert. Désormais, il n’y a plus de secret, du moins sont-ils rendus plus accessibles aux profanes.
Les Thraces ont été au coeur du projet européen. Puisqu’ils en ont fondé le plus grand mythe techno-artistique. Le citharède Orphée est un personnage légendaire et fondateur d’une croyance mystique ou de mystères fondamentaux de la culture grecque. Les mystères orphiques progressent en une sorte d’initiation souterraine où descendent les âmes des morts. Et ceci, afin qu’ils puissent renaître par une sorte de transformation poïétique, soit du "faire". Orphée était probablement un shaman ou un groupe de shamans venus de l’Orient. En effet, dans le culte orphique, on trouve de fortes réminiscences de la croyance orientale en la métempsycose, ou du voyage de l’âme dans une succession de corps. D’ailleurs, Pythagore se réclamait de l’orphisme, quand il prétendait avoir vécu plusieurs existences. Plus encore, des mythes platoniciens ont été directement inspirés par des éléments de cette philosophie orphique et donc des Thraces.
Les auteurs antiques rapportent qu’Orphée aurait visité les temples de l’Egypte ou les "Maisons de vie". Selon le mythe, l’aède ou le poète aurait subi une initiation comme une descente au-travers des enfers, pour en libérer Eurydice et pour la ramener au jour. Ce voyage dans les cavernes d’Hadès ou de Pluton évoque certainement les arts des forgerons qui devaient extraire le minerai précieux pour qu’il soit fondu en or. Ainsi que le firent tous les alchimistes qui prétendaient extraire de l’or depuis le plomb, jusqu’au décryptage psychanalytique par Jung. C’est donc un rêve très antique qui voile à la façon de Pythagore, en tant qu’il voulait dévoiler, des techniques assez culturelles. Comment constituer une civilisation à l’aide de techniques simples ? Mais qui tourneraient au danger, quand elles seraient laissées à l’abandon soit au vil. Car au fond, il s’agit aussi d’une sorte de politique ou d’une gouvernance selon la sagesse des peuples...
Le mythe orphique est précurseur de la culture chrétienne, et ceci dans la Grèce même. Car tout comme le Christ, Orphée doit mourir et descendre dans les enfers pour en renaître d’une façon résurrective. Ce mythe devint un des cultes fondateurs de la Grande Grèce. Puisqu’on éleva un temple majeur dévoué à l’orphisme. Il s’agit du temple d’Eleusis, dans lequel les mystères de l’agriculture étaient dévoilés aux Epoptes. Et l’initiation culminait avec ce qu’on nomme : "la monstration de l’épi de blé". Tout pareille au dévoilement même de la déesse Demeter. Dans cette initiation, il apparaît explicitement quelque lien de nature et de culture entre la métallurgie et l’agriculture, comme si ces découvertes étaient elles-mêmes liées en une origine commune ou germinale extraite de la terre.
La postérité des Thraces n’a jamais connu de limite. Depuis l’opéra de Monteverdi jusqu’aux poésies et aux films de Cocteau ou de Camus, vers les peintures de l’orphisme de Delaunay loué par Apollinaire, tout l’art occidental s’est cristallisé autour de la tête d’Orphée. Le citharède mourut par la revanche des femmes aimantées si dépitées qu’elles se tournèrent contre lui pour le décapiter. Et paradoxalement, son mythe ne s’est jamais si bien espacé que dans le christianisme. Quand la culture chrétienne, éprise d’Antiquité grecque et romaine, s’exprimait en des accents plus païens mais autorisés. Ce qui était une constante dans toutes les renaissances du classicisme mondial.
Les Thraces étaient des peuples guidés par des shamans, un peu parents ou semblables aux Amérindiens. Et ces shamans ont fondé la première religion grecque. En conséquence, ils ont amené toute la culture occidentale dans ses établissements les plus singuliers, jusqu’à la confrontation avec la culture ottomane, dès la fin du Moyen Âge. Et c’est dans ce creuset où les cultures byzantine et slave se sont jointes, et où la Bulgarie et l’identité ottomane s’affrontèrent, que l’apport des Thraces se laisse encore étudier, aujourd’hui. Avec la curiosité qu’on réserve aux travaux des meilleurs orfèvres qu’on aime goûter.
On achèvera ce bref survol, en rappelant que les Cathares de Montségur (ou l’hérésie du sud-ouest français) étaient surnommés des "bougres". Car leur idéologie hostile à Rome et qui allait susciter la rébellion protestante, venait à droit fil des Bulgares et de l’orphisme. C’est-à-dire du plus grand art de la forge des civilisations par les Thraces mystérieux.
Demian West
On connaît encore peu de l’énigme thrace. Car, ces peuples indo-européens étaient très divisés et sans chef souverain fédérateur. Et c’est la raison de leur effacement le long des siècles, derrière la suprématie grecque puis romaine. Dans l’"Iliade" de Homère on parle de ces peuples de chefs anonymes. On connaît déjà leur art de la première métallurgie et de l’orfèvrerie, qui savaient transformer l’or. Et pour des cultes qu’ils rendaient aux divinités aussi bien qu’à la "venustas" de la nature. Il faut se souvenir que "mundus", dans l’antiquité et romaine, signifiait le "monde" aussi bien que l’ornement de la femme, le "bijou".
Les Thraces ont été les tous premiers forgerons. Et ces praticiens étaient considérés comme des magiciens ou des shamans, qui connaissaient des secrets fondamentaux pour la survie du clan. C’est pourquoi ils se réunissaient en société initiatiques, qui se transmettaient jalousement les secrets de l’art du fer et de l’or, ainsi que les savoir-faire immémoriaux qui y étaient joints. C’est ainsi, que les "MännerBund", ou sociétés d’hommes, se sont constituées selon les cercles artistiques et techniques. Et cette tradition s’est maintenue sans interruption jusqu’à l’ère moderne, quand la Révolution française a su enfin libérer les secrets des corporations médiévales, par la constitution de l’"Encyclopédie" de Diderot et d’Alembert. Désormais, il n’y a plus de secret, du moins sont-ils rendus plus accessibles aux profanes.
Les Thraces ont été au coeur du projet européen. Puisqu’ils en ont fondé le plus grand mythe techno-artistique. Le citharède Orphée est un personnage légendaire et fondateur d’une croyance mystique ou de mystères fondamentaux de la culture grecque. Les mystères orphiques progressent en une sorte d’initiation souterraine où descendent les âmes des morts. Et ceci, afin qu’ils puissent renaître par une sorte de transformation poïétique, soit du "faire". Orphée était probablement un shaman ou un groupe de shamans venus de l’Orient. En effet, dans le culte orphique, on trouve de fortes réminiscences de la croyance orientale en la métempsycose, ou du voyage de l’âme dans une succession de corps. D’ailleurs, Pythagore se réclamait de l’orphisme, quand il prétendait avoir vécu plusieurs existences. Plus encore, des mythes platoniciens ont été directement inspirés par des éléments de cette philosophie orphique et donc des Thraces.
Les auteurs antiques rapportent qu’Orphée aurait visité les temples de l’Egypte ou les "Maisons de vie". Selon le mythe, l’aède ou le poète aurait subi une initiation comme une descente au-travers des enfers, pour en libérer Eurydice et pour la ramener au jour. Ce voyage dans les cavernes d’Hadès ou de Pluton évoque certainement les arts des forgerons qui devaient extraire le minerai précieux pour qu’il soit fondu en or. Ainsi que le firent tous les alchimistes qui prétendaient extraire de l’or depuis le plomb, jusqu’au décryptage psychanalytique par Jung. C’est donc un rêve très antique qui voile à la façon de Pythagore, en tant qu’il voulait dévoiler, des techniques assez culturelles. Comment constituer une civilisation à l’aide de techniques simples ? Mais qui tourneraient au danger, quand elles seraient laissées à l’abandon soit au vil. Car au fond, il s’agit aussi d’une sorte de politique ou d’une gouvernance selon la sagesse des peuples...
Le mythe orphique est précurseur de la culture chrétienne, et ceci dans la Grèce même. Car tout comme le Christ, Orphée doit mourir et descendre dans les enfers pour en renaître d’une façon résurrective. Ce mythe devint un des cultes fondateurs de la Grande Grèce. Puisqu’on éleva un temple majeur dévoué à l’orphisme. Il s’agit du temple d’Eleusis, dans lequel les mystères de l’agriculture étaient dévoilés aux Epoptes. Et l’initiation culminait avec ce qu’on nomme : "la monstration de l’épi de blé". Tout pareille au dévoilement même de la déesse Demeter. Dans cette initiation, il apparaît explicitement quelque lien de nature et de culture entre la métallurgie et l’agriculture, comme si ces découvertes étaient elles-mêmes liées en une origine commune ou germinale extraite de la terre.
La postérité des Thraces n’a jamais connu de limite. Depuis l’opéra de Monteverdi jusqu’aux poésies et aux films de Cocteau ou de Camus, vers les peintures de l’orphisme de Delaunay loué par Apollinaire, tout l’art occidental s’est cristallisé autour de la tête d’Orphée. Le citharède mourut par la revanche des femmes aimantées si dépitées qu’elles se tournèrent contre lui pour le décapiter. Et paradoxalement, son mythe ne s’est jamais si bien espacé que dans le christianisme. Quand la culture chrétienne, éprise d’Antiquité grecque et romaine, s’exprimait en des accents plus païens mais autorisés. Ce qui était une constante dans toutes les renaissances du classicisme mondial.
Les Thraces étaient des peuples guidés par des shamans, un peu parents ou semblables aux Amérindiens. Et ces shamans ont fondé la première religion grecque. En conséquence, ils ont amené toute la culture occidentale dans ses établissements les plus singuliers, jusqu’à la confrontation avec la culture ottomane, dès la fin du Moyen Âge. Et c’est dans ce creuset où les cultures byzantine et slave se sont jointes, et où la Bulgarie et l’identité ottomane s’affrontèrent, que l’apport des Thraces se laisse encore étudier, aujourd’hui. Avec la curiosité qu’on réserve aux travaux des meilleurs orfèvres qu’on aime goûter.
On achèvera ce bref survol, en rappelant que les Cathares de Montségur (ou l’hérésie du sud-ouest français) étaient surnommés des "bougres". Car leur idéologie hostile à Rome et qui allait susciter la rébellion protestante, venait à droit fil des Bulgares et de l’orphisme. C’est-à-dire du plus grand art de la forge des civilisations par les Thraces mystérieux.
Demian West
Thursday, June 07, 2007
Rétrospective Munch à Bâle
A Bâle-Riehen en Suisse, la fondation Beyeler reçoit tant de visiteurs à son exposition rétrospective d’Edvard Munch, qu’on parle déjà de la plus importante exposition Munch hors de Norvège. En effet, jusqu’au 15 juillet, on peut enfin découvrir toute la frise de vie du créateur de l’expressionnisme.
Edvard Munch est un peu la figure symétrique de Vincent Van Gogh en Europe. Car il a inventé l’expression picturale de l’âme, mais sans atteindre à l’hagiographie mythique du fulgurant Van Gogh. Après l’impressionnisme qui avait enfoncé les modes de représentation classiques, les artistes avaient compris l’inutilité de la peinture réaliste. Car la photographie avait laissé les peintres sans plus de ressource, pour rivaliser avec les effets de capture parfaite du détail par la mécanique réaliste de la photo. En revanche, Munch dira que la photographie était inutile aux peintres, puisque nul ne saurait emporter un appareil photo en enfer ou au paradis.
C’est bien le projet expressionniste qui est au coeur de cette provocation. En effet, entre la France et l’Allemagne et avant le tournant du XXe siècle, Munch essaimera et visitera tous les groupes d’artistes et d’idées neuves qui exigeaient qu’on exprimât enfin l’âme et l’individu. Plutôt qu’on tombât dans une Europe en son gouffre techno-scientifique et autoritaire. Il les connut tous, de Nolde à Macke, du "Blaue Reiter" du joyeux Kandinsky coloré à la "Brücke". Vers toutes les expressions des nouvelles structures sociales qui travaillaient l’Europe d’un bout à l’autre, par le biais des révolutions artistiques des avant-gardes. Car, avant les deux guerres mondiales, le sentiment du suicide de la civilisation agitait le chaudron du sanctuaire des arts.
D’abord, Munch passa du réalisme impressionniste au symbolisme post-impressionniste de Gauguin. Avec ses formes curvilignes et assez gaies qui exprimaient la féminité fondatrice et la nature. Et dedans elle, la sexualité mystérieuse qui devint tantôt une morbidité irruptive. Car l’image de sa soeur morte de tuberculose et les souvenirs d’autres membres disparus de sa famille ne cessaient de hanter ses peintures, comme un rappel des vrais raisons exorcistes de peindre. Tout comme Van Gogh s’échappait en ses ciels de feux artificiers tournevirants, l’expressionnisme savait toujours gâcher la fête dans la toile. Et par des pré-visions des malheurs à venir annonçant les guerres du premier XXe siècle.
Toutefois, Munch et les expressionnistes ont tourné l’art au rebours vers ses fondamentaux. Par exemple, ils ont pratiqué le graphisme brutal et médiéval de la gravure sur bois. Aussi, ils ont refondé la peinture en des couleurs simples et violentes qui balançaient le tout-cash des émotions et des sentiments. On y voit des sujets qui hurlent, des silences qu’on voit, puisqu’ils sont peints. Tant et si bien qu’on ne saurait plus les ignorer. "Le Cri" est l’oeuvre majeure de Munch dont il a peint plusieurs versions. Puisqu’il avait pris coutume de faire des séries, selon la leçon de Cézanne qui avait introduit cette pratique dans l’art post-impressionniste. Mieux encore, l’art du Norvégien Munch est un art littéraire, à la Kafka ajouté de Brecht. Mieux encore, qui n’a pas vu dans son "Cri", des réminiscences du "retable d’Issenheim" de Grünewald à Colmar ? C’est-à-dire l’image emblématique du Christ déformé à outrance par les tortures et bourelleries de la crucifixion, ou l’expression même de la douleur universelle. Plus encore, on sent les danses macabres médiévales qui témoignent que jadis on savait vivre avec la mort pour mieux la conjurer certainement.
Le programme symboliste de Gauguin voulait retrouver les origines de l’art en Occident. Il renoua donc avec tous les primitivismes des Afriques, de l’Océanie, mais aussi en Bretagne et partout ailleurs dans les régions européennes. Quant à Van Gogh, il explora l’âme et ses propres moyens de perception par les sens plus subtils. Ainsi était-il parvenu, par l’accoutumance de la pratique de peindre, à voir des couleurs impossibles. Des pourpres constellés d’or, que l’homme du commun de l’ordinaire ne saurait voir. Le peintre, désormais visionnaire, en devint un peu asocial, sinon immergé dans un autre monde inconnu. Quant à Munch, il prit le biais naturel de cette mélancolie qui est la grande tradition du nord, anglo-saxonne et germanique. Depuis l’Allemagne médiévale jusqu’à la Norvège, les gravures de Dürer et sa "Melancholia" menaient droit aux déformations picturales de l’expressionnisme, qui ont toujours annoncé qu’il y avait quelque chose de pourri dans le royaume tel qu’il va. On y voit un ange mélancolique qui attend la venue d’un sauveur improbable qui ne viendra jamais. Plus avant en Suisse au XVIIIe siècle, le romantisme noir d’un Füssli entretint cette angoisse carrément morbide et sur le mode présurréaliste. Toujours dans une problématique d’un théâtre de l’absurde, finalement achevée par Beckett quand il balança "En attendant Godot".
C’est dire combien les communautés d’artistes expressionnistes ont su influencer tout l’art du début du XXe siècle. Avec les premières communautés du Monte Verita, au bord du lac Majeur, qui ont annoncé le mouvement hippie des années 1960. Les expressionnistes, en lien avec dada et avec les avant-gardes russes, vivaient dans la pratique du naturisme et du végétarisme. Aussi, ils militaient pour le refus des pratiques violentes. Quand l’Europe entière versait dans la guerre. Ces artistes pacifistes, danseurs et peintres, sculpteurs et théoriciens revenaient à des pratiques médiévales et primitives de la gravure sur bois, plus brutaliste car sans raffinement cultivé. Et partout depuis Berlin à Dresde puis de Zürich à Paris, les artistes voulaient retrouver le barbare en nous, selon le mot d’ordre de Gauguin. Tous pensaient que le retour à la nature et à l’âme individuelle saurait empêcher le suicide de la civilisation, d’ores et déjà déshumanisée par la fabrique de la machine à broyer. Enfin, Munch voyait en l’individu une sorte d’âme en souffrance. Ainsi que son "cri" en serait la porte des enfers intérieurs manifestée sur la toile. Telle une bouche qui passerait dans l’autre monde rimbaldien assez. C’est-à-dire que la vision de Munch était déjà un "no future" des années 1970.
L’expressionnisme de Munch signifie donc une sorte de méditation sur l’âme, en tant qu’elle nous échappe. Assez comparable à la médiation sur les ruines dans le courant néoclassique qui a mené à la dépression des cultures européennes. Aussi, cette méditation évoque la "Phénoménologie de l’esprit" de Hegel et sa dialectique de la vision de l’instant fugitif, que Monet voulut saisir. En ce sens, c’est une pensée virgilienne sur le temps qui fuit. Et, cette peinture cache bien une forme de joie inavouée, sous le couvert d’une angoisse irréductible de la conscience malheureuse qui dépeint sa douleur. Car c’est une peinture dure, mais plus vraie que toutes les madones auparavant.
Finalement, Munch a initié une période d’un art qui ne saurait plus être une seule monstration de la beauté. Mais, cet art est une surexposition de la réalité la plus absurde et morbide du monde interprétée par l’individu. C’est pourquoi, une oeuvre comme "Guernica" de Picasso est une des plus grandes oeuvres de l’art soit de la politique. Et même, quand elle ne serait pas si belle ou conforme au canon de la beauté classique. Car désormais, la peinture dit toute l’horreur. Comme la langue du cheval Guernica troue la toile criante de vérité. Cette peinture de l’horreur se sait agir sur la psyché du regardeur, qu’elle dérange définitivement et volontairement - surtout après Auschwitz. Finalement, le symbolisme de Gauguin avait fondé tout l’art imaginal et idéel du XXe siècle, et Munch en a extrait l’expressionnisme de la boîte obscure du soi.
Demian West
http://www.youtube.com/v/Dr86AGJhskI
Edvard Munch est un peu la figure symétrique de Vincent Van Gogh en Europe. Car il a inventé l’expression picturale de l’âme, mais sans atteindre à l’hagiographie mythique du fulgurant Van Gogh. Après l’impressionnisme qui avait enfoncé les modes de représentation classiques, les artistes avaient compris l’inutilité de la peinture réaliste. Car la photographie avait laissé les peintres sans plus de ressource, pour rivaliser avec les effets de capture parfaite du détail par la mécanique réaliste de la photo. En revanche, Munch dira que la photographie était inutile aux peintres, puisque nul ne saurait emporter un appareil photo en enfer ou au paradis.
C’est bien le projet expressionniste qui est au coeur de cette provocation. En effet, entre la France et l’Allemagne et avant le tournant du XXe siècle, Munch essaimera et visitera tous les groupes d’artistes et d’idées neuves qui exigeaient qu’on exprimât enfin l’âme et l’individu. Plutôt qu’on tombât dans une Europe en son gouffre techno-scientifique et autoritaire. Il les connut tous, de Nolde à Macke, du "Blaue Reiter" du joyeux Kandinsky coloré à la "Brücke". Vers toutes les expressions des nouvelles structures sociales qui travaillaient l’Europe d’un bout à l’autre, par le biais des révolutions artistiques des avant-gardes. Car, avant les deux guerres mondiales, le sentiment du suicide de la civilisation agitait le chaudron du sanctuaire des arts.
D’abord, Munch passa du réalisme impressionniste au symbolisme post-impressionniste de Gauguin. Avec ses formes curvilignes et assez gaies qui exprimaient la féminité fondatrice et la nature. Et dedans elle, la sexualité mystérieuse qui devint tantôt une morbidité irruptive. Car l’image de sa soeur morte de tuberculose et les souvenirs d’autres membres disparus de sa famille ne cessaient de hanter ses peintures, comme un rappel des vrais raisons exorcistes de peindre. Tout comme Van Gogh s’échappait en ses ciels de feux artificiers tournevirants, l’expressionnisme savait toujours gâcher la fête dans la toile. Et par des pré-visions des malheurs à venir annonçant les guerres du premier XXe siècle.
Toutefois, Munch et les expressionnistes ont tourné l’art au rebours vers ses fondamentaux. Par exemple, ils ont pratiqué le graphisme brutal et médiéval de la gravure sur bois. Aussi, ils ont refondé la peinture en des couleurs simples et violentes qui balançaient le tout-cash des émotions et des sentiments. On y voit des sujets qui hurlent, des silences qu’on voit, puisqu’ils sont peints. Tant et si bien qu’on ne saurait plus les ignorer. "Le Cri" est l’oeuvre majeure de Munch dont il a peint plusieurs versions. Puisqu’il avait pris coutume de faire des séries, selon la leçon de Cézanne qui avait introduit cette pratique dans l’art post-impressionniste. Mieux encore, l’art du Norvégien Munch est un art littéraire, à la Kafka ajouté de Brecht. Mieux encore, qui n’a pas vu dans son "Cri", des réminiscences du "retable d’Issenheim" de Grünewald à Colmar ? C’est-à-dire l’image emblématique du Christ déformé à outrance par les tortures et bourelleries de la crucifixion, ou l’expression même de la douleur universelle. Plus encore, on sent les danses macabres médiévales qui témoignent que jadis on savait vivre avec la mort pour mieux la conjurer certainement.
Le programme symboliste de Gauguin voulait retrouver les origines de l’art en Occident. Il renoua donc avec tous les primitivismes des Afriques, de l’Océanie, mais aussi en Bretagne et partout ailleurs dans les régions européennes. Quant à Van Gogh, il explora l’âme et ses propres moyens de perception par les sens plus subtils. Ainsi était-il parvenu, par l’accoutumance de la pratique de peindre, à voir des couleurs impossibles. Des pourpres constellés d’or, que l’homme du commun de l’ordinaire ne saurait voir. Le peintre, désormais visionnaire, en devint un peu asocial, sinon immergé dans un autre monde inconnu. Quant à Munch, il prit le biais naturel de cette mélancolie qui est la grande tradition du nord, anglo-saxonne et germanique. Depuis l’Allemagne médiévale jusqu’à la Norvège, les gravures de Dürer et sa "Melancholia" menaient droit aux déformations picturales de l’expressionnisme, qui ont toujours annoncé qu’il y avait quelque chose de pourri dans le royaume tel qu’il va. On y voit un ange mélancolique qui attend la venue d’un sauveur improbable qui ne viendra jamais. Plus avant en Suisse au XVIIIe siècle, le romantisme noir d’un Füssli entretint cette angoisse carrément morbide et sur le mode présurréaliste. Toujours dans une problématique d’un théâtre de l’absurde, finalement achevée par Beckett quand il balança "En attendant Godot".
C’est dire combien les communautés d’artistes expressionnistes ont su influencer tout l’art du début du XXe siècle. Avec les premières communautés du Monte Verita, au bord du lac Majeur, qui ont annoncé le mouvement hippie des années 1960. Les expressionnistes, en lien avec dada et avec les avant-gardes russes, vivaient dans la pratique du naturisme et du végétarisme. Aussi, ils militaient pour le refus des pratiques violentes. Quand l’Europe entière versait dans la guerre. Ces artistes pacifistes, danseurs et peintres, sculpteurs et théoriciens revenaient à des pratiques médiévales et primitives de la gravure sur bois, plus brutaliste car sans raffinement cultivé. Et partout depuis Berlin à Dresde puis de Zürich à Paris, les artistes voulaient retrouver le barbare en nous, selon le mot d’ordre de Gauguin. Tous pensaient que le retour à la nature et à l’âme individuelle saurait empêcher le suicide de la civilisation, d’ores et déjà déshumanisée par la fabrique de la machine à broyer. Enfin, Munch voyait en l’individu une sorte d’âme en souffrance. Ainsi que son "cri" en serait la porte des enfers intérieurs manifestée sur la toile. Telle une bouche qui passerait dans l’autre monde rimbaldien assez. C’est-à-dire que la vision de Munch était déjà un "no future" des années 1970.
L’expressionnisme de Munch signifie donc une sorte de méditation sur l’âme, en tant qu’elle nous échappe. Assez comparable à la médiation sur les ruines dans le courant néoclassique qui a mené à la dépression des cultures européennes. Aussi, cette méditation évoque la "Phénoménologie de l’esprit" de Hegel et sa dialectique de la vision de l’instant fugitif, que Monet voulut saisir. En ce sens, c’est une pensée virgilienne sur le temps qui fuit. Et, cette peinture cache bien une forme de joie inavouée, sous le couvert d’une angoisse irréductible de la conscience malheureuse qui dépeint sa douleur. Car c’est une peinture dure, mais plus vraie que toutes les madones auparavant.
Finalement, Munch a initié une période d’un art qui ne saurait plus être une seule monstration de la beauté. Mais, cet art est une surexposition de la réalité la plus absurde et morbide du monde interprétée par l’individu. C’est pourquoi, une oeuvre comme "Guernica" de Picasso est une des plus grandes oeuvres de l’art soit de la politique. Et même, quand elle ne serait pas si belle ou conforme au canon de la beauté classique. Car désormais, la peinture dit toute l’horreur. Comme la langue du cheval Guernica troue la toile criante de vérité. Cette peinture de l’horreur se sait agir sur la psyché du regardeur, qu’elle dérange définitivement et volontairement - surtout après Auschwitz. Finalement, le symbolisme de Gauguin avait fondé tout l’art imaginal et idéel du XXe siècle, et Munch en a extrait l’expressionnisme de la boîte obscure du soi.
Demian West
http://www.youtube.com/v/Dr86AGJhskI
Wednesday, June 06, 2007
Le Classicisme de Philippe de Champaigne à Lille
A Lille jusqu’au 15 août 2007, on donne sa vraie place au créateur du classicisme sérieux en France. Au musée des Beaux Arts, la première rétrospective de Philippe de Champaigne nous dépeint un artiste d’origine bruxelloise et qui n’aimait pas le baroque. Bien qu’il maîtrisât toute la technique réaliste des maîtres du Nord, il s’éleva jusqu’à créer en France le style même de l’identité française : le classicisme mêlé d’atticisme doux. Certes, il était ami de Poussin. Et avant cela, il avait même refusé l’offre d’intégrer l’atelier du plus grand, Rubens. Mais, le jeune peintre avait un tempérament humble et austère.
La France était au plein de la mutation protestante. Et tout l’Etat dut trafiquer, durant le XVIIe siècle baroque et classique, pour reprendre à la réforme l’hégémonie qui revenait au catholicisme mais gallican. C’est-à-dire que la pourpre était tenue par le roi Louis XIII, plutôt que par la vaticane. D’abord, Philippe de Champaigne travailla pour Marie de Médicis. Puis, il grimpa toutes les marches du palais. Il y fit des portraits de toute la noblesse selon son talent très réaliste. Et d’une meilleure matière picturale bien riche et grasse comme on aimait à la goûter. Il reste que la complexion naturelle de son caractère l’incitait à rendre l’essence de la personne, plutôt que ses tours changeants et incertains. Ce qui fit la subtile et sereine nécessité intérieure de l’ordre classique.
Plus tard, il entra au contact du Grand Richelieu, qui travailla d’abord pour Marie de Médicis et qui réconcillia la mère avec son fils Louis XIII, ce qui lui valut la cardinalice. Philippe de Champaigne fit des portraits nombreux de ce cardinal rouge et debout, comme le tout premier Premier ministre de l’histoire du monde et de la France. Et, posté dans une attitude haute et droite qui était étrangère ou à tout le moins nouvelle chez les gens d’Eglise. Ce Richelieu brisa la puissance protestante en France en prenant la Rochelle, après une terrible résistance. Puis, il unifia le pays sous la direction (plus affirmée qu’on le pense parfois) du jeune Louis XIII, sur le mode de la discrétion. Enfin, c’est Richelieu qui inventa l’Etat moderne sur le mode absolutiste, avant que la Révolution française ne le confiât définitivement au peuple.
En revanche, la pensée calviniste était quand même entrée par la porte plus étroite des jansénistes et donc de l’abbaye de Port-Royal. Là, on enseignait les nécessités de la foi et de la prédétermination, que l’on postait bien au-dessus du libre arbitre et de la casuistique par les jésuites. Ces deux ordres n’ont jamais cessé de s’affronter dans les débats curialistes autour le palais du Louvre. Jusqu’à la victoire des jésuites qui firent raser l’abbaye à la fin. Et qu’ils se disqualifièrent par là-même. Car tous y virent une manoeuvre politique si fratricide qu’elle laissa de lourdes blessures dans les mémoires chrétiennes.
Il reste qu’avec le philosophe Pascal, beaucoup des plus grands hommes de ce temps étaient fidèles à l’esprit de Port-Royal. Dont Philippe de Champaigne qui peignit le manifeste du classicisme en France dans son "Ex-voto", qu’on peut admirer au Louvre toute l’année de nos jours. Il s’agit d’un double portrait de deux religieuses de l’Abbaye de Port-Royal. D’une part, la fille de l’artiste fut miraculeusement soignée d’une paralysie. Et elle pose, pour le tableau plein de ce contentement, avec la mère supérieure Catherine-Agnès Arnauls. Les deux femmes ont été dépeintes dans une attitude qui devait témoigner de ce miracle, selon les conceptions de l’époque. Les portraits sont sereins et leurs sourires expriment naturellement la grande et simple extase du contentement. Car la grandeur classique réside dans la simplicité. Et ces deux vertus, grandeur et simplicité, furent le programme de cet art, qui s’opposa à la profusion du décor baroque, jugé trop étourdissant pour édifier l’esprit. Philippe de Champaigne voulut induire et donc amener à la méditation sur les visages. C’est pourquoi il est le centre serein de ce classicisme. Cet art de l’équilibre s’espace entre le baroque extravagant du premier XVIIe siècle et le néoclassicisme du XVIIIe siècle qui fut une longue méditation sur les ruines et sur la mort.
Le créateur du classicisme participa à la fondation de l’Académie de peinture en 1648. Mais, Charles le Brun en fut le maître unique, au service des ors de Louis XIV ou de Versailles. Cependant, on ne sut jamais où situer Philippe de Champaigne, en raison de son austérité trop discrète. Tant et si bien que Le Brun emporta tout le bâtiment de l’Académie, et dans les livres d’Histoire aussi. La spécificité du baroque français est qu’il exprime des intérieurs gonflés de décors déchaînés, et cachés sous les façades des ordres grecs austères mais à l’échelle humaine si apaisante. Finalement, Philippe de Champaigne était le peintre de cette humanité du classicisme, qui n’écrase jamais le regardeur. Car sa grâce et son élégance reposent le visiteur au centre ou creux de la main. Comme s’il marchait au milieu des siècles, dans le plus grand qui fit la plus sûre et calme éternité classique elle-même.
Demian West
La France était au plein de la mutation protestante. Et tout l’Etat dut trafiquer, durant le XVIIe siècle baroque et classique, pour reprendre à la réforme l’hégémonie qui revenait au catholicisme mais gallican. C’est-à-dire que la pourpre était tenue par le roi Louis XIII, plutôt que par la vaticane. D’abord, Philippe de Champaigne travailla pour Marie de Médicis. Puis, il grimpa toutes les marches du palais. Il y fit des portraits de toute la noblesse selon son talent très réaliste. Et d’une meilleure matière picturale bien riche et grasse comme on aimait à la goûter. Il reste que la complexion naturelle de son caractère l’incitait à rendre l’essence de la personne, plutôt que ses tours changeants et incertains. Ce qui fit la subtile et sereine nécessité intérieure de l’ordre classique.
Plus tard, il entra au contact du Grand Richelieu, qui travailla d’abord pour Marie de Médicis et qui réconcillia la mère avec son fils Louis XIII, ce qui lui valut la cardinalice. Philippe de Champaigne fit des portraits nombreux de ce cardinal rouge et debout, comme le tout premier Premier ministre de l’histoire du monde et de la France. Et, posté dans une attitude haute et droite qui était étrangère ou à tout le moins nouvelle chez les gens d’Eglise. Ce Richelieu brisa la puissance protestante en France en prenant la Rochelle, après une terrible résistance. Puis, il unifia le pays sous la direction (plus affirmée qu’on le pense parfois) du jeune Louis XIII, sur le mode de la discrétion. Enfin, c’est Richelieu qui inventa l’Etat moderne sur le mode absolutiste, avant que la Révolution française ne le confiât définitivement au peuple.
En revanche, la pensée calviniste était quand même entrée par la porte plus étroite des jansénistes et donc de l’abbaye de Port-Royal. Là, on enseignait les nécessités de la foi et de la prédétermination, que l’on postait bien au-dessus du libre arbitre et de la casuistique par les jésuites. Ces deux ordres n’ont jamais cessé de s’affronter dans les débats curialistes autour le palais du Louvre. Jusqu’à la victoire des jésuites qui firent raser l’abbaye à la fin. Et qu’ils se disqualifièrent par là-même. Car tous y virent une manoeuvre politique si fratricide qu’elle laissa de lourdes blessures dans les mémoires chrétiennes.
Il reste qu’avec le philosophe Pascal, beaucoup des plus grands hommes de ce temps étaient fidèles à l’esprit de Port-Royal. Dont Philippe de Champaigne qui peignit le manifeste du classicisme en France dans son "Ex-voto", qu’on peut admirer au Louvre toute l’année de nos jours. Il s’agit d’un double portrait de deux religieuses de l’Abbaye de Port-Royal. D’une part, la fille de l’artiste fut miraculeusement soignée d’une paralysie. Et elle pose, pour le tableau plein de ce contentement, avec la mère supérieure Catherine-Agnès Arnauls. Les deux femmes ont été dépeintes dans une attitude qui devait témoigner de ce miracle, selon les conceptions de l’époque. Les portraits sont sereins et leurs sourires expriment naturellement la grande et simple extase du contentement. Car la grandeur classique réside dans la simplicité. Et ces deux vertus, grandeur et simplicité, furent le programme de cet art, qui s’opposa à la profusion du décor baroque, jugé trop étourdissant pour édifier l’esprit. Philippe de Champaigne voulut induire et donc amener à la méditation sur les visages. C’est pourquoi il est le centre serein de ce classicisme. Cet art de l’équilibre s’espace entre le baroque extravagant du premier XVIIe siècle et le néoclassicisme du XVIIIe siècle qui fut une longue méditation sur les ruines et sur la mort.
Le créateur du classicisme participa à la fondation de l’Académie de peinture en 1648. Mais, Charles le Brun en fut le maître unique, au service des ors de Louis XIV ou de Versailles. Cependant, on ne sut jamais où situer Philippe de Champaigne, en raison de son austérité trop discrète. Tant et si bien que Le Brun emporta tout le bâtiment de l’Académie, et dans les livres d’Histoire aussi. La spécificité du baroque français est qu’il exprime des intérieurs gonflés de décors déchaînés, et cachés sous les façades des ordres grecs austères mais à l’échelle humaine si apaisante. Finalement, Philippe de Champaigne était le peintre de cette humanité du classicisme, qui n’écrase jamais le regardeur. Car sa grâce et son élégance reposent le visiteur au centre ou creux de la main. Comme s’il marchait au milieu des siècles, dans le plus grand qui fit la plus sûre et calme éternité classique elle-même.
Demian West
Tuesday, June 05, 2007
Renaissance Carolingienne à la BNF-Richelieu
Non loin du Palais royal au centre de Paris, le site Richelieu de la BNF présente les "Trésors carolingiens" qui ont fait l’Europe culturelle jusqu’à nous. La culture carolingienne fut le premier essai de restaurer l’Empire romain, et par le biais de l’Eglise. En effet, ce qu’on nomme communément la chute de l’Empire romain, en 476, fut plutôt son transfert dans l’Eglise catholique romaine, qui en reprit toute la liturgie mais sur le mode christique. Donc, après les vastes coups de béliers que les Barbares avaient portés sur toutes les frontières du limes romain, des dynasties mais chrétiennes se formèrent à nouveau. D’abord les Mérovingiens de la lignée franque de Mérovée, et sitôt les Carolingiens du grand Charlemagne soi-même, et fils de Pépin le Bref.
Ainsi, ce pouvoir devenu stable put-il tenter ce qu’on nomme, depuis peu, la première renaissance carolingienne. C’est-à-dire une période de l’Histoire qui fit renaître la culture unitaire sur le territoire de l’Europe, et par le biais de l’essor des arts et de la littérature latine aussi. Et, c’est la spécificité de cette culture : qu’elle insistait autant sur l’écrit que sur l’image. Ou plutôt qu’elle laissait l’image en retrait, ou dans un rôle plus illustratif du texte. Nous sommes au plein Moyen Âge et la Bible était le Livre et la parole unique. Charlemagne commanda donc par décrets autoritaires ou de droit divin du donjon, pour qu’on se mît enfin au travail de restauration de ce livre. Par la correction des fautes orthographiques du passé, et pour retrouver le parangon ou le paradigme, soit le modèle. Aussi, on s’aida des textes latins profanes pour corriger le latin perdu, et comme un prétexte habile à quelques digressions triviales. Et des moines bénédictins devaient copier, pendant des siècles, ces modèles rigoureux de l’art des bibles. Heureusement, ces modèles étaient ornés par des enluminures historiées récréatives, et d’autant plus précieuses qu’elles témoignent de styles personnels dessous le vernis religieux.
Pour centraliser et unifier le continent, Charlemagne a créé une programmatique digne des empereurs romains. Il exigea la constitution chez les moines de Corbie d’une écriture pratique et lisible. Et donc, à partir de la capitale romaine et de l’onciale plus ronde, ils inventèrent consciemment la minuscule "caroline". Ainsi, les Carolingiens amenèrent-ils une rationalisation plus économique des livres roulés à la romaine, vers la création du livre en pages de parchemin ou de vélin reliées. Dans le même temps, Charlemagne autorisa et encouragea la représentation humaine en opposition aux iconoclastes byzantins. Sans toutefois qu’il fût un iconodule soit un adorateur des images. Et, il mit en oeuvre toute cette politique culturelle, pour étendre l’idéologie chrétienne, afin qu’elle sache bien unifier le continent sous une seule croyance et sous un seul ordre, pour créer l’Empire. Car, la référence à Rome et à l’Antiquité était inscrite dans le programme politique et culturel, comme le seul mode possible de la résurrection d’une civilisation aussi puissante et sûre que Rome l’était en son temps.
A la suite, et comme on le vit dans toute constitution des progrès civilisateurs, les arts purent s’enrichir en enrichir en retour. Dans les livres enluminés, on vit les premières illustrations rémoises, qui prirent à nouveau les études romaines de la protoperspective empirique là où ces essais avaient été délaissés. Et les images se mirent à nouveau à penser, vers la perspective et la représentation plus réaliste de l’espace. Ce fut donc un processus qui précipita la seconde renaissance florentine et flamande par Alberti, ou Dürer et par Vinci.
Par ailleurs, tout l’artisanat reprit. Car il avait survécu aux invasions barbares. Et mieux encore, il s’en était nourri puisqu’ajouté d’arabesques ou d’entrelacs et de bestiaires wisigothiques et insulaires d’Irlande. L’artisanat des orfèvres anonymes devint lentement l’art officiel de la culture carolingienne. C’est pourquoi on ne voit pas tant de tableaux dans cet art tout voué aux objets qu’il décore. Selon la façon si précieuse des barbares, qui donneront plus tard l’art ottonien, qui vint à la suite de l’art carolingien. On l’aura compris, le terme "barbare" ne signifie pas une décadence, mais une culture très raffinée, et venue depuis l’Orient et du nord. Et, par le biais de peuples nomades, qui n’avaient donc aucune utilité à peindre des fresques fixes sur des murs de palais trop fermes. Puisqu’ils vivaient et couchaient sous des velums ailés qu’ils montaient et démontaient chaque jour.
L’art carolingien est une profusion toujours en invention de mille décors historiés sur des objets mobiliers, pleins de satellites en pierres précieuses et d’ivoires sculptés très rares. C’est aussi une culture parlante, qui donne plus de sens au livre, comme un programme inaugural de la civilisation européenne définitive. Puisque l’écriture "caroline" fut à peine modifiée pour servir de module aux impressions des livres des humanistes, depuis la grande renaissance jusqu’au siècle des Lumières. Et jusqu’à nos jours, puisque cet article est rédigé puis diffusé par internet, par le biais d’une police de caractère qui est la parente directe de la caroline. Enfin, le livre même, tel qu’on le trouve partout, dans les librairies et les bibliothèques, puis sur les quais de Seine des bouquinistes, le livre a été inventé par les Carolingiens dont nous parlons aujourd’hui. C’est donc une révolution, assez identique à la nôtre internétique, que nous pouvons percevoir et suivre dans ces chefs-d’oeuvres de l’art des années 800 après Jésus-Christ. Car, tout change aujourd’hui, comme tout avait changé sous l’Empire du grand Charles.
Grâce au livre, tout le savoir de l’Antiquité fut retrouvé. Vers la grande Renaissance de l’Antiquité au Quattrocento et Cinquecento, qui projetèrent la civilisation occidentale humaniste et des droits de l’homme. Ce que l’Empire romain avait déjà programmé, en quelque sorte. Quand il donnait le statut de patricien romain aux étrangers qui désiraient s’affranchir des guerres et de la misère. Et simplement quand ces nouveaux venus acceptaient et adoptaient les lois de Rome. Des lois qui furent à nouveau appliquées par les pandectistes au Moyen Âge. C’est ainsi que Rome n’avait plus l’utilité de faire la guerre. Puisqu’il était si avantageux de devenir romain, quand Rome protégeait et distribuait le pain à ses patriciens. Au comble de la civilisation et de son pouvoir, il suffisait à Rome de venir et de se montrer pour que les boucliers adverses tombent et que les peuples se plient immédiatement à sa loi. C’est pourquoi, plus tard on tenta à reprises ces renaissances culturelles vers le gouvernement de tout le monde connu. Et que cette histoire de renaissance fait toujours l’ouverture de nos journaux télévisés dans l’Empire actuel.
Demian West
Le site Trésors Carolingiens : http://expositions.bnf.fr/carolingiens/
Ainsi, ce pouvoir devenu stable put-il tenter ce qu’on nomme, depuis peu, la première renaissance carolingienne. C’est-à-dire une période de l’Histoire qui fit renaître la culture unitaire sur le territoire de l’Europe, et par le biais de l’essor des arts et de la littérature latine aussi. Et, c’est la spécificité de cette culture : qu’elle insistait autant sur l’écrit que sur l’image. Ou plutôt qu’elle laissait l’image en retrait, ou dans un rôle plus illustratif du texte. Nous sommes au plein Moyen Âge et la Bible était le Livre et la parole unique. Charlemagne commanda donc par décrets autoritaires ou de droit divin du donjon, pour qu’on se mît enfin au travail de restauration de ce livre. Par la correction des fautes orthographiques du passé, et pour retrouver le parangon ou le paradigme, soit le modèle. Aussi, on s’aida des textes latins profanes pour corriger le latin perdu, et comme un prétexte habile à quelques digressions triviales. Et des moines bénédictins devaient copier, pendant des siècles, ces modèles rigoureux de l’art des bibles. Heureusement, ces modèles étaient ornés par des enluminures historiées récréatives, et d’autant plus précieuses qu’elles témoignent de styles personnels dessous le vernis religieux.
Pour centraliser et unifier le continent, Charlemagne a créé une programmatique digne des empereurs romains. Il exigea la constitution chez les moines de Corbie d’une écriture pratique et lisible. Et donc, à partir de la capitale romaine et de l’onciale plus ronde, ils inventèrent consciemment la minuscule "caroline". Ainsi, les Carolingiens amenèrent-ils une rationalisation plus économique des livres roulés à la romaine, vers la création du livre en pages de parchemin ou de vélin reliées. Dans le même temps, Charlemagne autorisa et encouragea la représentation humaine en opposition aux iconoclastes byzantins. Sans toutefois qu’il fût un iconodule soit un adorateur des images. Et, il mit en oeuvre toute cette politique culturelle, pour étendre l’idéologie chrétienne, afin qu’elle sache bien unifier le continent sous une seule croyance et sous un seul ordre, pour créer l’Empire. Car, la référence à Rome et à l’Antiquité était inscrite dans le programme politique et culturel, comme le seul mode possible de la résurrection d’une civilisation aussi puissante et sûre que Rome l’était en son temps.
A la suite, et comme on le vit dans toute constitution des progrès civilisateurs, les arts purent s’enrichir en enrichir en retour. Dans les livres enluminés, on vit les premières illustrations rémoises, qui prirent à nouveau les études romaines de la protoperspective empirique là où ces essais avaient été délaissés. Et les images se mirent à nouveau à penser, vers la perspective et la représentation plus réaliste de l’espace. Ce fut donc un processus qui précipita la seconde renaissance florentine et flamande par Alberti, ou Dürer et par Vinci.
Par ailleurs, tout l’artisanat reprit. Car il avait survécu aux invasions barbares. Et mieux encore, il s’en était nourri puisqu’ajouté d’arabesques ou d’entrelacs et de bestiaires wisigothiques et insulaires d’Irlande. L’artisanat des orfèvres anonymes devint lentement l’art officiel de la culture carolingienne. C’est pourquoi on ne voit pas tant de tableaux dans cet art tout voué aux objets qu’il décore. Selon la façon si précieuse des barbares, qui donneront plus tard l’art ottonien, qui vint à la suite de l’art carolingien. On l’aura compris, le terme "barbare" ne signifie pas une décadence, mais une culture très raffinée, et venue depuis l’Orient et du nord. Et, par le biais de peuples nomades, qui n’avaient donc aucune utilité à peindre des fresques fixes sur des murs de palais trop fermes. Puisqu’ils vivaient et couchaient sous des velums ailés qu’ils montaient et démontaient chaque jour.
L’art carolingien est une profusion toujours en invention de mille décors historiés sur des objets mobiliers, pleins de satellites en pierres précieuses et d’ivoires sculptés très rares. C’est aussi une culture parlante, qui donne plus de sens au livre, comme un programme inaugural de la civilisation européenne définitive. Puisque l’écriture "caroline" fut à peine modifiée pour servir de module aux impressions des livres des humanistes, depuis la grande renaissance jusqu’au siècle des Lumières. Et jusqu’à nos jours, puisque cet article est rédigé puis diffusé par internet, par le biais d’une police de caractère qui est la parente directe de la caroline. Enfin, le livre même, tel qu’on le trouve partout, dans les librairies et les bibliothèques, puis sur les quais de Seine des bouquinistes, le livre a été inventé par les Carolingiens dont nous parlons aujourd’hui. C’est donc une révolution, assez identique à la nôtre internétique, que nous pouvons percevoir et suivre dans ces chefs-d’oeuvres de l’art des années 800 après Jésus-Christ. Car, tout change aujourd’hui, comme tout avait changé sous l’Empire du grand Charles.
Grâce au livre, tout le savoir de l’Antiquité fut retrouvé. Vers la grande Renaissance de l’Antiquité au Quattrocento et Cinquecento, qui projetèrent la civilisation occidentale humaniste et des droits de l’homme. Ce que l’Empire romain avait déjà programmé, en quelque sorte. Quand il donnait le statut de patricien romain aux étrangers qui désiraient s’affranchir des guerres et de la misère. Et simplement quand ces nouveaux venus acceptaient et adoptaient les lois de Rome. Des lois qui furent à nouveau appliquées par les pandectistes au Moyen Âge. C’est ainsi que Rome n’avait plus l’utilité de faire la guerre. Puisqu’il était si avantageux de devenir romain, quand Rome protégeait et distribuait le pain à ses patriciens. Au comble de la civilisation et de son pouvoir, il suffisait à Rome de venir et de se montrer pour que les boucliers adverses tombent et que les peuples se plient immédiatement à sa loi. C’est pourquoi, plus tard on tenta à reprises ces renaissances culturelles vers le gouvernement de tout le monde connu. Et que cette histoire de renaissance fait toujours l’ouverture de nos journaux télévisés dans l’Empire actuel.
Demian West
Le site Trésors Carolingiens : http://expositions.bnf.fr/carolingiens/
Monday, June 04, 2007
Exposition du Situationnisme à Bâle
Le musée Tinguely à Bâle s’espace autour de la nébuleuse de l’Internationale situationniste, jusqu’au 5 août 2007. D’emblée, on se dira : est-on bien engagé à parler de nébuleuse quand la personne de Guy Debord règne tout le long de l’exposition et du mouvement qu’il a créé en 1957 ? En effet, la plus grande difficulté à laquelle nous sommes soumis pour bien parler du situationnisme, est de définir ce qui fait son art et ses objets de l’art. Puisque la raison même de ce mouvement était qu’il se voulait un non-art.
Autrement dit, le situationnisme se réclamait de dada. Aussi, les happenings et les oeuvres d’art du lettrisme n’avaient plus rien de commun avec les oeuvres d’art picturales ou de la sculpture. Toutefois, les oeuvres du non-art restaient visuelles, et à tout le moins étaient-elles vécues. Déjà, venaient-elles d’une sorte de tradition du primesaut dadaïste de Zurich en 1916. Où le "cabaret Voltaire" fut la scène de la première révolte d’artistes qui décidèrent de renier l’art, sinon de le descendre carrément. Et d’une façon si outrancière que les ennemis mêmes de l’art et tous vandales n’auraient jamais tenté de le faire. Le situationnisme est post-dada. Et la poésie lettriste est l’achèvement de l’expression dadaïste et surréaliste, qui mêlait intentionnellement les images et les mots. Autant qu’elle mêlait l’art à la politique. A la fin de cette déconstruction des conventions artistiques, il ne restait que les lettres, les sons et les événements. Et souvent les cris du choc que reçurent les visiteurs des expositions situationnistes.
Le plus étonnant est que ce non-art radical est parvenu à changer toute la société, de 1968 à 1972. En effet, Guy Debord fut le théoricien qui écrivit un manifeste très ardu à lire et surtout à pratiquer. Il s’agit de "La Société du spectacle" qui eut d’innombrables lecteurs, dont la plupart en auront compris ce qu’ils pouvaient et tant qu’ils le purent. En quelques mots, le livre dit que la société capitaliste s’est étendue en une telle mégamachine qu’elle broie les individus qui sont désormais des objets mêmes du capitalisme. Et donc que les personnes en sont devenues des valeurs d’échange, tout comme les objets manufacturés. Ainsi, tout est fait pour réifier l’individu et l’empêcher de se libérer de la machine. Et par le biais de toutes formes de spectacles hypnotiques, dont la politique-même, qui sont mis en oeuvre pour maintenir l’ordre capitaliste qui est médiatique.
Guy Debord fut assez fidèle à son propos. Car il a consciencieusement mis à la porte de son mouvement, tous ceux qui prirent une quelconque allure médiatisée. C’est-à-dire tous les artistes éminents qui firent le situationnisme. Et le plus éminent d’entre eux, Asger Jorn du mouvement Cobra qui dut quitter les situs parce qu’il osait encore peindre. Et que l’art était une pratique désuète. Toutefois, il ne faut pas s’y tromper, il ne s’agissait pas là d’errances ou de querelles de personnes. Non ! C’était l’effet d’une contrainte imposée par la nature même du non-art. Cette forme d’expression devait exister dans le même temps qu’elle ne devait jamais se figer pour paraître inerte sinon ancienne. C’était à ce premier degré que Debord excluait les avant-gardes et les mouvements les plus en pointe de l’art et du scandale. Bien sûr, aujourd’hui, tout ceci s’est institutionnalisé par le fait que l’Histoire avale tout. Et qu’elle sait ranger chaque époque, et chaque art dans la case qui lui revient chronologiquement.
Il reste que cette pensée intransigeante de Guy Debord a bien pris dans le milieu artistique puis estudiantin. Et qu’une révolte invraisemblable s’est allumée à Strasbourg en 1966. Puis, elle a mis le feu à toutes les rues d’Europe, puis aux Etats-Unis et ailleurs encore. Les événements de Mai 68 ont été ce déploiement de "situations" ou de happenings libératoires qui ont, dans le même temps, diffusé les mots d’ordre, et la poésie visuelle et lettriste du situationnisme. On le voit, ce mouvement qui était très intimiste sinon promis à un improbable succés dans les médias - puisqu’il les rejettait - a pris d’assaut les informations télévisuelles, et par la force des foules en presse. Et, de cette façon, le situationnisme a su transformer définitivement les structures mêmes de la société. Comme les avant-gardes du début du XXe siècle avaient résisté aux pouvoirs contraignants des années 20 et 30 en Europe et en Union soviétique.
Aujourd’hui, on connaît mieux les petites et grandes impostures de la légende sartrienne. On comprend mieux le rôle désabusé, cynique et lucide d’un Camus, qui avait vu et dénoncé l’arnaque du siècle, mise en combine à Moscou dans le premier cercle stalinien. Et, tout autour, les peintres se sont lentement remis à peindre. Et le non-art a su reprendre le chemin des bonnes vieilles écoles des maîtres anciens. Hormis qu’ils sont conceptuels sinon d’anciens situs pour le coup.
Demian West
http://www.youtube.com/v/XTsv
Autrement dit, le situationnisme se réclamait de dada. Aussi, les happenings et les oeuvres d’art du lettrisme n’avaient plus rien de commun avec les oeuvres d’art picturales ou de la sculpture. Toutefois, les oeuvres du non-art restaient visuelles, et à tout le moins étaient-elles vécues. Déjà, venaient-elles d’une sorte de tradition du primesaut dadaïste de Zurich en 1916. Où le "cabaret Voltaire" fut la scène de la première révolte d’artistes qui décidèrent de renier l’art, sinon de le descendre carrément. Et d’une façon si outrancière que les ennemis mêmes de l’art et tous vandales n’auraient jamais tenté de le faire. Le situationnisme est post-dada. Et la poésie lettriste est l’achèvement de l’expression dadaïste et surréaliste, qui mêlait intentionnellement les images et les mots. Autant qu’elle mêlait l’art à la politique. A la fin de cette déconstruction des conventions artistiques, il ne restait que les lettres, les sons et les événements. Et souvent les cris du choc que reçurent les visiteurs des expositions situationnistes.
Le plus étonnant est que ce non-art radical est parvenu à changer toute la société, de 1968 à 1972. En effet, Guy Debord fut le théoricien qui écrivit un manifeste très ardu à lire et surtout à pratiquer. Il s’agit de "La Société du spectacle" qui eut d’innombrables lecteurs, dont la plupart en auront compris ce qu’ils pouvaient et tant qu’ils le purent. En quelques mots, le livre dit que la société capitaliste s’est étendue en une telle mégamachine qu’elle broie les individus qui sont désormais des objets mêmes du capitalisme. Et donc que les personnes en sont devenues des valeurs d’échange, tout comme les objets manufacturés. Ainsi, tout est fait pour réifier l’individu et l’empêcher de se libérer de la machine. Et par le biais de toutes formes de spectacles hypnotiques, dont la politique-même, qui sont mis en oeuvre pour maintenir l’ordre capitaliste qui est médiatique.
Guy Debord fut assez fidèle à son propos. Car il a consciencieusement mis à la porte de son mouvement, tous ceux qui prirent une quelconque allure médiatisée. C’est-à-dire tous les artistes éminents qui firent le situationnisme. Et le plus éminent d’entre eux, Asger Jorn du mouvement Cobra qui dut quitter les situs parce qu’il osait encore peindre. Et que l’art était une pratique désuète. Toutefois, il ne faut pas s’y tromper, il ne s’agissait pas là d’errances ou de querelles de personnes. Non ! C’était l’effet d’une contrainte imposée par la nature même du non-art. Cette forme d’expression devait exister dans le même temps qu’elle ne devait jamais se figer pour paraître inerte sinon ancienne. C’était à ce premier degré que Debord excluait les avant-gardes et les mouvements les plus en pointe de l’art et du scandale. Bien sûr, aujourd’hui, tout ceci s’est institutionnalisé par le fait que l’Histoire avale tout. Et qu’elle sait ranger chaque époque, et chaque art dans la case qui lui revient chronologiquement.
Il reste que cette pensée intransigeante de Guy Debord a bien pris dans le milieu artistique puis estudiantin. Et qu’une révolte invraisemblable s’est allumée à Strasbourg en 1966. Puis, elle a mis le feu à toutes les rues d’Europe, puis aux Etats-Unis et ailleurs encore. Les événements de Mai 68 ont été ce déploiement de "situations" ou de happenings libératoires qui ont, dans le même temps, diffusé les mots d’ordre, et la poésie visuelle et lettriste du situationnisme. On le voit, ce mouvement qui était très intimiste sinon promis à un improbable succés dans les médias - puisqu’il les rejettait - a pris d’assaut les informations télévisuelles, et par la force des foules en presse. Et, de cette façon, le situationnisme a su transformer définitivement les structures mêmes de la société. Comme les avant-gardes du début du XXe siècle avaient résisté aux pouvoirs contraignants des années 20 et 30 en Europe et en Union soviétique.
Aujourd’hui, on connaît mieux les petites et grandes impostures de la légende sartrienne. On comprend mieux le rôle désabusé, cynique et lucide d’un Camus, qui avait vu et dénoncé l’arnaque du siècle, mise en combine à Moscou dans le premier cercle stalinien. Et, tout autour, les peintres se sont lentement remis à peindre. Et le non-art a su reprendre le chemin des bonnes vieilles écoles des maîtres anciens. Hormis qu’ils sont conceptuels sinon d’anciens situs pour le coup.
Demian West
http://www.youtube.com/v/XTsv
Friday, June 01, 2007
Rembrandt en Juif Errant
A Paris, jusqu’au 1er juillet, le musée d’Art et d’Histoire du judaïsme expose une vision toute en or de la tolérance qui faisait image de Nouvelle Jérusalem, à Amsterdam au XVIIe siècle de Rembrandt soi-même. Déjà savait-on le pays flamand très accueillant pour les réfugiés juifs venus du sud européen, plus âpre à la torture des excommuniés désignés de fait, ou par quelque malheur approchant. Mais la période était bien plus complexe.
En effet, le XVIIe flamand était au plein du baroque. Un terme qui venait de "barocco" ou la perle irrégulière qui luisait de quelque allusion aux trésors dérobés aux nouvelles colonies des Amériques indiques occidentales. C’est ainsi qu’on nommait la nouvelle frontière américaine, dans la littérature qui rêvait de bateaux en croisades frappés de croix rougies sur des mers inconnues. Le XVIIe siècle, c’était le temps des grandes inventions terrestres et scientifiques. Aussi, en peinture on explorait le réalisme le plus vétilleux et hyperréaliste. Selon les premiers tableaux de Rembrandt qui étaient conformes à la tradition flamande. Et son premier éléve, Gérard Dou, acheva cette représentation exacte de la réalité, alors qu’il ignorait tout de la photographie. Plus tard, Gérard Dou fut retrouvé, en quelque sorte, par Dali qui l’autoconsacra en précurseur dalinien, aux temps de l’hyperréalisme photographique des années 1970.
Comme une évidence de la profusion du baroque, Rembrandt fut le contemporain du plus grand, Vermeer. Qui ne le connaît pas aujourd’hui ? Quand il n’était qu’un obscur peintre amateur dans son siècle. Mais dans le même temps, il fut le premier témoin photographique de son époque. Car, il usait d’une caméra obscura qui sut fixer les premiers effets optiques de lentilles, si propres à la syntaxe photographique mais dans la peinture : ce qui est rare. Le style perlé de la lumière de Vermeer est la première manifestation de l’étude réellement scientifique de la lumière par les peintres, probablement en lien avec les scientifiques de leur époque. Mieux encore, le scientifique Huygens venait de découvrir les principes de la vision oculaire. Selon des rayons visuels qu’il appelait " des petits pinceaux" qui venaient dessiner les images sur le fond d’oeil. Déjà avait-on transformé la lunette de Galilée en microscope pour voir autant l’infiniment petit et ses animalcules qu’on explorait le ciel plus infiniment lointain.
C’est pourquoi, cette lumière des optiques pouvait prendre des accents assez spiritualistes du clair-obscur de Rembrandt. Son invention du clair-obscur fut lentement élaborée à la suite du sfumato brumeux et mystérieux de Léonard de Vinci. C’est-à-dire que la peinture - qui est l’art de piéger ou d’illusionner le regard - devint aussi un art scientifique de l’étude des phénomènes lumineux de la vision, et donc du regard interprétatif. Au XVIIe siècle, on différenciait les phénomènes lumineux en "lux" et "lumen". C’est-à-dire en lumière qui venait du monde, et symétrique à la lumière qui venait des yeux ou de l’esprit pour déchiffrer le monde. Ainsi, cette étude fut-elle vraiment psychologique ou humaniste. Et on y étudiait la manière d’agir picturalement sur la psyché, et par les rayons lumineux renvoyés par la peinture ou le tableau, soit par les images iconiques.
On y conçut une forme de l’action sociale ou politique. Sinon de la philosophie la plus personnelle qui se pensait utile à la société, depuis l’invention de la peinture comme un art libéral ou philosophique par Léonard de Vinci. Aussi, en pays flamand, on était loin et à couvert de l’absolutisme gallican en France. Et donc, le petit juif polisseur de lentilles de vision, Spinoza pouvait philosopher tranquillement et pour retrouver le sens premier des textes bibliques. Pendant que Descartes était libre, sinon subventionné pour disséquer l’homme-machine et ses origines mêmes de la pensée. Sur une table rase qu’il avait bien mise pour le repas définitif de la reconstruction de l’homme moderne. Et finalement, tous ces entregents surent préparer la révolution des mentalités plus éclairées, vers le siècle des Lumières.
C’est dans cette atmosphère de bouillon cultivé et bien tourné par la tolérance plus aisée que Rembrandt entama ce qu’on a nommé sa période juive. Quand, il décida de se détourner du monde. Tel un vieux penseur qui se préparait à mourir. Et donc, qu’il était temps pour lui d’étudier les mythes premiers ou bibliques, mais à sa façon plus intimiste et très contemporaine. Puisqu’il y mit tout l’or de son clair-obscur visionnaire, en des allusions et des effets luministes de l’esprit d’avant, soit de l’âge d’or ou du paradis perdu. Paradoxalement, c’est cette période de la vie de Rembrandt qui manifeste le mieux son désir du retour aux valeurs protochrétiennes, enfouies dans les promesses vétéro-testamentaires. C’est donc une vision ou une peinture personnelle de l’Ancien Testament qui paraît assez semblable et parente des souhaits des protestants qui s’étaient réfugiés comme les juifs vers le pays flamand. Puisque partout ailleurs c’était le chaudron du diable.
Toutefois, cette quête du sens premier, dans les oeuvres de Rembrandt, est toujours ouverte à des explorations individuelles des énigmes perdues dans ses obscurs profonds. Car ils contiennent des myriades de coups de pinceaux. En des détails si accumulés qu’ils paraissent invisibles jusqu’à la disparition. En revanche, la lumière y éclate et s’y répand tellement dans tout le tableau qu’elle semble irruptive de pierreries solides de soleils qui auraient inventé la lumière fulgurée depuis le tableau lui-même. Si bien qu’un mystère résiduel, clair et obscur à la fois, persistera dans la représentation que Rembrandt se faisait de la judéité. Hormis qu’il l’intégrait dans les scènes intimistes familiales et de sa propre intimité de l’autoportrait en errance de lui-même.
Demian West
"Rembrandt et la Nouvelle Jérusalem, juifs et chrétiens à Amsterdan au Siècle d’Or"
http://www.mahj.org/fr/02_en_ce_moment/expo_rembrandt_reserver.php
Musée d’Art et d’Histoire du judaïsme - Hôtel de Saint-Aignan - 71, rue du Temple — 75003 Paris
En effet, le XVIIe flamand était au plein du baroque. Un terme qui venait de "barocco" ou la perle irrégulière qui luisait de quelque allusion aux trésors dérobés aux nouvelles colonies des Amériques indiques occidentales. C’est ainsi qu’on nommait la nouvelle frontière américaine, dans la littérature qui rêvait de bateaux en croisades frappés de croix rougies sur des mers inconnues. Le XVIIe siècle, c’était le temps des grandes inventions terrestres et scientifiques. Aussi, en peinture on explorait le réalisme le plus vétilleux et hyperréaliste. Selon les premiers tableaux de Rembrandt qui étaient conformes à la tradition flamande. Et son premier éléve, Gérard Dou, acheva cette représentation exacte de la réalité, alors qu’il ignorait tout de la photographie. Plus tard, Gérard Dou fut retrouvé, en quelque sorte, par Dali qui l’autoconsacra en précurseur dalinien, aux temps de l’hyperréalisme photographique des années 1970.
Comme une évidence de la profusion du baroque, Rembrandt fut le contemporain du plus grand, Vermeer. Qui ne le connaît pas aujourd’hui ? Quand il n’était qu’un obscur peintre amateur dans son siècle. Mais dans le même temps, il fut le premier témoin photographique de son époque. Car, il usait d’une caméra obscura qui sut fixer les premiers effets optiques de lentilles, si propres à la syntaxe photographique mais dans la peinture : ce qui est rare. Le style perlé de la lumière de Vermeer est la première manifestation de l’étude réellement scientifique de la lumière par les peintres, probablement en lien avec les scientifiques de leur époque. Mieux encore, le scientifique Huygens venait de découvrir les principes de la vision oculaire. Selon des rayons visuels qu’il appelait " des petits pinceaux" qui venaient dessiner les images sur le fond d’oeil. Déjà avait-on transformé la lunette de Galilée en microscope pour voir autant l’infiniment petit et ses animalcules qu’on explorait le ciel plus infiniment lointain.
C’est pourquoi, cette lumière des optiques pouvait prendre des accents assez spiritualistes du clair-obscur de Rembrandt. Son invention du clair-obscur fut lentement élaborée à la suite du sfumato brumeux et mystérieux de Léonard de Vinci. C’est-à-dire que la peinture - qui est l’art de piéger ou d’illusionner le regard - devint aussi un art scientifique de l’étude des phénomènes lumineux de la vision, et donc du regard interprétatif. Au XVIIe siècle, on différenciait les phénomènes lumineux en "lux" et "lumen". C’est-à-dire en lumière qui venait du monde, et symétrique à la lumière qui venait des yeux ou de l’esprit pour déchiffrer le monde. Ainsi, cette étude fut-elle vraiment psychologique ou humaniste. Et on y étudiait la manière d’agir picturalement sur la psyché, et par les rayons lumineux renvoyés par la peinture ou le tableau, soit par les images iconiques.
On y conçut une forme de l’action sociale ou politique. Sinon de la philosophie la plus personnelle qui se pensait utile à la société, depuis l’invention de la peinture comme un art libéral ou philosophique par Léonard de Vinci. Aussi, en pays flamand, on était loin et à couvert de l’absolutisme gallican en France. Et donc, le petit juif polisseur de lentilles de vision, Spinoza pouvait philosopher tranquillement et pour retrouver le sens premier des textes bibliques. Pendant que Descartes était libre, sinon subventionné pour disséquer l’homme-machine et ses origines mêmes de la pensée. Sur une table rase qu’il avait bien mise pour le repas définitif de la reconstruction de l’homme moderne. Et finalement, tous ces entregents surent préparer la révolution des mentalités plus éclairées, vers le siècle des Lumières.
C’est dans cette atmosphère de bouillon cultivé et bien tourné par la tolérance plus aisée que Rembrandt entama ce qu’on a nommé sa période juive. Quand, il décida de se détourner du monde. Tel un vieux penseur qui se préparait à mourir. Et donc, qu’il était temps pour lui d’étudier les mythes premiers ou bibliques, mais à sa façon plus intimiste et très contemporaine. Puisqu’il y mit tout l’or de son clair-obscur visionnaire, en des allusions et des effets luministes de l’esprit d’avant, soit de l’âge d’or ou du paradis perdu. Paradoxalement, c’est cette période de la vie de Rembrandt qui manifeste le mieux son désir du retour aux valeurs protochrétiennes, enfouies dans les promesses vétéro-testamentaires. C’est donc une vision ou une peinture personnelle de l’Ancien Testament qui paraît assez semblable et parente des souhaits des protestants qui s’étaient réfugiés comme les juifs vers le pays flamand. Puisque partout ailleurs c’était le chaudron du diable.
Toutefois, cette quête du sens premier, dans les oeuvres de Rembrandt, est toujours ouverte à des explorations individuelles des énigmes perdues dans ses obscurs profonds. Car ils contiennent des myriades de coups de pinceaux. En des détails si accumulés qu’ils paraissent invisibles jusqu’à la disparition. En revanche, la lumière y éclate et s’y répand tellement dans tout le tableau qu’elle semble irruptive de pierreries solides de soleils qui auraient inventé la lumière fulgurée depuis le tableau lui-même. Si bien qu’un mystère résiduel, clair et obscur à la fois, persistera dans la représentation que Rembrandt se faisait de la judéité. Hormis qu’il l’intégrait dans les scènes intimistes familiales et de sa propre intimité de l’autoportrait en errance de lui-même.
Demian West
"Rembrandt et la Nouvelle Jérusalem, juifs et chrétiens à Amsterdan au Siècle d’Or"
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