Vendredi le 15 juin 2007 à 20 h 50 sur France 2, on a Cyrano à la télé, et depuis la Comédie-Française, mazette ! C’est une émission !... C’est une pièce !... Que dis-je, c’est une pièce ?... C’est le phare alexandrin de l’esprit français soi-même !
On se souvient qu’en Afrique francophile, Daniel Sorano en Cyrano conquit, et sans nez postiche, tout le peuple sénégalais réuni pour l’occasion. Et il plut à tel premier rang, qu’après cette télédiffusion héroïque de la pièce, on baptisa le théâtre "Sorano" à Dakar dans la foulée. Donc ce vendredi, un demi-siècle après la première diffusion à la télé de cette pièce maîtresse, on va en reprendre un coup de parabole sur le nez.
La pièce d’Edmond Rostand est une sorte d’astéroïde, certes assez roide et toujours surprenante. Un peu comme la machine de Savinien Cyrano de Bergerac, le people historique qui voulut aller sur la Lune. Et plusieurs siècles avant la Nasa qui eut plus de nez sur ce coup-là. La pièce baroque du romantisme au XIXe siècle tient bien son orbite et depuis sa naissance. Jugez-en ! Rostand prit peur devant ses propres témérités de langue. Et il s’excusa devant toute la troupe rassemblée derrière le rideau, juste avant la première. Tellement il était pris de trac, et que son propos lui semblait subitement désuet, incongru et trop vert. Il avait écrit la pièce en alexandrins classiques, mais si inventifs pour le plus illustre Coquelin, qui était une sorte de Raimu "granditeux" d’avant le cinéma.
Pourtant, la scène du théâtre de la Porte Saint-Martin connut ce soir-là le plus grand succès du théâtre du monde à Paris. Fini le boulevardier ! Et sitôt oubliée toute la troupe des défaites de 1870, ainsi que les boues verbeuses de l’affaire Dreyfus qui avaient franchement fichu le moral dessous le tapis de la République.
Le panache fut enfin de retour. C’est-à-dire qu’on crut, l’instant que dura la demi-heure de standing ovation, qu’un héros désintéressé s’éait enfin levé d’entre les morts. Et pour nous enseigner qu’il fallait se battre. Et surtout, quand c’était réputé inutile, juste pour le fun, quoi ! C’est la leçon de Cyrano.
Voilà pour la morale et pour l’effet public. Pour le reste, il faut bien dire, que cette pièce est un "pur" cours de drague des plus success stories. En effet, on y apprend que le gaillard le plus disgracié, du nez au milieu de sa figure toute en pointe, se pourrait tout de même accéder aux plus hauts sièges du flirt. Toutefois, s’il savait appuyer ses prétentions sur de graves lettres d’amour. Bon, il faut savoir écrire et plutôt bien ! Sinon, il faut trouver parmi ses copains de bureau ou du Web quelque bon écrivain qui sait se fendre de bons billets, comme au sabre. Pour qu’il plaidât votre cause à votre place auprès de la dame du balcon. Où l’on apprend, et bien avant Dolto de la boutique psychanalytique, que le premier organe de la jouissance chez la femme serait son oreille, quand les mots d’amour y passent et tournevirent. Comme la clé sait ouvrir la porte plus charnelle.
Tout ceci est dans la pièce merveilleuse. Mais plus encore, le verbe parfait de Rostand y tire là son coup unique. Car, il ne sut jamais écrire un autre chef-d’oeuvre qui eût autant le nez creux et sensible que son primesautier Cyrano. Il tenta bien un "Chantecler" assez superbe, et qui fut annoncé à grand coup de feuilletons de presse. Mais la pièce n’eut pas le même succès. Quoi qu’elle fut encore plus audacieuse que Cyrano. Puisqu’on y vit s’espacer des bêtes qui parlaient quelque langage emparadé du grand siècle. Et déjà sur le ton d’un surréalisme d’oiseaux masqués à la Franju.
Ce vendredi, c’est donc théâtre des grandes heures de la télévision française. Et la Comédie-Française nous propose une scène baroque comme l’herbe grasse de citations cultivées jusqu’au vertige des courbes et contrecourbes. Denis Podalydès a mis en scène des acteurs hautement vêtus de luxuriantes coutures par Christian Lacroix. Et postés en des situations de décors qui font habilement épaule au verbe très en pointe. Par des mises en abyme du théâtre dans le théâtre, qui sont conformes au baroque achevé, mais en plein dans le pif de notre vieille téloche à écran plat du XXIe siècle.
C’est simple, tous les acteurs sont bons, car ils sont mis en plans droits dans la pièce. Michel Vuillermoz en Cyrano nous donne du nez comme un Hamlet le plus philosophiquement outrancier. Aussi, il paraît tantôt en Don Quichotte somptueusement loser. Et en fin d’envoi il touche, quand il nous assène, le coup du rappel de Molière qui s’effondre agonisant dans son fauteuil au Palais-Royal, sur la scène des excommuniés de la tombale de Saint Eustache, quoi !
Quant à Rostand, il avait tout donné dans son Cyrano, quand la grippe espagnole emporta cet homme d’une seule pièce.
Demian West
Thursday, June 14, 2007
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