Au Château de Saint-Germain-en-Laye, le musée d’Archéologie nationale étale d’étranges trésors de l’art et des techniques de l’antiquité bulgare. On assiste alors à un heureux dévoilement de la mystérieuse culture thrace. Aux origines de l’histoire, ces peuplades s’étendaient au nord de la civilisation grecque, depuis les territoires actuels de la Pologne jusqu’à l’Autriche et les Balkans, pour rejoindre l’Ukraine par la côte de la mer Noire ou l’antique Pont-Euxin. En effet, jusqu’au 2 juillet, nous pouvons approcher et mieux connaître les trésors de la balnéaire Varna, qui a prêté les objets les plus rares de son musée à la France. Pour une exposition itinérante qui se déplacera en Normandie après Saint-Germain-en-Laye.
On connaît encore peu de l’énigme thrace. Car, ces peuples indo-européens étaient très divisés et sans chef souverain fédérateur. Et c’est la raison de leur effacement le long des siècles, derrière la suprématie grecque puis romaine. Dans l’"Iliade" de Homère on parle de ces peuples de chefs anonymes. On connaît déjà leur art de la première métallurgie et de l’orfèvrerie, qui savaient transformer l’or. Et pour des cultes qu’ils rendaient aux divinités aussi bien qu’à la "venustas" de la nature. Il faut se souvenir que "mundus", dans l’antiquité et romaine, signifiait le "monde" aussi bien que l’ornement de la femme, le "bijou".
Les Thraces ont été les tous premiers forgerons. Et ces praticiens étaient considérés comme des magiciens ou des shamans, qui connaissaient des secrets fondamentaux pour la survie du clan. C’est pourquoi ils se réunissaient en société initiatiques, qui se transmettaient jalousement les secrets de l’art du fer et de l’or, ainsi que les savoir-faire immémoriaux qui y étaient joints. C’est ainsi, que les "MännerBund", ou sociétés d’hommes, se sont constituées selon les cercles artistiques et techniques. Et cette tradition s’est maintenue sans interruption jusqu’à l’ère moderne, quand la Révolution française a su enfin libérer les secrets des corporations médiévales, par la constitution de l’"Encyclopédie" de Diderot et d’Alembert. Désormais, il n’y a plus de secret, du moins sont-ils rendus plus accessibles aux profanes.
Les Thraces ont été au coeur du projet européen. Puisqu’ils en ont fondé le plus grand mythe techno-artistique. Le citharède Orphée est un personnage légendaire et fondateur d’une croyance mystique ou de mystères fondamentaux de la culture grecque. Les mystères orphiques progressent en une sorte d’initiation souterraine où descendent les âmes des morts. Et ceci, afin qu’ils puissent renaître par une sorte de transformation poïétique, soit du "faire". Orphée était probablement un shaman ou un groupe de shamans venus de l’Orient. En effet, dans le culte orphique, on trouve de fortes réminiscences de la croyance orientale en la métempsycose, ou du voyage de l’âme dans une succession de corps. D’ailleurs, Pythagore se réclamait de l’orphisme, quand il prétendait avoir vécu plusieurs existences. Plus encore, des mythes platoniciens ont été directement inspirés par des éléments de cette philosophie orphique et donc des Thraces.
Les auteurs antiques rapportent qu’Orphée aurait visité les temples de l’Egypte ou les "Maisons de vie". Selon le mythe, l’aède ou le poète aurait subi une initiation comme une descente au-travers des enfers, pour en libérer Eurydice et pour la ramener au jour. Ce voyage dans les cavernes d’Hadès ou de Pluton évoque certainement les arts des forgerons qui devaient extraire le minerai précieux pour qu’il soit fondu en or. Ainsi que le firent tous les alchimistes qui prétendaient extraire de l’or depuis le plomb, jusqu’au décryptage psychanalytique par Jung. C’est donc un rêve très antique qui voile à la façon de Pythagore, en tant qu’il voulait dévoiler, des techniques assez culturelles. Comment constituer une civilisation à l’aide de techniques simples ? Mais qui tourneraient au danger, quand elles seraient laissées à l’abandon soit au vil. Car au fond, il s’agit aussi d’une sorte de politique ou d’une gouvernance selon la sagesse des peuples...
Le mythe orphique est précurseur de la culture chrétienne, et ceci dans la Grèce même. Car tout comme le Christ, Orphée doit mourir et descendre dans les enfers pour en renaître d’une façon résurrective. Ce mythe devint un des cultes fondateurs de la Grande Grèce. Puisqu’on éleva un temple majeur dévoué à l’orphisme. Il s’agit du temple d’Eleusis, dans lequel les mystères de l’agriculture étaient dévoilés aux Epoptes. Et l’initiation culminait avec ce qu’on nomme : "la monstration de l’épi de blé". Tout pareille au dévoilement même de la déesse Demeter. Dans cette initiation, il apparaît explicitement quelque lien de nature et de culture entre la métallurgie et l’agriculture, comme si ces découvertes étaient elles-mêmes liées en une origine commune ou germinale extraite de la terre.
La postérité des Thraces n’a jamais connu de limite. Depuis l’opéra de Monteverdi jusqu’aux poésies et aux films de Cocteau ou de Camus, vers les peintures de l’orphisme de Delaunay loué par Apollinaire, tout l’art occidental s’est cristallisé autour de la tête d’Orphée. Le citharède mourut par la revanche des femmes aimantées si dépitées qu’elles se tournèrent contre lui pour le décapiter. Et paradoxalement, son mythe ne s’est jamais si bien espacé que dans le christianisme. Quand la culture chrétienne, éprise d’Antiquité grecque et romaine, s’exprimait en des accents plus païens mais autorisés. Ce qui était une constante dans toutes les renaissances du classicisme mondial.
Les Thraces étaient des peuples guidés par des shamans, un peu parents ou semblables aux Amérindiens. Et ces shamans ont fondé la première religion grecque. En conséquence, ils ont amené toute la culture occidentale dans ses établissements les plus singuliers, jusqu’à la confrontation avec la culture ottomane, dès la fin du Moyen Âge. Et c’est dans ce creuset où les cultures byzantine et slave se sont jointes, et où la Bulgarie et l’identité ottomane s’affrontèrent, que l’apport des Thraces se laisse encore étudier, aujourd’hui. Avec la curiosité qu’on réserve aux travaux des meilleurs orfèvres qu’on aime goûter.
On achèvera ce bref survol, en rappelant que les Cathares de Montségur (ou l’hérésie du sud-ouest français) étaient surnommés des "bougres". Car leur idéologie hostile à Rome et qui allait susciter la rébellion protestante, venait à droit fil des Bulgares et de l’orphisme. C’est-à-dire du plus grand art de la forge des civilisations par les Thraces mystérieux.
Demian West
Friday, June 08, 2007
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