A Lille jusqu’au 15 août 2007, on donne sa vraie place au créateur du classicisme sérieux en France. Au musée des Beaux Arts, la première rétrospective de Philippe de Champaigne nous dépeint un artiste d’origine bruxelloise et qui n’aimait pas le baroque. Bien qu’il maîtrisât toute la technique réaliste des maîtres du Nord, il s’éleva jusqu’à créer en France le style même de l’identité française : le classicisme mêlé d’atticisme doux. Certes, il était ami de Poussin. Et avant cela, il avait même refusé l’offre d’intégrer l’atelier du plus grand, Rubens. Mais, le jeune peintre avait un tempérament humble et austère.
La France était au plein de la mutation protestante. Et tout l’Etat dut trafiquer, durant le XVIIe siècle baroque et classique, pour reprendre à la réforme l’hégémonie qui revenait au catholicisme mais gallican. C’est-à-dire que la pourpre était tenue par le roi Louis XIII, plutôt que par la vaticane. D’abord, Philippe de Champaigne travailla pour Marie de Médicis. Puis, il grimpa toutes les marches du palais. Il y fit des portraits de toute la noblesse selon son talent très réaliste. Et d’une meilleure matière picturale bien riche et grasse comme on aimait à la goûter. Il reste que la complexion naturelle de son caractère l’incitait à rendre l’essence de la personne, plutôt que ses tours changeants et incertains. Ce qui fit la subtile et sereine nécessité intérieure de l’ordre classique.
Plus tard, il entra au contact du Grand Richelieu, qui travailla d’abord pour Marie de Médicis et qui réconcillia la mère avec son fils Louis XIII, ce qui lui valut la cardinalice. Philippe de Champaigne fit des portraits nombreux de ce cardinal rouge et debout, comme le tout premier Premier ministre de l’histoire du monde et de la France. Et, posté dans une attitude haute et droite qui était étrangère ou à tout le moins nouvelle chez les gens d’Eglise. Ce Richelieu brisa la puissance protestante en France en prenant la Rochelle, après une terrible résistance. Puis, il unifia le pays sous la direction (plus affirmée qu’on le pense parfois) du jeune Louis XIII, sur le mode de la discrétion. Enfin, c’est Richelieu qui inventa l’Etat moderne sur le mode absolutiste, avant que la Révolution française ne le confiât définitivement au peuple.
En revanche, la pensée calviniste était quand même entrée par la porte plus étroite des jansénistes et donc de l’abbaye de Port-Royal. Là, on enseignait les nécessités de la foi et de la prédétermination, que l’on postait bien au-dessus du libre arbitre et de la casuistique par les jésuites. Ces deux ordres n’ont jamais cessé de s’affronter dans les débats curialistes autour le palais du Louvre. Jusqu’à la victoire des jésuites qui firent raser l’abbaye à la fin. Et qu’ils se disqualifièrent par là-même. Car tous y virent une manoeuvre politique si fratricide qu’elle laissa de lourdes blessures dans les mémoires chrétiennes.
Il reste qu’avec le philosophe Pascal, beaucoup des plus grands hommes de ce temps étaient fidèles à l’esprit de Port-Royal. Dont Philippe de Champaigne qui peignit le manifeste du classicisme en France dans son "Ex-voto", qu’on peut admirer au Louvre toute l’année de nos jours. Il s’agit d’un double portrait de deux religieuses de l’Abbaye de Port-Royal. D’une part, la fille de l’artiste fut miraculeusement soignée d’une paralysie. Et elle pose, pour le tableau plein de ce contentement, avec la mère supérieure Catherine-Agnès Arnauls. Les deux femmes ont été dépeintes dans une attitude qui devait témoigner de ce miracle, selon les conceptions de l’époque. Les portraits sont sereins et leurs sourires expriment naturellement la grande et simple extase du contentement. Car la grandeur classique réside dans la simplicité. Et ces deux vertus, grandeur et simplicité, furent le programme de cet art, qui s’opposa à la profusion du décor baroque, jugé trop étourdissant pour édifier l’esprit. Philippe de Champaigne voulut induire et donc amener à la méditation sur les visages. C’est pourquoi il est le centre serein de ce classicisme. Cet art de l’équilibre s’espace entre le baroque extravagant du premier XVIIe siècle et le néoclassicisme du XVIIIe siècle qui fut une longue méditation sur les ruines et sur la mort.
Le créateur du classicisme participa à la fondation de l’Académie de peinture en 1648. Mais, Charles le Brun en fut le maître unique, au service des ors de Louis XIV ou de Versailles. Cependant, on ne sut jamais où situer Philippe de Champaigne, en raison de son austérité trop discrète. Tant et si bien que Le Brun emporta tout le bâtiment de l’Académie, et dans les livres d’Histoire aussi. La spécificité du baroque français est qu’il exprime des intérieurs gonflés de décors déchaînés, et cachés sous les façades des ordres grecs austères mais à l’échelle humaine si apaisante. Finalement, Philippe de Champaigne était le peintre de cette humanité du classicisme, qui n’écrase jamais le regardeur. Car sa grâce et son élégance reposent le visiteur au centre ou creux de la main. Comme s’il marchait au milieu des siècles, dans le plus grand qui fit la plus sûre et calme éternité classique elle-même.
Demian West
Wednesday, June 06, 2007
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