A Venise et jusqu’au 22 juillet 2007, on se doit de vite monter au premier étage des néoclassiques du musée Correr, pour y rencontrer l’oeuvre du plus grand impressionniste américain, John Singer Sargent. Là, une soixantaine d’oeuvres, entre aquarelles et huiles, achèvent de nous démontrer la virtuosité extrême de cet artiste. En effet, il avait une main si aisée qu’il n’eut qu’à peindre tout le long de sa vie et sans autre considération de courants artistiques ou de nouveautés révolutionnaires.
C’est d’ailleurs cette aisance que des critiques, un peu éreintés par tant de talent, lui reprochèrent après sa mort en 1925. Jusqu’aux années 1960, quand il revint en force et que, depuis, la "sargentolâtrie" a bien repris. Des juges du goût hâtifs virent en lui un simple capteur des réalités et sans qu’ils y trouvent un apport personnel du peintre. Ce qui est un jugement rapide et presque surgi du dépit, devant tant de virtuosité effrontée comme on gagne et jette des fortunes au casino. Car Sargent était un dessinateur sans repentir et si juste du premier coup, et dans le même temps, il était comblé en peintre plus juste encore. A tel premier rang que sa virtuosité confinait au lumineux de la vision claire immédiate, qu’on dirait tranchée au rasoir.
D’une certaine façon, il avait cet oeil que Monet cherchait à organiser par un long travail en plein air et dans l’atelier aussi. Car nous savons, aujourd’hui, que Monet terminait des toiles en atelier. Quand on disait partout dans le sérail qu’elles étaient achevées et signées sur le motif. Ainsi, les différences entre les artistes, et leurs techniques du "pleinairisme" n’étaient-elles pas aussi marquées que la légende voulait le dire. Il reste que, tout comme Monet, Sargent peignait en plein air et sur des gondoles pour capter la vibrante expression des eaux vénitiennes, souvent irruptives en leurs reflets difficiles même pour le technicien au pied marin. Autant dire qu’il fallait connaître son manuel de l’aquarelliste à Venise, pour oser affronter le terrain mouvant des peintres vénitiens comme à la maison. Ils sont d’ailleurs exposés au côté des oeuvres de Sargent, à l’occasion de cette exposition qui sort les grands tableaux cachés.
Sargent est né en Italie, puis il a étudié dans toute l’Europe, en France, en Allemagne, à Londres et bien sûr en Italie. Mais, quand nous disons qu’il a étudié, nous parlons de son regard empirique sur la lumière, dans le même temps que nous évoquons les cours qu’il reçut chez Carolus-Duran à Paris. Partout, on comprit vite, chez les jurys de toutes natures et concours, que le jeune peintre savait tout, avant même les leçons de l’art superflu des maîtres. C’était clair, il était né avec la peinture fluante depuis la main et le bras jusqu’à ses yeux invaginant son cerveau, qui recrachait l’esquisse et le tableau a la prima, comme on dit. D’un coup, et sans effort, chaque plage de couleur apparaissait authentique, et sans aucune préparation du dessous comme l’exigeait la tradition. Et sans ces apprêts du métier, les oeuvres de Sargent naissaient conformément à l’effet du réalisme le plus immédiat et sans conteste. On y sentit bien la leçon de Velasquez, et dans le même temps, l’influence plus contemporaine de Monet, qui fut son ami régulier. Mais, Sargent parut tout autant incarner l’achèvement de la peinture victorienne, avec Alma-Tadema, Lord Leighton et les orientalistes, qu’il incarnait la persistance de l’art virtuose dans le courant moderniste des impressionnistes et des avant-gardes.
Il fut le plus grand portraitiste de son temps. Avec des figures de femmes peintes en pied, et taillées dans les plus savantes hautes coutures de la lumière des séductions définitives. Il savait bien poser des masses lumineuses qui transforment les tableaux en des synthèses parfaites et rapides aussi. En conséquence, l’oeuvre garde toute sa fraîcheur a la prima. Et c’est un peu ce que Monet avait tenté, quand il inventa la pochade impressionniste, pour conserver la naissance de la vision qui flashe. Mieux encore, Sargent a peint le tableau emblématique de la beauté à l’ère victorienne,"Carnation, Lily, Lily, Rose" qu’il faut avoir vu pour connaître ou pour tenter de comprendre "the english rose", qui est un canon de beauté équivalent au "chic parisien". Enfin, les oeuvres de Sargent évoquent le luminisme savant de Guiseppe de Nittis, le plus grand impressionniste italien qui a laissé des morceaux d’une bravoure picturale éclairant Paris.
Dans la suite des peintres victoriens, nous savons l’hégémonie des aquarellistes anglais dont Bonington et Turner. Tout pareil, Sargent aimait Venise comme son plus fétichiste sujet. C’est dire que ces peintres ont fait de Venise un sujet ou un motif sinon un genre en soi, comme le paysage ou le portrait et la peinture des chevaux, etc. D’abord, ils ont peint Venise, dont le nom vient de la déesse Vénus, dans des portraits topographiques à l’intact. Et mieux encore, ils ont rêvé Venise en y ajoutant des canaux fantasmatiques et des marbres de l’air d’une peinture qui s’espace en roue libre. Ils y prirent quelques débauches au passage, pour laisser parler sinon laisser peindre leurs pulsions plus érotisantes que seulement picturales. Et ses amis dirent, après la mort de Sargent en 1925, qu’il était un véritable faune vénitien très appliqué à l’admiration charnelle des jeunes éphèbes italiques, qui ajoutaient à la beauté féminisante de la ville inouïe.
John Singer Sargent a réalisé des aquarelles et des huiles dont la lumière donne un tel éclat et si vif à son réalisme, qu’on y est ! Mis en plant devant les architectures oniriques et byzantines de Venise. Et qu’on s’y éveille au plein du XIXe siècle heureux. Quand l’Europe était si vaste qu’elle s’étendait jusqu’aux orients dans toute la Méditerranée. Une vision qui revient doucement, aujourd’hui, et dans la fragrance de cette exposition qui ouvre au XXIe siècle peut-être heureux.
Demian West
Sunday, June 10, 2007
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