Le musée Tinguely à Bâle s’espace autour de la nébuleuse de l’Internationale situationniste, jusqu’au 5 août 2007. D’emblée, on se dira : est-on bien engagé à parler de nébuleuse quand la personne de Guy Debord règne tout le long de l’exposition et du mouvement qu’il a créé en 1957 ? En effet, la plus grande difficulté à laquelle nous sommes soumis pour bien parler du situationnisme, est de définir ce qui fait son art et ses objets de l’art. Puisque la raison même de ce mouvement était qu’il se voulait un non-art.
Autrement dit, le situationnisme se réclamait de dada. Aussi, les happenings et les oeuvres d’art du lettrisme n’avaient plus rien de commun avec les oeuvres d’art picturales ou de la sculpture. Toutefois, les oeuvres du non-art restaient visuelles, et à tout le moins étaient-elles vécues. Déjà, venaient-elles d’une sorte de tradition du primesaut dadaïste de Zurich en 1916. Où le "cabaret Voltaire" fut la scène de la première révolte d’artistes qui décidèrent de renier l’art, sinon de le descendre carrément. Et d’une façon si outrancière que les ennemis mêmes de l’art et tous vandales n’auraient jamais tenté de le faire. Le situationnisme est post-dada. Et la poésie lettriste est l’achèvement de l’expression dadaïste et surréaliste, qui mêlait intentionnellement les images et les mots. Autant qu’elle mêlait l’art à la politique. A la fin de cette déconstruction des conventions artistiques, il ne restait que les lettres, les sons et les événements. Et souvent les cris du choc que reçurent les visiteurs des expositions situationnistes.
Le plus étonnant est que ce non-art radical est parvenu à changer toute la société, de 1968 à 1972. En effet, Guy Debord fut le théoricien qui écrivit un manifeste très ardu à lire et surtout à pratiquer. Il s’agit de "La Société du spectacle" qui eut d’innombrables lecteurs, dont la plupart en auront compris ce qu’ils pouvaient et tant qu’ils le purent. En quelques mots, le livre dit que la société capitaliste s’est étendue en une telle mégamachine qu’elle broie les individus qui sont désormais des objets mêmes du capitalisme. Et donc que les personnes en sont devenues des valeurs d’échange, tout comme les objets manufacturés. Ainsi, tout est fait pour réifier l’individu et l’empêcher de se libérer de la machine. Et par le biais de toutes formes de spectacles hypnotiques, dont la politique-même, qui sont mis en oeuvre pour maintenir l’ordre capitaliste qui est médiatique.
Guy Debord fut assez fidèle à son propos. Car il a consciencieusement mis à la porte de son mouvement, tous ceux qui prirent une quelconque allure médiatisée. C’est-à-dire tous les artistes éminents qui firent le situationnisme. Et le plus éminent d’entre eux, Asger Jorn du mouvement Cobra qui dut quitter les situs parce qu’il osait encore peindre. Et que l’art était une pratique désuète. Toutefois, il ne faut pas s’y tromper, il ne s’agissait pas là d’errances ou de querelles de personnes. Non ! C’était l’effet d’une contrainte imposée par la nature même du non-art. Cette forme d’expression devait exister dans le même temps qu’elle ne devait jamais se figer pour paraître inerte sinon ancienne. C’était à ce premier degré que Debord excluait les avant-gardes et les mouvements les plus en pointe de l’art et du scandale. Bien sûr, aujourd’hui, tout ceci s’est institutionnalisé par le fait que l’Histoire avale tout. Et qu’elle sait ranger chaque époque, et chaque art dans la case qui lui revient chronologiquement.
Il reste que cette pensée intransigeante de Guy Debord a bien pris dans le milieu artistique puis estudiantin. Et qu’une révolte invraisemblable s’est allumée à Strasbourg en 1966. Puis, elle a mis le feu à toutes les rues d’Europe, puis aux Etats-Unis et ailleurs encore. Les événements de Mai 68 ont été ce déploiement de "situations" ou de happenings libératoires qui ont, dans le même temps, diffusé les mots d’ordre, et la poésie visuelle et lettriste du situationnisme. On le voit, ce mouvement qui était très intimiste sinon promis à un improbable succés dans les médias - puisqu’il les rejettait - a pris d’assaut les informations télévisuelles, et par la force des foules en presse. Et, de cette façon, le situationnisme a su transformer définitivement les structures mêmes de la société. Comme les avant-gardes du début du XXe siècle avaient résisté aux pouvoirs contraignants des années 20 et 30 en Europe et en Union soviétique.
Aujourd’hui, on connaît mieux les petites et grandes impostures de la légende sartrienne. On comprend mieux le rôle désabusé, cynique et lucide d’un Camus, qui avait vu et dénoncé l’arnaque du siècle, mise en combine à Moscou dans le premier cercle stalinien. Et, tout autour, les peintres se sont lentement remis à peindre. Et le non-art a su reprendre le chemin des bonnes vieilles écoles des maîtres anciens. Hormis qu’ils sont conceptuels sinon d’anciens situs pour le coup.
Demian West
http://www.youtube.com/v/XTsv
Monday, June 04, 2007
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