Jusqu’au 16 septembre 2007 au musée d’Orsay à Paris, qui fut un temple du chemin de fer au XIXe siècle, nous pouvons prendre à nouveau le train des Expositions universelles. En effet, on y trouve les stations exposées des architectures réelles et rêvées des Expositions universelles qui virent l’affrontement économique majeur entre l’Angleterre et la France.
Tout s’est ouvert avec les baies des verrières courbes du Crystal Palace qui abrita la première Exposition universelle à Londres en 1851. Là, l’architecte Paxton s’était génialement inspiré de l’architecture des jardins et des constructions des loisirs, pour créer un nouvel ordre d’architecture tout en transparence. La France répondit, en 1855, avec son majestueux palais de l’Industrie, comme une neuve cathédrale du futur technologique enfin réalisé sur Terre. A la vérité, on rivalisa d’audace en élevant les capacités de la portance, qui permettaient de jeter des arcs immenses pour laisser de vastes espaces ouverts à la lumière. Et ce progrès fut mis en oeuvre grâce à la nouvelle architecture des ponts en fer, désormais appliquée aux bâtiments.
C’est ainsi qu’on put enfin largement évider les murs et donc les remplacer par du verre, pour laisser couler les flux lumineux du dehors. Ce qui achevait la réalisation même du programme que les architectes médiévaux, dont Villard de Honnecourt, avaient lancé. Quand ils avaient commencé à monter les murs des églises romanes vers les hauteurs des arcs brisés du gothique, et par l’effet du déplacement des structures portantes vers l’extérieur du bâtiment. Ainsi, ces ingénieurs médiévaux purent-ils affiner et vider les hautes murailles pour y inclure des vitraux en une scénographie de lumières colorées, qui devait évoquer la Jérusalem céleste descendue sur Terre. Comme l’exigeait le programme religieux et monarchique de droit divin, servi et soutenu par le progrès technique.
Les Expositions universelles du XIXe siècle progressèrent sur le mode pacifique d’une lutte économique et technologique, et des arts aussi. Car, on ajouta vite aux machines, exposées dans la nef de la grande salle des Machines du palais de l’Industrie à Paris, des oeuvres d’art qui devaient manifester la suprématie culturelle des pays organisateurs de ces événements, d’abord nationaux puis mondiaux. Bien sûr, les architectures étaient préalablement testées ou présentées, esthétiquement et techniquement, dans d’admirables aquarelles jetées selon l’art des régles de présentations inchangées depuis le baroque ou l’âge classique. Aujourd’hui, nous savons que ces épures sont des oeuvres en soi, et Orsay les expose savamment. Tellement elles expriment le rêve ou l’utopie dans la transparence des aquarelles, qui évoquent déjà nos rendus en 3D.
Dans le même temps, les Expositions universelles inventaient tout le XXe siècle du progrès précipité en roue libre. Et vers des cieux invraisemblables pour l’époque, puisqu’on osa des tours verticales jusqu’à 300 mètres de hauteur, et vite assemblées en des poutres métalliques rivetées à chaud sur les lieux d’assemblage et selon les dispositifs mis en oeuvre par l’ingénieur Eiffel, qui était le plus grand spécialiste mondial de la construction des ponts en fer. On le constate, à l’identique de la révolution techno-artistique que fut la Renaissance aux quattrocento et cinquecento, le créateur d’utopie au XIXe siècle était autant un artiste qu’un architecte, et plus encore, il était un ingénieur comme Vinci en son temps. Il est utile de rappeler que Vinci vécut surtout de ses travaux d’ingénieur pour la guerre ou pour l’urbanisme, plutôt qu’il fît fortune avec ses oeuvres picturales réalisées pour le prestige ou pour le "fun", si l’on peut ainsi dire.
En 1889, on monta donc une tour de monsieur Eiffel sur le site du Gros-Caillou situé au Champ de Mars à Paris, face à l’ancien palais du Trocadéro. Et pour s’y rendre, on développa le premier trottoir roulant à trois vitesses de progression. Ainsi qu’on inventa les premiers escaliers roulants sur des tapis de cuir, dans les grands magasins très busy tout autour de l’Expostion universelle ultra-utopique. Car, tout ce qui fit le XXe siècle utopique, et parfois désastreux, fut exposé durant ces manifestations du tournant du XIXe siècle au XXè siècle.
Plus tard, les architectes du "futurismo" italien et du "constructivisme russe" dessineront leurs architectures utopiques qui ne seront jamais réalisées. Comme un genre en soi des arts et des architectures qu’on ose imaginer sans jamais pouvoir les réaliser en dur, soit par manque de moyens, soit par défaut technique. Un peu à la façon des architectes romantiques de la Révolution française, tels Ledoux et Boullée qui furent contraints à seulement dessiner les bâtiments et l’urbanisme utopique dont ils rêvaient, au plein d’une France devenue exsangue par le fait révolutionnaire et qui dut en outre se défendre contre la coalition des couronnes européennes.
La confrontation internationale, suscitée par les Expositions universelles du XIXe siècle, mena droit à la constitution du "Werkbund" en Allemagne, et à la création des grandes écoles des arts décoratifs au sein de chaque grande puissance européenne. Vers la recherche de l’hégémonie techno-artistique, comme aujourd’hui les Etats-Unis, les Dragons d’Orient et l’Europe se livrent une guerre sans cesser pour la domination mondiale infocybernétique. Au début du XXe siècle, cette guerre économique et ingénieuse favorisa la naissance du "design" et la création du "Bauhaus" en Allemagne. Puis, ce conflit mit le feu à la mèche qui éclata l’architecture depuis la skyline américaine jusqu’au style international high-tech. Car la skyline américaine fut conçue par la diaspora des designers et architectes du Bauhaus émigrés aux Etats-Unis. Après que les nazis venus au pouvoir persécutèrent l’école et ses maîtres, dont Mies van der Rohe le dernier directeur de l’école créée par le grand Gropius.
C’est ainsi que tous les inventeurs du futur paysage architectural et urbanistique quittèrent leur sol européen, depuis l’Italie fasciste jusqu’à la Russie soviétique, et pour offrir le leadership mondial aux Etats-Unis. Un leadership qui était technique autant qu’artistique. Puisque les surréalistes et toutes les avant-gardes européennes devinrent américaines. Pour fuir une Europe qui se suicidait une seconde fois après 14-18, ce qui est comme d’insister d’une façon déraisonnable pour sa propre fin et de son crédit aussi.
Finalement, les Expositions universelles et leurs motivations concurrentielles, tout d’abord sur le mode pacifique, s’achevèrent en un vrai conflit européen et mondial qui éreinta tous les leaders présupposés dans la course. A la fin, la France et l’Angleterre perdirent tout, par le fait de cette course à l’utopie, à tout le moins peu maîtrisée. Et surtout l’Allemagne s’effondra, quand elle était tout de même la première puissance mondiale. Et par le fait qu’elle déclencha une guerre dont les seules vainqueurs états-uniens tirèrent tout le profit d’une fuite, sinon d’une expulsion des cerveaux techno-artistiques.
Demian West
Sunday, June 17, 2007
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