Tuesday, January 13, 2009

Molière n'est pas mort sur scène

C'est un lieu commun de la Presse soit de littérature hâtive et du tout-venant, qu'elle donne une image des artistes en martyrs se jetant dans le malheur en chantant comme dans le brasier de leur nature sensuelle. Tout ceci est une sorte de fabrique d'images d'Epinal aussi grossières que fausses ou fautives, mais bien utiles à quelque dessein caché.

Par exemple : Van Gogh n'a jamais subi la pauvreté, puisqu'il a vécu entretenu par son frère qui était aussi son marchand. Mieux encore : Van Gogh n'a jamais été enferré dans un asile, car il demandait lui-même d'y être retenu probablement pour se retirer du monde, en quelque sorte. Il se savait assez un danger pour lui-même, et pour cause.

Modigliani n'a pas vécu cette vie dissolue que le cinéma hollywoodien a mise en des couleurs toutes conformes à l'idéal bourgeois de la bohême. Aussi, comment un artiste pourrait-il produire de si belles oeuvres en étant ivre du matin au serein, tout en sachant garder la rigueur unique de son trait qui est encore manifeste dans tout bon musée fervent de la Jeanne Hebuterne ?

Rimbaud n'a jamais été cet adolescent sorti de rien et qui aurait versé une poésie toute d'invention et venue de l'ailleurs sans référent terrestre. Non ! il était un élève surdoué qui maîtrisait le latin et les belles lettres avant tous ses camarades de toute sa génération et même de son siècle, hormis un Baudelaire.

Molière n'est pas mort sur scène mais après un malaise pendant qu'il jouait sur le fauteuil encore exposé à la Comédie Française, s'il s'agissait bien du même siège. Certes, un homme comme Molière devait nécessairement mourir sur les tréteaux ou hors de scène, comme une porte doit toujours être ouverte ou fermée, on en conviendra aisément. Comme le dirait l'Histoire : il n'est pas mort sur scène ! et l'histoire populaire en a dit le contraire, mais ce n'est pas totalement faux, puisque Molère en fut sorti à cause de son agonie.

La liste est longue des approximations romanesques de l'histoire, qui ont pour vocation d'arranger les politiques. Roland n'est pas mort à Ronceveaux tué par les Sarrasins, mais par les Basques. Dans ce cas, il s'agit de propagande orfévrie dans le métal de la couronne de Charlemagne, et pour des motifs politiques qui devaient servir l'urgence de son époque ou son goût pour l'hégémonie. Et paraventure, cette fausse histoire est répétée aujourd'hui à l'envi quand des fins hasardeuses et xénophobes flirtent avec l'erreur judiciaire.

En revanche, quand il s'agit d'artistes ou d'hommes dont la vie confine au mythos, il s'agit plus manifestement de constituer des icônes destinées à étamper le fond d'oeil des neuves générations, pour qu'elles suivent ces exemples. Les très-antiques Romains avaient leurs exemples de vertus, que le "vir" devait imiter pour être vraiment "viril" et libre. Mais la réalité est souvent bien plus prosaïque, contingente et banale que cet héroïsme de guéroï soviétique en monstration de force virile désintéressée et inconsciente de soi.

Jeanne d'Arc a reculé avant d'aller au bûcher quand elle a renié sa cause un tant soit peu, et je ne vois là rien autre que de bien normal ; mieux encore, devant la mort, le Christ lui-même a douté de son père céleste qui était Dieu quand-même et que ça la fichait mal pour la frime : Ce qui est comme de dire que les héros ont souventes fois la trouille, sinon toujours. Comme tous ceux qui allèrent au front en 14 et justement parce qu'ils avaient peur. Voilà la vraie raison qui fait les héros surhumains, certes après l'abnégation et l'amour d'autrui.

Ces images, d'hommes et de femmes en acier trempé et anesthésiés dans la douleur et la pauvreté, sont en réalité manipulatoires. Car elles dictent indirectement ou directement des comportements, qui sont souvent irréalistes ou excessifs. La réalité aime la nuance. Que dire d'un Gandhi qui incitait à la plus grande pauvreté, et que dans le même temps, la mise en scène de cette pauvreté exemplaire engageait des dépenses voluptuaires pour l'Inde de l'époque ; et quand on considère la très grande pauvreté du Peuple qui devait suivre cet exemple à double emploi, car il le vivait déjà amplement ou misérablement au quotidien.

C'est un peu l'image très esthétisante du dépouillement zen, mais dans un très grand luxe du design contemporain. Les plus belles images sont irréelles car elles sont l'oeuvre des plus grandes contradictions qui se savent nous faire rêver d'un monde à construire, plutôt qu'il serait à subir. Finalement, le vrai héros serait cet homme qui nous serait très-étranger, et dont on invente sa vie pour la magnifier plus encore : comme une projection de notre plan de vie qu'on ne réalisera pas, car la vie est plus généreuse que nos pensements d'exemples à suivre. La vie buissonnante prévoit toujours tout autre chose pour nous, et bien plus unique.

Demian West

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