Depuis Aristote, on sait le rôle cathartique du théâtre. En effet, sur la scène on vit par procuration des comédiens les drames que l'on voudrait éviter dans la vie, mais pour les vivre tout par la pensée. Et les théoriciens présupposent aisément par-là que ces actions fatales seraient ainsi bien-écartées de la scène du monde. Ce qui est peut-être vrai mais pas criant d'évidence. Si l'on considère le théâtre de violence dont le monde se déjeune tous les jours à l'heure des informations, qui sont plus dramatiques que toute pièce jouée même dans l'excès.
Par ailleurs, on comprend mieux qu'il s'agit, en quelque sorte, de mettre en scène la vie des Dieux, que l'on sait des archétypes invisibles. Et qu'il faut donc en faire toute monstration par des incarnations ou des émanations corporelles et des sens bien conformes au règlement en vigueur dans les Olympes ou les Paradis respectifs des cultures. Les Romains créaient ainsi des "lectisternes" ou des repas des Dieux dans leurs maisons. Ils r'assemblaient des statues modelées et peintes hyperréalistement dans des scènes orfévries de repas avec de vrais viatiques pour ces statues factices, auxquelles il ne manquait que la voix et les chansons à boire.
Au dehors, la pantomime était un art du simulacre et le masque de l'acteur était une "persona" d'où dérive certainement le concept de notre personnalité de surface. Depuis la psychanalyse et peut-être bien avant, on sait bien que cette personnalité cache mal un océan de désirs et d'appétence de vie qu'il est vain de tenter d'assouvir. Et c'est forcément cause de toutes ces contestations entre les appétits mutuels qui s'entrechoquent dans des pièces au vif qui ne font pas de quartier aux plus faibles.
On le voit bien dans le théâtre élisabéthain, qui est une débauche de raffinement ourlé de formules grasses et vulgaires pour bien montrer la réalité la plus rude du monde, laquelle est assez écossaise avec des "r" roulés et grasseyants comme ceux d'un Gabin plus tard dans la banlieue. On s'y trahit sans retenue dans ce théâtre et sans ressource d'en survivre. Mais c'est une bonne école pour tout adolescent voulant encore croire en d'angéliques contes de fées, qui virent aussitôt en autant de nighthags manipulatrices des rois assassins de la vieille Englond.
Ce pendant qu'à Paris on persistera à montrer ce sourire de l'ange du portail gauche de la cathédrale de Reims. Dans les pièces du théâtre baroque qui sait jeter le théâtre dans le théâtre, comme le monde des Dieux dans la cour à Versailles. Et pour se moquer le plus souvent des granditeux et frimeurs les moins habiles, en d'autres termes, les moins aristocrates naturellement. Car même le roi se mettait en rôle, ainsi qu'il était en place centrale dans le public : exactement apposté au point duquel on pouvait voir toutes les perspectives de la scène comme dans un tableau à point central perspectif de la Renaissance. En revanche, sur les grandes places royales on pouvait voir sa statue équestre depuis le lointain des grandes perspectives radioconcentriques des routes, qui partaient en étoile depuis leur centre solaire.
La grande affaire des comédiens est qu'ils se mettent en rôle par vocation et pour vivre autant de vies qu'ils le pourraient dans une seule : depuis la vie du plus grand monarque alexandrin jusqu'à la vie du sage errant tel un clochard qui monte et descent l'échelle de l'évolution et sidérale. Ils apprennent des textes par coeur pour bien se laver d'eux-même dans leurs tripes de cerveau. Et l'on pourrait aisément penser que ça fait du bien d'être autrui pour un temps. Comme Rimbaud disait : "je est un autre" ou mieux encore : "la vraie vie est ailleurs". Car ainsi on se dépayse par force de nouvelle habitude et de créance qu'on serait un autre réellement, puisque "homologué" par un public qui vous reconnaît comme tel. Et que ça marche même lorsqu'on sait bien qu'un tel est sous le nouveau masque; parfois c'est le fils du père illustre.
Dans le théâtre de la modernité et ses décors fragmentés à la Lugné-Poë, tous les arts plastiques se conjoignent pour faire éclater le réel dans une sorte de vortex d'opéra total post-wagnérien et tantôt viscontien. A la pointe, les avant-garde du XXème siècle ont su tout redistribuer des cartes de la scène primitive et très raffinée des nouvelles contructions abstraites. La cruauté primitiviste d'un Artaud a poussé d'aucuns acteurs vers des passages à l'acte excessifs d'une résurgence cannibalique, plus originée que la catharsis légitimée par la "Poétique" d'Aristote. Il faut dire que c'était un siècle des excès en cruauté et du confort, mais tout ce qu'il y a de plus réservé à certains privilégiés de la rive gauche du monde soit l'Occident.
Et la scène s'est accélérée par le biais du cinéma et de la telly des mainstream médias. Assez pour que chacun d'entre nous puisse vivre autant de vies que de passages de films dans l'écran tout chaud sorti du four du théâtre. Imaginons le nombre de films et de vies vécues par procuration par un adolo incarnant le nouvel homme du XXème siècle, qui est greffé à son fauteuil devant sa telly, comme chacun le sait sans avouer en être.
Et c'est comme le dévoilement de la mise en abyme de ce qu'est le théâtre vraiment, en guise du sens de la vie des acteurs qui se mettent en rôle. N'y aurait-il pas là quelque réalisation des anciens ou très-antiques pouvoirs des sages védiques ou des premiers shamans, qui pensaient que l'homme saurait vivre plusieurs vies infiniment ?
Tout commes nous portons nos téléphones portables qui sont des façons d'organes prothétiques de fonctions quasi télépathiques et prophétisées par les textes et imaginations anciennes, les acteurs seraient des figures des dieux que nous sommes devenus au XXIème siècle : des persona qui transmigrent au gré des visions et des mises en rôles que nous vivons par le biais des acteurs qui les jouent pour nous. Finalement, ils seront bientôt numérisés en des apparences d'être parfaits dans lesquels nous projetterons tous nos fantasmes les plus animaux et divins, forcément conjoints dans l'inconscient et le préconscient qui siègent effrontément avec nous dans le sofa et qu'ils prennent toute la place.
Nous serions donc constitués de vies innumérables que nous vivons par le biais de la telly greffée à notre vision. Ce que le paysan médiéval ne se savait pas vivre ; hormis quand il entrait dans la cathédrale et qu'il voyait les vitraux historiés de lumières mouvantes qui savaient, par le biais des arts, donner la vie aux archétypes illustrés et forcément bibliques.
Par ainsi, plus que de restituer le réel, la mise en rôle se sait briser le réel et, dans le même temps, le multiplier en d'innombrables bulles du temps, semblables à ces "multiverses" que les astrophysiciens imaginent comme la structure ultime du monde. Nous serions perdus dans un coin d'un univers résolu où chaque potentialité serait vécue et jamais achevée dans une bulle du temps parallèle aux autres bulles des potentialités en reste.
Ainsi, y aurait-il quelque couloir du temps et de l'espace dans lequel Elvis Presley et Marilyn seraient encore vivants. Certes, je confirme que ce n'est pas dans notre couloir où nous sommes encore enfermés pour un temps. S'il n'y avait les acteurs et les actrices pour jeter sur le soyle de parterre les masques pipés de la réalité opaque.
Demian West
Sunday, January 04, 2009
Subscribe to:
Post Comments (Atom)
No comments:
Post a Comment