Vous avez jusqu’au 1er juillet pour courir à la bibliothèque François Mitterrand. Où l’on peut flasher sur les photos de monsieur Eugène Atget qui était le photographe de Paris et sa banlieue, au XIXe siècle. Le fonds photographique est important, car il rassemble des vues depuis la banlieue des zoniers, jusqu’aux intérieurs haussmanniens les plus baroques et secrets.
Bien sûr, d’aucuns dirent qu’Atget fut d’abord un jeune marin raté. Puis, qu’il s’essaya au théâtre et qu’il n’y rencontra jamais son public. Aussi, qu’il se fit porter peintre un peu malhabile, et tout pour se ruiner encore une fois. Ce qui fait beaucoup d’échecs pour entrer ou s’installer dans la vie. Et à Paris qui reste cruelle pour les perdants. Finalement, il opta pour la photographie et dans ses prétentions les plus banales revenues de tout. Il se fit donc documentaire pour les préparations des tableaux de peintres, et pour les institutions et archives publiques, entre autres. C’est ainsi qu’il monta sa petite entreprise d’anonyme lichette sur les boulevards parisiens.
Il décida donc de s’effacer et de photographier tout : d’abord les lieux de Paris, puis les gens et leurs petits métiers, aussi les enseignes et les décors savants et parfois des forains de la zone espacée dans le 13e hyperbohème et poétique. Atget a quadrillé Paris, comme on le ferait pour établir une juridiction du réel, qui enregistrait, en outre, toutes les démolitions et les nouvelles constructions. Il est donc devenu un must des historiens et des curieux. A la fin, et après sa mort en 1927, Man Ray et les surréalistes le "découvrirent" comme l’un d’entre eux. Car ils virent, dans ses photos, des reflets dans les vitrines qui en disaient plus long, comme entre les lignes de la vision. Aussi, ils y virent des premiers autoportraits de photographe. Car, Atget se plaçait ostensiblement dans les reflets des vitrines afin qu’on le vit témoigner. Ce qui était considéré comme un défaut sinon une faute, selon les conventions en usage dans le métier. On y perçut donc un geste artistique qui venait en contrepoint des conventions photographiques, et pour créer un art.
Par ailleurs, Atget préférait utiliser un matériel désuet pour son époque. Ce qui contraignait les sujets à de longues poses qu’il recherchait. Et ce qui floutait les personnages sur la photo. Enfin, il savait jouer du sténopé, c’est-à-dire de l’objectif ou du trou primitif des appareils photographiques, qui laissait un flou un peu merveilleux de clair-obscur au noir et blanc définitif. Où la photographie savait rejoindre les effets précieux de la gravure à l’eau-forte ou à l’aquatinte.
Les problématiques artistiques engagées par le travail et la démarche d’Atget sont d’abord d’avoir su tirer la photographie documentaire vers son statut d’oeuvre d’art, émancipée de sa seule destination utilitaire. Aussi, on y discerne l’espacement de la charge artistique contenue dans le sujet. Vers des réflexions autour des transformations du sujet dans le temps, qui paraissent s’imposer plus encore à mesure que le maître-instant de la prise de vue s’éloigne de nous et de notre temps. Finalement, c’est la nature même de l’artiste et de son destin qui est troublée par ce regard étranger. Car Atget vivant n’était considéré qu’en artisan servile, quand mort il devint l’artiste assez surréel. Mieux encore : une amie du photographe surréaliste Man Ray, Bérénice Abbott, emporta l’héritage aux USA. Où les photographes américains surent prendre toute la leçon d’Atget.
Le petit père photographe et maraudeur des rues s’est éteint dans son dernier appartement dans la rue Campagne-Première à Paris. Exactement là où Michel Poiccard meurt d’un shot qui l’arrête "à bout de souffle" comme une citation par Godard. Poiccard-Belmondo a le temps d’expirer un : "Tu es dégueulasse" à Jean Seberg qui l’avait donné à la police, mais tout pour son bien. Dans la vraie vie, on retrouvera l’actrice morte comme une énigme enroulée à l’arrière de sa voiture, dans le XVIe arrondissement en 1979. Pourtant, on disait d’elle qu’elle prenait si bien la lumière et pour la meilleure photo au cinéma.
L’art, c’est aussi une photographie si précise et nette de nos destinées, que celles-ci paraissent encore plus floues et incertaines. Nos vies ne sont-elles point mêlées de fictions et de réalités toujours en correspondances des temps ?
Demian West
Sunday, May 27, 2007
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