Ce mois de mai, Jean Balsamo, Michel Magnien et Catherine Magnien-Simonin ont présenté la dernière version des "Essais" de Montaigne à la "Pléiade" chez Gallimard, bien sûr. C’est un chef-d’oeuvre d’édition ! En effet, nous pouvons lire à nouveau la version la plus sûre et aboutie des "Essais", qui sont le joyau de la littérature française et universelle.
Jusqu’à présent et depuis un siècle, les éditeurs et philologues avaient décidé de consacrer, à une vaste échelle, la version de l’exemplaire dit "de Bordeaux". Et parce qu’il s’agit du seul exemplaire qui nous soit parvenu de l’édition de 1588, aussi annoté des ajouts et des repentirs de Montaigne soi-même. Pourtant, on dut constater que l’édition de 1595, qui est posthume à l’auteur, était bien plus complète car travaillée par le texte même de l’"exemplaire de Bordeaux". On suppose même que l’édition posthume de 1595 a été conçue par Montaigne, et par le biais d’un exemplaire imprimé/manuscrit perdu. Et que l’exemplaire égaré devait probablement être plus riche encore d’annotations que l’"exemplaire de Bordeaux". C’est la conclusion de Jean Balsamo, qui a justifié ce nouveau travail de présentation du livre absolu, d’après l’édition posthume de 1595.
L’"exemplaire de Bordeaux" est désormais jugé trop hybride, entre le texte imprimé et les ajouts manuscrits, pour qu’il soit encore considéré comme un objet abouti. Désormais, on le comprendra plutôt comme un moment du laboratoire de l’écriture, qui a été trop sanctifié durant un siècle. Et donc, au détriment de la restitution du vrai Montaigne original que Rousseau, Pascal, Nietzsche et Proust lurent, pour en être tous transformés d’un coup, de ces deux milles pages jamais identiques.
Dans ces trois livres des ""Essais", on fait la rencontre avec un homme simple et vrai. Certes, Montaigne est nourri des auteurs antiques et surtout latins, dont il lâche des citations toujours justifiées par le contexte mesuré. Mais, il va marchant comme dans la galerie de la pensée contemporaine. Il a sa bibliothèque sous la main. Et il choisit souvent Plutarque, dont il donne toutes anecdotes distrayantes. Et qu’elles nous informent au passage sur la sagesse et la folie des hommes qui n’a pas de fond.
Michel Eyquem de Montaigne a créé le genre et la technique littéraire de l’"essai". Il s’agit d’une sorte de dialogue libéré avec soi-même. Et pour dégager autant la réflexion, que pour construire l’individu comme une sagesse qui s’incarne. Ainsi, a-t-il élaboré les meilleurs outils littéraires, pour amener la méthode scientifique de l’ère moderne. Et ceci, bien qu’il fût l’auteur et le style maniériste par excellence. A la vérité, de 1571 à 1592, on voit bien se constituer une sorte de matière d’homme moderne, dégagé ou émancipé des obligations religieuses et de tous dispositifs qui enchaîneraient l’homme et même sa pensée.
C’est pourquoi on sent cette liberté dans ce texte premier et ultime, qui ne paraît jamais fixe dans sa forme et son style, qui sont toujours changeants et neufs. C’est un grand oeuvre de phénoménologie de la pensée, qui irait consciemment à sa propre rencontre. Et, par le biais du livre comme une barque solaire, cette pensée ou ce soi voyage à travers les siècles : à l’intact, au vif. C’est donc Montaigne vivant que l’on peut rencontrer et connaître, aujourd’hui, dans ces pages merveilleuses de richesses inépuisables de lectures... toujours recommencées.
Demian West
Thursday, May 24, 2007
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