Du 14 mars au 27 juin 2007, le Centre Pompidou décoince ses tubulures artistiques, pour jeter des univers mentaux et étrangers de Samuel Beckett sur tout Paris. C’est donc l’éclat promis par cette exposition consacrée à l’auteur irlandais, aussi simple qu’il fut le plus ardu qui bâtit le XXe siècle. En effet, on peut voir à Beaubourg des parcours manuscrits et tous documentaires visuels et sonores, autour de l’écrivain tout investi dans la recherche d’un nouveau langage pour un nouveau monde.
Ainsi qu’il l’écrivit dans un article fondateur en 1929, depuis Dante et Giordano Bruno, on a tenté de constituer une langue créatrice d’un monde uniquement littéraire ou spirituel. Souvent, cette quête prit le véhicule de l’errance entre les deux termes que sont l’Enfer et le Paradis, ou la naissance et la mort, sinon le réel et la littérature. C’est pourquoi, Beckett avouait préférer le purgatoire de la "Divine Comédie" de Dante. Plutôt qu’il planait aux visions antagonistes des cercles infernaux ou du paradis. Beckett plaçait sa recherche de l’esprit - qui est pure littérature - dans une attente infinie qui constitue le purgatoire de notre vie passante, en quelque sorte. Son essai sur "Proust" est donc un manifeste de la recherche littéraire, qui va du laboratoire jusqu’à sa station du gisant littéraire assez indolent sur son lit de mort. Car les personnages beckettiens sont tous des passants qui expérimentent la littérature en attendant la sortie par le dernier trou dadaïste.
Pourtant, il est étonnant de constater combien cet écrivain épris d’absurde et de vide a su remplir sa vie d’événements extraordinaires. Depuis la résistance à la gestapo, il engagea une psychanalyse disputeuse autour de la figure axiale de sa mère ; puis il obtint qu’on publia ses oeuvres complètes aux éditions de Minuit ; pour recevoir à la fin le prix Nobel de littérature. Ce qui ne semble jamais ni absurde ni vain.
Tout d’abord, Joyce le convia amicalement à créer ensemble une oeuvre, "Work in Progress", à quatre mains, qui deviendra "Finnegans Wake". Puis, Beckett écrivit ses romans, dont "Murphy" (1938) qu’il modela en double littéraire. Son doppelgänger certes cartésien mais qui vire à la folie. Ensuite de 1947 à 1949, il composa la trilogie de ses romans et monologues transformateurs du réel, par la solitude et l’incommunicabilité résiduelle. Le premier Moloch "Molloy" surgit de l’enfer dantesque d’après-guerre, puis "Malone meurt" avant "L’Innommable". Et ces trois romans manifestent la progression de trois états qui transforment l’individu en une entité dégagée des contingences. Et que cette personne tend finalement vers la littérature désincarnée. Puisque le soi s’achève en une boule parlante entre "je" et "il". Et que cette pensée ne s’achève pas en une connaissance fixe et ferme. Car il s’agit plutôt d’écrire ce qui est senti, et souvent dans l’ordre des révélations successives.
On pourrait y voir une ligne de force née de ce bien suprême libéré par les possibilités verbales. Quand on joue avec les mots, ce "bien" serait "Good" plutôt qu’il serait "God " : le bien plutôt qu’un dieu voilé, dans la pièce du théâtre de l’absurde "En attendant Godot" (1948). Car, Beckett démentait que Godot signifiât "dieu". Sur la scène, le maître Pozzo et son esclave Lucky sont des paumés qui attendent l’inconnu. Dans une sorte d’attitude du cogito hamlétien, mais tout ce qu’il y a de plus gentlemen ennuyeux. On y entend des accents du jeune prince shakespearien. Quand il débattait des questions ontologiques avec le crâne de Yorick le fou du roi, et dans sa tombe même.
Pire encore : "Oh les beaux jours" met en scène le couple Winnie et Willie. Une femme prise dans un lopin de terre et qui gave son mari grognon des bouts copiés/collés de sa vie, tout au long de la pièce. C’est un dispositif littéraire et visuel qui insiste sur l’absurdité et la contingence de la vie quotidienne. Et pour en extraire, de ce pessimisme radical, la présence nécessaire de l’esprit, soit de la littérature. Ou plutôt, du seul protagoniste qui est le langage quand l’amour est un leurre.
A la vérité et pour mieux se faire comprendre, Beckett a dû s’espacer dans les arts visuels. Et il a conçu une suite d’oeuvres d’avant-garde. Dans le "Film" en 1964, Buster Keaton "O" est poursuivi par "Oe" qui est son oeil même. Ainsi, cette oeuvre est-elle un questionnement sur la nature de l’existence ou du non-être, quand ils dépendraient de la seule perception. Existe-t-on parce qu’on est perçu ? Plus avant, le dramaturge oeuvra avec des artistes plasticiens dont le minimaliste Sol LeWitt. Enfin, il composa des pièces pour la télévision et la série "Quad" en 1981. Aujourd’hui, nous pouvons voir ces oeuvres filmées qui sont diffusées durant l’exposition à Beaubourg.
A la fin de l’oeuvre beckettien en 1989, l’individu devint une sphère parlante comme un mythe d’une intelligence qui se sait voyager à l’intact. Depuis l’Antiquité classique, cette sphère de la conscience nous est parvenue, jusqu’à paraître la plus improbable modernité de l’absurde, et finalement pour y être institutionnalisée. Aussi, quand tout était sclérosé, l’Irlandais Beckett écrivait en français pour "s’étranger". Puis il revenait à l’anglais, pour se "fantasier" à nouveau dans l’inconnu. Puisqu’il était ce virtuose constant de la langue qui pense.
Demian West
Wednesday, May 23, 2007
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