Sunday, July 01, 2007
La Collection Vollard de Cézanne à Picasso à Orsay
Jusqu’au 16 septembre au musée d’Orsay à Paris, on tient table cubiste chez le collectionneur Ambroise Vollard qui favorisa l’envol de l’aigle à deux têtes du cubisme, le duetto Cézanne et Picasso. En effet, le musée d’Orsay expose des oeuvres qui progressent depuis des recherches pré-cubistes de Cézanne jusqu’au grand chantier de la déconstruction du réel par Picasso.
On s’en doute, qu’il ne devait pas être très aisé ni même attendu que des amateurs d’art sachent se pâmer devant des oeuvres qui tenaient plus du laboratoire que de la peinture des beautés simples et immédiates de la nature. C’est ce qui donne ce caractère héroïque à ces grandes figures de collectionneurs qui osent là où toutes les foules conservatrices fuient au premier coup de semonce du pinceau. Vollard a pris des risques du point de vue social. Pourtant, ce n’est pas si sûr, si l’on considère la pertinence de ses choix et, donc, la grande compétence de son jugement de goût ou, comme diraient les Américains, son feeling. Car, il est toujours un problème majeur résiduel dans l’exercice de la critique et de la prescience en matière de goût artistique. Je veux dire que l’art reste incommunicable, et par-delà même ses discours qui tentent d’en rendre compte dans des perspectives historiques ou autorisées. C’est dire combien l’art de son temps, comme l’art de notre temps n’est jamais reconnu simultanément du vivant des artistes.
C’est pourtant cette révolution que Vollard a inventée. Quand il s’amusait sérieusement à découvrir des génies non formés par les académies. Ce qui était une grande prise de risques, jusque-là. Souvenons-nous que nul qui vit passer le "clochard" Van Gogh en Arles, à l’instar de la fameuse centenaire Jeanne Calment, ne put reconnaître l’art de son temps qui maraudait dans les rues. Pour autant, ce fut l’exercice et l’art de Vollard. Car, pendant et après lui, nul ne pouvait plus ignorer que Picasso était le premier artiste librement reconnu de son vivant, si jeune et universellement. Ce qui permit un déchaînement de création jamais vue auparavant. Pour autant nul ne dira que Vollard a créé ou même fabriqué ses artistes. Comme on a dit que Baudelaire avait créé Delacroix, par sa critique créatrice du poète qui imposa l’artiste. Non, Vollard s’est contenté de donner à voir ses artistes, puis de les imposer au marché pour des avantages réciproques qu’on devine aisément.
C’est Cézanne qui prépara la survenue de Picasso. Cézanne était un fils de banquier qui avait choisi la vie assez mouvementée de la bohème des peintres. Il travailla beaucoup puis il hérita de son père. Ce qui lui permit de peindre à l’abri du besoin et loin des aboiements du chien de la commune que Cézanne ne supportait pas quand il peignait. Bref, il était le portrait barbouillé du pire caractère qu’on craignait depuis Paris jusqu’à l’Estaque. Il a créé la loi des séries en peinture, si l’on peut ainsi dire. C’est-à-dire qu’il a peint à plusieurs reprises son sujet de préférence, la montagne Sainte-Victoire. Et pour dénoyauter de façon obsessionnelle ce qui fait image ou même "eidolon" dans le motif, soit la peinture comme un dévoilement de la pensée-image. La peinture est une image qui pense, dirait l’historien de l’art Daniel Arasse. En fait, Cézanne avait tout simplement commencé le processus de déconstruction qui allait mener au cubisme. C’est pourquoi on parle de cubisme cézannien, pour déterminer la première phase du cubisme par Braque et Picasso. Il s’agit de retenir que Cézanne tentait de saisir et de toucher les objets par les rayons du regard, pour en caresser puis pour en maîtriser les structures fondamentales, tout par la douceur. C’est pourquoi, il ne se lassa pas de peindre des pommes sensuelles comme des "fruitions" plus charnelles.
Et selon une géométrisation paradigmatique en cubes, sphères et pyramides. Les conséquences en furent cette rationalisation de la composition dans le tableau et, bientôt, au détriment de la couleur. Car les premières oeuvres cubistes de Picasso et Braque ont rapidement viré au gris coloré assez beige. Un peu comme ces faux bois ou ces pages de journaux collées sur la toile, par le biais d’une pratique dadaïste du collage des objets. Venu d’ailleurs, Braque était un peintre artisan des faux bois et des imitations matiéristes qui influencèrent forcément la nouvelle école cubiste. Quant à Picasso, il fit plus fort encore en ajoutant, pour la première fois, un clou dans un tableau. Ce qui était la révolution même d’une peinture qui tournait aux arts plastiques des objets. Ainsi, il favorisa un art objectal qui s’éloignait résolument de la pratique picturale traditionnelle. Il y eut plusieurs phases successives du cubisme qui s’est espacé depuis le cubisme cézannien vers le cubisme analytique. Et finalement, il devint le cubisme synthétique pour manifester une nouvelle conception de la réalité perçue par nos yeux et interprétée par notre cerveau.
Tout d’abord, Les Demoiselles d’Avignon, par Picasso en 1907, fut le tableau choc et inaugural du cubisme puis de tout l’art contemporain. Cette toile avait défiguré littéralement les corps et les visages dans la représentation des sujets. Et ceci ne fut pas l’occasion de découvrir que Picasso était malhabile. Car il était un génie et un virtuose affirmé du dessin et de la peinture, dès ses 16 ans. A tout le moins, on comprit qu’il était un peu cruel avec le sujet. Puisque en véritable chaman de l’art, il tentait d’exorciser nos peurs fondamentales. Ne résident-elles pas et ne croissent-elles point dans la vision comme des hallucinations de nos fièvres, qui nous enseignent que la réalité n’est jamais si fixe que nous le pensons. Il faut lire Les Portes de la perception d’Aldous Huxley pour s’en convaincre. Aussi, se référer à toute l’oeuvre hurlante de Bacon qui fit une somptueuse suite à l’oeuvre de Picasso.
On dit souvent que les cubistes, aidés par Vollard, ont pu mener à terme leur programme, qui consistait à montrer un objet ou un sujet sous tous ses angles simultanément. Mais, comment concilier cette approche avec la permanence du cube, qui finissait par envahir la toile par-dessus le sujet même. On comprend qu’il s’agissait plutôt d’une tentative de concilier le réalisme avec l’abstraction idéelle et donc rationnelle parfois. Et c’est bien ce truchement qui permit de montrer tous les côtés des objets à la fois.
Et d’une façon plus qu’étrange, ces dessins et peintures cubistes évoquent les dessins techniques des architectes médiévaux tel Villard de Honnecourt. Quand les intellectuels n’hésitaient pas à mettre à plat les machines en des plans annotés de remarques marginales . Et sans se préoccuper de la perspective qui n’existait qu’à l’état de tentatives empiriques. Dans ces plans, il était surtout question de transmettre un savoir, sans chercher à dégager quelque dispositif illusioniste de la représentation. En somme, le réalisme était spirituel ou intellectuel sinon suprasensible, plutôt que sensible ou conforme à la perception sensorielle. Et c’est bien ce caractère intellectuel de la peinture que le cubisme a su replacer dans l’histoire des arts. A la suite de la table rase de Gauguin, qui voulut revenir aux origines de la pensée barbare des hommes prélogiques. Ainsi, dans cette histoire de l’art, c’est comme si Vollard, le soutien de Gauguin, Van Gogh et des cubistes, puis Cézanne et Picasso avaient ensemble commencé une nouvelle histoire de la peinture, au tournant du XIXe siècle au XXe siècle. Ce qu’il fallait tout de même oser, à la manière d’un nouveau Lascaux.
Le cubisme s’acheva en un échec théorique pour une science qui voulait achever le regard. Mais cette pensée prismatique connut un succès de mode définitivement internationale et, même, décorative. Plus sérieusement, ce furent les constructivistes russes qui menèrent l’expérience de la déconstruction plus loin encore, vers le dernier tableau et le suprématisme de Malévitch. Enfin, cette manie de la déconstruction trouva son médium le plus adapté dans l’architecture. Car, aujourd’hui encore, des architectes déconstructivistes ornent nos plus belles mégalopoles de leurs expériences formelles inouïes, qui doivent beaucoup aux oeuvres de Cézanne et de Picasso. Certes, ces architectes jettent des bâtiments qui ont l’air branlant et tout-cassé, quand ils sont des créations d’un autre ordre. Soit d’un nouveau regard, promu par Vollard, et qui a pris forme pour, finalement, s’imposer dans notre paysage urbain.
Demian West
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