Saturday, July 21, 2007

La Disney Gare du 3e millénaire




A quarante kilomètres de Paris, on prend une route sur le plateau de la Brie vaste et dégagée. Là, on entre dans un périmètre circulaire entièrement consacré aux divertissements de la sphère Disney. Il y a surabondace du spectacle et de châteaux de princesses bâtis en dur qui font rêver les infantes les plus exigeantes. Vrai, on vient du monde entier pour s’immerger dans l’imaginal du parc à thèmes hyperréaliste. Et souvent on y casse sa tirelire pour s’enfoncer plus encore dans le crédit qu’on portera au rêve enfin réalisé, au bout de la route.

A Marne-la-Vallée Chessy, on y trouve aussi la gare même du XXIe siècle. C’est un bâtiment irréel. Tant il semble conçu en des lignes d’un treillis ordonné qui sait orienter le visiteur vers l’immatériel. Voyez ! Tout y est fonctionnel, conformément à l’architecture du XIXe siècle. En conséquence, on y voit chaque objet qui compose la structure transparente. Aussi, on y voit sa fonction découverte, ou la vocation pour laquelle cet objet a été assemblé à l’édifice. Cette couverture aérienne a été construite par Arcora, sur le mode high-tech défini par l’architecture contemporaine de Norman Foster. C’est-à-dire, selon une ligne de force lancée par l’architecture minimaliste de Mies van der Rohe, qui fut le dernier directeur du Bauhaus.

On y sent les grandes baies vitrées et les murs rideaux inventés par Gropius. Certes, ils nous enveloppent, mais, dans le même temps, ils font définitivement oublier toute notion de séparation ou de différence entre l’intériorité et l’extériorité. Car, les structures portantes en métal y gagnent tellement en finesse de dentellière qu’elles évoquent des grilles de lecture au rythme si rationnel. Ainsi, frisent-elles une élégance poétique qui manifeste la nouvelle création du high-tech immatériel. Telle une pensée conceptuelle qui serait enfin descendue des cieux paradigmatiques.

De l’ensemble se dégage une grande beauté formelle, qui pousse à se reposer au creux de ces lignes en berceau. Là où elles se croisent et se rencontrent entre elles. Le design, de chaque objet et en chacun de ses éléments, est soigné jusque dans les salles d’attentes. Elles sont quasiment d’un luxe élyséen et pour chacun des visiteurs. Il n’y manque que le "home theater" pour qu’on y prenne son train sans ressource de générique de fin. Et pour jouir infiniment de ce lieu si pensé et si propice qu’il réalise le rêve cristallin du démiurge soi-même. A la vérité, c’est un peu le vrai château de la "Belle au Bois Dormant" ou de la discrète Cendrillon qui prend chaque nuit le dernier train quand passe minuit.

A quelques dizaines de mètres, et à l’extérieur, des milliasses de personnes se pressent dans la grande perspective centrale qui mène aux guichets des affaires enfantines. Et pour qu’ils entrent dans la gueule dévoratrice du parc à thème Disneyland, ou dans le nouveau parc ajouté et consacré au cinéma des effets spéciaux. Tous les visiteurs ne viennent pas de la gare cristalline. Peut-être ne la verront-ils jamais ?

Il reste que cette architecture, que vous pouvez voir ici, est un nouveau mode de conception des gares. Puisque, le TGV entre dans la gare comme un souffle si léger qu’il semble gonflé à l’hélium du silence. Et tellement, qu’on sent bien qu’il a flirté dessous les nuées, durant son envol retenu. Et finalement, ce n’est plus dans une gare qu’il entre, mais dans un hall d’hôtel sinon dans un salon même où s’écrit quelque roman de l’Orient-Express du troisième millénaire.

Tellement, tout y est "luxe, calme et volupté", selon l’image même du paradis terrestre baudelairien. Nous sommes au plein d’une nouvelle cathédrale de l’immatérialité, qui est manifestement indicielle des flux contemporains. Soit des connexions sans effort qui savent voyager selon les canaux de l’esprit. Comme si le monde et ses matériaux allaient vers la vitesse qui dématérialise le monde lui-même en un songe éveillé.

Sans doute est-ce là la raison de ce vertige qu’on ressent au centre de cette gare qui fait éclater toutes frontières entre l’extériorité et l’intériorité. C’est-à-dire qu’il n’y a plus d’écart entre la matière et l’esprit, tout pareil à internet et ses fusées immédiates dans lesquels nous fluons.

Demian West

Promenade architecturale en photos par Demian West http://demianwestphotos.blogspot.com/2007/07/la-disney-gare-du-xxi-sicle.html

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