Jusqu’au 26 août au musée d’Art moderne de Saint-Etienne, Orlan se souvient à coeur ouvert chez elle. En effet, la plasticienne d’art contemporain est native de Saint-Etienne. Et c’est une rare exposition, en manière de reconnaissance toutefois polémique, que sa ville lui offre. Puisque, Saint-Etienne impose Orlan contre d’autres capitales étrangères, qui ont refusé d’accueillir cette exposition itinérante. C’est bien de provoquer, quand on est une artiste issue du mouvement du happening et de la performance et ce depuis les années 60. D’une certaine façon, c’est un peu le fil chirurgical qui sait tisser la carrière de cette artiste qui, on le reconnaîtra aisément, sait prendre des risques.
Pour la seule raison, que l’objet de sa pratique artistique est son propre corps, qu’elle transforme pour nous dire notre époque et même un peu plus loin. Elle a subi, mais surtout choisi, neuf opérations chirurgicales plastiques, qui ont été filmées pour être diffusées à Beaubourg en public. Orlan transforme son corps, par des ajouts prothétiques, ou des variations hybrides et du modelage esthétique, et pour ouvrir réellement à la société du corps virtualisé. Bien entendu, la chose est plus complexe qu’il y paraît. Et, il faut préciser d’emblée que le process est heureux et jamais inscrit dans la douleur ou la recherche d’ascèse, voire de mortification d’une autre nature. Orlan revendique simplement la possession de son propre corps. Et pour en faire son expression mouvante et libérée, qu’elle transforme selon sa volonté. Ce qui est forcément, un avenir assuré à l’humanité, par la progression inéluctable de la chirurgie plastique qui est déjà fortement socialisée aux Etats-Unis. Aussi, nous savons tous que la prochaine étape de l’évolution humaine se fera au gré des organes prothétiques et hybrides ou des robots immatériels, qui seront progressivement et chirurgicalement ajoutés au corps humain.
Par ailleurs, il y a un discours plus politique autour du féminisme d’Orlan. Mais, il est moins féminisant que tourné vers une entité plus abstraite, par-delà les notions de dualité des deux genres masculin et féminin. Orlan travaille son corps en tant qu’elle se pense un esprit non réduit à sa féminité, qui reste une blessure laissée par l’histoire vouée au culte de la masculinité. Sa première grande rupture, avec l’état du marché de l’art, s’est produite lors de la FIAC de 1977. Quand elle s’est exposée derrière la photo de son buste nu. Et pour rouler des patins de la patineuse aisée sur la glace lissée, à quiconque lui balançait 5 francs, ce qui n’est pas cher la patine savante d’artiste. Elle en devint célèbre sur ce coup de rouge du baiser de l’artiste. Plus tard, et parce qu’elle a de la bonne suite dans les idées warholiennes, elle déposa le concept du "Baiser de l’artiste". Pour en faire une ligne esthétique, qui lui rapporte désormais des sous et des dessous comme il convient.
C’est aussi ces dessous que le milieu de l’art lui reproche sans le dire explicitement. Qu’elle ait osé emprunter des voies de traverses au scalpel, et donc sans passer par des galeries des règlements et conventions. Ce qui ne manqua pas d’ouvrir quelques plaies et blessures encore mal cicatrisées. Pire encore, elle a obtenu, par ses déviances si personnelles, la reconnaissance universitaire. C’est-à-dire qu’on parle d’elle dans les cours d’arts plastiques, et pour la présenter en modello de l’art conceptuel et du côté du Bio Art. A la vérité, Orlan s’attaque aux canons de la beauté idéale, soit à la représentation officielle ou socialisée du corps, qui change selon les époques. Et ce discours critique du corps fantasmatique est un très grand oeuvre. Puisque, c’est par le biais des modèles du corps que des structures sociales nous sont imposées. Et souvent des modes de pensées et des rôles nous sont distribués par la contrainte et pour l’avantage des pouvoirs en place. Comme si le corps était un costume trois pièces qu’on nous imposait au moment de notre naissance orwellienne. Et que nul ne saurait retirer ce costume charnel et culturel, sans découvrir aussitôt le sauvage subversif qu’il est et qu’il restera dessous les couches de la culture parfois dictée.
Ce qui dérange plus encore, c’est l’incrustation de la figure transformatrice d’Orlan dans la sphère people. C’est un choix décidé par l’artiste qui a compris les avantages libératoires qu’offre cette gentry. Plus elle est people et plus elle peut imposer, au marché et à la pensée commune, ses visions du monde futur tel que nous le connaîtrons bientôt. Car, il ne saurait y avoir de doute que, dans quelques décennies, chacun pourra sculpter son corps selon le Bio Art. Certainement, les chirurgiens plasticiens seront une part considérable de l’économie virtualisée dans les sphères de la séduction, qui dominent déjà le monde et les échanges sociaux et intimes.
Il semblerait que l’art d’Orlan soit un nouveau courant qui se dessine dans l’histoire de l’art. Car, elle ne se reconnaît pas dans le Body Art de Gina Pane qui fut trop marquée par l’exigence de douleur ou d’auto-maltraitance. Et d’autre part, Orlan s’inscrit dans la modernité qui accepte la sphère people, comme un mode naturel d’apparition de l’art contemporain. A la manière de Jeff Koons qui s’exprime de toutes les façons outrancières et dans un esprit de rock star. Il y a donc une forte individualisation de l’art, dans cette démarche libératoire qui refuse toute inscription dans un courant usé ou reconnu. Et finalement, c’est tout le projet de l’art contemporain qui est mis en oeuvre par la volonté de transformer les structures sociales inscrites jusque dans le corps même, ou de soi-même selon les opérations artistiques d’Orlan.
Demian West
Friday, July 06, 2007
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