Jusqu’au 16 septembre 2007, la National Gallery de Londres ouvre la galerie des portraits flamands du XVIIe siècle. Ainsi, c’est la quintessence de l’âge d’or des Flamands qui nous regarde droit dans les yeux et, par-delà, les siècles accumulés.
On retiendra les deux termes majeurs de ce genre, Frans Hals et Rembrandt. La société flamande avait inventé la banque pendant la Renaissance, et le tableau devint aussitôt un bien mobilier. En effet, il fallait pouvoir l’emporter en cas de conflit, pour se mettre à l’abri avec son patrimoine. Cette tendance sut dématérialiser le tableau jusqu’à la création du billet de banque, et finalement le cyber-cash... Sur les billets, on voit bien ces portraits des grands hommes. Telles ces guildes marchandes qui avaient commandé des portraits de groupes à Rembrandt. Pour dire à leur postérité que ces négoces étaient là avant nous. Et donc, qu’ils sont l’héritage marchand et culturel.
Rembrandt est fidèle au sujet qui pose. Il est vrai que ses premiers tableaux furent si minutieux en détails qu’ils manifestaient sa surabondance de virtuosité. Mieux encore, il sut y ajouter cette lumière dorée qui jette le souffle sur le tableau comme Dieu lui-même jeta son souffle sur la glaise adamique. Outre ces portraits de groupes, Rembrandt a peint des portraits intimes, de sa femme avec son fils, et de lui-même. Ce sont des témoignages bouleversants de la vie derrière la toile, en coulisse du théâtre de l’art qui est un marché jaloux et dévorateur.
On dira, à l’autre bord, la touche urgente et enlevée de Frans Hals. Il fut probablement, un génie plus puissant que tout ce qui le précéda dans la tentative de la sprezzatura ou de la touche jetée du fa presto. C’est simple ! Cet homme balançait sa peinture sur la toile comme l’insecte sait où frapper sa proie, sans y penser et sans repentir, droit comme le détail qui tue. Ses portraits sont composés de touches hâtives, dont on voit les innombrables microtouches dues au pinceaux buissonnants. Paradoxalement, cette manière fait plus vrai encore que toute la peinture lissée de ses confrères.
Il est dans la lignée des virtuoses, dont Velasquez, Guardi, Goya et d’autres considérables peignants. Il faut ajouter qu’une telle aisance ne s’apprend pas, car elle est innée en l’individu, comme une faculté dont la nature a pourvu Hals. C’est une grâce qui frappe au hasard. Le XVIIe siècle flamand fut fécond en de telles virtuosités, qui furent, dans le même temps, soutenues par l’espace marchand et la tolérance du "laisser faire" capitaliste de la nouvelle société bourgeoise montante.
Aussi, cette période prépara-t-elle le grand avènement du portrait bourgeois puis démocratique, du XIXe siècle. Quand la peinture devint photographie, et du portrait principalement. La rhétorique du portrait, en poses convenues et selon la lumière artificielle qui spiritualise la figure, se transposa dans l’atelier du photographe. Et d’une certaine façon, c’est Nadar qui sut trouver et transmettre l’essence de ces portraits flamands, par le biais du maître définitif Ingres. En joignant, d’une part, la lumière spirituelle — mais au sens d’intellectuelle — par Rembrandt, à la spontanéité des poses vives et brutales de Frans Hals.
Le tout étant de savoir rendre le vif des carnations, et donc ne jamais être si figé qu’anthropométrique. La peinture comme la photographie doivent transmettre l’esprit derrière la chair. C’est le portrait de l’individu jeté et pedu dans un monde étranger, qu’il doit quitter à la fin, que la peinture et la photographie doivent rendre. Quand jamais l’art du portrait ne devrait trop s’attacher aux seules contingences de la chair du sujet.
En conséquence, le portrait est une couche inframince sur la toile, qui voyage à l’intact par-delà le temps mesurable. Et qui préfigure les promesses résurrectives de chaque individu dans l’histoire. Par le biais de l’ADN et des informations génétiques qui sont contenues dans nos cellules reproductrices, et qui sont les "nanoportraits" ultimes de nous-mêmes.
Demian West
Wednesday, July 11, 2007
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