Depuis les années 1960, tous les arts confondus se montent d’ensemble vers une sorte d’oeuvre collective qui saurait libérer une conjouissance favorable à toute la société. En effet, Allan Kaprow avait inventé le happening pour introduire à nouveau du hasard ou de la fortune dans les actions individuelles, mais surtout collectives.
Ainsi en préalable, il imaginait toujours une sorte de trame comme un scénario en fil conducteur du happening, qui partait vite en fusée. Et cette divagation ou errance était contrôlée par le geste initial ou inaugural qui avait lancé la performance dans une ligne de force thématique. Bien sûr, tout ceci avait été initié auparavant par Dada et par les soirées délirantes du cabaret Voltaire à Zürich au début du XXe siècle. Puis, les choses s’étendirent lors des soirées entre Dada et la suite surréaliste. Quand Eluard faisait le coup de poing sur la scène pour règler des comptes littéraires.
Et avant tous ces entregens, on trouve certainement le concept d’oeuvre d’art globale (Gesamtkunstwerk) chez Wagner qui confondait tous les arts dans l’opéra et dans la vie même. Aussi, il n’est pas si hasardeux qu’il fut entretenu et soutenu par Louis II de Bavière, qui était un esthète plus artiste encore que les artistes mêmes. Et c’est Louis II qui a réalisé le programme de Wagner, en édifiant un monde de châteaux en faux marbres et de porphyres peints, si voluptuaires qu’il l’a payé de sa vie probablement noyée par les mains de l’Etat plus puissant que l’art. Quoi qu’il en soit, vers la fin du XIXe siècle, c’est la figure du génie romantique qui sut emporter toutes les structures rationalistes en art et dans la culture plus vastement, vers une sorte de transe sentimentale et musicale sur le mode pictural.
Kandinsky a créé l’abstraction et, dans le même temps, il l’a ajoutée du concept de la "synthèse des arts". C’est-à-dire d’une idée nouvelle, que tous les arts, depuis la musique jusqu’à la danse, se pourraient être un même concept précipité vers une oeuvre d’art totale, qui serait la vie artistique elle-même. C’est un peu ce que les post-dada et donc Kaprow tentèrent. Ils seraient très long de préciser toutes les étapes de ces manifestations des performances dans le champ social. Mais on en retiendra qu’elles diffusèrent surtout dans la scène rock et théâtrale, ainsi que dans les arts plastiques qui en furent définitivement transformés.
Il reste que la pression exercée par ces activités libératoires, tout du long de décennies, se fait encore sentir aujourd’hui. Car toute cette synthèse des actions artistiques n’a de valeur et de fonction qu’en tant qu’elle sait distribuer et assurer une sorte de transe, qui tiendrait du sentiment et de l’émotion. Soit de l’absorption de l’individu et des mouvements collectifs dans un ailleurs rimbaldien, que chacun peut sentir quand il est submergé par un médium immédiat comme la musique.
Aujourd’hui et par le biais des nouveaux médias internet, on saisit mieux, et de plus en plus, la lourdeur du réel qui fige trop les performances ou les happening au ras du sol si lent et marécageux. Il est clair que lorsqu’on a essayé le net, certains aspects du réel évoqueraient plutôt cet oublieux fleuve de béton qui prend, et dans lequel l’individu tente de nager à contre-courant. Pour exemple remarquable, la misère s’accroche au réel autant que le net distribue des bienfaits for free.
De plus, les mécaniques sociales deviennent si complexes que nul ne saurait plus maîtriser, pour lui seul , la transe pour en extraire la jouissance libératoire. C’est pourquoi, internet s’est imposé comme le nouveau médium de la transe collective, après la télévision. Puisqu’il présente l’avantage de dématérialiser toutes les manifestations des performers. Autant qu’internet leur permet de lâcher si loin les happenings, que les maîtres de la performance y prennent des prises ou des contributeurs par-dessus les continents. Et que la chose peut enfin s’espacer sans la limitation et du temps et de l’espace géographique.
Sur le plan moral ou des moeurs, la relâche se fait aussi pressante. Et c’est une garantie définitive que le happening global se sait partir en vrille comme un avion qui n’aurait plus aucune intention d’atterrir convenablement. Le but ultime de la transe étant de s’abstraire du sol dessous nos pieds et de ses effets de pesanteur, mentale aussi, qui nous rappelle sans cesse notre condition d’homme pris au piège dans un monde qu’il n’a pas construit, pour un temps encore...
C’est donc un peu le programme de Kaprow qui s’est étendu à l’échelle mondiale. Et dans ce fait que la transe internétique semble peu sûre de son issue ou du paysage de cette planète entière qui apparaît doucement. Comme nul ne connaissait l’issue d’un happening collectif, en raison du trop grand nombre d’intervenants libres et de leurs actions libérées.
D’une certaine façon, le lien qui fait ce nouveau monde performé par le média internet, c’est la transe synesthésique. C’est-à-dire que tous les arts, aussi du dialogue et de l’information, sont désormais réunis pour constituer une nouvelle société immatérielle. Et dont chacun détiendrait la première pierre renouvelée chaque matin ou chaque heure, comme on voudra.
C’est un peu comme si l’Arche de la Défense et son cube évidé immatériel annonçait cette civilisation des immatériaux, qui s’envole et performe chaque jour des événements collectifs qui assurent notre transe totale et globale. Et qu’elle libère des jouissances de la vitesse et de la vie intense qu’on ressent uniquement dans cette nouvelle matière plus fluide comme la pensée que nous nommons l"’immatérialité". Finalement, tout ceci est assez proche de la recherche du sentiment de vivre intensément l’instant présent, qui était le maître mot des philosophes et des plus beaux sages antiques.
Demian West
Wednesday, August 22, 2007
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