Du 1er octobre au 6 janvier prochain, la National Gallery of Art de Washington met les grands espaces d’une rétrospective mémorable du peintre ultime Joseph Mallord William Turner. Autant prévenir le visiteur, qu’il y aura du grand spectacle, des montagnes humiliées englouties dans la mer.
Car, c’est non moins que le phare alexandrin de la peinture qui s’en va aux States, pour un tour de démonstration qui assure de stimuler de nouvelles générations de peintres néo-romantiques. Certes, on peut voir le plus grand ensemble du travail de Turner à la Tate de Londres. Et sous la formule ferrée de salles qui évoquent un coffre-fort immense qui sait protéger le trésor national de la culture anglaise. Il y fait toujours frais, pour bien préserver les oeuvres. Et au milieu de cette arche cultuelle, on y voit dans une vitrine hyperblindée les vieux pinceaux du maître et sa palette brunie. Et d’autres marques d’une vénération collective qui laisse derrière elle, la vente annuelle des mouchoirs usagés de Mick Jagger ou de Paul Mac Cartney à la plus offrante des groupies. Aussi, on sait la Reine (Dieu la sauve) en grande coutume de détenir les plus grands lopins de l’art mondial et les fameux carnets de Vinci.
Turner, c’est un magicien de la couleur, et un metteur en scène inouï. Il composait ses tableaux comme d’immenses taches suggérant des sentiments qui emportent l’homme, telles des vagues picturales. C’est le romantisme et ses flux qui répondent à la rationalité des temps néo-classiques. De 1750 à 1850, le duetto passion-raison a inspiré les plus grandes oeuvres de la littérature et de la peinture. Et Turner est l’achèvement de cette période.
Il s’est d’abord inspiré longtemps et scrupuleusement des maîtres anciens. Ainsi, qu’il semblait apparemment dépourvu d’aucun style qui lui fut propre. Et passé la trentaine, il dut quand même s’y mettre, et trouver sa griffe du jeune lion Britannicus. Ce qu’il ne réussit pas trop mal. Puisqu’il avait, désormais, toutes les inspirations à disposition dans sa boutique de son métier, après ses reprises virtuoses du meilleur chez les autres.
On suppose qu’il faut recevoir ses grandes oeuvres de loin et dans la face, comme une vague orgasmique qui gicle par-dessus le pont. Toutefois, l’étude rapprochée des oeuvres emporte un autre secret inestimé. Oui, on voit bien que les grandes envolées sont composées d’infinies suites de petits coups de pinceaux entretissés. Tout y est donc mené par une pensée qui conçoit une sorte de piège pour l’esprit et nos sens confondus. Ce ne sont pas de grands coups de pinceaux vifs qui font le tableau. Mais des petites pointes successives, et pensées l’une après l’autre. Et qu’elles donnent cette illusion de grandes masses cohérentes et sans fragmentation. Ce qui est une prouesse inégalée.
On se souvient de John Martin the Mad qui fut un peintre romantique victorien. Il a peint de grandes toiles évoquant des cataclysmes ou des apocalypses pour les temps futurs qui sont les nôtres. Parcourues par des peuples pérégrins semblables aux figures très antiques. Tout ceci est si biblique que déjà du cinématographe. Ce néanmoins, Turner était plus subtil que ces grandes machines grandiloquentes, mais bien foutues tout de même. On retiendra que Turner usait d’une perspective intuitive. C’est-à-dire que la vision devait rendre ce que l’esprit concevait, et donc moins les repères écrasants et désenchanteurs du réel. Tant et si bien, que Turner annonçait déjà les déformations de l’expressionnisme. Aussi, il fut le grand précurseur de l’impressionnisme. Puisque Monet alla directement à sa source londonienne pour mijoter son coup des avant-gardes parisiennes.
On sera surpris d’apprécier combien Turner négligea la figure humaine. En fait, il usait de quelques motifs vaguement anthropomorphes qu’il plaçait parcimonieusement pour suggérer une échelle. Car, plus il voulait du sublime, plus il devait écraser la figure du promeneur. Afin de l’isoler dans cette nature qui le dépasse. Enfin, il savait poser la couleur en des tourbillons de chocs si primaires, de bleu, de jaune, et du rouge avec un peu de noir, qui ont gardé tout leur éclat brutal et doux à la fois, et qu’ils font encore tourner la toile comme un flux vivant. Turner c’est la grande affaire de la peinture qui tourne encore...
Demian West
Sunday, August 19, 2007
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