A Dublin, le musée irlandais d’Art moderne expose, jusqu’au 2 septembre 2007, les oeuvres du plus classique de nos artistes contemporains, autant qu’il est le plus cruel de nos peintres figuratifs actuels. Lucian Freud est le petit-fils du grand Freud qui ouvrit la boîte de la psy horlogère. On imagine le poids que ces pratiques fondatrices de son grand-père donnent à ses coups de pinceaux, en manière de revanche sur une telle figure qu’il faut, soit dépasser soit honorer infiniment.
Il s’en sort bien le petit Freud. Car, il se fit de Bacon un ami, sinon le meilleur. Je parle du Bacon qui fut le second Picasso du XXe siècle. Et il peignit tous ses écorchés dans un petit atelier londonien grand comme une chambre de bonne à Paris, le bordel des pinceaux en plus. Car cet atelier était vraiment le musée même du désordre. Si l’on ajoute cette influence qui forma Lucian Freud, on comprend mieux la lumière sous laquelle il sait placer ses modèles nus, et parfois son jardin. Elle est si impitoyable qu’elle fait penser au néon des commissariats excentrés et oublieux.
C’est pourquoi on dit tantôt, dans la critique bienveillante pour les figuratifs, que Lucian Freud décolle les chairs. Bien sûr, ce sont des chairs picturales. Toutefois, on dirait qu’il passe son temps à recoller les bouts que Bacon avait arrachés à ses modèles, parfois venus du siècle passé de Velasquez.
Les nus de Lucian Freud évoquent des retours de la "Nouvelle Objectivité" des années 30 en Allemagne. Quand on montrait les dégâts de la bière et des saucisses qui collent aux intestins sans fin jusqu’au dernier trou dans la pièce du fond. Comme Grosz, Freud peint des femmes charnelles sur des divans souffrants. Elles montrent leurs chairs comme si elles en étaient fières, quand d’autres anorexiques les enlèvent à chaque repas reporté. C’est un peu de cette inhibition qui manque aux oeuvres de Freud. Et donc il n’est pas seulement figuratif, mais on osera dire qu’il est "surfiguratif" car jamais surréaliste, il s’en défend assez...
Il a peint un portrait de la reine d’Angleterre contemporaine de la beauté Lady Di. Et il la chargea de tant de ses défauts, que la gentry en fut choquée, mais que la Reine lui céda qu’il avait bien vu. Peut-être parce que la reine est la seule à se voir dans le miroir le matin et au serein, avant qu’elle y mette ses irréalistes peintures de guerre.
Où l’on voit que la peinture figurative, aujourd’hui, est plus critique que les arts les plus engagés et conceptuels, qui échappent tantôt à l’oreille et aux yeux de leur public. Et au fond, cette tradition de la bonne peinture bien faite, et qui sait balancer le tout cash, n’est pas au terme de s’éteindre ni même de faiblir. Ce qui calmera les quelques critiques bienveillants qui voient encore de l’abstrait et du conceptuel partout.
Demian West
Tuesday, August 07, 2007
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