Jusqu’au 16 septembre à Madrid, le musée Thyssen-Bornemisza est aux couleurs de l’hyperréalisme du plus somptueux Richard Estes. C’est un artiste inscrit dans un courant de l’art qui explosa littéralement les grandes biennales en 1972. D’autant que Dali l’avait soutenu, puisqu’il peignait lui-même en reprenant des photos à l’identique.
Le principe de l’hyperréalisme est qu’il se veut une transcription rigoureuse de la syntaxe photographique, sinon de la photographie brutale telle quelle. C’est donc une sorte de copié-collé, mais peint à la main. Ce qui ne devrait présenter aucun intérêt a priori. Car, on en exclurait toute marque du "painterly" soit du pictural.
Richard Estes est un des maîtres majeurs de cette école. J’ajoute qu’il était très admiré par Marguerite Yourcenar. Ses toiles nous montrent la vie new-yorkaise, dans tous ses bons lieux et en bien d’autres occasions qu’on penserait plus souillées. Pourtant, le style de cet artiste ne peut se résoudre à montrer les détritus ou des déchets qu’on voit solidement traîner sur le bitume de l’Amérique à son gaspillage. Tout y est propre, les fleurs accumulées chez le fleuriste, des voitures et des fenêtres se renvoyant des reflets symétriques à la rue, dont on entend presque les sons qui tintent et cornent dans le vide de la toile photoréaliste.
Toutefois, on l’a dit, nul rebus ou tache ne viendrait à rompre les surbrillances des cabines téléphoniques irruptives de leurs reflets d’exocets furtifs. Le peintre Estes est très habile. Car, son "painterly" résiduel et griffé semble plus propre encore, dans ses petits essais vite jetés et très stylés d’une manière assez parisienne. Et l’on pense du coup, que cette Amérique des années 1970, c’est notre Paris de Nowadays qui se défonce à la Défense. Pour ma part, j’apprécie plus encore les tableaux de Estes qui sont des flâneries dans Paris, et souvent sur un mode repris de la peinture métaphysique de Chirico. C’est-à-dire, que ces toiles de grand format s’espacent sans la présence d’individus postés ou en marche. On ne voit des personnes utiles, que par le biais des reflets métallisés ou dans les grands verres, qui savent briser leur intégrité d’occupants de la toile.
Il y eut toute une génération de peintres hyperréalistes qui essaimèrent jusqu’en Italie et en France avec Monory, et jusqu’au Japon. Ce fut un style international qui annonça la révolution des logiciels tels Photoshop, qui achevèrent toute compétition vers le plus vrai que vrai. Il faut se souvenir que dans l’Antiquité grecque les peintres tenaient régulièrement des joutes artistiques, pour exceller dans la représentation illusionniste du réel. Il ne reste rien de ces oeuvres qui étaient trop fragiles et peintes à la cire. Toutefois, les historiens ont rapporté les exploits picturaux de Zeuxis qui peignit des raisins qui en dirent aux pigeons. Quand son rival Praxeas avait peint un rideau qui sut tromper Zeuxis lui-même.
Pourtant, tout ceci n’est qu’illusionnisme pour l’esprit. Puisque, si l’on prend une photographie de chacun de nos hyperréalistes contemporains. Et si l’on compare ces peintures entre elles, on remarque immanquablement que la main ajoute du style et donc de l’art, à ce qui se voulait d’abord impersonnel et au dernier degré. Ce qui veut dire, que le regard interprète naturellement et quoi qu’il puisse arriver ou se produire de si réel ou réaliste. Et que la peinture, qui prétend à représenter le réel, le représente au travers des lentilles de nos yeux qui sont des invaginations de notre cerveau. Comme si toute la réalité n’était qu’un songe magnifique ou la monstrueuse merveille révélée par le drame shakespearien.
L’homme ne peut donc être réduit en une sorte de machine à peindre sans âme ajoutée, soit sans art entretissé. C’est une fin paradoxale de ce mouvement, qui prit, à mesure qu’il se spécialisait, des formes de plus en plus abstraites et, paradoxalement, germées dans le réalisme à outrance. Aussi, les oeuvres de Estes ont-elles cette qualité de la plus grande rigueur géométrique. Et que l’on avait grande coutume de voir plutôt dans l’abstraction philosophique du suprématisme de Malévitch et des constructivistes russes au début du XXe siècle, par exemple. De la même façon, ces paradoxes du réalisme ont su pousser la réflexion autour du réalisme d’apparence. Nous parlons du "schijnrealism" des Flamands du XVIIe siècle, dont on sait aujourd’hui que son hyperréalité était un discours très symbolique et donc éminemment abstrait, autant que des pensées peintes.
C’est ainsi que l’hyperréalisme vira doucement vers le superréalisme qui n’était pas si loin du plus vrai que le réel, et donc du surréalisme très cultivé de la méthode paranoïaque critique de Dali. Où l’étrange fait irruption dans la couche infra-mince de la réalité d’une surface sise entre les deux termes définitifs que sont la naissance et la mort ou le maître instant de La Vida es sueno du baroque Calderon de la Barca.
Demian West
Tuesday, August 14, 2007
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