Jusqu’au 16 septembre à Williamstown aux Etats-Unis, le Sterling & Francine Clarck Art Institute nous propose une exposition fracassante de révélation à propos du "Monet inconnu". En effet, les oeuvres exposées s’éloignent des sempiternelles huiles, peut-être un peu trop connues puisqu’elles sont tellement appréciées par le public. Ces oeuvres "mondiales" ne sont-elles point un genre international, et hors du comput du temps, qui fut mis comme en orbite des critiques tous définitivement vaincus depuis plus d’un siècle.
Il reste que beaucoup d’aspects de la création des grands hommes sont souvent occultés. Au profit de la légende qui se doit d’être simpliste pour mieux frapper l’opinion et la mémoire des foules, qui se pressent au musée pour y voir ce qu’elles savent y trouver en pays connu. Ainsi, le Clark Institute a rassemblé un nouveau jour des pastels et des carnets de croquis de Monet. On y découvre un artiste qui serait le plus moderne qui soit, encore de nos jours. Ce qui surprend au premier jet de regard, c’est la virtuosité mais aussi l’impromptu dans ces carnets.
Et cette maîtrise paraît si vite jetée sur les petites feuilles ivoirines des carnets, qu’on y sent une science de la composition jamais vue auparavant. C’est un peu comme si Monet avait eu la prescience du cadrage plus cinématographique que photographique. Bien sûr, il était nourri du nouvel art de la camera obscura depuis les années 1930. Mais, les suites de prises de vues crayonnées semblent proposer une forme de l’image en mouvement, et assez proche du "story board". Ce qui n’est pas étonnant pour ce capteur du réel que fut Monet.
Ce qui surprend aussi, c’est la grande économie de moyens, qui favorise une composition implacable. Nul détail ne vient détourner le regard et la pensée de la composition organisée et régulée par le trait unique et parcimonieux. Comme si l’urgence et le jet furtif assuraient la fraîcheur de l’intemporel, mais immédiat puisque c’est Monet. La couleur vient ensuite habiter ces propositions de cloisonnés déjà si proches de l’abstraction. On ne s’étonne guère que Kandinsky ait reçu la révélation prophétique de l’abstraction devant les Meules de Monet.
Dans ces esquisses des carnets de Monet, le japonisme éclate comme dans les oeuvres de Van Gogh et de Gauguin, et des graphistes fauves de la lionnerie post-impressionniste. C’est un effet de l’ouverture de l’Occident à cet art des estampes de Hokusai. Mais dans le même temps, on y voit bien une science de la composition qui se sait continuer l’oeuvre des classiques et des académiciens. Dont Henner qui fut le seul à soutenir les impressionnistes. A la vérité, Henner s’appliquait à construire ses oeuvres académiques en de belles masses et des couleurs suggérant ces masses, qui fixaient le tableau comme une construction solide et bien stable et forcément agréable à l’oeil.
Ainsi, ce n’est pas tant une révolution abrupte et absolue que Monet aurait provoquée. Mais plutôt, une suite naturelle à l’art dans sa progression en flux et reflux, tout du long des siècles. Mieux encore, en voyant ces esquisses, on ne doute plus des témoignages des contemporains qui assistèrent à des séances de peintures par Monet, mais dans son atelier. Quand il peignait la série de la Cathédrale de Rouen, que la tradition impressionniste disait peinte sur le motif et en une séance par toile. Pourtant dans les toiles de cette série, la couche picturale y est tellement épaisse et torturée (de rajouts successifs sur des couches déjà sèches), que la pochade ou la séance unique semble improbable. Et des témoignages affirmaient avoir vu Monet reprendre ces toiles en série et bien après la pose pleinairiste, c’est-à-dire dans son atelier. Il n’y avait donc pas tant de spontanéité, mais plutôt un grand art et une science à la pointe de la tradition des siècles contendus. Et tout derrière ou en apprêt de cette pratique qui est, en fait, illusionniste.
Car en fait, Monet travaillait si virtuosement qu’il parvint, à force d’exercices visuels et de pratique picturale, à donner l’impression d’un travail hâtif et aussi digne de l’instant photographique en couleur. Tant et si bien qu’on comprend à quel degré un artiste, pris dans son temps, ne saurait vraiment échapper à l’air du temps et donc aux standard de communications communs à tous ses contemporains. Et le rôle du génie qui, certes, amène les standard des nouveaux temps, se mesure aussi à la façon et à la force qu’il met pour nous les donner à voir, par toutes voies illusionnistes. Finalement, les artifices de l’art savent seuls nous amuser et donc nous rendre la vie assez immatérielle, pour qu’on puisse y rêver amplement et trouver le fun.
Demian West
Consulter les carnets de croquis ici :
http://www.clarkart.edu/exhibitions/monet/content/home.cfm
Saturday, August 18, 2007
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