Rodin semble sur un pied de retour massif cet été. En effet, on célèbre son "Rêve japonais" au musée Rodin à Paris. Quand le Baltimore Museum of Art consacre ses salles à ce sculpteur de la démesure.
On se doute que cet artiste était devenu une puissance de la nature et des arts, mais tout par l’effet de l’adversité. Certes, on l’accusa d’avoir carrément moulé l’Âge d’Airain sur un modèle vivant. Et il dut plaider sa cause jusqu’à exhiber le modèle en témoin, pour qu’enfin il confirma que Rodin l’avait représenté de ses mains. Et pour que la critique acceptât son génie michelangelesque. Par ailleurs, on lui colla toutes les étiquettes des perversités dans le dos, qu’il avait large comme la une des gazettes populistes. Ainsi de sa relation amoureuse avec Camille Claudel, qui fut surtout une association d’artistes au maillet. Il est désormais accepté que ces deux monstres ont travaillé d’ensemble sur des projets communs.
Il reste que Rodin s’est bien dégagé de ces théâtres de la cruauté. Car, il a su inventer une sorte de modelage et des bronzes assez évocateurs de la touche picturale. De façon à ce que nul ne put encore prétendre qu’il moulait à vif. Regardez, nul lissé conforme au classicisme académique. On y voit plutôt une accumulation de coup de pouces et de doigts ou d’ongles raboteux qui modelèrent un réseau semblable aux pochades impressionnistes d’un Monet, par exemple. C’est un rendu qui place, dans l’oeuvre, toute la vigueur de l’expression de la vie même, qui est toujours en mouvement.
Toutefois, les problématiques liées à la reproduction des oeuvres sont toujours vives. Au tournant des XIXe et XXe siècles, les sculpteurs moulaient des parties du corps pour en faire des assemblages, qu’on dirait hyperréalistes aujourd’hui. Et on en vit "l’obscénité", selon le point de vue bourgeois, quand on osa peindre certaines statues de couleur chair. Ainsi, il ne laissait plus de doute que le regardeur se trouvait apposté devant, sinon sous, une femme si dévêtue qu’on ne croyait plus tant à sa divinité, puisqu’aux couleurs trop charnelles.
Par ailleurs, la mode orientalisante sut mettre l’accent sur ce qui était réputé inimitable. Soit le coup de pinceau ou la touche qui est en mouvement, plus ou moins lyrique ou informelle. Et c’est ce qui donna leur modernité inimitable aux oeuvres des impressionnistes, et de Rodin pour les volumes. L’important était de produire une oeuvre singulière. Ainsi que chaque touche ou partie était une manière de signer l’oeuvre en chacune de ses parties. Selon les exigences de l’art romantique qui plaçait le génie individuelle au-dessus du Beau idéal. Et conformément aux pratiques extrême-orientales qui se savaient figer l’instant fugitif et unique. Ce qui donnait l’avantage, en Occident, de fixer la pensée immatérielle du génie dans l’oeuvre unique. L’écriture et les arts plastiques se joignirent ainsi par la gestuelle des signatures plastiques.
Il reste que Rodin sut exploiter ses créations, jusqu’à conserver les moules afin de permettre des reproductions innombrables. Et il laissa même des matrices de sa signature, pour qu’on puisse dupliquer ses oeuvres après sa mort. C’est pourquoi, autant qu’il manifesta au vif son génie individuel dans sa manière si singulière, il permit une sorte de suite mécaniste dans la reproduction de ses oeuvres. Et par un phénomène irréversible qui sut jeter les bases de la problématique warholienne, autour de la réflexion du philosophe Walter Benjamin, et donc de la notion de reproductibilité mécanique de l’oeuvre d’art. Une méthode mécanique dont Benjamin disait qu’elle aliénait l’aura de l’objet unique qu’est l’oeuvre d’art.
C’est donc un artiste qui sut faire un arc du temps considérable, en s’inspirant des Esclaves de Michel-Ange, qui sont les seules oeuvres sculptées inachevées, mais élevées au rang d’oeuvres abouties de l’art ancien. Ils sont au Louvre pris dans leurs blocs de marbre brutal. Et Rodin se tourna vers la modernité, quand il favorisa la multiplication en roue libre des oeuvres d’art, selon un dispositif qui sera largement exploité par la jet-set au XXe siècle.
Et tout pour asseoir la figure de la personne surhumaine du génie, qui crée un monde "artificiel" à partir d’une motte de glaise prélevée à l’atelier même du démiurge adamique des humanités innumérables. Tant et si bien, qu’il n’y a pas tant d’espace entre Rodin et Warhol. C’est si vrai à l’heure du maître-instant, quand quelques bronzes de Rodin figurent comme ajoutés à la liste des victimes de l’attentat du World Trade Center aux Etats-Unis.
Friday, August 24, 2007
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