Sunday, August 27, 2006

La Blogocratie Perse

L’éditorial, du "Los Angeles Times" du 17 août, met le doigt sur un nouveau blogueur turbulent assez. Dans son article "Le nouvau blogueur iranien" on se perd d’abord, entre des adolescents épris des romances des jeunes entrepreneurs de filles américaines, qui s’ébattent dans le fameux site de rencontres "MySpace" qui est connu pour être très ouvert des iambes prosaïques de toutes e-mails amoureuses. Puis, c’est raison de l’article : on tombe vite de notre chaise, avec toute la maisonnée bien-ordinée de nos souris, sur le plancher rustaud du très austère Président iranien Mahmoud Ahmadinejad, qui est tout-de-même différent et plus lourd que ces millions de blogueurs amoureux et anonymes.

Ah ça ! On le reconnaîtra aisément, aussi à son style très frappant du nouveau blog de sa nouvelle diplomatie qui sait remuer les eaux troubles, qui seraient plus stratégiques que les dates d’examens, ou le culte des héros de la blogosphère des familles américaines. Puisque, dans le "LA Times" on y annonce, ni plus ni moins, un avènement d’une blogocratie iranienne qui serait, d’ores et déjà, toute tournée vers le blog http://www.ahmadinejad.ir/. Où, depuis vendredi dernier, on pourrait s’adonner au culte de la personnalité, au people très-enrichi, du Président iranien criant de vérité populaire : lequel nous en dira souvent de la progression de l’atome dans son pays. Car,ce sera sans doute par ce biais que nous pourrons lire, bientôt, le faire-part de la naissance de sa petite dernière, phrase ou bombe, qui ne serait pas née de l’amour, mais de toutes raisons du mauvais coucheur que la politique américaine ignore encore.

Ce blog, fracassant d’austérité, insiste sur l’origine très humble du président, toutefois en des accents des familles iraniennes de bons lieux, comme on dit. En des manifestations si versées à la gloire de l’Ayatollah Khomeini, mais qu’elles savent aussitôt s’excuser pour tant d’insistance verbeuse. Le tout, pour offrir au peuple rassemblé devant son guide-moniteur, à ce qu’on devrait y comprendre, un portail pour approcher leur président et personnellement : et surtout dans des moments qu’on voudrait plus sereins que ceux qui seraient voués à ses sorties médiatiques ceinturées de tous explosifs verbatim.

Plus sérieusement : on commence à percevoir que le président promet nommément "une modération" de sa politique. D’abord dans l’enceinte de l’Iran qu’il comprend comme une "grande famille". Et dans laquelle, il a quand même subit quelques regards de biais inquiétants, après qu’il eût menacé de "raser Israël de la carte", et non pas des regards biaisés depuis la foule mais, plus particulièrement, depuis les rangs essentiels de sa propre administration qui le juge plus froidement. N’a-t-il pas gagné des élections, en Juin, toujours contestées et controversées, autant qu’on lui reproche, et dans le monde entier cette fois, ses déclarations trop provocatrices ?

Pire encore : il a perdu la Coupe du Monde de Football, qui devait être un préalable diplomatique et séducteur, au rasage annoncé de l’Etat ennemi sus-mentionné. Mais, il dut vite abandonner ce projet atmosphérique, sans doute pour ne pas froisser les supporters européens et leurs équipes diplomatiques, toutes adonnées à la fête blogosphérique. D’ores et déjà, des centaines de milliers de blogueurs et de blogueuses se sont empressés de pointer à ses sondages d’opinion —on appréciera le terme mazette— sur son blog : où l’on répondait à 50 % de "Non" à la question très originale, de savoir si les USA et Israël allaient diligenter une guerre mondiale dans le Proche-Orient. Un peu comme si l’on s’interrogeait sur l’heure de départ des trains qui sont déjà lancés hors des gares hâtives de nos cités contemporaines.

Le modérateur du site semble déjà débordé par sa gaucherie, et le pied dans le train du goulag bien-avancé lui aussi, pour avoir laissé passer de tels scores si incertains que médians ou trop-centrés, on dirait presque démocratiques : ce qui serait un comble pour cette blogocratie aux yeux perses.

Demian West

Les Etats-Désunis d'Amérique

Tony Blankley, du "Washington Times" du 16 août, s’épanche sur le dernier ouvrage de Pat Buchanan intitulé "Etat d’Urgence" et pire encore "La conquête invasive de l’Amérique par le Tiers-Monde". L’auteur insiste sur ce qu’il décrit comme un glissement de toute la société médiatique américaine, vers toutes prudences verbales qui bâillonneraient littéralement tous ceux qui voudraient encore évoquer la question de l’immigration clandestine et ouvertement.

Il prétend qu’en 20 ans d’écart, les mêmes mots qui se voulaient un peu à l’abordage d’un tel sujet, et comme on trouverait un oursin sous son pied vacancier, vous coûteraient aujourd’hui votre carrière people et par ce simple excès d’une expression éternuée dans le camion en charge de cette nitroglycérine de l’immigration à l’arrière. Ce qui semble un peu une exagération, mais pour bien frapper les consciences avec son propos qu’il voudrait dérangeant.

On est coutumier, aux Etats-Unis, des conceptions de Buchanan, puisqu’il les perlabore en une succession de livres qui construisent cette théorie du non-dit, et qu’elle avance à basse note dans la mentalité populiste, qu’elle conquiert lentement et subtilement : pour faire rang contre l’immigration clandestine, si l’on voulait mieux dire la chose telle qu’elle est crainte.

Plus brutalement lâché : la raison de ce livre est, qu’il réclame tout simplement un moratoire à toute immigration même légale, pour pousser un pion d’une case tant qu’il peut en si bon train...

Son ouvrage sait reposer une statistique sur une autre, et ainsi du reste, pour établir que le crime, sinon la maladie, seraient le pré carré des Mexicains puis de tous autres illégaux aux Etats-Unis, comme une société gangrènée qui se "transmettrait" au corps même et plus-intègre des Etats-Unis. Certes, ses mots sonnent comme la cuillère du médecin, dont le sirop se doit d’être vomitif pour confirmer la toute-puissance armée du médicament, mais nous nous savons dans le pays de la violence du baril à six coups qui sait guérir définitivement...

Par exemple, on y dit dans ce livre dénonciateur que 95 % des crimes commis à Los Angeles sont le fait d’"aliens", pardon...d’étrangers. Et la tuberculose y reprendrait ses habitudes en Californie, après qu’elle eut subit quelque extinction qui dura tant qu’elle le put. Dans ce livre qui brûle des pages, toutes ses poupées chapitrées en épouvantails voudraient mettre le feu à la paille de la "Reconsquista", carrément, du sud-western des USA ; laquelle, il est vrai n’est plus un concept bidouillé par quelques caciques indigènes, en postes fixement derrières leurs sac de sables et toutes bibles bien-chargées. Puisque 58 % des Mexicains penseraient, jusqu’à même le dire, que : le sud des Etats-Unis serait bien une propriété du Mexique, ce qui n’arrange rien quand au flou des lignes frontières qui nous renvoient dans les cordes des manuels d’histoire pour la grande révision générale des 200 ans...

Par ainsi, les 47 consulats mexicains diffusent-ils des ouvrages dans les écoles, où l’on lirait par aventure que l’Amérique vola son sud au Mexique, et selon le point de vue du général Santa Ana, et pour cause...

Pour Buchanan, il suffit et c’en est trop. Dans son chapitre 9 : "Qu’est-ce qu’une nation" , il rejette la définition fondamentale des Etats-Unis, qui ne serait donc plus une nation qui aurait foi en la démocratie, l’égalité et les institutions formées par la Constitution. Quand on aura dit qu’il se réclame de propos "d’une grande vérité qui paraissent des blasphèmes en leurs débuts" on comprendra mieux, autant qu’on le craindra si l’on avait quelque connaissance de la cuisine mexicaine qu’on aime à la partager, le renversement qu’il espère engager dans la société américaine. Pire encore il y va de la pelle, quand il n’hésite pas à exhumer les pères de la nation, pour bien exploiter les casuistiques des raisons des liens du sang et du sol, qu’il place, "purement" et simplesse, avant toute idée de nation constituée. Par ainsi évite-t-il avantageusement, pour sa neuve politique au Karcher, les complications qu’on appelle tantôt les lois de la société ouverte. Reconnaissons qu’il sait mêler habilement toutes citations de Washington à De Gaulle, de Lincoln à Soljenitsyn et encore à Joseph de Maîstre, sinon déchirées dans la Genèse et les Psaumes pour patchworker un melting pot littéraire, mais tout pour arrêter-là les vrais mélanges dans le monde réel ou vivant.

Après que l’éditorialiste du "Washington Times" aura dit qu’il y avait quand même quelque danger à marauder sur cette ligne de front hasardeuse, il y devine aussi la nécessité urgente qu’on ouvre ce débat et plus largement aux Etats-Unis. Enfin, Buchanan n’a pas hésité à emprunter une citation à Péguy "nous ne saurons jamais quels actes de lâcheté auront été motivés par la peur d’être assez progressifs", et qu’il en justifie ses vues d’un progrès, rétrograde assez diront certains contradicteurs moins natifs des US.

Nous récupérons notre Péguy pour dire aussitôt que : si l’Amérique craignait de se fragmenter comme l’URSS le fit en ses temps plus-heureux de sa fin, on y tiendrait, aux Amériques, de tels discours paniqués sinon désunis ...

Demian West

Contre-Feux

Ce matin dans le journal "Libération", les "Juifs contre les frappes d’Israël" nous donnent à lire leur lettre qui fait rebond à l’appel de Pierre-Vidal Naquet, il y a vingt-quatre ans à l’ensuite des massacres de Sabra et Chatila.


Ces nouveaux opposants, aux agissements récents de Tsahal, ne sont pas moins que le fameux résistant Raymond Aubrac et le grand humanitaire Rony Brauman qui réclament un "cessez-le-feu immédiat au Liban". Tout d’abord, évoquent-ils l’appel de cent intellectuels juifs, menés par Pierre-Vidal Naquet, à se désolidariser des manœuvres opératives de Sharon qui conduisirent au funeste massacre de Sabra et Chatila. Vinrent, des manifestations à Paris et la création du "Comité des Juifs contre la Guerre au Liban". Les juifs contre la guerre mettent, aujourd’hui et dans une symétrie défavorable pour Tsahal, les tirs de part et d’autre : car ils dénoncent explicitement l’usage que fait Israël de tirs de roquettes artisanales, qui ne seraient qu’un prétexte stratégique pour frapper sans retenue. Aussi disent-ils que Israël use d’une stratégie dont les conséquences, certes, atteignent les civils immédiatement, mais bientôt plus encore dans leurs conditions de vies qui sont lourdement grevées.


Et, ce sont bien des juifs qui signent cette déclaration de feu et non-pas des fanatiques du Hezbollah ! Bien qu’ils déplorent les attaques du Hezbollah, ils ne sauraient accepter d’être piégés par les appels à l’union sacrée qui autoriseraient à tous les excès et crimes sur le terrain, et tout pour servir un plan pré-établi, qui aurait besoin d’un tel quel soutien inconditionnel, pour parvenir à ses fins inavouables assez. Aussi, refusent-ils de reconnaître que les juifs de France suivraient, comme un seul homme, cet appel au soutien inconditionnel... à l’inacceptable sinon à l’innommable. Ils y répondent donc par les mots vifs du dernier appel que Vidal-Naquet donnait juste avant sa mort : "Assez ! Trop, c’est trop !"

C’est pourquoi, les juifs contre la guerre au Liban demandent que l’on négocie immédiatement et vers l’échange de prisonniers, et surtout pour la restauration des conditions humaines sur-le-champ : Que l’on cesse-le-feu, et que l’Europe avec toutes ses instances démocratiques s’agite à étendre et espacer des conditions qui assureraient la mise en oeuvre de solutions pacifiques. Cet appel du jour s’achève sur un soutien ferme des juifs français envers leurs amis israéliens qui manifestent, tant qu’ils le peuvent, "contre la politique de leur propre Etat".

Demian West

Monday, August 21, 2006

La Paix de la Méditerranée Heureuse

Après le flash des services très-discrets et dans tous les médias européens où l’on vit des fouilles archéologiques —je veux dire corporelles— dans les aéroports anglais, on a découvert une vérité qui était cachée au plein milieu de nos terres : une vérité méditerranéenne en quelque sorte. Que les terroristes, encore présumés innocents, seraient bien des citoyens anglais et donc européens. Et qu’ils seraient d’obédience mahométane sinon islamique plus radicale.

Pourtant, ce qui nous est dit, sur le ton qui scoope tranchant, est un fait acquis depuis des lustres. Puisqu’une grande part des citoyens européens sont musulmans, et faut-il le rappeler : tous présumés innocents de crimes qu’ils n’ont point commis et qu’ils ne les commettront jamais. Une vérité à conserver par-devers soi, mais sur un mode très discret ou selon des voix rassurantes pour calmer le jeu. Car de dire, que des terroristes potentiels seraient des citoyens mêlés aux peuples mêmes qu’ils menaceraient, susciterait les pires résistances spontanées qui sont à l’affût de ces occasions de lynchages légaux. Dès lors, qu’elles attendent tous prétextes pour bien-marquer les différences, afin qu’on puisse les reconnaître, si même en des actes paradoxaux. Comme lorsque la laïcité fut instrumentalisée, et sortie à escient, mais juste pour interdire deux ou trois voiles islamiques, et jamais quand on vit auparavant des croix chrétiennes ou païennes des jeunesse gothiques bien de chez nous où la barbarie sait encore s’égayer. Et que ces modes barbares s’en trouvèrent a contrario comme plus sanctifiées que l’islam, ce qui la fiche mal pour un goth en ostentation.

Voilà donc, ce qu’il arrive quand on voudrait trop effacer l’apport de la culture arabe en Occident : on finirait par ne plus la voir, ni de compter dans les statistiques les musulmans qui vivent au milieu de nos terres : des méditerranéens en somme. Si bien qu’on les redécouvre comme une vieille peur de l’étranger cachée parmi nous, et qu’elle exploserait dans tous les avions des médias seulement.

Tous les événements plus récents démontrent l’usure lassante de ces guerres des nerfs ou de ces guérillas archaïques de l’opinion. Que celles-ci soient livrées à la ville ou par Israël dans ses champs oublieux ; et contre des arabes, qui viennent tout-de-même de gagner la bataille du coeur au Liban. Comme une Lady Diana avait vaincu les coeurs, dans la mort et donc dans la pire perte au côté de son ami arabe : en une défaite qui sut tout rafler comme des plus grandes victoires, car elle disait trop de son humanité vulnérable.

C’est pourquoi, et selon les mêmes raisons du coeur, on devrait se réjouir que la contradiction soit plantée au milieu des terres mêmes, méditerranées, du peuple juif : comme l’ont montré les appels subversifs des juifs pour la paix . Quand ce peuple fait face à ses propres conflits internes, qui font naturellement suite à ses conflits externes qui relèvent de fresques vétéro-testamentaires qui semblent hors d’âge. A leur côté, les Etats-Unis ne vont pas un meilleur train, quand ils sont littéralement stoppés dans leur progression qu’ils ne contrôlaient vraisemblablement plus du tout. Comme si leur machine avait été lancée pour la grande chaîne de fabrication des démocraties en kit, et qu’elle a broyé des plus sympathiques Charlots de nos "Temps Modernes". Et ces conquérants US du business démocratique, sont-ils arrêtés aujourd’hui, au bord du caractère irréductible des frontières mouvantes de la civilisation islamique, que celles-ci s’étendent intérieurement ou extérieurement. Car, nous sommes probablement arrivés en un point où l’on ne peut plus avancer dans ces croisades de la dernière folie des siècles. Finalement, à cause de cette lassitude des peuples si laminés par l’arrogance occidentale, qui se montre si pseudo-démocratique quand elle refuse d’admettre qu’elle vient d’atteindre le "limes" ou les frontières de son Empire —extérieures et intérieures—comme Rome dut s’y résoudre en son temps pour s’ouvrir au nouveau monde.

Pour mémoire : il est deux événements que l’histoire nous a montrés et qui seraient du meilleur enseignement, aujourd’hui. D’abord au XIXè siècle, la Guerre de Sécession américaine qui vit le sud et le nord s’affronter jusqu’à l’épuisement ; en des pires inventions mécaniques pour tuer ; plus cruellement encore qu’on voulait tuer son propre frère. Si que ces deux pôles de l’Amérique furieuse sont devenus et sont réunis, aujourd’hui, en la plus grande puissance mondiale, après qu’ils se furent réconciliés exsangues. De même, en notre époque du village global, une guerre ne semble-t-elle pas, et définitivement, une affaire de tuerie civile entre nordistes et sudistes, encore ? Plus tard, l’Allemagne et la France ont flambé en une décennie comme en une nuit, tous les empires européens qui étaient quand même mondiaux, et pour une simple histoire de la meilleure famille dont le ménage avait mal tourné son nouveau siècle. Et tout pour se réconcilier à grands coups de constructions de palais pour la paisible dispute verbale. Et plus près de nous, on sentit un autre point de lassitude quand on disait dans les années 1980, que les "russes aimaient leurs enfants aussi", on connaît la suite de la chanson guère froide : une Europe qui s’étend jusqu’aux mosquées de la Chine, et sans que quiconque ait aligné les canons et toutes batteries.

A la lueur de ces grandes vagues humaines, on saisit mieux, qu’une fois le point de lassitude atteint : les nations comme les criminels voudraient rejoindre, à nouveau, leur humanité. Comme Razkolnikov, dans "Crime et Châtiment" de Dostoïevsky, avait tout tenté pour se convertir à l’aveu de son crime. Après qu’il avait commis les pires meurtres injustifiés, mais si terribles que souverains jusqu’à l’effondrement de toute sa personnalité psychique, à la fin du remords.
Par ainsi, il ne fait plus de doute que, pendant tout ce tumulte hérité des temps anciens qui s’effondrent, il s’installe en Europe une nouvelle tendance assez civilisatrice, plus médiatrice, ou médiane comme on la dirait : méditerranéenne. Et qu’elle y tente de mêler l’ "arabie heureuse" et tous Orients grands ou petits, aux meilleures conceptions des arts et des techniques et de tous échanges citoyens, avec les occidentaux que les musulmans sont devenus eux-mêmes par le fait. Tant il est vrai que : l’agitation de deux ou trois islamistes radicaux ne saurait voiler l’immensité de tous les musulmans qui vivent en paix et fraternellement, au jour la journée, au milieu de nos terres communes. En conséquence, ces terroristes supposés révèlent-ils plutôt, et a contrario, la plus grande foule des musulmans paisibles et justes, qui aiment leurs enfants comme nous aimons les nôtres.

Notre neuve société de l’information dépouillera, certainement un jour proche, les frontières de leurs prérogatives qui les portaient à causer des guerres barbares. Et, probablement, les mots, venus de l’internet aussi, seront des armes de la paix méditerranéenne, vers la constitution d’un nouveau concept déjà nommé : la nouvelle Andalousie. Là où, historiquement, on trouve encore une mémoire médiévale commune aux peuples juifs, arabes et européens qui vécurent et jouirent de leurs cultures réciproques et partagées, si mêlées qu’elles ont sut préparer la Grande Renaissance des quattrocento et cinquecento, dont nous sommes tous issus : européens ou nord-américains.

Au milieu des terres : il faut donc compter, en Europe,sur un islam modérateur qui saura maîtriser les plus turbulents excès dans ses franges incertaines. Les extrêmes de l’islam ne sont-ils point liés à d’autres forces autant extrémistes qui vivent et qui appartiennent aussi à l’Occident ? Finalement, c’est un Occident ambigu qui se fanerait quand l’intégrisme islamique s’étiolerait. Car désormais, nul ne saurait plus ignorer que ce sont les extrémistes, et d’où qu’ils viendraient, qui s’empressent toujours vers toutes désolations en Méditerranée, soit sa libanisation. Finalement, le temps nous le dirait : quand la guerre ou le choc des civilisations seront passés, l’avenir appartiendra à la vaste paix dans la "Méditerranée Heureuse".
Demian West

Friday, August 04, 2006

Le Point d'Erotisation



Il est paru un cahier, hors-série du magazine "Le Point", intitulé : "Sade, Bataille, Apollinaire, Ovide...Les textes fondamentaux de l’érotisme". Vraisemblablement pour étoffer les lectures, qu’on lirait d’une main, pendant les plus éjouissants mois de juillet-août.

Après que Michela Marzano nous décrypte, dans la littérature, les notions convenues du désir partagé qui tournent souvent à la véritable dépendance à autrui ; elle souligne aussi vite, que l’"ars erotica" ou la "scientia sexualis" veulent manifester plus sûrement du désir qu’une vérité obscène ou pornographique. Puisqu’iI reste toujours quelque relent d’hypocrisie inavouée dans ces repas servis par les discours de l’érotisme. Pourtant, Jacques-Pierre Amette nous montre, au plein du mensonge social tissé de pruderie, un Céline qui sait érotiser le réel, en puisant dans les pires éclats libidinaux de la deuxième guerre mondiale. D’une part, dans les fureurs collectives qui surent lâcher la bride ou quelque lacet du corset — car on y vit aussi la femme se libérer par la nécessité impérieuse de l’arrière en manque d’hommes — et d’autre part, Céline se plaît à sa neuve écriture qui nous dit le tout-cash du langage parlé comme s’il l’avait monté à cru : pour nous donner son rythme et son style "métro-émotif".

Pour mieux comprendre ces paradoxes d’Eros : il faudrait revenir, en préalable, à l’érotisme antique, grec et romain, qui oscillait entre la maîtrise du désir et la culture du plaisir. Là, on discernait l’amour mais plus éloigné de la sensualité. La chair y était jeune : et cette jeunesse heureuse se devait de cultiver le "symposium" ou les banquets sensuels, mais tout retenuement. Puisqu’il était mal-vu de se laisser incliner à la débauche. Pire encore : être passif dans le coït ou tomber en quelque dépendance de l’amant(e) étaient du dernier avilissement oriental ou lascif : et s’y verser entièrement était comme de choir de la vertu du "vir" ou du libre patricien romain. Finalement, Florence Dupont insiste bien sur l’exigence noble et très-antique : qu’il valait mieux effleurer "à la grecque", et donc savoir mêler le désir au plaisir, plutôt que boire jusqu’à l’ivresse du sexe. Ce qu’il advenait, à-certes, mais derrière le voile, quand le symposia devenait plus intime à la fin, et toujours selon les plus sûrs et poétiques préceptes de Plaute et du plus grand Ovide.

Le Moyen Âge occidental inventa l’amour : certes, comme un moyen d’exacerber la sensualité, mais pour la tourner vers ses émois et ses vertus plus spirituels. Les techniques poétiques de l’"amour courtois" surent jouer de la fascination pour la dame, comme un archet sait jouer de l’instrument. Charles Baladier nous montre l’amant médiéval qui se pressait au "déduit" (le lieu de l’amour) pour le "devis" (la conversation amoureuse). Et certes, ce féal de sa dame était tout contendu vers une sexualité charnelle, mais qu’elle restait toutefois problématique. A toute fin de pouvoir sublimer la libido, et pour parvenir à une rencontre gymnique assez : d’une aérienne et rare conjonction de la sensualité alliée à la religion.

L’oeuvre majeure de ce projet est le "Roman de la rose" qui fut conçu par la main raffinée de Guillaume de Lorris en 1230, puis il a été repris d’une autre main, plus grivoise de Jean de Meung, et quarante ans plus tard quand le ton littéraire avait tenté son primesaut plus paillard. Ainsi, dans ces oeuvres de l’amour courtois, tout y est paradoxe et la rencontre d’une savante union des opposés : puisque la femme y est incitée à l’adultère ; et, la subversion presse-t-elle les clercs vers leurs moeurs dissolues de goliards ; aussi, les fabliaux, moins innocents que poétiques, soutiennent-ils la débauche gaillarde ; et finalement, l’amour courtois tend à la libération sexuelle satirique. Vers le sentiment d’un Ronsard qui se serait comme mêlé au choc plus physique et odorant des textes de Rabelais. Et toutes ces influences s’y pressèrent conjointement, à nouveau, dans la plus subtile annonce du libertinage du XVIIIè siècle par Clément Marot.

Par quoi, Jean-Paul Goujon y vient vite, à ces "dames galantes" de Brantôme, et aux courtisanes, telle Ninon de Lenclos, qui versèrent tout le libertinage dans le chaudron rosé où l’on distillait la libre pensée. On y cuisina la neuve tendance des moeurs sous Louis XIII, qui mirent le feu aux poudres qui s’espaçèrent en deux brûlots appostés : d’une part l’érotisme suggéré et à l’autre bord l’érotisme critique, plus souvent clandestin car réprimé. Certes, après la vis serrée par Mme de Maintenon à la cour de Versailles, on se banda soudainement pour une véritable libération sexuelle ouvertement festive sinon lubrique, et dès l’instant libératoire qui suivit la mort furtive de Louis XIV. Et, ce furent, le libertinage, l’anticléricalisme, la tolérance, les livres érotiques ou d’apprentissage sexuel dont la cour se raffola à nouveau : et par le biais d’une lente et intime exigence des femmes, qui s’exerçait enfin sur la plus haute classe de la société.

De ce pied-là, elles menèrent au retour à plein drap du libertinage, qui sut s’adoucir tantôt en une sensibilité complice de la "Nouvelle Héloïse", par Rousseau, ou que ce libertinage put se durcir tant qu’il le voulut, en ce dard furieux du radicalisme anti-chrétien de Saint-Just. Ce qui serait comme de dire : que la volupté put s’accomplir en de terribles accouplements, en sorte de "Liaisons Dangereuses" comme Laclos nous en donna les textes épistoliers qui restent le chef-d’oeuvre absolu de la littérature libertine. Au terme de ce XVIIIè siècle plus libertin que grivois, on vit surgir, comme depuis les lacets enfin déliés d’une braguette obscène, le marquis de Sade qui jettera le tout de cette Bastille pâmée, et bientôt vacillée, dans le sexe mondifié de notre modernité, assez pornographique. Et, aussi paradoxalement qu’on veuille bien le sentir, par le biais lascif et tout-puissant d’une incitation féminine qui serait toujours sous-jacente aux temps des libérations sexuelles.

C’est, naturellement, le verbe flirtant de Jean-Jacques Pauvert qui sait nous dire de cette licence d’aimer. Pour dire simple : en 1790 on abolit la censure. Et pendant dix ans, ce fut "le silence des lois" selon Sade : des pamphlets politiques et obscénités jouirent librement d’un temps : qui autorisa le divorce ; qui donna à lire les premiers romans érotiques féminins ; et qui fit la couture extravagante de transparence des robes des "merveilleuses". Quand Napoléon referma, en un tournemain, la porte des béances à découvert, on versa vite dans la nostalgie de la plus véhémente culpabilité romantique. Et, dans le même temps, qu’on redécouvrait Casanova et qu’on s’interrogeait autour de l’étrangère puissance féminine de Georges Sand, la société bourgeoise se pressait, soit au "French Cancan" et ses photographies des réalités crues, soit à la Gazette du Tribunal des ligues de vertu : car là, on y battait le fer rougi des procès à Flaubert, puis à Baudelaire pour leurs textes licencieux, avant de tout lâcher leur proie aux fauves Zola et Maupassant, les "professeurs de pornographie" .

Au début du XXè siècle, la censure revint en 14. Puis entre-guerre : les années folles à Paris — où l’on savait enfin guérir la syphilis — surent attirer les plus grands écrivains érotiques à Paris. On y publiait "L’Amant de Lady Chatterley" de Lawrence, et le licencieux Henry Miller y était en grand’ maraude de garçonnes. Avant 39, Daladier remit le couvert de la vieille censure qui brisa le bal, car elle annonce toujours la guerre. Et, il fallut attendre la présidence Pompidou, pour goûter, à nouveau, au refrain des moeurs plus adoucies, et encore par l’initiative de femmes : soit par le féminisme. A l’ensuite du beau mois de mai 68, la libération des moeurs, bien-ordonnée par l’usage de la pilule contraceptive, et la lente légalisation de l’homosexualité se tracassèrent à la nouvelle formule très-confuse de la censure post-sida, des années 80. Puisque cette censure s’imposa par l’entremise d’une complexion sociale si transformée et rongée par l’urgence paniquée. Ce néanmoins, que l’on sait désormais la fidélité jetable, comme elle serait inscrite dans les gènes de la masculinité et que, d’une autre main, nul ne saurait plus ignorer les exigences de la plus longue ou de la plus insistante jouissance féminine. Ce qui n’est pas rien comme évolution littéraire, quand aujourd’hui, la plupart des auteurs de romans érotiques sont des femmes.

En contrepoint : Malek Chebel nous apprend, dans ce recueil, que l’islam réservait le meilleur accueil à la sexualité épanouie, qui était encouragée dès les premiers discours coraniques. On songe au "Ilm al-Bah" ou la science du coït, dans laquelle la masturbation, l’homosexualité et le cunnilingus sont évoqués pour la recherche de l’épanouissement. On prolonge ce débat dans une suite islamique de personnages infiniment raffinés : des Udhrites et Zurafa, et d’autres théologiens de l’amour dont al-Ghazali qui sut promouvoir le sexe et la transgression, soit le vin aussi, de Médine à la Mecque. On s’éjouit comme on s’émerveille par la lecture des rapports délicieusement vétilleux de la psychologie amoureuse, et de ses recettes aventureuses, par Ibn Hazim. Une autre pierrerie précieuse : Ibn Dawûd codifie un amour courtois qui annonce déjà la sublimation psychanalytique. Et, l’amoureux Mâjnun est tellement fou de l’aimée, qu’il est attiré jusqu’aux limbes de la mort elle-même, et qu’il y trouva et Shakespeare et Stendhal dont il nourrit leurs oeuvres. Finalement, ce sont des phénomènes régressifs, probablement dus à la colonisation et aux influences ottomanes, qui menèrent au déni de cette "culture du lit". Un lit d’une littérature épanouie qui avait entremis les femmes en rôles centraux d’incitatrices des plus grandes libertés érotiques, et dont on attend avec ferveur qu’elles retrouvent enfin ce rôle majeur : dans les "Mille et Une Nuits" ne sont-elles point les maîtresses de leurs propres désirs et des hommes ?

Dans cette somme sur la littérature érotique, Philippe Cornu y parle encore de l’Orient et donc du sexe sacralisé. Du fameux Kâma Sûtra, trop ignoré dans sa charge littéraire, aux estampes de Hokusai, jusqu’au dernier "Empire des Sens" d’Oshima : en lesquels on sacralise du sexe sur deux modes — soit ascétique soit "tantrique" ou permissif — mais deux approches qui seraient conjointes : et dans laquelle conjonction, le féminin prédominerait puisqu’il paraît une meilleure ouverture vers la sagesse de l’accueillante vacuité. De l’Inde à la Chine et dans cette "conjonction alchimique" : le désir y serait transmué en félicité ou en éveil. Pour y satisfaire : l’homme devait retenir sa semence, alors qu’à l’inverse les flux séminaux féminins et leurs orgasmes abondants étaient conseillés pour nourrir chimiquement l’"embryon de l’immortel". Enfin, ces sagesses très-antiques nous disent que le sexe et sa pratique régulière entraînerait l’entretien de la meilleure santé et donc de la longévité. On s’y donne donc une si une bonne médecine, qu’on ne laissera point de trop la pratiquer.

Cet opuscule malin du "Point" s’achève sur un bref survol de la mode porno-soft dans les médias du XXIè siècle, et de la littérature érotique qui est tenue fermement par des femmes qui représentent non moins de 80 % du marché littéraire érotique. En phare alexandrin : Catherine Millet érotise sa vie selon ses fantasmes au réalisme d’hétaïre, et quasi hagiographique des privautés peoples. Enfin, on nous termine, si j’ose dire, par le "Cyberérotisme" mixé au cinéma érotique, qui est tout simplement sur une pente porno qui est distribuée, à peine sous le manteau, et désormais jusque dans les cours de récréation : car tout ça fait bien vendre et se vend bien : puisque c’est ce constat qui fait raison suffisante dans notre société du Marché.

En conclusion de cette lecture, il nous est apparu qu’entre la symposia érotisée et le déchaînement du sexe, en pleine lumière crue, il est une voie érotique qui nous mènerait, effectivement, jusqu’aux cieux de la plus haute spiritualité. Car, elle y serait réconciliée avec la chair et la sensualité même. Et, c’est bien la culture répressive paulinienne, qui était d’origine antique et grecque et non-pas orientale, qui mis cette regrettable teinture d’interdit aux pratiques sexuelles dans l’Occident chrétien et dans ses colonies, pour maîtriser la nature animale. Aussi, pour parfaire cette maîtrise forcée de la sexualité, on empêcha d’abord les débords de la sensualité féminine, que l’on jugeait trop exigeante ou trop envahissante. Voilà le problème ! et, a contrario, voilà par quel rebours on pourrait y passer quelque solution : car cet ouvrage sait nous dire, clairement, qu’il faudrait encourager la libération de la femme, puisqu’elle mènerait à droit fil à la libération de l’érotisme lui-même.

Pour autant, le ton de ce hors-série "sur l’érotisme" est si modéré et à reprises, par ce même discours du soft, qu’il insiste trop sur le caractère d’auto-censure de l’érotisme : certainement pour ne pas avoir à dire ou à montrer la chose de quoi nous parlons. Le ton de la littérature et érotique signerait donc les moeurs collectives et les esprits singuliers de chaque époque. Et finalement, l’hypocrisie et la censure se redressent-elles aussi sûrement que la queue du chien sait toujours reprendre sa forme naturelle. Et, selon les deux termes étrangement conjoints dans l’érotisation du réel : la rétention alliée à la libération, quand ils alternent à secousses en des postes successifs et savants, pour mieux susciter du désir sans fin.

Demian West

Les Médias transmigrent aussi.

Il est un fait que l’on pourrait communément observer, et dans les débats menés autour des transformations de la société par les nouveaux médias, dont l’internet : que nous nous situons souvent, soit du côté qui prévoit un avenir optimiste et mus par des accents très lyriques, soit nous serions en poste et en tunique du prophète furieux qui exhorterait son public contre les pires conséquences orwelliennes de la société de l’information déjà dérémisée. Et, selon une mode qui annoncerait tant de malheurs à notre portail, pour ficher vraiment la grand’ trouille, comme il convient pour nos temps très bousculés.

Aussi, que l’on se trouvât replié dans une fratrie, et ce serait toute la qualité de l’avenir que nous prédirions qui en serait aussitôt enchantée. Ou à l’inverse dans l’autre camp mais des philosophes plus renfrognés, notre conception du même avenir pourrait être symétriquement troublée par nos peurs les plus paniques. Autant dire que ce sont nos sentiments eux-mêmes qui se sauraient transformer notre avenir ou le coucher du côté qu’ils voudraient et à leur guise, et ceci avant même que cet avenir aurait su ou aurait pu nous transformer un tant soit peu, en retour. Tant et si bien, que nous devrions vite admettre : que nul ne saurait vraiment nous dire comment il sera notre futur, et avant l’heure, sinon pour communiquer ses propres fantasmes, tellement nous sommes agis ou nous sommes émus par nos propres craintes ou nos espérances plus fantasques encore.

Le champ le plus perlaboré, ou le plus travaillé par nos peurs collectives ou archétypales, est probablement le monde ou la sphère des techno-sciences qui savent mêler, si délicieusement et troublement, l’organique au mécanique. Désormais, l’organe et la mécanique sont si entretissés qu’ils ont pris possession de notre plus intime chair ou de notre plus intime identité, que nous pensions pourtant le sanctuaire le plus inexpugnable de la personne humaine. Et, selon un mouvement initié par le premier penseur qui osa concevoir, si philosophiquement, un animal mais mécanique, plutôt que cet animal fût animé par une âme surnaturelle convenue jusque-là. Et ce fut un apport majeur de Descartes, et tout par son entreprise d’une raison qui décida de s’espacer pour elle-même, en soi ou qui s’est appliquée à ses propres questionnements, et sans devoir des comptes intéressés à quelque empire ou à quelque divinité gardienne des moeurs. Ainsi, Descartes sut-il mettre, comme en leur meilleure veille, les très-antiques nécessités morales ou éthiques, lesquelles nous imposaient maints tabous et toutes portes interdites si définitivement closes à la science, aux arts et aux techniques.

Par ce nouveau regard ajouté : on put enfin lire que les esclaves de l’antiquité étaient déjà, et en acte, des sortes d’hommes mécaniques, mais sur le mode animal. Car, ils remplaçaient la force de travail animale, et non point une quelconque force mécanique, proprement dite, puisqu’elle était quasiment inconnue ou si peu diffusée.

Tant et si bien qu’aujourd’hui, c’est notre seule conception contemporaine qui saurait, enfin, faire l’analogie entre l’esclave antique et le robot tout-mécanique et angoissant : car tout pour nourrir nos peurs d’un avenir contraignant. Comme le récent épisode des DRM ajoutés aux médias numériques l’a laissé librement exprimer, et par tous les commentateurs inquiétés par ces nouveaux modes du contrôle contraignant, qui en ont dit dans les colonnes d’AgoraVox.

Ainsi, souvent on ne comprendra la chose qu’après-coup. De la même façon, nul ne pouvait penser qu’un bel objet de la technique avait un beau design, avant la naissance de ce concept de "design", soit dans les années 1930 au "Bauhaus" de Walter Gropius à Dessau. Et ceci, même si le "Portefeuille de Vaucanson" et ses aquarelles représentant des machines illustrées par Dromard ou les dessins et gravures de Goussier pour l’"Encyclopédie" ont été présentés par Victor Hugo, comme des travaux et dessins techniques qui seraient un jour reconnus au premier rang d’oeuvres de l’art le plus intellectuel et du Beau et du Bien. Ce qu’ils sont aujourd’hui...

De la sorte, comme Victor Hugo qui avait pressenti le design, il apparaît que nous pourrions vivre dans une réalité qui saurait donc être là — nous dirions en acte — et avant même que nous en comprenions tout le... ou les concepts achevés. Et donc, avant que l’Idée vive ou réelle, qui en est le fond, se présentât à nous en des termes bien ou mieux définis ou plus précis : mais souvent plus tard, et parfois après des siècles de tranformations de ces concepts mêmes.

Aujourd’hui, nous admettons aisément que la technique numérique puis prothétique pourrait nous dépasser, et pourquoi pas : que les concepts, qu’elle recouvre, sauraient aussi, nous dépasser de la même main, et ce pendant que nous serions déjà entièrement baignés dans leurs formules de lois et au plein dans la nouvelle société sinon des univers des gens et des objets numériques, que nos usines de l’immatériel fabriquent avant même que nous puissions en comprendre toutes les conséquences, et bien que nous les amenions par là-même.

La sagesse dirait, qu’il faudrait donc se garder de trop entrevoir, ou trop hâtivement, un futur que nous dirions trop certain. Car, il ne pourrait être conçu que dans les formes que nous lui attribuons, tout par nos rêves hypnotiques et fascinants qui se jouent souvent au cheval échappé, alors que nous serions encore ignorants de ce qui serait considéré comme : le vrai art ou la vraie technique, d’aujourd’hui c’est-à-dire de demain.

Pensons donc, à tous ceux qui ont pu croiser Van Gogh, en son temps, quand les contemporains de cet artiste pensaient à croiser une personne à tel point négligeable puisque d’apparence négligée, qu’ils se pensaient ou qu’ils se voyaient... ne pas même le voir, comme transparent ou inexistant. Alors qu’ils venaient de voir ou de fréquenter pas moins que Van Gogh en personne, et en ses oeuvres les plus invendables puisqu’il n’en vendit aucune. Pourtant : c’était bien lui, l’art le plus explicite de son temps et qu’ils venaient de le rejeter, lui, le plus grand art selon des conceptions qui viendraient à se former puis à se diffuser et à s’espacer, seulement quelques décennies plus tard, et quand beaucoup de témoins seraient morts.

Enfin, l’art de notre XXè siècle, dont nous venons presque tous, n’est-il pas plus sûrement contenu dans les médias télévisuels et si banalisés partout dans nos salons chez nous, plutôt qu’en des galeries d’art vouées résolument à leur non-public. Certes, ces télévisions à bride déchaînées, qui s’achèvent en une orgie de médias entretissés, font art, quand bien même fussent-elles des spectacles trash ou triviaux comme jetés dans les plus basses-fosses du divertissement, si mécaniquement horloger que publicitaire. Vrai, la télévision semble bien le plus manifestement : l’Art de la fin du XXè siècle. Si l’on considère que nous y fûmes tous si rassemblés et si régulièrement, pour nous y nourrir de nous-mêmes et d’autrui. Certainement, verrons-nous confirmer, bientôt, ce concept-là, si ce n’est aujourd’hui : à cette heure où nous assistons, aussi certainement, à la brutale transmigration de cet art et tout vers l’internet. Et, pour la simple et meilleure raison suffisante, que nous pourrions enfin y réagir activement, pour nous y incarner, ou pour y transmigrer dans nos interventions et commentaires, que nous jetterions comme autant de tomates désinvoltes tout-contre les programmes qu’on nous imposait jadis comme des stèles en béton précontraint. Mais, afin que nous les sculptions, désormais, et selon ce nouveau mode citoyen de la taille plus directe qui critique et qui modèle les médias. Et, à ce qu’on dit tantôt : ce mode citoyen parle parfois sur un ton d’une telle franchise et si désarmante qu’il sait diluer et qu’il coule des plus fortes maisons de maçons, qu’on disait en béton dans l’ancien monde des maîtres-bâtisseurs un peu rebattus.

Ainsi, quand Warhol lançait sa prédiction, reprise sur tous les tons et à secousses : que chaque Monsieur Machinchose ou que chaque Miss’ What’dye’Callum auraient leur quart d’heure de célébrité à la télé, il balançait le tout-cash du tournant du XXè siècle. Quand déjà au XXIè siècle, chacun aurait toujours son quart d’heure de célébrité, mais qu’il serait tout-de-suite suivi d’un grandiloquent démontage en règle et très rigolo, car balancé par des citoyens-mécanos anonymes sur leurs drôles de machines. Puisqu’il est un avantage remarquable et si enregistrable de la nouvelle société de l’information : c’est que nul ne saurait plus se poster à l’abri ou à couvert derrière son écran ou son moniteur, pour se poser en maître ès-informations ou mieux encore en maître ès-certitudes. Puisqu’il est fermement exigé qu’on en réponde de nos infos, ou, à tout le moins, qu’on y réponde en toutes suites de commentaires ajoutés, et qu’ils interagissent tellement jusqu’à pouvoir mettre le branle à toute la sphère média, sitôt mise en mouvement comme une nouvelle roue de la fortune...mais des neuves réputations.

Enfin, nous assistons ou nous agissons, tous citoyens d’ensemble, comme pour amener une nouvelle manière de concepts plus mouvants et moins dominants, et donc moins mécanisés ou plus organiques. Et, dont nul ne saurait nous dire entièrement quels sont les derniers concepts ou moteurs nouveaux et définitifs qui y oeuvrent, par le fait qu’ils sont des flux mouvants et vifs, et donc toujours changeants et transformateurs sinon insaisissables. Et, ce semble une vision d’un avenir qui nous informerait mieux, tout en nous divertissant mieux puisqu’il coulerait, enfin, simultanément des deux côtés de l’écran, ce qui semble plus conforme à la vie. Ainsi, nous serions parmi les siècles au XXIè, et qu’il ne serait pas si orwellien, ni si pessimiste non plus que désenchanté. En tous les cas, pour tous ceux qui aimeraient à surfer dans les nouveaux flux qui fantasient notre vie internetisée qui se sait à nouveau transmigrer...

Demian West