Sunday, December 28, 2008

Ce qu'il faut voir au Louvre...

Nous avons entamé cette enième visite au Louvre par l'excellente et intimiste exposition des bronzes de la Renaissance. C'était bien ! et si délicatement présenté dans des tons verts en parfait contrepoint des teintures chaudes du bronze. J'aimais particulièrement toucher ces bronzes et y repérer des entailles faites par des lames nerveuses que la soldatesque empanachée sut y laisser à force de coups portés même sur les effigies.

Cette exposition nous mena, Deila et moi, vers la grande aula des sculptures sous la grande verrière ouverte sur le soleil de décembre, qui est le plus pur au travers de l'air raréfié. Là, entre des bustes de maîtres et des philosophes barbus, on toise quelques éphèbes alanguis montrant leurs parures génésiques éployées et parfois émasculées par le coup de maillet de trop. Des visiteurs qui ont rampé depuis les antipodes dans des avions au carburant pressé comme les citrons de comités d'entreprises, se posent enfin devant des statuaires dont ils ignorent et le titre et leur auteur, juste pour honorer la photographie qui est le nouveau rite de ces lieux.

Car pour tout baptême il y faut des preuves, qu'on y était et en tenant bien à la montre le journal du jour avec le titre en gras : "Extra ! Extra ! Read all about it : Monsieur MachinChose et sa famille What'dye'callum visitent le Louvre". C'est toujours amusant de voir quelqu'un poser devant une statue mineure, quand il manque de quelques pas "La Frileuse" de Houdon ou les Carpeaux qui traînent par-là. Mais, c'est un bonheur pour Deila et moi, car nous pouvons nous y éployer et dire tout notre saoul des sujets et des techniques qui nous travaillent toute la semaine des mois et des ans.

Qui de torturer ses bronzes en des muscles animaux des fauves et des éléphants, aussi des taureaux de Barye qui savent évoquer les plus beaux athlètes surhumains d'un Michel-Ange. Qui encore de lisser ses marbres jusqu'à confondre les ailes elfiques des papillons de l'amour et psyché avec la carnation transparente du marbre, qui est la matière savante elle-même, comme des pages en papier bible et sans mots publiées par Canova ou Thorvaldsen les meilleurs néo-classiques. Lequel encore, de jeter enfin ce sourire français dans le plâtre, puis le marbre à la Carpeaux bien-inspiré par le sourire de l'ange au fond du portail gauche de la cathédrale des anges à Reims.

Gonflés d'orgueil partagé par tous ces maîtres r'assemblés dans l'aula, nous allons dans des couloirs controuvés et méandreux qui nous mettent en face du code Hammourabi. Il s'agit tout de même de la plus ancienne table de la loi qui ne rigole plus. Et c'est gravé là comme pour bien nous assener qu'avant nous et nos amours définitifs, il y avait des mondes et des tentatives dont nous sommes la pointe hallucinée. D'autant plus que le soleil, ce jour, balançait ses raies comme des hachoirs stroboscopiques du temps. Tellement, que souvent nous ne savions plus où nous étions, et dans quel temps du passé ou du futur, mais jamais du présent.

Quel privilège de passer devant et de toucher les taureaux de Khorsabad de la capitale de Sargon. Et ces princes tenant dans leurs bras d'airain des lions assujettis. Je pense aux Teutons qui découvrirent ces trésors et qu'ils imaginèrent les couleurs laquées de l'émail bleu et or recouvrant ces portes symétriques et cyclopéennes des cités babyloniques. On ne peut passer dessous sans y voir encore les détails innumérables des personnes antiques qui y vécurent. Je les vois soit mendier soit montrer leur or tissé sur leurs habits d'oiseaux emparadisés. Dans une société forcément la plus cruelle puisque r'assembleuse d'hommes.

Et ce n'est pas le plus furtif moment de ma vie, qui s'éternise du coup quand je passe cette porte au bras de la plus belle Cléopâtre des temps modernes. Les regards que nous croisons me le confirment aisément. L'aristocratie naturelle est amplifiée dans ces décors conçus pour les monarchies du coeur, quand ils sont tombés dans la république. Les grands taureaux ailés aux visages d'hommes barbus de la prêtrise signifient bien que nous sommes en pays de sacrifice. Les prêtres devaient effectuer chaque jour le Taureaubole ou sacrifice du taureau, à celle fin que le soleil se levât le lendemain. C'était la grand peur des hommes : que l'ordre cosmique soit enfreint et que le soleil restât en-dessous de la Terre. Ainsi, les artistes et prêtres avaient-ils homologué les rites ou ce théâtre pour se signifier entre-eux qu'ils étaient les auteurs de ce retour. Et d'une certaine façon, ils venaient de créer tout le bal des Dieux et du pouvoir.

Le roi était garant de l'ordre cosmique, parquoi rien ne devait changer dans l'univers et les rites devaient être conservés à l'intact pendant des millénaires. C'est ce qu'on constate quand on débouche subitement, comme perdus dans le Louvre, sur les appartements de Napoléon III et de l'art qui témoigne du pouvoir de son temps. Du grandiose comme seul le XIXème siècle sait en jeter en débord de ce que nous pouvons supporter. C'est le gavage des ors et des tissus de pourpre fleurie, des meubles romains de l'Empire dans les couleurs profondes et saturées de bleu et de rouge tranché d'or si chaud que gras comme l'huile. Il y en a partout des lustres qui tombent comme des cascades de reflets de nous-mêmes, grands comme des pièces à vivre contenant des machines à rêver du surréel.

Il y a ce grand salon où l'on voit sans s'efforcer des portraits au vif d'élégantes et de dandies souverains qui se lancent des vacheries juste avant d'entrer en scène de la salle à manger bruissante des dialogues de "Guerre et Paix" le roman fleuve. C'est une table longue comme une avalanche de quantième degré. La conversation dut y être fragmentée et légère forcément. Les meubles sont des êtres en soi : ils respirent leur luxe et on pense à leur valeur procurant à elle seule l'ivresse des chiffres. Je ne pensais pas que la France fut encore assez riche à ce plus haut degré.

On passe devant le lit de Louis XVIII dont nous ferions un meilleur usage que ce roi obèse et un peu dégénéré, il faut bien le reconnaître. On sait que les derniers Louis eurent beaucoup de mal à honorer leurs reines dans l'art de la chambre à coucher. Toutes ces fleurs-de-lys et ces plumes d'autruches des artisans orfèvres devaient érotiser ce meuble, plutôt chargé de la poussière soulevée par les ronflements d'un gisant à sa digestion. Le phymosis de Louis XVI et les excès de Louis XVIII donnent plus d'attrait au meuble lui-même, plutôt qu'aux imaginations érotiques que nous prêterions à ces monarques fatigués.

En sortant, de ces excès de luxe, Deila sait que nous devons nous interdire tout recours à la peinture. Car le mélange serait baveux et il jetterait un trouble dans ce diamant que fut cette visite. En plein drap de l'histoire vraiment bien restituée et avec un tel goût de l'excès tout conforme à l'époque, que nous fûmes enlevés dans quelque espace propre aux arts et hors du monde. Il nous fallait prendre du grossier, nous alourdir et nous requinquer la mâchoire avec de bon gros bouts de réel dedans, au mieux avec des boissons d'homme des Tontons Flingueurs à la Audiard. On se précipita vers un café qui était en fait une sorte de Burger incongru au Louvre, enfin pour notre goût et ce que nous pensons de la culture.

La lumière y était parfaitement celle d'un garage jaune et si dure que nous pouvions voir nos yeux à peine ouverts et suintant un peu de la douce cire de l'éveil. Car nous avions dormi certainement, nous étions comme couchés mais debout dans l'attente qu'on nous serve un café au moloko synthémesc plus comme dans Clockwork Orange, où le néon buzzant te tolchoke dans l'arrière boutique de la syphillisation qui se termine à la décadence des sybarites sous le Vésuve. Mais, il arrive toujours aux amoureux véritables qu'ils se sentent heureux partout, puisqu'ils s'entre-chercheraient jusqu'en enfer. J'adore et je hais dans le même temps, ce siècle qui met les princesses aux tables à-côté du commun de l'ordinaire, mais dans un mélange probablement fécond en rencontres.

Une fois reposés de notre visite en pays de pouvoir, et après avoir échangé nos petits affaires d'histoires de familles bien racontées par tout le menu des secrets, nous y sommes retournés. Où ? à la galerie d'Apollon, mazette ! On allait en voir du plus haut encore, du sérieux qui te colle au mur du fond comme à la foire du trône des suzerains qui ne regardent pas à la dépense des pièces jaunes. Et c'est ce qu'on vit. Je ne vous dirais que l'ambiance festive et exorbitée qui se trame dans le vortex autour des deux couronnes de France. Les femmes sont littéralement hypnotisées par les diamants gros comme le déluge, et des rubis rouges comme les vins à la cave de la Tour d'Argent. On y voit aussi des émeraudes et des saphirs qui sont des éléphants du phantasme. Et l'or paraît banal comme un parergon ou un cadre à ces oeuvres qui transmettaient la dynastie aux enfants-rois.

Dans ce lieu magique, tous de la République se sentent un peu rois ou royalistes à tout le moins. Comme les bolchéviks et Lénine surent conserver les trésors de la cour de Russie. Je sentais bien que cette couronne mettait Deila très aise. Et pour ma part, je compris combien j'attachais plus de valeur à ma Deila belle comme un cristal de flocon de neige, plutôt qu'à ces deux couronnes-là derrière leurs vitres blindées qui ne me semblaient plus que deux pierreries qu'on avait coutume de jeter à des pseudo barbares des Caraïbes pour leur prendre leur île à faible coût.

C'est le rayonnement des objets d'art qui en fait toute leur valeur. Et surtout, ceux ou celles qui les regardent, avec toute la compréhension que ces objets méritent, donnent leur valeur réelle ou spirituelle à ces objets supports de nos rêves. Car ils sont générateurs d'histoires et de sentiments qui savent nous dépasser. Il faut écouter et voir ces histoires rayonnantes, puisque les voir c'est comme les vivre tout par les pensements et l'imagination qui est la matière ès arts.

Demian West

La Grande Force de Vie

Ne serait-il pas de saison de reconnaître enfin que nous cherchons à vivre des moments intenses dans un espace de paix très rassurant ? Toutes les masses accumulées de connaissances ou de richesses n'ont-elles pas comme fin cette intensité de vie ajoutée à la plus impavide stabilité hors du temps ? Certes, il s'agit bien de qualités opposites, mais qu'elles se complètent bien dans une vie accomplie de sensations et de vertus favorables.

On voudrait que tout se renouvelle sans laisser, et dans le même temps, on désire ne jamais perdre la présence des visages aimés et très parents : lesquels savent nous conforter et nous consoler comme par la simple magie de la monstration. Et chaque fois, on approche de la fin d'une année, avec ce vrai sentiment que tout devient lourd de la persistance des images anciennes ou vieillies, qui nous fatiguent et nous épuisent à mesure qu'elles éreintent l'an.

Vrai, ce n'est pas sans évoquer, les grandes trahisons des princes les plus sûrs. Par exemple, comment les courtisans obligés ont déserté la chambre de Louis XIV le jour même de sa mort, et pour se précipiter aussi massés qu'ils purent au lever d'Orléans, qui allait régenter le royaume dès le lendemain. Et, pour achever la confusion des protocoles éthiques, on fit une grande fête partout quand ce roi bigot fut mort de la gangrène à sa jambe.

Il reste que tous ces moments propices à l'expression de la grande force de vie -- que l'on s'éteigne ou que l'on survive -- sont vécus dans la plus grande intensité. Tantôt adoucie par l'anesthésie naturelle que la mort doit certainement parfournir à ceux qui partent, et pour en éteindre toute révolte en eux. Et tantôt adoucie par cette force de vie qui rend chaque survivant assez insensible au pire malheur d'autrui.

C'est pourquoi, tout va son cours et l'un remplace l'autre. Comme les dieux de l'Inde étaient incarnés par des âmes qui transmigraient, selon la sagesse des Peuples. Et que ces âmes revêtaient tantôt les corps du dieu, qui gardait infiniment une semblable apparence inchangée, toutefois habitée par un individu différent, et dont le mérite était ainsi récompensé par une vie dans le monde transitoire des dieux.

La sagesse dirait que pour bien-asseoir un sort ou un destin fixe et ferme, il y faudrait toujours un substrat bien large ou vaste. Et que les cherches de gloire se doivent d'être bâties sur de telles tables, qui peuvent espacer des repas de lions ou de rois, sinon des couvertures de stars du cinéma. Ce qui vaut bien des royautés d'autrefois : quand on montrait l'élu dans une scénographie à destination d'alimenter les feux du désir dans chacun de la foule. Tout le monde marche encore de ce grand pied-là.

Alors, nous vivons cet espace de paix traversé d'intensité, mais tout par le truchement de la vision qui transmet les sentiments de la vie intense. Parce que nous avons en nous la faculté prodigieuse de nous projeter dans la scène que nous voyons. Et si nous pouvions faire l'économie de lutter chaque jour pour entretenir notre corps, nous serions plus enclins à nous projeter librement dans ces espaces, ou dans les visions des fastes et du fabuleux imaginaire que nous appelons les médias ou les arts.

D'une certaine façon, le topos psychologique de l'homme du XXIème siècle équivaudrait assez à une sorte de ballon retenu par un seul fil à la petite main qui maraude dans le jardin d'enfant. Si le fil était détranché, nous irions droit vers les nues de laine pour nous gaver des ivresses assistées par les techno-sciences d'aujourd'hui, qui ne savent plus freiner leur progrès délirant d'immatérialité. Et c'est une neuve cartographie psychologique qui devrait représenter plus sûrement nos névroses, que les anciens topoï de la psychanalyse. Car cette science des rêves ne pouvait voir en ses germes les médias comme nous les connaissons. Puisqu'ils n'existaient pas.

C'est une merveille du futur : Que nous ne pouvons le connaître jamais, quand il tient tous ses germes en nous-mêmes. Et il s'éloigne à mesure que nous fondons sur lui, par l'effet étranger que nous vacillons toujours entre deux pôles opposites et que, dans le même temps, nous les vivons simultanément. Et c'est ce que nous nommons la grande force de vie profuse en intensité bien en pointe et centrée dans cet océan de paix qu'il faut à notre bonheur jamais simplesse. Ceux qui, enjeunis, se séparent de la foule pour vivre une vie d'artiste ou d'acteur savent ces choses d'instinct, et c'est raison qu'ils supportent de grands sacrifices pour mieux-connaître la vie intense, ou la grande force de vie.

Demian West

Thursday, December 25, 2008

Qu'est-ce qu'il se passe là ?

Je la regarde sa longue silhouette et les gens qui se penchent en de proclives révérences quand ils nous voient ensemble. Des femmes des hommes sentent qu'il se passe quelque chose là. Moi j'aime son épaule et ses bras qui dégagent une sorte de chimie secrète qui allume nos feux invisibles qui craquent nos corps du désir dans les diamants, les saphirs et les rubis de l'air. Soudain elle ôte son bonnet de la garçonne des années 30, et ses cheveux brindillent comme les reflets d'or dans l'onde aux rayons changeants. Elle laisse flotter entre deux rêves son regard bleu d'ancre baltique si fier d'être artiste et de tous les possibles de la singularité, qui est la vraie nouvelle frontière pour chaque vague de génération.

Elle a ce rare regard d'un Helmut Berger viscontien, avant la ruine des alcools et de l'héroïne navrée, ajouté des poses majestueuses de l'improbable Tadzio androgyne et protégé. Ses gestes font la chenille, le cobra et d'autres animaux d'un Boddhidharma que les Romains appelaient la danse, tout comme ils nommaient ainsi les beaux gestes du quotidien au naturel. J'adore mesurer la force de sa conviction, surtout parce qu'elle m'a choisi, forcément avant que nous nous connaissions comme dans le fabuleux, pour asseoir sa force de transformation du monde : Comment elle construit son environnement ; comment elle déplace ceux qu'elle aime pour les mettre en scène dans les rushes de la vie à la Lelouch.

Elle est la loupe qui magnifie l'art même dans les musées définitifs. Car lorsque nous sommes ensemble dans les appartements de Napoléon III au Louvre, nous décollons de dessus la Terre des stucs dorés et de la pourpre aux murs sous les lustres grands comme des pièces à vivre. Pour redescendre plus tard, quand il nous faut prendre un café dans une boutique d'urgence et dessous le néon de notre époque irréelle. Tellement c'est trop ! qu'il faut arrêter la montée vers le quantième ciel de la jette plus enième des arts conjoints à notre volupté assurée par un décret de la Providence. Cette atmosphère luxueuse est forcément manifestée par le parfum créé par Beaux : le parfumeur à la cour de Russie. Un Chanel Numéro 5 qui est le plus français discours du monde.

On passe d'ensemble sous la porte du Roi Sargon à Khorsabad. Là où les taureaux ailés étaient peints aux couleurs criardes de la foule des milliasses de gens disparus depuis avec tous mendiants et riches marchands, tous princeps engloutis dans des langues inconnues. Nous nous sentons leur futur dans plusieurs millénaires, comme d'aucuns semblables étrangers parlerons de nous dans des milliasses d'années et sous la même porte...

Enfin, le temps n'a aucune prise sur nous, il ne sait pas où nous prendre les poissons que nous sommes, par la vertu des fluides glissants de l'amour, qui savent rendre visqueuses maintes vues défavorables et la vie malheureuse que nous n'avons pas vécue et que nous ne vivrons pas. Nous nous regardons dans nos yeux verts et bleus gris en nous entregardant pour l'étreinte des éternités, quand tout change autour de nous, et nous mêmes dans ce flux fixe et ferme.

Comme le soleil branle plus d'un hémisphère sans jamais vaciller de sa courbe toujours recommencée depuis des éons babyloniques ,qu'on appelle tantôt au centre ville : les dieux et les déesses ou les forces primordiales de la Nature. Et nous les artistes, nous procédons aux sacrifices et rites, afin que chaque matin, le soleil se levât et sans laisser jusqu'à la fin du monde qui n'aura pas lieu.

Demian West pour Deila Vogur

Saturday, December 20, 2008

La lumière intacte des pastels à Orsay

Au cours de mes recherches du médium parfait qui saurait rendre toute la lumière et la forme des visions du réel, j'ai trouvé sur ma route une magnifique exposition de pastels à Orsay. D'abord, nul ne saurait faire l'économie de visiter à reprise les galeries des impressionnistes et des post-impressionnistes de la fin du XIXème siècle. Là, on ne peut que constater tout du long des ans qui s'accumulent malheureusement et qu'ils font la vie d'un artiste assez mûr, que la couleur chez Monet et tous ses satellites devient fade, sombre, sourde et qu'elle s'efface lentement. C'est une misère pour ces frais impressionnistes, qui montraient des scènes de la vie spontanée et si réelle que le brin d'herbe y trouve toute son importance cosmique, pour faire un tableau de l'univers qui est ce coin d'Argenteuil où d'un quelconque lopin d'Île-de-France et de partout.

L'honnêteté le dirait, la peinture à l'huile posée sans considération de conservation des pigments ne tient pas la route des ans. Mais, il faut reconnaître dans le même temps, que certaines oeuvres et par-delà la couleur, déversent encore toute la charge réaliste et immédiate tout par le sujet choisi et le traitement de la touche rapide et qui prit la vue comme une photographie la raptait ajoutée de la sensibilité de l'artiste qui y pose son affect.

A l'opposite, les oeuvres des académiciens ont conservé tous leurs roses et bleus savants et doux, par la pose ultradouce des coups de pinceaux sages et si bien travaillés comme des caresses : Que les pigments non violentés baignent encore dans leur jus d'huile pris de résine à la manière flamande pré-rubénique. Certes, les sujets sont grandiloquents et gonflés d'orgueil civilisationnel, mais c'est aussi une grande jouissance picturale. Il ne faut pas avoir honte d'aimer ces grandes machines vénusiennes de Bouguereau ou de Cabanel. En tous les cas, je les aime et je m'incline chaque fois dessous les pieds fins de ces Vénus inouïes aux chairs silhouettées de lumières fragrantes qui dessinent avec ferveur chacun de leurs doigts de pieds panthéoniques.

Avec Deila nous sommes entrés dans la crypte du pastel : une exposition qui dit la peinture comme une lumière à l'intact. Tout y est conservé fabuleusement. Là, le pastel démontre qu'il est un médium parfait pour conserver les effets de lumière sans laquelle la peinture n'est qu'une leçon du permis de conduire des machines sans âme, permis de peindre. Non, le génie de la peinture c'est l'irréel et donc la présence de la lumière imaginale. On doit entrer dans l'éblouissement qui nous fait transiter, traverser et recevoir d'autres mondes que seul l'homme a vus.

Dans cette exposition de ces oeuvres si fragiles qu'elles doivent être encadrées dans des boîtes de verre, on va du dessin à la peinture mais dessinée. C'est l'apothéose d'un Degas dont la majorité de son travail fut projeté dans le pastel. On y voit toutes sortes d'expressions très symbolistes en des variations thématiques et techniques du grand écart dont seul l'art est capable. Mais toujours la plus achevée virtuosité, car le pastel est une sorte de crayon, et que ce médium-là va au plus court depuis le cerveau jusqu'à la main et vers la pointe grasse ou sèche. Le pinceau est plus souplesse et ses vibrisses sensibles et vives produisent des effets hasardeux, qui échappent au contrôle par l'artiste. Le pastel et le crayon de couleur sont l'expression même du contrôle dans toute la chaîne de pré-conception, conception et des caresses de finitions sur l'oeuvre. Car, peindre et dessiner c'est caresser comme on le fait dans l'art de la chambre à coucher.

Avec Deila, nous sommes passés d'une oeuvre à l'autre en lâchant des petits "Oh!" et des "Ah!" très suggestifs de conjouissances dans l'atelier où l'on sait confondre la couleur et les sentiments et la pratique artistique avec les serments d'amour et les étreintes, qui savent survivre aux jours et finalement aux siècles. Il n'est rien de plus galant à Paris que se promener dans une exposition unique et se raconter la vie et ses émotions partagées, comme les heures heureuses des princes florentins conscients de leurs privilèges et luxes de libertés.


Demian West