Saturday, July 28, 2007

Le Val-d’Europe ou la cathédrale du Marché




En prenant le RER A à Paris, on commence son voyage vers la cathédrale du Marché ou le Val-d’Europe, qui est le plus grand centre commercial de la région parisienne. C’est un véritable laboratoire de l’architecture du XXIe siècle. Comme toute la nouvelle ville de Marne-la-Vallée est une expérience inouïe qui ouvre Paris par-delà son limes qui la séparait de la province.

La gare RER Val-d’Europe est un chef-d’œuvre de métal lissé qui évoque les glaces kryptoniques de la science-fiction de Superman. On y comprend, dans ce lieu improbable, la nature cristalline de l’esprit qui conçoit des environnements pour l’homme désormais libéré des contraintes de la nature hostile. Dehors, la grande place accueille les voyageurs venus de tous les pays disneyphiles. En fait, on est à Paris, mais un Paris neuf comme du jamais vu, tel un château de cartes d’une nouvelle donne de l’espace et du temps.

La prospective est toute rythmée par des citations antiques. On y voit de nombreuses évocations des colonnes doriques grecques. Simples et massives, elles répondent bien au goût géométrique de notre époque. À Marne-la-Vallée, les architectes du postmodernisme de Ricardo Bofill ont su jouer des influences antiques, et aussi de Palladio, enfin de Ledoux, soit de toutes les manières de combiner les modules du classicisme.

Face à l’entrée du centre commercial du Val-d’Europe, on longe la Médiathèque créée par Huidobro et Chemetov et sa façade aveugle. En face, la magnifique perspective de pierres blanches et ivoirines donne l’impression qu’une plage de sable aux reflets d’azur serait au loin au bout du jour... Quand c’est le Parc Disneyland qui s’y agite et qui donne tous les soirs des feux d’artifices très américains.

Le centre commercial évoque d’emblée le Crystal Palace de Joseph Paxton. Il avait conçu, en 1851, et pour l’Exposition universelle de Londres, un immense palais transparent et inspiré par l’architecture des jardins, des serres. Cette forme architecturale avait l’avantage de distribuer la lumière aussi largement que la couverture était discrète et déjà écologique ou environnementaliste. Composée de lignes du fer assez filaire si évocateur d’un étrange exosquelette, ce palace connut un immense succès international. Au début du XXe siècle, Gropius, l’architecte et designer du Bauhaus, conçut plus avant le mur-rideau. Ce sont ces grandes façades de verre qui devinrent vite la signature de l’architecture de nos villes contemporaines. Aujourd’hui, on assiste au retour d’une architecture néotraditionnelle, qui s’inspire de Haussmann et Baltard, sinon de Eiffel, et des passages couverts parisiens, enfin du New Urbanism des États-Unis.

Quand on entre dans le centre imaginé par les architectes Gund, Taylor et Lobjoy, tout nous paraît aisé et fluent : on est comme aspiré par les puits de lumière - l’architecture des centres commerciaux, principalement aux États-Unis, parvint à achever le programme luministe des cathédrales médiévales. En fait, ces centres marchands sont un peu le véritable laboratoire de l’architecture la plus osée et dans le même temps la plus utile collectivement. Depuis plus d’un siècle, on y décline le principe des puits de lumière où les escalators diffusent les clients et les passants. Et tous sont rassemblés sous la coupole de verre insistante du XIXe siècle. La circulation doit être fluide et, dans le même temps, il faut favoriser le sentiment de bien-être du chaland, qui doit faire circuler l’argent comme il convient.

Le Val-d’Europe est construit selon une progression rythmée de longs promenoirs aussi glissants que lissés par les marbres infinis et riches. Les boutiques rivalisent de touches design pour que le client se sente ici mieux que chez lui, comme dans un rêve cristallin. Il y a même des espaces de salons rondement tournés en des cercles de fauteuils profonds autour d’un pianiste tout à son improvisation. Des enfants se jettent tantôt sur la neige des marbres, qui surfent sur la vague des euros et pour le siècle.

Sous les dômes des verriers, des places sont circonscrites par des bornes d’accès à Internet, aussi nombreuses que des colonnes antiques, dont on sait qu’elles évoquaient les troncs d’arbres de la forêt primitive, puis les troncs qui soutenaient le toit de la hutte de Romulus et Remus, les fondateurs de Rome. La colonne figure l’homme dressé et, aujourd’hui, quelque mât de la communication par le biais des antennes. Dans cette atmosphère qui incite plus à flâner qu’à faire ses courses en poussant un Caddie, on comprend que le sens du Marché se transforme.

Il semble que tout s’entretisse, l’extérieur et l’intérieur, l’intimité d’un chez soi avec les innombrables passants du centre commercial, et finalement l’espace et le temps. Car, autant nous allons vers l’avenir, autant ce sont les formes du passé architectural qui surgissent à nouveau. Et, on ne saurait vraiment douter que l’architecture du XXIe siècle évoquera plus certainement le XIXe siècle. Ne l’oublions pas, le XIXe siècle est désormais au premier rang des nostalgies, que nous laissions auparavant au XVIIIe ; il nous faut manifestement un écart d’un siècle ou deux pour vraiment entrer dans le rêve et l’irréel. Ainsi, l’architecture se décline-t-elle de plus en plus, comme un voyage dans le temps. Et comme le XXe siècle sut résoudre la question de l’espace-temps, notre siècle serait appelé à résoudre la question du temps. Ainsi que la théorie des quantas nous l’annonce tantôt.

Il reste que les concepteurs anticipent déjà des sortes de voyages temporels, dans leur travaux qui modèlent les villes du futur. Ces cités seront d’immenses organismes collectifs sous dômes protecteurs. Il y règnera une atmosphère faite de musiques douces et changeantes, de champs de sensations fragrantes et stimulantes qui sauront maîtriser les contingences du climat hostile. Il n’est pas étonnant que ces expériences aient lieu dans l’aura économique de la sphère Disney. Car dans les parcs à thèmes, et ainsi que l’a démontré Umberto Eco, tout cet art hyperréaliste mène à la domestication de la nature hostile, que la pensée du divertissement veut remplacer par un monde rêvé et fantasmé. Les animaux y sont des automates robotiques. Et tout y est résolument artificiel et de moins en moins naturel.

Ce ne serait pas tant le fait d’une idéologie choisie, mais bien le programme de notre culture globale et des millénaires, qui voudrait maîtriser la nature et rêver enfin de consommer la jouissance infiniment. Les artistes médiévaux avaient construit des cathédrales pour précipiter la descente de la Jérusalem Céleste, qu’ils virent vraiment dans leurs vitraux cristallins. Aujourd’hui, nous consommons cette Jérusalem achevée et descendue, telle la maison de pains d’épices de Hansel et Gretel. Surtout quand nous faisons nos courses avec la famille des insouciants rêveurs de leur plein caddie.

Promenade photographique par Demian West

Thursday, July 26, 2007

L’école de New York au MET




Du 18 septembre 2007 au 3 février 2008, le Metropolitan Museum of Art de New York revient sur la grande époque des expressionnistes abstraits des années 1940. En effet, la collection Muriel Kallis Steinberg Newman a su réunir les plus grands artistes de cette période. Et leurs œuvres, qui vont des grands espaces peints sur la toile aux dessins plus intimistes.

C’est une peinture en recherche d’elle-même. Puisque, à l’époque, et par le biais de l’influence des artistes européens échappés du nazisme, la peinture figurative aux États-Unis vira complètement vers l’autre rive. Tout d’abord, les artistes assistés par le Work Progress Administration étaient subventionnés par le gouvernement, qui leur commandait d’immenses fresques figuratives pour tous les lieux publics prestigieux. Dans le même temps, les œuvres de Matisse et de Picasso avaient bien franchi l’Atlantique par le truchement de la presse internationale, mais en noir et blanc. Et ce fut ce graphisme cubiste et fauve qui marqua les artistes américains, toutefois libres d’en interpréter les couleurs et donc de créer leur propre influence imaginative.

Par ailleurs, les surréalistes avaient inventé l’écriture automatique à l’hôtel des Grands Hommes, juste à côté du Panthéon à Paris. Entre écriture et peinture gestuelle, Masson inventa une nouvelle forme d’expression, qui réussit massivement aux États-Unis dans les grands espaces paysagers qui savent libèrer l’esprit. C’est ainsi que Jackson Pollock créa une peinture hybride entre intellectualisme européen - sinon français - et chamanisme amérindien, dans une consommation constante d’alcool pour, en somme, jeter un aqueduc entre ces deux cultures assez inconciliables.

Il posait la vaste toile sur le sol. Puis il prenait des bidons qu’il chargeait de couleurs, pour l’en asperger dans une danse assez contrôlée. Comme un conducteur ivre évite l’accident, tant qu’il le peut sur ce fil du rasoir. On parla plutôt d’action painting menée par son dispositif du pinceau qui giclait plus qu’il ne peignait : le dripping. Parfois, il touchait la toile pour y ajouter quelque griffure de mégot ou d’autre substances inavouables, pour achever le tout et sa cuite. Car l’expressionnisme abstrait donnait à voir un certain lyrisme dionysiaque dans la gestuelle spontanée.

D’autres peintres exprimaient, tout à l’opposé, la retenue en des plages de couleurs résolument mystiques, ou, à tout le moins, philosophiques. C’est-à-dire qu’elles étaient imprégnées de la recherche psychanalytique selon Jung. Ces recherches formelles et colorées étaient souvent teintées par la pensée bouddhiste zen, et par d’autres penseurs germanopratins plus indéfinissables encore. Mark Rothko fut un peintre énigmatique qui cherchait on ne sait quelle forme du dieu inconnu. Il pratiqua la peinture telle une médiation dans les champs colorés, et finalement très empourprés de couleurs instables. Il termina assez mal, par un abus de suicide définitif, fruit de la pensée torturée par la pratique picturale, ou l’inverse. On ne sait pas encore où tout ceci naît et se mélange, dans l’artiste et sur la toile aussi.

Bien que le mouvement se constitua sur le mode painterly ou pictural, on en vint vite à des considérations venues du sérail le plus fermé au béotien de l’art. Car, il devenait de plus en plus urgent de trouver un motif valable à peindre. Cette question, du référent à représenter sur la toile, travaillait toute la peinture depuis l’invention de la peinture paysagère. Plus on allait vers l’abstrait, depuis les Nymphéas de Monet aux aquarelles abstraites de Kandinsky, et plus le motif, ou moto, qui émouvait le peintre à l’extérieur en plein air, dut se transposer dans l’intériorité et donc dans l’intellect. C’est pourquoi les œuvres monumentales des expressionnistes abstraits citent aussi bien les grands paysages américains que la signature même et la gestuelle de l’esprit du peintre, et donc son identité remarquable.

En 1948, quelques expressionnistes abstraits fondèrent un groupe intitulé Subject of the artists pour bien dire que cette question du sujet revenait aux artistes, qui choisissaient désormais de s’autoréférencer dans leur propre peinture. La collectionneuse Guggenheim, les critiques Robert Coats, Clement Greenberg et Harold Rosenberg suivirent de près cette "école de New York" et, plus près encore, le Marché, qui jubilait. Car cette politique culturelle sut installer la suprématie américaine et newyorkaise dans le milieu artistique et le Marché mondial. Au détriment de Paris, et tout à cause de la Seconde Guerre mondiale, qui vida l’Europe de ses artistes jetés à la mer.

Le courant des anciens expressionnistes abstraits trouva une postérité nombreuse dans les écoles successives du Shaped Canvas, qui interrogea le support et la toile en de nombreuses pratiques proches de la sculpture informelle. Aussi le Colorfield travailla sur les champs de couleurs et leurs effets visuels et psychologiques de la gestalt. Enfin, le Hard Edge de Newman jouait des effets tranchants et géométriques inusités.

L’"école de New York" a créé d’immenses toiles afin que le "regardeur" puisse s’immerger dans la peinture comme dans un monde pictural "pur", ou mieux encore psychique en soi. Et c’est l’effet enveloppant que l’on ressent, devant ces plages de peinture dont le regard ne sait plus voir la fin. Tant et si bien, qu’elles donnent un sentiment de jamais vu, ni espéré. Et, dès lors, le corps, c’est-à-dire l’esprit, comprend que la couleur est une énergie qui peut transformer ou agir sur la psyché, soit pour l’apaiser, soit pour l’éveiller à d’autres mondes encore inconnus et toujours recommencés.

Demian West

Monday, July 23, 2007

Paris au XXIe siècle




Autour de la gare de l’Est à Paris, le piéton stationne car il attend son train. Là, il a tout le temps de bien voir la ville dans laquelle il fut ferré ou pris. Quand son regard oisif peut enfin s’émanciper et voir les lignes de forces de l’urbanisme dévoilé. Plus avant, nous montons le petit escalier vers la rue d’Alsace où l’amoureuse Amélie Poulain suivit son photographe étrange et fantasmé. La rue suit les voies ferrées du TGV et des trains d’autrefois. Aussi, on peut voir l’immense vague de la couverture en verre de cette gare, si proche de la gare du Nord de quelques rues espacée.

L’invention du train et de la voie ferrée au XIXe siècle se fit dans les mines où l’on cherchait le minerai, qu’il fallait aussitôt transporter dans la fabrique de l’industrie du nouvel âge de fer. Là, on inventait les pompes pour évacuer l’eau, et les ascenseurs pour transporter les ouvriers et la machine à vapeur qui fut simultanée à la Révolution française quand elles ouvrirent cette nouvelle prospérité. Ce furent des dizaines d’inventions liées qui firent ce XIXe siècle. L’architecture en métal permit d’ajourer toute la couverture des gares derrière des façades encore citationnistes de l’Antiquité, conformément au style Napoléon III soit l’éclectisme. Aujourd’hui, ajoutée à la façade de la gare du Nord, une verrière vient donner toute la dimension futuriste à l’architecture urbaine du dernier XXe siècle. Depuis les années 1970, les concepteurs du postmodernisme aimaient à assembler des époques dans le même bâtiment, et souvent selon un rythme binaire simple. Une façade néo-classique était prolongée et ouverte par une structure high-tech, qui sait évoquer les bandes dessinées de la science-fiction.

Car, cette fois-ci les concepteurs ne voulurent pas manquer le train de l’avenir. Comme les dessinateurs du début du XXe siècle, et publiés dans l’Illustration, avaient tout faux dans leurs imaginations de l’an 2000. Plus probablement, l’an 2100 sera-t-il plus conforme à ces délires gonflés de dirigeables et de grandes verrières qui feront nos villes sous cloche, où le marcheur ne craindra plus les intempéries. On se souvient que ce fut Léonard de Vinci qui dessina la première ville aux passages couverts et sur plusieurs niveaux.

En été, la gare du Nord est un monde très cosmopolite, où l’on compte une population vraiment mêlée et de toutes origines. Les gares sont des lieux mythiques où nos fantasmes s’agitent de bruits autorisés qui ont inventé le rock avant l’heure. Il y a des ambiances de concerts d’une synesthésie des arts au plein de la ville ouverte sur l’ailleurs, et le plus loin possible. La verrière monumentale, que vous pouvez voir ici et tout le reportage, semble une grille d’une cartographie célestine posée par l’architecture fonctionnaliste. La fonction crée la forme. Plus tard, on comprendra au XXe siècle la grande beauté qui se dégage de ces fonctions, si mélioratives de l’homme et de sa société. Et d’une certaine façon, ces grilles de lectures de verre et de fer renvoient à la juridiction du réel qu’Alberti et Brunelleschi mirent en oeuvre. Quand ils inventèrent la perspective visuelle à point de vue unique dans l’art de la peinture et l’architecture de la renaissance.

Les voyageurs assis dans le train des salles d’attentes ne se doutent pas un instant, qu’ils seraient pris dans la toile d’une grande araignée jetée à la Renaissance. Quand l’homme est devenu un démiurge, à la place de Dieu. Et par l’effet des arts et des techniques qu’il a su prendre aux dieux d’une façon toute prométhéenne. Ainsi, quand on prend le boulevard Magenta on saisit mieux encore, combien la ville est un organisme vivant et complexe dont chaque individu est une cellule dans un corps composé d’artères et de lieux de repos ou d’autres trafics inavouables, selon la tradition à l’entour des gares.

On arrive bientôt au plein de la structure rayonnante des boulevards qui s’espacent depuis la place de la République. Selon le programme Haussmannien, assez louisquatorzième, tout devait être vu dans ces artères afin que rien ne sache bloquer le flux qui est vital pour tout l’organisme. Par ailleurs, il fallait éviter le caillot du coagulé révolutionnaire dans ces temps rougis comme le fer au feu.

C’est Hippodamos de Milet qui conçut le port du Pirée à Athènes qui fut la première ville dessinée selon un plan orthogonal. Et selon deux axes, le premier va de l’est à l’ouest ou le decumanus et le second s’étend du nord au sud, c’est-à-dire le cardo. Plus tard, la ville médiévale s’est constituée plus librement en des strates ajoutées l’une à l’autre en périphérie du centre mystique et du pouvoir. Ainsi, on vit des villes s’étendre en spirales ou d’autres en des cercles plus concentriques. Mais toujours avec un enchevêtrement constitué selon un ordre assez naturel et non rationnel. Une maison s’ajoutant à l’autre comme on voulait. Quant à la structure radioconcentrique de l’urbanisme au XVIIe siècle, elle rayonnait depuis la statue équestre du roi solaire. Tous devaient voir Louis XIV pour l’admirer, quand le roi devait voir tous ses sujets pour les surveiller.

On longe la place de la République, et l’on achoppe sur le sans domicile fixe qui fabrique sa petite boutique d’objets, qu’il vend surtout aux étrangers qui semblent surpris de ce Paris du tiers-monde sinon du quart-monde ou pire encore... Quand il ne choque plus l’indigène parisien qui lui jette des regards compassionnels et entendus. Puisque le petit marchand de cendriers orfévris de canettes usagées fait partie du nouveau paysage urbain. Comme un rappel savant du XIXe siècle, vers lequel nous retournons au rebours. Le touriste est un peu effrayé de ce coup d’oeil. Puisqu’il est tout nimbé de cette impression qu’il ressent d’être au coeur du monde. Dans la plus belle ville vue à la télé et perçue ou rêvée dans les contes publicitaires et la littérature en tombereaux des nouveaux codes vinciens vulgarisés. Et finalement, c’est bien ce qu’il voit. Car ici, rien n’est factice, et le riche et le pauvre et l’homme du commun de l’ordinaire, tous sont vrais. Certes, le Parisien est blasé, mais, il pense rarement ou jamais à quitter sa ville intense et toujours recommencée.

Au loin, on voit l’axe de la porte Saint-Martin par laquelle Louis XIV entra dans Paris, après ses victoires de guerres. C’est droit vers la Seine. Mais, nous prenons l’avenue de la République qui descend jusqu’au boulevard Ménilmontant et vers le Père Lachaise des tombales mémoratives. Nous y allons et, au passage, nous glanons des vues où se joignent des effets de vert du mobilier urbain parisien, du jaune de la poste familière et du rouge des enseignes sous lesquelles les employés fumeurs s’adonnent à leur grève préférée non pas du vice.

C’est une bonne occasion de regarder les belles parisiennes qui sont une troupe innombrable. Et sur des jambes qui claquent du talon selon la plus fine aiguille des sonorités propres à chaque arrondissement. On ne marche pas à Saint-Germain-des-Prés comme on traîne à la Bastoche. Et une oreille avertie, par l’expérience de ces douces et fines approches, saura faire la différence comme un meilleur ornithologue des caprices féminins.

Au cimetière du Père Lachaise on goûte la célébrité des autres, quand soi-même on est toujours vivant. Ce qui nous poste un avantage considérable sur les grands de ce monde d’en dessous. Et il n’est pas si troublant de constater que les mêmes ordres de plans ont constitué ce royaume des morts, comme ils ont conçu la ville des vifs. Finalement, cette structure urbaine se trouverait plutôt et immanquablement dans le cerveau de chacun d’entre nous. Telle une toile de l’araignée paradigmatique qui ratiocine au-dedans de nous. Mais quelle ville serait en nous ? Sinon la topographie des mots qui constituent notre inconscient. Tant et si bien que nous nous sentons chez nous dans la ville. Car elle est un voyage dans notre propre intériorité.

Un peu comme dans le roman de Huysmans A rebours, dans lequel le chevalier des Esseintes prépare son voyage à l’étranger. Et qu’il en jouit tellement, par avance, en y pensant sur le chemin de la gare, qu’il décide de rentrer chez lui. Car, penser le voyage fut bien meilleur que l’entreprendre entièrement. C’est ainsi que naquit le courant symboliste et toute la ligne de force de l’imaginaire, qui fit l’art du XXe siècle et le nôtre aujourd’hui.

Promenade photographique par Demian West

Sunday, July 22, 2007

Le pèlerinage estival au Louvre




Dans les galeries du Louvre et entre les oeuvres, on y trouve le spectacle du monde rassemblé pour un pèlerinage païen. En effet, en été, c’est la nuée des touristes qui viennent à Paris en toute conscience qu’ils sont parvenus, après un long voyage, au centre même du monde culturel. C’est la richesse ajoutée à la France, par l’art souvent négligé par son propre public de natifs trop sûrs de leur patrimoine. Tant et si bien, que les Français ne vont guère voir comment l’art se porte dans le coffre à bijoux du plus heureux style renaissance.

Le Louvre, c’est le prétexte parfait pour la promenade où l’on croise tantôt de belles Texanes propices à l’admiration des Français, qui sont bien cotés sur le marché de l’amour, mais juste en passant. Tantôt, on croise des modèles orientaux ou méditerranéens surgis de l’Antiquité sans aucun hiatus. Comme si la beauté idéale attirait sa semblable en des voyages temporels. Ainsi que le font les insectes qui se cherchent à des distances infinies pour s’accoupler et se reproduire en leurs modèles génétiques.

On entre dans la galerie des marbres antiques où tout est blanc, un peu ivoire. Là, les canons de la Grèce antique bandent leurs muscles fixement et fermement pour l’éternité. Le Gladiateur Borghèse est taillé dans ce ressort qui fait rêver les filles et les garçons épris d’idéal masculin et de jouvence. C’est l’Allemand Winckelmann qui imposa ce concept que la sculpture grecque et la romaine étaient incolores. Quand on sait depuis, que les statues étaient peintes et même versicolores. On dirait aujourd’hui, sur le mode hyperréaliste. Car tout y était fidèle à la carnation des dieux, tels qu’on les avait imaginés puis vus. Parce qu’on les avait créés à notre image, mais idéalisée. C’était un rituel antique appelé le Lectisterne, dans lequel on reconstituait des repas de dieux composés de statues peintes dans la villa romaine.

Ainsi, pour créer au préalable un corps divin, on prenait les parties les plus belles et chez des modèles respectifs nombreux. Pour composer un assemblage de perfections vers l’homme ou la femme plus conformes au beau idéal. Cette tradition fut une nécessité culturelle, pour améliorer, d’une certaine façon la conscience et le respect dus au corps. Aussi, on spiritualisait le corps en y ajoutant l’empreinte de l’esprit soit du bien et du beau. Et les oeuvres du néo-classicisme plus tardif de Canova expriment ce lissé parfait, avant les déformations de la vieillesse, de la maladie et de la mort. Amour et Psyché est un chef-d’oeuvre d’art classique du beau idéal. Certes, il est lisse mais tout chargé de sentiment amoureux de la caresse. Et donc, un peu différent du lissé froid d’un Thorvaldsen qui en devint presque stérile de sa perfection atteinte. Car cette recherche fut aussi une contrainte assez eugéniste, avant l’heure. Comme si la perfection était une promesse de bonheur. Quand souvent elle mène à la pauvreté des sensations et du sentiment dans l’art.

Dans Amour et Psyché le visiteur peut voir une veine sombre dans le marbre, que le sculpteur a découverte en cours de travaux. Et ce fut le drame ! Car le marbre n’était pas d’un blanc si pur qu’uniforme. Juste à côté, on peut voir les Esclaves de Michel-Ange, dont l’un a le visage traversé par une semblable veine malheureuse, qui vient briser l’harmonie de l’ensemble. Bien sûr, nous n’avons pas, aujourd’hui, le même regard que les artistes anciens portaient sur ces accidents dans leur travail. Car en revanche, ces imperfections nous séduisent. Puisqu’elles savent agiter l’oeuvre de réalités brutales, qui semblent plus conformes au goût et à la fureur de notre époque. Le visiteur ne le sait pas. Puisqu’il est rarement informé de ces contingences d’études, dont on parle peu dans la périphérie de Houston ou à Plombières-les-Bains.

Les Esclaves de Michel-Ange sont le manifeste de la conception de l’art selon Aristote. C’est-à-dire que la forme parfaite ne viendrait pas seulement d’en-haut ou d’un modèle platonicien et suprasensible, sinon ouranien. Elle est en puissance, et donc enfermée dans le bloc de marbre. Et le sculpteur doit la mettre en acte. Soit il doit retirer la matière pour en dégager cette forme, qu’il a vue, qu’il a imaginée ou devinée dans le bloc. C’est pourquoi, on sent bien que ces esclaves se libèrent en des contorsions improbables de ces blocs primitifs que Michel-Ange a laissés intacts en certains endroits. Et certainement, pour nous dire qu’il pensait déjà à la qualité d’oeuvre achevée, qu’il prêtait justement à des oeuvres dites inachevées. Ce que Monet imposera au monde entier dans ses pochades ou ses esquisses peintes qui sont des miracles de virtuosité.

C’est ainsi, qu’on est happé par le bloc de la Victoire de Samothrace qui est une proue échouée en haut de l’escalier monumental. Et qu’elle n’est pas sans évoquer quelque stratagème surréaliste. Telle la rencontre d’un parapluie et d’une machine à coudre qu’on aurait posés sur une table de dissection. Il y a même un peu des souvenirs du Naufrage du bateau l’Espérance par Caspar David Friedrich le romantique allemand. Car, la Nike de Samothrace est un promontoire des visions que la mystique a figées dans le marbre lourd et transparent. Les Grecs savaient aimanter le marbre qui aimante à son tour les peuples migratoires et photographiques.

A la vérité, on est surpris par des étincelles qui rompent la coutume très règlement au Louvre. Autrefois, on n’osait guère photographier les oeuvres peintes. Quand aujourd’hui, les flashes s’allument sans laisser. Et dans tous les coins, sans qu’aucun vigile consentant n’intervienne. C’est donc une nouvelle tolérance qui s’est imposée par le fait technologique. Les appareils sont si petits qu’ils sont un oeil prothétique de fait. Et que les instances du musée ne voudraient pas énucléer le visiteur qui flasherait trop sur une oeuvre.

C’est autour de la Joconde qu’on assite à ce phénomène grégaire presque orgiaque. Subitement, on assiste à des comportements irrationnels. Certains, qui sont enfin parvenus aux pieds de la belle amante, se retournent pour la quitter du regard et poser pour la photo intitulée : "J’y étais". Ainsi, se privent-ils de quelques secondes pour admirer plus encore la Joconde qu’ils ne reverront probablement jamais. C’est l’extase qui provoque ces actes compulsifs et contraires. Tous assemblés, ils expriment parfois leur déception devant cette image terne et couverte de monceaux de vernis et de lopins du verre le plus armé jusqu’au lit de béton tout autour. C’est une sorte de sanctuaire de la Suisse en France, un pré carré de la Lloyd’s. Et l’on voit presque des puissances d’argent ou des anges aux ailes plaquées d’or qui sont pris dans les glaces conservatrices du musée congélo. Plus généralement, quelques starlettes américaines, en démonstrations à Paris, paraissent plus promptement déçues par ce petit bout de femme, qui les snobe depuis si longtemps. Pire encore, sans que la rivale Joconde ait jamais pris la moindre ridule, dans son sourire en coin overbooké derrière son hygiaphone du change aux monnaies. Tout ça rit vert, comme le vieux billet qui croit encore en God, mais le God des affaires.

Et en face de la Joconde, il ne fallait pas moins que les immenses Noces de Cana par Véronèse, pour faire le poids d’or contre la paroi de la Joconde bien accrochée au cuir des tentures et pour les cycles des siècles. Plus loin, c’est la noyade du public dans les eaux immenses du Sacre de Napoléon Ier par David et son atelier d’ouvriers maquilleurs de la peinture d’Etat. On s’y noie plus sûrement dans ce tableau, que dans le Radeau de la Méduse par Géricault, qui aimait trop les chevaux qui finirent par le tuer.

Tout compte fait, nul ne regrettera son grand voyage entrepris pour se pencher au balcon de la Joconde. Car le Louvre sait rappeler à chacun, les péripéties des temps anciens. Quand on risquait vraiment sa peau pour aller voir les oeuvres nichées dans leurs lieux natifs. Aujourd’hui, il suffit de poser son avion et son havresac au Louvre, où tout le monde va prendre son drink de culture pour la vie. Inutile de préciser la chance que nous avons, en tant que Parisiens et Français, de jouir de la proximité de tant d’oeuvres, que nous pouvons négliger comme Crésus ignorait sa petite monnaie qu’il jetait à la cantonade réjouie.

Promenade photographique au Louvre par Demian West

Saturday, July 21, 2007

La Disney Gare du 3e millénaire




A quarante kilomètres de Paris, on prend une route sur le plateau de la Brie vaste et dégagée. Là, on entre dans un périmètre circulaire entièrement consacré aux divertissements de la sphère Disney. Il y a surabondace du spectacle et de châteaux de princesses bâtis en dur qui font rêver les infantes les plus exigeantes. Vrai, on vient du monde entier pour s’immerger dans l’imaginal du parc à thèmes hyperréaliste. Et souvent on y casse sa tirelire pour s’enfoncer plus encore dans le crédit qu’on portera au rêve enfin réalisé, au bout de la route.

A Marne-la-Vallée Chessy, on y trouve aussi la gare même du XXIe siècle. C’est un bâtiment irréel. Tant il semble conçu en des lignes d’un treillis ordonné qui sait orienter le visiteur vers l’immatériel. Voyez ! Tout y est fonctionnel, conformément à l’architecture du XIXe siècle. En conséquence, on y voit chaque objet qui compose la structure transparente. Aussi, on y voit sa fonction découverte, ou la vocation pour laquelle cet objet a été assemblé à l’édifice. Cette couverture aérienne a été construite par Arcora, sur le mode high-tech défini par l’architecture contemporaine de Norman Foster. C’est-à-dire, selon une ligne de force lancée par l’architecture minimaliste de Mies van der Rohe, qui fut le dernier directeur du Bauhaus.

On y sent les grandes baies vitrées et les murs rideaux inventés par Gropius. Certes, ils nous enveloppent, mais, dans le même temps, ils font définitivement oublier toute notion de séparation ou de différence entre l’intériorité et l’extériorité. Car, les structures portantes en métal y gagnent tellement en finesse de dentellière qu’elles évoquent des grilles de lecture au rythme si rationnel. Ainsi, frisent-elles une élégance poétique qui manifeste la nouvelle création du high-tech immatériel. Telle une pensée conceptuelle qui serait enfin descendue des cieux paradigmatiques.

De l’ensemble se dégage une grande beauté formelle, qui pousse à se reposer au creux de ces lignes en berceau. Là où elles se croisent et se rencontrent entre elles. Le design, de chaque objet et en chacun de ses éléments, est soigné jusque dans les salles d’attentes. Elles sont quasiment d’un luxe élyséen et pour chacun des visiteurs. Il n’y manque que le "home theater" pour qu’on y prenne son train sans ressource de générique de fin. Et pour jouir infiniment de ce lieu si pensé et si propice qu’il réalise le rêve cristallin du démiurge soi-même. A la vérité, c’est un peu le vrai château de la "Belle au Bois Dormant" ou de la discrète Cendrillon qui prend chaque nuit le dernier train quand passe minuit.

A quelques dizaines de mètres, et à l’extérieur, des milliasses de personnes se pressent dans la grande perspective centrale qui mène aux guichets des affaires enfantines. Et pour qu’ils entrent dans la gueule dévoratrice du parc à thème Disneyland, ou dans le nouveau parc ajouté et consacré au cinéma des effets spéciaux. Tous les visiteurs ne viennent pas de la gare cristalline. Peut-être ne la verront-ils jamais ?

Il reste que cette architecture, que vous pouvez voir ici, est un nouveau mode de conception des gares. Puisque, le TGV entre dans la gare comme un souffle si léger qu’il semble gonflé à l’hélium du silence. Et tellement, qu’on sent bien qu’il a flirté dessous les nuées, durant son envol retenu. Et finalement, ce n’est plus dans une gare qu’il entre, mais dans un hall d’hôtel sinon dans un salon même où s’écrit quelque roman de l’Orient-Express du troisième millénaire.

Tellement, tout y est "luxe, calme et volupté", selon l’image même du paradis terrestre baudelairien. Nous sommes au plein d’une nouvelle cathédrale de l’immatérialité, qui est manifestement indicielle des flux contemporains. Soit des connexions sans effort qui savent voyager selon les canaux de l’esprit. Comme si le monde et ses matériaux allaient vers la vitesse qui dématérialise le monde lui-même en un songe éveillé.

Sans doute est-ce là la raison de ce vertige qu’on ressent au centre de cette gare qui fait éclater toutes frontières entre l’extériorité et l’intériorité. C’est-à-dire qu’il n’y a plus d’écart entre la matière et l’esprit, tout pareil à internet et ses fusées immédiates dans lesquels nous fluons.

Demian West

Promenade architecturale en photos par Demian West http://demianwestphotos.blogspot.com/2007/07/la-disney-gare-du-xxi-sicle.html

Friday, July 20, 2007

Les dessins de Goya au Louvre


Il y a peu, je me suis rendu au Louvre pour y prendre la lumière des marbres antiques. Et au détour d’un couloir ouvert aux commodités où se pressèrent des théories de dames en quête de soulagement naturel, je vis deux galeries sans lumière. C’est un dispositif qu’on réserve aux expositions des dessins fragiles qui manifestent des pudeurs de bluettes fuyantes. Ces dessins dataient du XVIIIe siècle et ils déchargeaient leur Espagne blafarde, toute empreinte d’un clair-obscur où les noirs paraissent gris tant ils succombent à la lumière plus blanche de la feuille jamais jaunie.

J’étais au plein de l’exposition Siècle d’Or -Siècle des Lumières où l’on peut voir et prendre des coups des oeuvres de Goya y Lucientes et de Murillo, jusqu’au mois d’octobre. Dès qu’on a dit ce nom du plus étrange et déjanté peintre de l’Espagne visionnaire et sanglante, on est comme pris dans l’atmosphère du plus grand sorcier de la peinture qui dérange. Tout d’abord, il alla plus loin encore que Velasquez qui s’obstinait à rendre tous les défauts du sujet, fut-il royal. Et comme pour nous dire que ce qu’il aimait le plus dans ces enchéries copines hispaniques, eh bien c’étaient leurs défauts. Un peu à la manière des raisins qui se sucrent leurs alcools dans leurs excès de pourrissement à l’automne qui tourne à l’hiver. En d’autres termes, cette peinture et ces dessins aiment et restituent des odeurs fortes des épices corporelles aussi.

Le trait est sûr et qu’il dévie pour flirter avec la caricature non pas du seul modèle mais du monde entier et de toutes ces personnes dont on se demande où elles vont. Quand elles s’enfoncent dans les gueules de l’histoire, du métro et du dernier trou. C’est du graphisme trash que seules la plastique et la peinture espagnoles savent jeter. Quand l’art se lâcha au-dedans la Contre-Réforme et ses inquisiteurs. Tout y est cruel sous le soleil si proche qu’il favorise la putréfaction des viandes à canons et de toutes les bourelleries des questionneurs vaticaniques. On y lit bien la lignée qui va de Velasquez à Goya pour s’achever dans la démesure dalinienne, qui fut l’antithèse de l’art de la renaissance.

A la vérité, l’Espagne a favorisé une peinture ou un clair obscur dur et sans ressource de douceur. La lumière y est tranchante subitement, à l’inverse du sfumato doux comme le miel de Vinci. Aussi, on ne peut faire l’économie de quelque sensation sourde à basse note, que Goya était un déçu de la Révolution française, en laquelle il avait beaucoup espéré. A l’instar d’autres romantiques allemands comme Caspar David Friedrich, les plus grands artistes de ce temps sentirent le coup du dépit venu depuis la France impériale qui renonça à l’idéal révolutionnaire. Et c’est la figure napoléonienne et sa dévoration du continent tout entier qui brisèrent le rêve des Lumières depuis l’Espagne jusqu’aux Allemagnes baltiques. Ce fut un grand traumatisme continental, quand Napoléon Ier engagea une manière de première guerre mondiale qui fit retomber les idéaux si accueillants de la révolution, qui tournèrent franchement au comput de l’hécatombe en roue libre.

C’est une forme de ce désenchantement qui paraît dans ces dessins de Goya. Car, il s’y moque de tout ce qui porte figure ou masque d’humanité. Plus encore, lorsqu’il devint sourd, après une méningite qui n’a pas dû arranger ses dendrites de cerveau déjà bien tourmentées par des visions hallucinées, il chargea les portraits de difformités implacables comme des maladies orphelines. Tant et si bien, qu’il en couvrit les murs de "la casa del sordo" ou la maison du sourd, pour ne pas dire du fou qui était quand même le "premier peintre de la chambre du roi". Il quitta l’Espagne et son bruit et sa fureur, pour aller mourir tranquillement à Bordeaux en France. Et l’on vient tout naturellement à se demander ce que serait l’état de la peinture en France, si tant d’Espagnols considérables n’avaient pas pris le chemin vers les Lumières en France. Picasso, Dali ont achevé ce voyage pour accomplir finalement cette espérance, dont Goya avait été frustré.

Il reste, qu’un art et des visions si tranchées sous la lumière brutale des peintres espagnols n’auraient jamais été acceptés par l’Italie de la Renaissance. Et cette lumière peu propice à l’idéalisation, et si aisée à rendre tous les accidents de la vie et son horreur constante, aurait paru du pire mauvais goût dans l’Europe de la renaissance. Les Lumières, dont nous parlons au XVIIIe siècle, ne seraient pas tant idéalisantes que révélatrices de notre nature putrescible et bien réelle. Ce fut un grand réveil par le flash du jour qui annonce le labeur du fléau qui nous éreinte. Après les rêves surnaturels où l’on volait parmi les nuages aux allures d’angelots factices.

Mieux encore, le traitement pictural du dessin montre une économie de moyens propre aux plus grands virtuoses. Ceux qui savent faire d’une tache jetée à l’éponge, l’écume moussue dans la gueule d’un chien. Ce sont de grands coups de maître qui donnent des effets éclatants d’illusionnisme absolu, à mesure qu’on s’éloigne de l’oeuvre. Vélasquez avait donné la recette. Quand on s’approche du tableau tout n’y est que taches en désordre, et, à quelques mètres, c’est la photographie peinte à la main avant l’heure. Un peu comme si l’invention était dans l’air, à la façon dont les désirs et les envies nous occupent et fondent sur nos esprits. C’est de l’oeuvre bien fait, bien balancé sans retenue faiblarde ou hésitante. Rapide et envoyé sitôt dans les yeux du regardeur, qui est scotché par cette glue de peinture qui agit comme un cauchemar qui ne le lâchera plus, du moins tant qu’il restera éveillé.

Dans cette exposition, tantôt on rit et tantôt on recule effrayé par la modernité du trait qui annonce les caricatures à charge de la Presse du XIXe, et Daumier bien sûr. Ce n’est pas une grande exposition d’oeuvres grattées dans le monde entier, et portées à travers les océans à prix d’or pour qu’on en voit quelque bout par-dessus l’épaule d’un puissant Texan qui en voudrait pour son argent, et qu’il peut beaucoup. Non ! c’est juste une sacrée bonne exposition dans la pénombre intimiste dont on se souviendra pour longtemps. Car, plus le dessin de Goya est petit et précieux, et plus il nous parle à l’oreille de choses immenses comme l’incroyable qui fait dresser les poils sur tout le corps qui va mal. Finalement, ce romantisme noir nous dit que l’Histoire n’est qu’une suite de massacres et de trahisons manifestes sur les visages peints et dessinés par les bons peintres qui font leur Guernica !


Demian West

Thursday, July 19, 2007

Le Summer of Love au Whitney Museum de New York


Le Whitney Museum of American Art fait son "Summer of Love" jusqu’au 16 septembre à New York. Autant dire que cette exposition favorisera les rencontres flirtantes entre nostalgiques des années beat et hippies. A la mitan du XXe siècle, tout s’enflamma soudainement, quand la guitare de Jimi Hendrix fut immolée par le feu et par son guitariste même. Un geste qui serait équivalent à Zidane mettant le feu à son ballon, ce qui n’arrive plus de nos jours.

Le premier Summer of Love surprit toute l’Amérique puis le monde entier. Quand des jeunes étudiants américains se réunirent innombrables dans le quartier de Haight Ashbury à San Francisco, et juste pour être ensemble. Aussitôt, ces mouvements prirent l’allure de migrations saisonnières si bien tournées vers la libération sexuelle, et sur fond de musique électrique adoucie par des drogues californiennes, forcément excessives. Ce fut comme la réussite tardive des échappées de Gauguin et de Van Gogh, soit de toutes les avant-gardes du tournant du XIXe siècle au XXe siècle. On y vit aussi un rappel des communautés du Monte Verita, au bord du lac Majeur en Suisse. Là, où la société s’était reconstruite, autour de la guerre de 14-18 et sa folie qui ne se laissa plus ignorer.

La beat génération entreprit aussi quelque résurgence des courbes de l’art nouveau, dans la manie des posters illustrés aux couleurs criardes de la libération de toutes les sensualités. On attend toujours une archéologie de ces posters d’un art populaire qui alla plus loin que le Pop Art lui-même. Dans les années 60, la troisième guerre mondiale et froide s’espaçait dans le congélo du napalm filmé au Vietnam et montré à la télé à l’heure des repas en famille du noir et blanc. Et il suffisait maintenant ! En d’autres termes, les jeunes ne voulaient plus la faire, et leurs professeurs non plus. Ce qui mena vers une contestation étendue au monde entier jusqu’en 68. C’est-à-dire, jusqu’à la fin du mouvement hippie, qui vit l’avènement du no futur. Dans le cynisme punk qui bétonna effectivement le futur et le présent, jusqu’à l’irruption de la transe collective et participative de la société numérique et internétique.

Car, le Summer of Love fut aussi la constitution d’une Presse underground qui écrivait toutes les minutes du process de la contre-culture, et dans une langue désormais directe. Aussi sur le mode lyrique hégémonique de la poésie de Ginsberg ou de Dylan puis de Jim Morrisson et des festivals rock, à Monterey d’abord. Ces grandes messes païennes tournèrent vite au happening ou à la performance, qui annonçaient explicitement le multimédia et l’achèvement de la synthèse des arts, selon Kandinsky et selon l’oeuvre d’art totale de Wagner.

Par ailleurs, la mode vestimentaire exhuma les vieilles étoffes des amérindiens assez "rock’n roll". Car ils firent un noeud définitif à la cravate occidentale si propice aux hiérarchies des noeuds pas si coulants. On retira même tout vêtement, pour aller nu à la façon des premiers hommes de la plage, dont la galerie de l’évolution nous assure qu’ils surfent désormais sur la vague cyber. Ces pratiques hippies ne furent pas sans évoquer des rites qui étaient en grande et vaste coutume au siècle d’or d’Auguste à Rome. Quand des mages et des prophètes gnostiques enseignaient leurs nouvelles religions dans la Méditerranée romaine. Le Christ y était en grande concurrence avec Simon le magicien. Et de la réussite de l’un ou de l’autre baba assez gourou dépendait tout un monde et une culture doublement millénaire.

En effet, comment ne pas voir les similitudes idéologiques et affectives entre le Summer of Love et les groupuscules qui minèrent lentement l’Empire romain et par le biais d’un message d’amour et de libération égalitaire. Puisqu’au XXe siècle, on vit renaître ces sectes orientales au plein du monde occidental. Elles glissèrent tout aussi aisément vers les pratiques sexuelles libératoires, selon l’initiation diffusée par les Ophidiens et les Barbélognostiques, entre autres adorateurs du serpent d’airain moïsiaque. Il reste que l’empereur Auguste, qui était le garant des bonnes moeurs, était en charge de repousser ces pratiques orientales réputées lascives, et donc dévirilisantes à la manière de Cléopâtre qui ruina César et Marc Antoine trop amoureux et donc asservis.

Pourtant, l’histoire avance selon une marche pendulaire qui sait osciller entre ces deux pôles résiduels que sont le sentiment et la raison. Et, au premier siècle comme au XXe siècle, le sentiment de la couleur et des passions gagnait du champ sur la raison et la rationalité régulatrice des sociétés. Ou plutôt, la couleur et la sensualité féminisantes l’emportèrent sur le dessin régulateur et donc sur la masculinité, selon les termes du débat ou de la "disputatio" qui avait été engagée par l’Académie dès le XVIIe siècle français. Dans une dispute qui fit encore rage tout au long du XIXe siècle. Puisque les autorités politiques jugeaient, comme par un préalable apodictique et d’ordre universel, que la rationalité et donc l’homme devait maîtriser la passion et la sensualité, c’est-à-dire la femme. Et tout pour maintenir l’ordre cosmique du marché consumériste.

On le sait, c’est le courant symboliste qui l’emporta, et son érotisation du réel par le biais de la couleur et de la courbe qui savent électriser et érotiser le tableau et donc la vie. De la même façon, dans les années 60, les autorités et les instances en charge de la société furent dépassées par la révolution féminisante du credo "Peace and Love". Les arts plastiques avaient déjà promu le renouveau shamaniste ou le retour des pratiques magiques ou suggestives. Aussi, tous les arts concourraient à la création de nouvelles structures sociales plus libératoires et résolutoires. Les expériences de John Cage et La Monte Young ouvrirent plus encore aux formes d’arts interdisciplinaires entre arts picturaux et visuels, vers la musique et vers les performances des masses à Woodstock. Et l’on pensera aisément y retrouver quelques fêtes dionysiaques de la Grèce antique, qui participaient des mystères, sur le mode orgiaque des célébrations de l’amour joint à la nature.

C’est une dérive issue de ces communautés mystiques informelles qui coula la fête et toutes les polissonneries sur la nappe fleurie. Quand le délinquant Charles Manson manipula quelques paumés pour commettre une orgie meurtrière. L’assassinat de Sharon Tate brisa la réputation du Flower Power, avec l’aide non requise des mainstream médias qui surent en faire leurs gorges chaudes. Aussi, Woodstock tourna vers le côté obscur de la fleur, quand les Hells Angels firent leur bavure policière à Altamont, et devant un Mick Jagger assez bouche bée comme le logo des Rolling Stones désenchanté. Enfin, les expérience huxleyenne de Timothy Leary, le théoricien du LSD, s’échouèrent dans la débâcle des trafics de drogues dures qui font désormais partie de l’économie obscure et occulte de notre société. Finalement, le business n’aura retenu que la plus mauvaise descente de ce songe d’une nuit d’été de la Love.


Demian West

Wednesday, July 18, 2007

La Joconde Inouïe au Clos Lucé à Amboise




Au Clos Lucé à Amboise, la Joconde revient en force. Jusqu’au 6 janvier 2008, on pourra se baigner dans son sfumato et dans toutes atmosphères peintes par Léonard de Vinci le métapeintre soi-même. Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas d’un nouveau chapitre ajouté au roman de métro "Le Code... etc.". Non, il s’agit bien d’une exposition qui dépasse les bornes de la coutume vincienne. Car on y présente tous les états de la Joconde, que des peintres cosmopolites se sont appropriée pour en faire des oeuvres tant iconodules qu’elles en devinrent iconoclastes.

Jetons le décor du Clos Lucé. C’est un petit castel de style renaissance invraisemblable de préciosité et de raffinement ourlé dans la pierre. On y entre à quelques marches du château d’Amboise de François Ier et des Orléans. Mais avant tout ce fut le lieu où le méga Léonardo vécut et où il laissa son dernier souffle. Et dans le lit qu’on peut visiter, assez impressionné pour le coup de l’histoire universelle qui expira juste-là, dans un plumard si banal que tout en plumes et bois.

On sait que Léonard ne quittait jamais sa Joconde, ou ce fut elle qui ne le quitta plus. Car, il avait commencé cette peinture de charme à 51 ans. Ce qui donne un certain ascendant sur la jeunesse qui pose. Il a donc peint cette épouse de M. Giocondo, ce qui veut dire "heureux" ou en bon français du XIXe siècle "jocond". C’est la raison de ce sourire d’épouse contentée, qui porte son troisième enfant comme une madonne soit une "nativité", comme on dit en bon praticien de la théorie et de l’histoire des arts. En fait, tout le monde des arts, qui cause et qui peint, a sué sur le sens à donner à cette oeuvre définitive de la peinture et de la communication iconique.

On en dira simplement ce qui accorde tout le monde dans la standing ovation. C’est un miracle de peinture ! Il y a le sfumato unique qui bave de virtuosité millénaire. On n’y discerne plus le coup de pinceau, même traqué aux rayons X de la mort. Rien que de l’huile et quelques pigments qui savent nager dans le mensonge ou l’illusion comme les dieux olympiens eux-mêmes, quand ils veulent nous rendre fous. C’est le style de Léonard qui s’exprime dans cette atmopshère lissée comme une caresse du vent universelle. L’image et le portrait sont une photographie peinte à la main de la personne ou de la femme universelle et éternelle. En tant qu’elle baigne dans une atmosphère vive et si fermement fixée dans la matière qu’elle l’informe ou qu’elle la spiritualise.

C’est donc l’esprit même de Léonard qui est pris dans cette huile résineuse et plastique ou mouvante. Bien sûr, Léonard a mis trop d’huile et ça craque un peu aux endroits les plus passés et caressés. Mais le bois tient bon. Par ailleurs, la belle Monna Lisa a perdu de sa prime fraîcheur. Les joues sont moins roses et plus jaunies, comme si tout tournait à l’or qui cuivrait les anges dans les fêtes et les processions florentines.

Quand on va au Louvre on ose parfois se poser contre le public qui va à la Joconde comme on marche à genoux au Vatican. On y rencontre des marathoniens qui viennent des Australies pour un coup d’oeil du flash de quelques secondes, et voir l’amante qui nous regarde enfin. Nul doute que ça doit rendre fous quelques illuminés subitement frappés du syndrome de Stendhal en plein Louvre. Et qu’ils voudraient se convertir sur-le-champ à cette neuve religion, mais laquelle et de quelle déesse ? Vénus probablement, mais sur un mode assez chrétien ou italien, sinon de l’empire des sens romains.

C’est pourquoi, on peut comprendre tous ces pasticheurs de la Joconde. Duchamp le dada la barra de son LHOOQ très cochon. Aussi, la vit-on grimée de moustaches daliniennes comme suggérant un pubis souriant et buissonnant de la fantasmatique surréaliste. Depuis, on la poste dans toutes les versions warholiennes et people, pour bien montrer que Marilyn n’a qu’à bien se tenir à la voûte du firmament dans l’au-delà des stars déjà bien comblé jusqu’à la cave. Il arriva même qu’un obscur italien volât la Joconde, pour la garder quelques temps dans sa garçonnière. Et pour des accordailles forcées qu’il dut abandonner avant l’écrasement ou la castration définitive par la belle ultime. Pire encore, on accusa Apollinaire de l’avoir volée. Et il ne s’en remit jamais, car il voulut être naturalisé français, sans plus pouvoir obtenir cette nationalité française après le soupçon. Il s’engagea donc en 14, pour prouver son amour de la France et il se prit sur-le-champ un éclat d’obus et de gaz qui l’achevèrent lentement, quand la grippe espagnole lui mit sa dernière fièvre.

C’est grand merveille qu’il fallut tant de portraits du Christ pour asseoir une religion. Quand, un seul portrait d’une femme, assez peu connue, a su rassembler le monde entier et des siècles autour du culte vénusien plus sûrement perpétué que celui de la chrétienté. Cette Aphrodite ne sait-elle point entretenir et le désir et la pulsion dans nos canaux libidinaux qui font les plus belles peintures ? Et l’esprit ne sait-il point voyager par le biais de ces peintures, comme sur la barque solaire des antiques Egyptiens qui avaient vaincu la mort ? C’est probablement l’énigme que nous a posée la souriante sphinge vincienne...

Demian West

Tuesday, July 17, 2007

Les portraits photographiques de Nadar à Buenos Aires



Le centre culturel Borges à Buenos Aires présente, jusqu’au 30 août, une exposition des grands portraits de Nadar. C’est-à-dire que nous y sommes invités à revoir toute la mémoire des grands hommes du XIXe siècle qui sont aussi des femmes par aventure.

Certes, nous pourrions espacer un portrait de Nadar en inventeur de la photo moderne. Car, il a mis en oeuvre l’éclairage artificiel au magnésium qui permit la photo en intérieur, puis sous terre dans les catacombes de Paris. Aussi, il fit la première photo aérienne et, dans son ballon Le Géant, il inventa la cartographie katoptique ou "à vue d’oiseau". Enfin, il favorisa l’envol du plus lourd que l’air, ce qui fit la carrière de Clément Ader.

Pourtant, nous préférons Nadar en portraitiste de génie, quand nous évoquons sa figure primesautière et brillante comme l’éclat dans son oeil. En effet, cet artiste, né caricaturiste et journaliste de Charivari, s’est éclaté dans la prise de vue minimaliste avant l’heure. Puisqu’il a su, enfin, écarter tous les accessoires qui brouillaient le portrait avec son environnement immédiat et surtout avec le regardeur. Le clinquant trop chargé dans le portrait ne brouille-t-il pas sa réception ? Comme les médailles exubérantes des généraux russes savaient détourner notre regard occidental, du caractère animal derrière les sourcils en alerte des missiles d’en face.
Félix Tournachon, dit "Nadar", était de la bohème, parce que le temps l’exigeait. Toutes les têtes bien faites y étaient dans ces couloirs misérables de la fête bohémienne. A la vérité, ce fut le laboratoire du XXe siècle qu’on vit se monter dans les ateliers de peintres et des photographes à Paris. Mieux encore, Nadar ouvrit son atelier à la première exposition impressionniste en 1874, et pour la suite universelle qu’on sait. Il avait l’oeil en somme. Il les connaissait tous, je veux dire les peoples de l’époque, miséreux ou riches d’esprit ou d’argentique. Car, ils se pressèrent tous dans son atelier pour que Nadar tira leur portrait, dans son style si nouveau.

Jugez-en ! Nul décor en simili-orient, nulle toile de fond lourd pour suggérer malhabilement quelque lieu inspiré et irréel. Tout est désormais dépouillé dans la photo de Nadar, hormis le visage et donc le regard du célèbre poseur. L’écrivain ou le créateur et l’homme de science, ne se trouvaient-ils pas un peu bêtes, devant cette mécanique qui n’entend rien à nos inhibitions et qui enregistre tout, même nos pires défauts ? On le devine autant qu’on le voit carrément.

Nadar prenait cinq portraits par jour, et ça défilait comme dans le parc à thème des nouveautés. D’une certaine façon, on peut s’interroger sur la nature un peu hallucinée des regards dans les portraits. Ces personnalités célèbres, n’étaient-elles point en état de stupeur assez favorable, quand elle posaient devant ce nouvel appareil des dévorations ? Regardons le portrait de Delacroix, qui exagère de la surabondante fierté du dandy baudelairien surexposé. Il sait que son image voyagera dans le temps, à l’intact ou à l’identique. Mieux encore, il est malade le jour de la photo, et ça se voit comme une mauvaise humeur d’artiste mal levé. Tout y respire la gravité qui est la vie même, soit l’esprit, la maladie et la mort...

Et c’est peut-être là que réside le génie de Nadar. Il a su photographier l’air autour des personnages. Car l’air circule dans la photo, à la manière des atmosphères tournant autour des natures mortes de Chardin, et qu’elles y sont la vie qui sait animer les murs, les objets et le sujet même. Plus troublant encore, il faut voir la suite des portraits de Baudelaire. On y voit un poète assez normal sinon banal, mais avec un éclat d’étrangeté dans le coin de chaque oeil. Comme si son visage avait été tranché en plein axe, et dès sa conception surnaturelle. D’un côté, on y voit l’âme d’un ange qui ne connaîtrait rien du mal. Et, en conséquence, il paraît dominer tout le malheur des mondes innombrables. Puis en symétrie dans l’autre moitié de son visage, on voit la ténèbre d’un démon insoupçonné qui savait jouer avec les mots qu’il transformait en des mécaniques créatrices d’excès sans limite.

Et, malgré son génie définitif, même Ingres ne pouvait rendre ce que la photographie de Nadar sut ajouter à l’image. Car désormais, nous savons que nous sommes en face de l’homme tel qu’il était. Et donc, nous voyons cet ajout du fluide animique de la vie même qui s’espace depuis les yeux et par une sorte de mandorle ou d’une aura atmosphérique qui dit la personne réelle et historique. Ainsi, la photo est -elle chargée de la présence du sujet comme la statue du saint dans l’église ou dans l’atelier de l’artiste, et tout le reste ne serait qu’accessoire. C’est donc un choc avec l’énergie qu’on dirait suprasensible. Car elle sait transmettre, à l’instar du livre, l’esprit même du sujet. Tant et si bien que l’on est en face de Baudelaire soi-même. Et la lumière depuis son oeil, elle bouge encore et elle nous parlera sans fin de neuves poésies à venir.


Demian West

Saturday, July 14, 2007

Photoshopping de Pierre et Gilles au Jeu de Paume




Jusqu’au 23 septembre, le Jeu de Paume (site Concorde) nous propose une rétrospective des oeuvres de Pierre et Gilles. Il s’agit de photographies de people, mais retouchées à la palette de Monsieur Photoshop qui maquille bien. Et dans ce qui semble bien un détournement de jet set, soit du petit oiseau qui va sortir en ville. On comprendra d’emblée que l’exposition se fait sur un mode assez joyeux assumé, et d’aucuns diront même assez gay.

On y rencontre sur les cimaises flashées, des stars de la sphère rock dont la cosmique Nina Hagen ficelée comme une poupée harpie bien balancée dans le décor tout ce qu’il y a de plus kitsch. Car, les auteurs sont des artistes qui savent jouer de la présentation rococo, dans ce qui se réclame forcément de l’art de la performance sinon du happening. Il y a même du Body Art, si l’on songe au jeux identitaires des similitudes manifestes entre Gilbert et Georges, les artistes de la sculpture vivante des années 70, et Pierre et Gilles qui jouent plus de l’art de la communication et des jeux d’optiques entre collages de stéréotypes.

C’est un peu la suite de la réflexion poussée par Gilbert et Georges qui photographiaient des marginaux qu’ils exposaient en des murs rideaux de photos agressives et suaves. Le discours politique ou social était si critique qu’ils se sont aisément imposés dans la sphère du scandale, qui est la sphère people par le fait dans nos années post-2000. Et, tout naturellement, Pierre et Gilles ont suivi cette mouvance pour se glisser sur tous les murs de Paris, où l’on se montre pour étamper les fonds d’yeux et pour y être retenu. Chacun a pu voir leurs photographies si sucrées qu’elles induisent une mésaise qui s’achève en une saillie humoristique. C’est que l’art post-dada et publicitaire agit comme un défouloir plein de sous-entendus et de présupposés disruptifs et décalés qui font jouir l’esprit.

Ils jouent même sur cette notion de détournement et de retouche photo, par-dessus le souvenir inquiet des manipulations photographiques pratiquées par toutes les dictatures habiles et grossières. Ainsi, comment ne pas penser à ces photos où Trotsky et d’autres disgraciés disparurent pour qu’on puisse réécrire ou rephotographier l’histoire, pour la coucher du côté le plus utile et rutilant de la cause orwellienne ? D’ailleurs, les consommateurs que nous sommes tous, hormis quelques robots immatériels, ne sommes-nous point soumis à ce régime minceur de la photo lissée ? Les photos ne sont-elles pas transformées comme une pilule mensongère, qui sait nous faire avaler la médecine qui guérit toute révolte résiduelle.

Toutefois, la retouche est appliquée ici à la gentry people, qui en a connu d’autres et qu’elle sait se faire payer. Mieux encore, on y sent aussi des citations stylistiques qui évoquent agréablement le kitsch. Et par des prolongements doux comme le miel, ces citations rappellent le rococo du meilleur mauvais goût. Un peu du second style Louis XVI, juste avant la catastrophe de la chute des têtes de l’Etat. Et par le biais de petites mécaniques fabriquées et livrées sur la place de grève par la Maison Guillotin. Ces petites machines aiguisées du trou suggèrent furieusement, et dans le même temps, les obturateurs des appareils photographiques. On y passe la tête et votre portrait tombe dans le panier, avec la mention zappante : "Après moi, le déluge".

Nul doute qu’il est une sorte de décadence ou de dégradation dans le climat contestataire de l’art. Puisque Gilbert et Georges tenaient un discours destiné à montrer les inégalités sociales. Quand, Pierre et Gilles s’adonnent sans retenue au culte de la sphère people. Dans la plus revendiquée expression impériale ou romaine qui ne doute plus de la catastrophe pompéienne. Et dont la seule raison de cet art est de profiter pleinement et entièrement, du temps qu’il reste avant les craquements dans la nature et dans la cité culturelle et barbare. Ne se presse-t-elle point en roue libre dans le cratère du volcan qui rougit chauffé au blanc, pour l’ultime photographie éruptive si coulante des laves rocailles et fantastiques.

Demian West

Wednesday, July 11, 2007

Les portraits flamands à la National Gallery à Londres

Jusqu’au 16 septembre 2007, la National Gallery de Londres ouvre la galerie des portraits flamands du XVIIe siècle. Ainsi, c’est la quintessence de l’âge d’or des Flamands qui nous regarde droit dans les yeux et, par-delà, les siècles accumulés.

On retiendra les deux termes majeurs de ce genre, Frans Hals et Rembrandt. La société flamande avait inventé la banque pendant la Renaissance, et le tableau devint aussitôt un bien mobilier. En effet, il fallait pouvoir l’emporter en cas de conflit, pour se mettre à l’abri avec son patrimoine. Cette tendance sut dématérialiser le tableau jusqu’à la création du billet de banque, et finalement le cyber-cash... Sur les billets, on voit bien ces portraits des grands hommes. Telles ces guildes marchandes qui avaient commandé des portraits de groupes à Rembrandt. Pour dire à leur postérité que ces négoces étaient là avant nous. Et donc, qu’ils sont l’héritage marchand et culturel.

Rembrandt est fidèle au sujet qui pose. Il est vrai que ses premiers tableaux furent si minutieux en détails qu’ils manifestaient sa surabondance de virtuosité. Mieux encore, il sut y ajouter cette lumière dorée qui jette le souffle sur le tableau comme Dieu lui-même jeta son souffle sur la glaise adamique. Outre ces portraits de groupes, Rembrandt a peint des portraits intimes, de sa femme avec son fils, et de lui-même. Ce sont des témoignages bouleversants de la vie derrière la toile, en coulisse du théâtre de l’art qui est un marché jaloux et dévorateur.

On dira, à l’autre bord, la touche urgente et enlevée de Frans Hals. Il fut probablement, un génie plus puissant que tout ce qui le précéda dans la tentative de la sprezzatura ou de la touche jetée du fa presto. C’est simple ! Cet homme balançait sa peinture sur la toile comme l’insecte sait où frapper sa proie, sans y penser et sans repentir, droit comme le détail qui tue. Ses portraits sont composés de touches hâtives, dont on voit les innombrables microtouches dues au pinceaux buissonnants. Paradoxalement, cette manière fait plus vrai encore que toute la peinture lissée de ses confrères.

Il est dans la lignée des virtuoses, dont Velasquez, Guardi, Goya et d’autres considérables peignants. Il faut ajouter qu’une telle aisance ne s’apprend pas, car elle est innée en l’individu, comme une faculté dont la nature a pourvu Hals. C’est une grâce qui frappe au hasard. Le XVIIe siècle flamand fut fécond en de telles virtuosités, qui furent, dans le même temps, soutenues par l’espace marchand et la tolérance du "laisser faire" capitaliste de la nouvelle société bourgeoise montante.

Aussi, cette période prépara-t-elle le grand avènement du portrait bourgeois puis démocratique, du XIXe siècle. Quand la peinture devint photographie, et du portrait principalement. La rhétorique du portrait, en poses convenues et selon la lumière artificielle qui spiritualise la figure, se transposa dans l’atelier du photographe. Et d’une certaine façon, c’est Nadar qui sut trouver et transmettre l’essence de ces portraits flamands, par le biais du maître définitif Ingres. En joignant, d’une part, la lumière spirituelle — mais au sens d’intellectuelle — par Rembrandt, à la spontanéité des poses vives et brutales de Frans Hals.

Le tout étant de savoir rendre le vif des carnations, et donc ne jamais être si figé qu’anthropométrique. La peinture comme la photographie doivent transmettre l’esprit derrière la chair. C’est le portrait de l’individu jeté et pedu dans un monde étranger, qu’il doit quitter à la fin, que la peinture et la photographie doivent rendre. Quand jamais l’art du portrait ne devrait trop s’attacher aux seules contingences de la chair du sujet.

En conséquence, le portrait est une couche inframince sur la toile, qui voyage à l’intact par-delà le temps mesurable. Et qui préfigure les promesses résurrectives de chaque individu dans l’histoire. Par le biais de l’ADN et des informations génétiques qui sont contenues dans nos cellules reproductrices, et qui sont les "nanoportraits" ultimes de nous-mêmes.

Demian West

Tuesday, July 10, 2007

Le néo-dada Jasper Johns à Bâle




Jusqu’au 23 septembre 2007, le Kunstmuseum de Bâle, en Suisse, présente une suite de 73 tableaux de Jasper Johns le peintre néo-dadaïste. C’est un événement assez rare venu des Etats-Unis et des années 50-60. Tout d’abord, Jasper Johns semble un peintre assez paradoxal et il faut appréhender ses oeuvres en surface comme en profondeur. Puisque tout est visible sur la toile ou dans l’assemblage, sinon dans la sculpture factice. Et c’est là le piège dada !

Robert Rauschenberg et Jasper Johns ont inventé le terme "néo-dadaïsme" pour définir leur travail dans les années 50. Pendant que le pop art devenait un mouvement international éclaté depuis l’Angleterre, jusqu’aux Etats-Unis et au rebours vers l’Allemagne pour enfin gagner la France avec les nouveaux réalistes. Pourtant les néo-dada ne se revendiquaient pas du pop art. Tout au contraire, ils s’en démarquaient. Car, leur propos était de réagir contre l’expressionnisme abstrait qui avait investi toute la sphère artistique aux Etats-Unis, depuis les années 45.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les surréalistes européens, et surtout français, s’étaient réfugiés aux Etats-Unis. Là, ils ont essaimé, depuis la côte Est jusqu’à la côte Ouest, un véritable mouvement surréalisant et natif aux Etats-Unis. Bien sûr, les oeuvres s’inventèrent en conformité avec les espaces américains. En effet, les toiles des expressionnistes abstraits, et du mouvement "subject of the artists", atteignirent des dimensions considérables. Ainsi, l’écriture automatique de Masson y trouva une sorte de démesure en laquelle le regardeur pouvait s’y plonger entièrement, comme devant la vastitude du landscape au Far West. Par ailleurs, ce fut un achèvement du "all over" selon Monet. C’est-à-dire que la toile était emplie de taches colorées sur toute sa surface. Et sans qu’on n’y trouva plus de hiérarchie des zones colorées dans la représentation. C’est un dispositif pictural que Monet avait inventé avec ses Nymphéas, et que Jackson Pollock a su mener jusqu’au plus haut siège des enchères des ventes de l’art.

C’est contre ce mouvement, qu’ils jugeaient un peu trop intellectuel, que Jasper Johns et Rauschenberg inventèrent le retour nécessaire de dada à New York. Certes, ils surgirent dans une mouvance post-dada assez régulière depuis les années 20. Mais, ils la rétablirent dans l’urgence de réconcilier l’art et la vie, sinon de concilier les peintres avec leur public. A la vérité, les expressionnistes abstraits avaient poussé la réflexion jusqu’au suicide des meilleurs d’entre-eux. Ce qui porte peu d’avenir en soi, on le reconnaîtra aisément. Et, par le biais de la philosophie parfois zen qui les pressait trop vers l’absurde ou vers la vacuité de l’existence. En d’autres termes, on se perdait dans leurs toiles immenses et abstraites, entre un lyrisme libéré et un géométrisme puriste, tant et si bien qu’ils s’y perdirent avec nous.

En conséquence, le pop art et néo-dada donnèrent naturellement, à nouveau, une légitimité à la simple joie de peindre. Et sans qu’ils durent se justifier par des nécessités rationnelles ou psychologiques. Il s’agissait de faire simplement des images qui plaisaient et contentaient les yeux et le sentiment. Et sans qu’il fut vraiment débattu d’y joindre d’autres considérations métaphysiques ou spirituelles. Il va de soi que les critiques d’art y virent, à nouveau, quelque critique cryptée de la société. Et ils lirent ces remarques introuvables ou improbables, jusque dans le tableau le plus immédiatement brutal, et revendiqué sans contenu réflexif par le cynique Warhol. Car, il est manifestement dans la nature de l’esprit qu’il se voit réfléchi par toutes les surfaces qu’il voudrait s’approprier.

Il reste que néo-dada s’est plus attaché à étendre le registre de la réconciliation de l’art et de la vie. Les néo-dadaïstes intégrèrent le happening ou la performance, et l’assemblage ou les collages à toutes leurs oeuvres. C’est pourquoi les "combine paintings" de Rauschenberg et les tableaux "targets" de Johns contiennent des objets collés sur la surface picturale devenu hybride ou composite. Les cibles peintes à l’encaustique par Johns, ou ses drapeaux américains en de nombreux prétextes obsessionnels à peindre, sont ajoutés de moulages de visages en cire et d’autres citations. Et, plus ces objets ont été simplement assemblés au tableau, sans autre intention que la jouissance de peindre-fabriquer, et plus ils suggèrent des énigmes dans l’esprit du regardeur. Ainsi, devant ces tableaux on se trouve naturellement à tenter de résoudre une quantième énigme perpétuellement surréelle. Tel un morceau de mémoire qui nous aurait échappé sur le bout de notre langue, pourtant si proche. Et ceci, comme un rappel du surréalisme, qui fut un mouvement pictural autant que littéraire.

Dans ces années 50-60, on vit donc une vaste mouvance américaine s’espaçant depuis l’expressionnisme abstrait voué à l’immersion du regardeur dans des paysages psychiques et peints. Puis, une réaction survint tout aussi vaste sur le front de cette tendance diffuse, le pop art s’appliqua à rendre l’imagerie cynique de notre société de la dévoration. Et enfin, nous vîmes le retour de dada, par le biais des pratiques gestuelles et des assemblages destinés à briser les frontières entre l’art et la vie.

Il apparaît, aujourd’hui et dans cette exposition à Bâle, que Johns s’était plutôt appliqué à insister sur la jouissance du métier de peindre. Il s’agissait avant tout de montrer l’activité du peintre comme une parousie du "faire". On pense à Monet qui peignait à la façon d’un méditant qui se sait soigner son corps ou son esprit par cette sorte de transe du peindre. La pratique plastique ne semble-t-elle pas une méditation quotidienne, dont on ignore encore tous les process mystérieux. Les arts plastiques ne seraient-ils pas une sorte de pharmakon en guise de flux de jouvence ? Toujours est-il, que les peintres constants dans leur pratique quotidienne vivent vieux. On dira comme des sages, mais qui savent se lâcher et sensuellement aussi. Finalement, on pourrait tout imaginer de cette jouissance résolutoire de l’art de peindre, qui semble assez proche de l’acte amoureux bien-physique. Car l’art et la peinture ont ceci de semblable à l’acte amoureux, qu’ils savent unir la part animale en l’homme à sa nature plus spirituelle ou divine, comme le lecteur voudra.

Aussi, l’art s’est-il toujours espacé selon une alternance entre deux pôles. D’une part, on trouve un art exigeant la réflexion et la régulation de l’affect et du faire. Quant à l’autre bord, l’artiste sait se lâcher en des jouissance de peindre, qui abandonnent toute explication qui en deviendrait une ridule inutile sur la surface. Parce qu’elle en brouille la lecture même de cette surface qui est l’oeuvre. C’est donc cette nature même de dada puis de sa postérité néo-dada, qui veut dire l’immédiateté de l’art sans raison. Et que tout serait art, et par-dessus tout la vie elle-même.

Dans ce sens, Jasper Johns a paradoxalement aidé à approfondir la connaissance et la perception des oeuvres de l’expressionnisme abstrait, contre lesquelles il s’était pourtant opposé en réaction. Puisque johns a su replacer le regardeur, bien en face de ses organes des sens premiers. C’est-à-dire, avant toute réflexion qui viendrait à brouiller le contact réel avec la matière picturale, soit avec l’énergie "pure" en un "certain ordre assemblée sur la toile". Selon le credo des symbolistes de Gauguin, qui avaient lancé toute la ligne de force imaginale ou "magique", sinon techno-shamanique de l’art du XXe siècle.

Demian West

Friday, July 06, 2007

Rétrospective du Bio Art d’Orlan

Jusqu’au 26 août au musée d’Art moderne de Saint-Etienne, Orlan se souvient à coeur ouvert chez elle. En effet, la plasticienne d’art contemporain est native de Saint-Etienne. Et c’est une rare exposition, en manière de reconnaissance toutefois polémique, que sa ville lui offre. Puisque, Saint-Etienne impose Orlan contre d’autres capitales étrangères, qui ont refusé d’accueillir cette exposition itinérante. C’est bien de provoquer, quand on est une artiste issue du mouvement du happening et de la performance et ce depuis les années 60. D’une certaine façon, c’est un peu le fil chirurgical qui sait tisser la carrière de cette artiste qui, on le reconnaîtra aisément, sait prendre des risques.

Pour la seule raison, que l’objet de sa pratique artistique est son propre corps, qu’elle transforme pour nous dire notre époque et même un peu plus loin. Elle a subi, mais surtout choisi, neuf opérations chirurgicales plastiques, qui ont été filmées pour être diffusées à Beaubourg en public. Orlan transforme son corps, par des ajouts prothétiques, ou des variations hybrides et du modelage esthétique, et pour ouvrir réellement à la société du corps virtualisé. Bien entendu, la chose est plus complexe qu’il y paraît. Et, il faut préciser d’emblée que le process est heureux et jamais inscrit dans la douleur ou la recherche d’ascèse, voire de mortification d’une autre nature. Orlan revendique simplement la possession de son propre corps. Et pour en faire son expression mouvante et libérée, qu’elle transforme selon sa volonté. Ce qui est forcément, un avenir assuré à l’humanité, par la progression inéluctable de la chirurgie plastique qui est déjà fortement socialisée aux Etats-Unis. Aussi, nous savons tous que la prochaine étape de l’évolution humaine se fera au gré des organes prothétiques et hybrides ou des robots immatériels, qui seront progressivement et chirurgicalement ajoutés au corps humain.

Par ailleurs, il y a un discours plus politique autour du féminisme d’Orlan. Mais, il est moins féminisant que tourné vers une entité plus abstraite, par-delà les notions de dualité des deux genres masculin et féminin. Orlan travaille son corps en tant qu’elle se pense un esprit non réduit à sa féminité, qui reste une blessure laissée par l’histoire vouée au culte de la masculinité. Sa première grande rupture, avec l’état du marché de l’art, s’est produite lors de la FIAC de 1977. Quand elle s’est exposée derrière la photo de son buste nu. Et pour rouler des patins de la patineuse aisée sur la glace lissée, à quiconque lui balançait 5 francs, ce qui n’est pas cher la patine savante d’artiste. Elle en devint célèbre sur ce coup de rouge du baiser de l’artiste. Plus tard, et parce qu’elle a de la bonne suite dans les idées warholiennes, elle déposa le concept du "Baiser de l’artiste". Pour en faire une ligne esthétique, qui lui rapporte désormais des sous et des dessous comme il convient.

C’est aussi ces dessous que le milieu de l’art lui reproche sans le dire explicitement. Qu’elle ait osé emprunter des voies de traverses au scalpel, et donc sans passer par des galeries des règlements et conventions. Ce qui ne manqua pas d’ouvrir quelques plaies et blessures encore mal cicatrisées. Pire encore, elle a obtenu, par ses déviances si personnelles, la reconnaissance universitaire. C’est-à-dire qu’on parle d’elle dans les cours d’arts plastiques, et pour la présenter en modello de l’art conceptuel et du côté du Bio Art. A la vérité, Orlan s’attaque aux canons de la beauté idéale, soit à la représentation officielle ou socialisée du corps, qui change selon les époques. Et ce discours critique du corps fantasmatique est un très grand oeuvre. Puisque, c’est par le biais des modèles du corps que des structures sociales nous sont imposées. Et souvent des modes de pensées et des rôles nous sont distribués par la contrainte et pour l’avantage des pouvoirs en place. Comme si le corps était un costume trois pièces qu’on nous imposait au moment de notre naissance orwellienne. Et que nul ne saurait retirer ce costume charnel et culturel, sans découvrir aussitôt le sauvage subversif qu’il est et qu’il restera dessous les couches de la culture parfois dictée.

Ce qui dérange plus encore, c’est l’incrustation de la figure transformatrice d’Orlan dans la sphère people. C’est un choix décidé par l’artiste qui a compris les avantages libératoires qu’offre cette gentry. Plus elle est people et plus elle peut imposer, au marché et à la pensée commune, ses visions du monde futur tel que nous le connaîtrons bientôt. Car, il ne saurait y avoir de doute que, dans quelques décennies, chacun pourra sculpter son corps selon le Bio Art. Certainement, les chirurgiens plasticiens seront une part considérable de l’économie virtualisée dans les sphères de la séduction, qui dominent déjà le monde et les échanges sociaux et intimes.

Il semblerait que l’art d’Orlan soit un nouveau courant qui se dessine dans l’histoire de l’art. Car, elle ne se reconnaît pas dans le Body Art de Gina Pane qui fut trop marquée par l’exigence de douleur ou d’auto-maltraitance. Et d’autre part, Orlan s’inscrit dans la modernité qui accepte la sphère people, comme un mode naturel d’apparition de l’art contemporain. A la manière de Jeff Koons qui s’exprime de toutes les façons outrancières et dans un esprit de rock star. Il y a donc une forte individualisation de l’art, dans cette démarche libératoire qui refuse toute inscription dans un courant usé ou reconnu. Et finalement, c’est tout le projet de l’art contemporain qui est mis en oeuvre par la volonté de transformer les structures sociales inscrites jusque dans le corps même, ou de soi-même selon les opérations artistiques d’Orlan.

Demian West

Wednesday, July 04, 2007

L’exemple de M. Courbet à Ornans

Jusqu’au 31 octobre 2007, le musée Courbet à Ornans revient sur l’exemple pictural et social de Gustave Courbet, le maître du réalisme en peinture au XIXe siècle. En effet, le peintre, au caractère trempé dans la Franche-Comté, laissa une empreinte que l’on peut aisément confondre avec le XIXe siècle en soi. Tellement, on l’a vu sur tous les fronts. Il fut de tous les champs des disputes de l’art, qui voulait retrouver un nouveau souffle pour se dégager de l’usure de l’académisme si lissé que pareil au casque froid flashant de l’art pompier. On vit aussi Courbet sur les fronts révolutionnaires de la Commune de Paris, et donc en pleine toile de la politique.

Tout d’abord, il copia les maîtres flamands au Louvre. Puis il alla les voir dans les musées du Nord. Aussi, il fut très influencé par Rembrandt et les paysages des Flamands des XVIe et XVIIe siècles, dont le réalisme lui inspira quelque idée neuve sur la peinture d’histoire. C’est après ces visites qu’il conçut une sorte de nouvelle représentation de la nature, mais dégagée de la scène de genre trop pittoresque. Et pour y placer de véritables monuments visuels élevés à la paysannerie. Car, il voyait, dans le peuple simple et la ruralité, le véritable héroïsme de son époque. Quand son ami le philosophe Proudhon s’attachait plus aux réflexions ouvertes par l’exode rural et ses transformations qui jetaient aux périphéries urbaines une main-d’oeuvre alimentant la constitution d’un monde ouvrier, vers le socialisme étatique.

Courbet osa représenter une esthétique de la laideur qui devait forcément beaucoup à la leçon du Caravage. Car le peintre baroque fut le premier qui peignit le peuple aux pieds sales et toutes sortes de saints ferrés dans leur réalité crasseuse et triviale, telle qu’elle fut réellement. Courbet alla plus loin encore, lorsqu’il représenta des paysans, réputés sans aucun intérêt pour le bourgeois, en des poses désormais héroïques, à tout le moins nobles. C’est dire qu’elles étaient résolument déplacées ou révolutionnaires dans le contexte élitiste bourgeois. Bien sûr, on lui opposa toutes sortes de tracasseries. Par exemple, on lui refusa des tableaux au Salon annuel et à l’Exposition universelle de 1855. Ce qui n’arrêta pas le fougueux Courbet qui fit construire, de ce pied-là, son pavillon d’exposition personnel devant la grande manifestation internationale. Ce fut une révolte si publique et people qu’elle permet de mieux saisir le bonhomme et son grand esprit, surtout de l’esprit de suite dans la contestation.

Il fut soutenu par Baudelaire et Champfleury, le théoricien du "réalisme". Un mouvement qu’il ne faut pas confondre avec le "naturalisme" de Zola. A la vérité, à cette époque à Paris, on appelait tout ce qui était "nouveau", une manifestation ou une oeuvre du "réalisme". Un terme qui vient de res, la chose en latin, et qui n’apparut dans l’art qu’avec les realia, ou les petits objets peints dans les oeuvres de Giotto. Plus tard, le réel ou l’objet réel était un mode du contrat négocié, qui devenait "réel", c’est-à-dire "effectif". La notion de réalité ou de réalisme dans l’art n’était pas encore théorisée, malgré l’état d’achèvement de la peinture flamande qu’on dirait "hyperréaliste", aujourd’hui. En réalité, la peinture flamande était plutôt abstraite. Dans le sens qu’elle véhicule un message discursif ou symbolique qui est contenu dans les représentations. Puisque, chaque objet représenté signifie symboliquement un sens qu’il faut connaître préalablement ou le décrypter. En revanche, dans le réalisme de Courbet et du XIXe, il s’agit désormais de montrer la réalité en soi et dans sa brutale irruption.

Le réalisme de Courbet était donc nouveau. Puisque, l’Académisme peignait des scènes néo-classiques vouées à l’idéalisme formel antiquisant, et aussi aux scènes de reconstitutions du passé historique. Quand Courbet peignait la réalité de son époque moderne, et donc selon les exigences de la modernité formulées par Baudelaire. Et, c’est le critique Gustave Planche qui inventa le mot "réalisme" dans le contexte médiatique et social de l’époque. Et pour définir ce mouvement des nouveautés dans les arts et qu’elles s’imposaient par le scandale systématique, vers les chocs publics de l’Olympia de Manet ou du Déjeuner sur l’herbe. D’ailleurs, ce mouvement ne laissa plus de fonder toutes les avant-gardes du XXe siècle, qui culminèrent dans les scandales des années beat et pop et le happening. C’est ce qui différencia assez le réalisme du naturalisme qui s’appliquait plus encore à l’étude de la nature ou plus encore du sentiment de la Nature. Toutefois, ces deux courants se sont nécessairement et naturellement entretissés comme il convient. Puisque leurs intérêts furent simultanés et convergents.

Courbet a peint des grands morceaux de paysages puissants de sa région natale. Avec de grands coups de pinceaux instinctifs. Car il savait jouer des matériaux illusionnistes. Les roches de calcaire et les murs sont construits par sa matière picturale si travaillée à la truelle et à la brosse buissonnante, comme la pierre même et la nature se forment. Aussi, Courbet a-t-il peint des femmes vraies en chairs surabondantes qui donnent corps à ses tableaux. Elles parurent assez distantes des Vénus éthérées des académiciens voués au regard et aux conceptions plus hypocrites des bourgeois lubriques. C’était ça le réalisme ! Montrer la nature et la femme telles qu’elles étaient, et jamais divinisées ou virtuelles. En conséquence, on imagine les résistances que Courbet fit naître sous chacun de ses pas. Tant et si bien, qu’il dut s’engager en politique pour aller plus loin dans la reconnaissance de la réalité même, et des réalités sociales de son époque.

Certes, il alla trop loin. Car il a poussé son action socialiste jusqu’à devenir le ministre le plus vandale de la Commune de Paris. Et pour tout casser ce qu’il put de l’ancien monde. Ce qui lui coûta un peu de prison, et sitôt l’exil vers la Suisse au bord du lac Léman. Il reste que Courbet est le prototype de l’artiste engagé, qui ne fait plus aucune partition entre sa vie et son art. Il annonça donc les artistes qu’on dit "suicidés de la société", tels Van Gogh et Artaud. Le plus grand apport de Gustave Courbet fut qu’il brisa net le pouvoir de l’Académie. Quand il plaça des paysans dans une oeuvre au format immense qui était strictement réservé à la peinture d’Histoire, qui était le grand genre le plus noble.

Dans L’Enterrement à Ornans (qu’il faut voir à Orsay), il cassa la structure sociale dominante au milieu du XIXe siècle. Comme lorsqu’on déboulonne la statue d’un dictateur ou d’une classe dictatoriale et en prime time. Finalement, seul un homme, au coeur bien accroché entre terre et cuir dans sa campagne de Franche-Comté, pouvait oser ce renversement sinon cette révolution qui roula et passa largement. En dépit de l’échec politique que fut la Commune de Paris.

Demian West

Tuesday, July 03, 2007

Gravissime Dürer au Guggenheim de Bilbao




Jusqu’au 9 septembre 2007, le musée Guggenheim de Bilbao expose le fonds entier des gravures de Albrecht Dürer du Städel Museum de Francfort. C’est un événement en soi. Car ces oeuvres sur papier sont fragiles. D’une part, elles ont été marquées au cuivre rouge par le plus grand génie de l’art nordique de la renaissance. Et d’autre part, ces vieilles dentelles sortent peu leurs arsenics des cartons, en raison de la lumière qui attaque les pigments et tout ce qui flambe, même lentement. Avec le temps, l’acide, contenu dans les matériaux et les papiers, transforme et détruit les supports. Et les encres se modifient quand elles sont agressées par la lumière.

A l’occasion d’une visite au musée, on peut aisément constater que la peinture à l’huile devient plus transparente avec le temps. Puisque beaucoup de tableaux flamands donnent à voir des objets qui réapparaissent, derrière ou sous des couches qui furent jadis plus opaques. Et les noirs d’encre ou les gravures de Dürer vont selon le même soupir virgilien du temps qui fuit.

Beaucoup sont étonnés de la clarté de la gravure la plus énigmatique de Dürer, la Melancholia I. Ce chef-d’oeuvre est une prouesse du graveur qui maîtrise son art pour en donner toute la surabondance de virtuosité dans les détails. Elle est chargée de petits coups de pointe qui remplissent l’oeuvre d’une vie presque en conversation, dans un tumulte buzzique. Et cette pléthore de traits donne un effet assez gris, et certainement moins contrasté que les reproductions qu’on peut en voir dans les livres ou sur le net.

Dürer vient de la gravure d’orfèvre. Il a appris le métier de sa lignée d’orfèvres à Nuremberg, et venus de Hongrie. Comme il était particulèrement doué, on le mena dans l’atelier d’un maître. Et tout comme Vinci, son double symétrique au Sud, Albrecht Dürer dépassa tout le monde tel un génie extra-terrestre qui savait tout sans avoir rien appris. On passera sur la leçon humiliante qu’il donna à ses maîtres. Aussi, son génie s’appliqua à toutes affaires favorables. Puisqu’il a su diffuser ses gravures dans toute l’Europe, comme un président d’une multinationale artistique et média. Il est vrai, dans un monde préalablement traversé par les gravures sur bois très populaires que sont encore les cartes à jouer du tarot. Ces petites images diffusaient une ordonnance implacable du monde et de ses hiérarchies immuables de droit divin. Par ailleurs, les cartes à jouer ancraient plus encore les stéréotypes de communications de l’époque. De la même façon, que les infos espacent les messages de l’ordre et des structures sociales à notre époque. Les cartes à jouer étaient les vecteurs de la structure sociale dominante. Et, Dürer a investi ce champ dans lequel il a tracé une nouvelle culture visuelle. Puisque ses gravures ont été imprimées sans limite de tirages, pour étendre sa notoriété sur tout le monde connu.

On y voit, bien sûr, toute la Bible décrite et annotée de petites anecdotes triviales. A la façon des Flamands qui mettaient dans les coins des plaques, un chien ou des enfants qui laissent des colombins en sorte de remarques marginales. Certes, dans les gravures du meilleur Dürer, on y perçoit une mythologisation de la culture nordique, mais désormais très influencée par la pression de la renaissance florentine. C’est pourquoi, on y sent un abandon progressif des déformations médiévales vers une recherche du goût classique ou antique. A l’instar de peintres italiens qui s’identifiaient à Apelle de Colophon quasiment réincarné, Dürer voulait se comparer aux grands artistes antiques, lorsqu’il grava les nouveaux canons des corps masculin et féminin. Il est évident, que tout ceci était un programme soutenu par l’ Etat. Puisque Dürer était couvert par les plus hautes instances de son pays. Et, il bénéficiait d’un tel crédit, qu’il pouvait oser des témérités plus insensées que les chimères de Vinci soi-même.

Jugez-en. Après que le premier théoricien des arts, Alberti (1435) attribua à nouveau à l’artiste plasticien son rôle de "démiurge", Dürer a osé peindre son autoportrait le plus fameux en 1500. Mais en suggérant une identité formelle entre lui-même et l’image que l’Occident se faisait du Christ. Il va de soi que le tableau fit scandale. Mais pas au point qu’on mit le feu à toute la nébuleuse Dürer à Nuremberg. Quand en Italie on brûlait des carnations d’hérétiques pour des images plus pieuses encore.

Plus tard, Gauguin fit à nouveau ce coup avec son Christ jaune. Et, d’une certaine façon, au Japon du XXIe siècle, on voue presque un culte mystique à Van Gogh, ainsi qu’on le faisait pour des saints plus improbables encore, au Moyen Âge. C’est qu’à la vérité, Dürer a ouvert la fenêtre au génie romantique, dans ce qui n’était pas encore l’Allemagne mais un ensemble mouvant de féodalités brutales en cherche du raffinement humaniste. Le génie de Dürer était marchand et, dans le même temps, il avait ce génie de l’indépendance. Puisqu’il pensait l’artiste comme le lieu miraculeux et narcissique de l’énigme qui fait l’art, et selon les nécessités de la technique combinée à l’inspiration venue de l’ailleurs rimbaldien. C’est une pensée qui investira tout l’art au début du XIXe siècle, par le biais des théories du génie romantique selon Baudelaire et Delacroix qui fut l’incarnation de l’artiste romantique.

Dürer était théoricien des arts et des mathématiques. Mais avant tout, il était ce génie de l’individu qui accède au jugement universel, par l’exercice de la technique et des arts. C’est-à-dire, qu’il est cet artiste qui annonce les transformations de sa société, et qu’il les crée dans le même temps. Aussi, il a bien montré que cette pulsion novatrice ne saurait être limitée par quelque crédo ou dogme ancien, qui voudrait ferrer les processus créatifs de l’invention. Mieux encore, en établissant son empire médiatique comme un marché en soi, il a réellement manifesté cette dimension démiurgique de l’artiste à la renaissance, comme il convenait.

Ainsi, pendant que Vinci très pressé inventait le XXe siècle, Dürer inventa les grands appareils médiatiques constitués d’images surabondantes diffusées à distance, et contenant des discours transformateurs des structures sociales. Et par le truchement de la gravure qui s’espaçait jusque dans la cellule familiale même, fractalisée dans toute l’Europe. Il a osé frimer à fond et lancer ses caprices du dandy déjà baudelairien, avant terme.Il était si sûr de son génie planant au-dessus du vent ordinaire. C’est pourquoi, après Dürer on oublia un peu cet art médiéval qui voulait que l’artiste fût un simple artisan quoique habile, sinon un moine anonyme voué à illustrer le Livre sans jamais signer son oeuvre picturale. Alors que le génie romantique est tout contenu dans son nom, annoncé par le monogramme prophétique A.D. Albrecht Dürer.

Finalement, Dürer était un si puissant démiurge, que nul n’a encore su dégager la solution ou la clé de la Melancholia oedipienne. Peut-être est-ce là la solution ? Qu’on reste scotché à l’énigme tant qu’on a pas compris de quoi cette image ou cette sphynge parle. Car cette gravure est conçue comme un dispositif d’intrigue qui conforte au mieux l’audience et l’audimat. En ne donnant jamais satisfaction au désir, ce qui le maintient vif dans une tension non résolue.

L’art de la peinture n’est-il point de concevoir et de fabriquer des illusions, pour agir sur les esprits des regardeurs ? Ainsi, les gravures de Dürer nous disent-elles que le peintre ou le dessinateur sont des charpentiers qui font des pièges à souris, comme les "mainstream medias" d’aujourd’hui savent rapter les spectateurs.

Demian West