Tuesday, September 11, 2007

Le Piranèse aux Etats-Unis

Du 6 décembre 2007 au 10 mars 2008 à Los Angeles, le J. Paul Getty Museum ouvre les grilles secrètes des oeuvres du Piranèse. C’est un personnage très énigmatique de l’Italie néo-classique c’est-à-dire du XVIIIe siècle, jusqu’à la Révolution française. Il fut un artiste graveur et un polémiste théoricien, aussi un cartographe ingénieux.

Le néo-classicisme s’est littéralement plongé dans l’océan des Antiques. Il s’agissait, après les fastes du rococo un peu léger et libertin, de retrouver de la grandeur antique, ajoutée d’une méditation sur la mort. Comme si les plaisirs avaient un peu éreinté les amateurs d’art en Europe, et surtout en Angleterre et en France.

Les sujets des méditations sur les ruines étaient en vogue. Aussi, on revint aux conceptions de monuments funéraires grandioses, mais selon des formes antiques des pyramides ou des mausolées philosophiques. Après la découverte de la science rationnelle au XVIIe siècle, ce fut comme un retour de la flamme sentimentale et nostalgique des amours dépitées et contendues vers des serments d’éternités impossibles.

Toutefois, l’oeuvre du Piranèse est singulière. Car, autant il déclina farouchement, et sans laisser, toutes les formes de l’Antiquité, comme il l’aurait fait pour un lexique des formes anciennes. Autant, il lâcha cette collection des architectures et des sculptures classiques, jusqu’aux excès les plus débridés de ce qu’on nommerait, aujourd’hui, l’"héroic fantasy".

La série gravée des Carceri ou Prisons manifeste des délires fantasiés de lieux improbables ou des personnes sont ferrées et retenues, pour le simple plaisir de "fiche l’angoisse" au regardeur. C’est un catalogue des supplices qui est ouvertement fantasmatique. Et l’effet dramatique du clair-obscur, parfois violent, ajoute à cette atmosphère qui est digne d’un scénario hitchcokien, mais du passé ténébreux.

On y discerne beaucoup de critiques de son temps, et des ponts qui traversent les espaces amples mais fermés. Comme pour y faire passer les âmes, sinon pour les jeter et les perdre dans l’abyme. Des appareils des tortures industrieuses sont là pour évoquer les machines de la raison et, probablement, leur emploi erroné du fait des pulsions de mort dans l’homme de pouvoir et des masses.

Certes, ces prisons évoquent les caves des cirques romains, mais aussi des lieux secrets des princes florentins et machiavéliques. C’est une sorte de méditation sur la pente fatale des constructions humaines qui s’élèvent pour tomber à la fin, par la force des haines accumulées pendant leur construction même.

Aussi, ces images évoquent-elles la tour de la bibliothèque du roman de Umberto Eco Le Nom de la rose. Et cette enquête à la Conan Doyle que Guillaume de Baskerville doit mener, tout par la raison du Sherlock Holmes médiéval qu’il met en rôle. Car il doit trouver les livres secrets de l’Antiquité interdite par l’idéologie officielle et catholique de son temps. Les passions humaines mettront le feu à la bibliothèque. Enfin, le film éponyme, de Jean-Jacques Annaud, s’est bien inspiré des escaliers et vis hélicoïdaux sans fin des prisons du Piranèse. Car ils y sont intacts, comme dans les gravures originales.

Par ailleurs, ces visions de tours en feux, ne sont-elles pas propices à de nouvelles méditations sur les ruines, et sur la fin des empires antiques et contemporains ? Surtout, quand nous sommes au plein de ce 11 septembre si mémoratif de la plus grande tragédie qu’on a pu voir et filmer au coeur même de la mégalopole ultime des Carceri contemporaines, c’est-à-dire à New York au Ground Zero.

Demian West

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