Friday, September 14, 2007

Les symbolistes Moreau et Huysmans au musée Moreau

Du 4 octobre 2007 jusqu’au 14 janvier 2008 à Paris, le musée Gustave Moreau propose sa première exposition temporaire depuis l’ouverture du musée en 1903. Il s’agit, à cette occasion, de célébrer l’amitié, féconde d’inouï, entre le peintre Gustave Moreau et l’écrivain Joris-Karl Huysmans.

Il est de la première utilité de connaître et d’étudier ce chaudron des arts, dans lequel tout l’art du XXe siècle a été porté à des vapeurs et des éthers d’ébullitions delphiques. Car il y a quelque prophétisme dans la concurrence de ces deux hommes, qui ont tout simplement déplacé l’art dans l’irréel.

D’une part, Gustave Moreau était une sorte d’aristocrate qui pouvait peindre, tant qu’il le voulait. Et donc, il emplit sa maison parisienne de toutes sortes de délires fantasiés. Avec des femmes impossibles qu’il aurait un peu amicalement raptées à lord Leighton, qui fut le plus chaste des peintres victoriens et le plus extravagant concepteur de la femme idéale. A l’époque, on entreprit pas moins que ce croisement entre la pêche et la phosphorescence marmoréenne pour créer la femme définitive.

Ainsi, Moreau devint-il un mythe de son vivant. On causait de lui en sorte de Dr Mabuse de la peinture mystique et occultiste. Ce qui se portait beaucoup dans le symbolisme hégémonique autour de 1900. C’est Gauguin qui avait remonté les arts plastiques au rebours, vers les cloisonnés des rosaces et des vitraux historiés des cathédrales. Aussi, vers ce nouveau goût des cloisonnés orientaux et japonisants, qui tissèrent le lien avec les cultures premières à l’autre bout du monde. Et qu’on les disait si proches, dans cet au-delà des arts mystiques et symbolistes.

Tout était prétexte à des réunions de rosicruciens et de francs-maçons, résolument entre-tissés dans les arts qui transforment la société par ses universités cachées. Quand Moreau disparut, sa maison, en débord comme l’oeuf de la peinture, devint un musée. Et l’on peut encore y voir un corpus entier d’un oeuvre, qui est simultané à la vie même de l’artiste. Ce qui était la programmatique même du symbolisme. Casser l’opacité du réel, pour retrouver l’escalier des anges qui montent et qui descendent le long de l’arbre du Bien et du Mal. Car Moreau et ses amis, aimaient à voir autant les anges que le serpent. Puisque tout était prétexte à faire de sa vie un roman ou une fiction. Et parfois, selon l’exemple maudit de Van Gogh.

Huysmans fut un critique aussi. Et il appliqua le programme baudelairien si enclin à l’irréalité, au maquillage, au dandysme, aux paradis artificiels et aux littératures opiacées. Il a écrit le roman fondateur du symbolisme en littérature, A rebours. Et dans le chapitre V, des Esseintes manifeste son admiration fervente pour Gustave Moreau. On comprendra le complot artistique, quand on aura bien dit que ce roman fait l’apologie du fantasme, comme un accomplissement plus achevé que toutes les réalisations dans le monde réel. Il dit explicitement, qu’il faut aller au rebours de toutes les réalités, pour retrouver la réalité qui est déréelle, soit entièrement psychique.

D’une certaine façon, cette pensée annonce les théories de Huxley ou de Timothy Leary qui ont tenté de briser le noyau du réel par l’usage décisif des drogues, comme les Amérindiens antiques. Et que cette révolution des années 60 a basculé toute la réalité dans la jouissance permanente des flux médiatiques qui sont désormais l’opium institutionnalisé.

Dans cet art commun à Huysmans et Moreau, il y a des royaumes de pierreries et des couleurs jamais vues. Aussi, on y lit des listes de noms de monstrueuses merveilles, et des rares extraits retrouvés de traités alchimiques, mais du verbe et de la peinture. Et tous les dieux connus et inconnus de l’Antiquité transmigrèrent par le biais de cet art, dans le XXe siècle naissant.

Tant et si bien, que l’art d’aujourd’hui, et conceptuel, est totalement issu de cette science symboliste de l’érotisme, de la morbidité et de l’occulte assez psychanalytique, en tout cas psychique.

Demian West

No comments: