Thursday, August 02, 2007

L’incroyable Arcimboldo au musée du Luxembourg à Paris

Du 15 septembre 2007 au 13 janvier 2008, le musée du Luxembourg à Paris expose l’oeuvre du peintre maniériste Giuseppe Arcimboldo. Tout le monde se souvient des collages ou assemblages, mais picturaux, de fruits et légumes qui donnent à voir des visages amusants. Comme il y eut la physique amusante, le maniérisme poussa à la peinture ludique. Toutefois, cet excès de faculté de peindre l’irréel ouvrit à des perceptions jamais vues dans la nature.

Il s’agit des anamorphoses, dont Arcimboldo fut un maître à l’identique des magiciens ou des prestidigitateurs. Puisque, amuser les sens est probablement une chose assez sérieuse. Et surtout pour nos générations, qui ont été nourries et élevées au graphisme et gravures du grand Maurits Cornelis Escher.

Tous les peintres qui furent un peu ingénieux, c’est-à-dire des génies pragmatiques, s’essayèrent à l’anamorphose. Hans Holbein le Jeune en planta au plein centre du tableau Les Ambassadeurs, qu’il fallait tantôt regarder de biais. Pour découvrir qu’une forme indéfinie, dans le tableau vu de face, devenait subitement un crâne parfait en tous points, s’il était vu d’un autre angle de la pièce où le tableau était exposé. Vinci, en adepte du beau idéal, aimait à le confronter aux déformations de la laideur, parfois en des anamorphoses étrangères et fantasiées. Enfin, un homme toujours d’invention n’aurait pu ignorer cet espace des recherches picturales, qui était une véritable Terra Incognita, souvent en coulisse ou explorée dans la vie intime et cachée.

Arcimboldo fut un maniériste, en tant qu’il ne prit pas la nature comme modèle, mais plutôt qu’il s’inspira de l’art lui-même et donc des maîtres qui l’avaient précédé. En conséquence, il s’attacha plus à la manière qu’à la seule reconstitution ou à la représentation fidèle ou idéalisée de la nature par l’art. Ce qui importait était le caractère étrange et excessif ajouté par l’art, qui tourna vite en roue libre.

Les oeuvres sont donc incroyables. On y voit des visages, qui évoquent les "blasons" ou portraits poétiques de Marot le contemporain de Arcimboldo. Mais, le peintre prélevait des éléments dans la nature pour composer ses portraits. Et que ces éléments donnaient tous indices sur la qualité de la personne représentée. Dans ces portraits mélangés dans l’alambic alchimique, un bibliothécaire érudit était tout composé par ses livres accumulés. A la manière de la "théorie des signatures" du troublant Paracelse, qui pensait que les formes dans la nature étaient parlantes. Et que ces formes analogiques disaient les qualités contenues dans les plantes ou les éléments. Arcimboldo appliqua le principe à la personnalité du sujet, qui semblait dès lors une sorte de persona, soit un masque de la pantomime grecque mais minutieusement peint dans l’ivresse dyonisiaque et visionnaire.

On sent bien que le XVIe siècle fut tout voué à la recherche des curiosités, en préalable à la constitution d’une science naturelle bâtie par la méthode rationaliste. Tout pressait à la fabrication d’un lexique des formes de la nature. Et les peintres anticipaient cette Nouvelle Atlantide de Bacon, toutefois sur le mode pré-surréaliste et avant même la proche survenue du fondateur de la méthode scientifique. Les artistes n’ont-ils point toujours reçu toute licence pour imaginer le monde de demain ? Et ce monde des sciences fictionnelles, n’est-il point le fantasme réalisé en nature ? D’autres diront le miracle en nature. Ainsi, les visages des Quatre saisons d’Arcimboldo, qu’on peut voir toute l’année au Louvre, sont-ils des tentatives de circonscrire des catégories naturalistes et pré-scientifiques, mais vues par le biais d’un rêve technique. Car, la peinture est une technique pour représenter le monde, par la perspective par exemple. Mais aussi, elle est une technique pour représenter le monde pensé et imaginaire.

Dans le studiolo ou cabinet de curiosités des cours praguoises et des Habsbourg, on collectionnait les oeuvres d’Arcimboldo, qui furent uniques dans l’histoire de l’art. Jusqu’au réveil du surréalisme qui le couronna précurseur. Bien sûr, dans l’Antiquité on tenta des grotesques décoratifs dans la Domus Aurea de Néron, et des masques assez parents des cartes et arcanes du "tarot" pictural conçu par Arcimboldo. Jérôme Bosch constella ses tableaux de visions oniriques éclatées en surabondance. Et dont il fallait déchiffrer tout le sens, derrière la folie apparente, qui sait tromper le regardeur superficiel. Toutefois, on sut trouver à nouveau ces jeux visuels, et à ce degré de réalisme et d’aisance virtuelle d’un Arcimboldo, quand Dali acheva son art dans ses oeuvres anamorphiques si propices à sa méthode paranoïaque critique. Il en conçut un art sauvagement psychanalytique, qui devait montrer, de facon hyperréaliste et illusionniste, la polysémie des formes naturelles et des visions ou du rêve.

On retiendra que ce qui fait art, c’est aussi bien la curiosité. Ou ce sentiment de chercher l’inconnu, soit dans le monde sinon en soi-même. D’une part, l’art s’allie aux techno-sciences, et d’autre part, il devient une pratique psychanalytique efficiente assez. Puisque le voyage est vrai, quand on en voit les paysages ou les grandes figures de l’imaginal impavide. Un peu comme des dieux primitifs qui auraient transmigré vers notre époque du regain postmoderne. Et que ces dieux ne seraient pas tant faits à notre image. Pourtant, ils nous ressemblent, dans le même temps. On ne saurait résister au souvenir de "l’inquiétante étrangeté" de Freud, qui ouvrit le grand livre des rêves qu’on appelait tantôt l’art pictural. Et dire qu’on a vécu des siècles sans comprendre que la peinture était ce rêve éveillé.

Le songe est fixé dans les tableaux d’Arcimboldo, telle une cartographie des organes de notre psychisme toujours en construction. Ainsi qu’un corps du futur imaginaire dont les organes seraient conçus par la pensée de l’art allié à la technique. Finalement, quand on nous annonce les créatures hybrides de demain, chaque jour aux infos du matin, ne verrait-on point l’art d’Arcimboldo en précurseur, certes de la 3D, mais aussi de l’homme hybride et prothétique au 3e millénaire ?

Demian West

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