Tuesday, August 14, 2007

Fragonard au musée Jacquemart-André

Du 3 octobre jusqu’au 13 janvier à Paris, le musée Jacquemart-André érotise ses cimaises en y accrochant les tableaux rococo de Jean-Honoré Fragonard. C’est un géant de la peinture du XVIIIe siècle, d’avant la Révolution française. Mais, dans une peinture aux allures intimistes si fécondes en menus plaisirs, au bout du pinceau.

Après la mort de Louis XIV, toute la société curialiste versaillaise se relâcha légitimement dans des moeurs libertines. Car, le vieux monarque alexandrin avait trop versé dans la bigoterie extrême. Ce qui fichait une sacrée contrainte à toutes heures de la journée, trop règlement de la chapelle royale. Tant et si bien, qu’après ces lueurs vespérales jusqu’à la tombale, les buissons de Versailles accueillirent tant qu’ils le purent des scènes d’alcôves, qu’on appelait des "chambres vertes".

Fragonard sut monter cet art de la chambre à coucher en un art officieux d’Etat. Car, Louis XV et Louis XVI favorisèrent les petites fêtes galantes dans les appartements. C’est-à-dire, dans les petites pièces dérobées et bien cachées aux paliers de petits escaliers entre-ouverts à quelques élus. Là, le soir, le roi se réfugiait en bonne compagnie, et tantôt ça se finissait un peu en des joutes assez charnelles de compétitions plus intimistes que les jeux de cartes et du pharaon. Les pamphlets révolutionnaires en ont assez parlé, pour qu’on imagine le pire de ces délices réservés. D’autant qu’on sait perpétuer de pareilles cérémonies intimistes, aujourd’hui.

Les artistes de la sphère gouvernante ont toujours su servir leurs princes et leurs mécènes, en les assistant dans les représentations de leurs fantasmes qui savent aiguiser plus encore le désir et l’appétit sexuel aux allures de conquêtes. Tout pour conserver la forme de ces grands conquérants toujours postés aux frontières du sexe. Les artistes de la renaissance se sont répandus en des dessins singulièrement libidineux, qui étaient censés exhumer les rites et les mystères de la Domus Aurea de Néron, aussi des lupanars romains de la louve. Ce qui était tout pareil.

Au XIXe siècle, quand Turner disparut, son théoricien et le plus sûr garant de sa mémoire victorienne, le poète Ruskin découvrit des liasses de carnets tous voués aux plus libérés dessins érotiques, carrément porno et pas soft du tout. Il mit le tout au feu, de peur qu’on soupçonna Turner d’aimer les femmes. Ce qui ne se faisait pas dans l’ère victorienne, ni même aujourd’hui depuis Buckingham Palace jusqu’aux magasins Harrod’s de la clanique Al Fayed. C’est tout juste si l’on remarque quelques affiches du porno soft dans la rue ou dans le métro. Non ! tout ceci est un leurre.

Il reste quelques dessins érotiques de Turner du meilleur goût, qui décorneraient le Minautore lui-même. Et l’on comprend la qualité et la frénétique sexualité qui liait ses carnets érotiques en guise de témoignages vifs de la vie intime des peintres, qui sont tous très assoiffés de sensualité. C’est donc une perte aussi terrible, que si l’on avait gratté la grotte de Lascaux au papier de verre à gros grains de silice, pour la rendre plus propre et plus convenable pour les visiteurs des ligues de tout et de n’importe quoi. Et c’est le grand penseur Ruskin qui assume encore ce vandalisme éternel.

A la fin du XIXe siècle, Klimt dessinait des femmes qui se donnaient du plaisir devant lui. En des poses mazettes renversantes ! Et ces esquisses sont communément admises comme des barils de poudre à ne pas mettre entre toutes les mains, surtout féminines. Comme on interdit aux jeunes femmes de la gentry qu’elles montent à cheval, pour ne pas les inciter à prendre goût à des exercices et frottements de leurs parties les plus doucement déhontées.

Toute cette culture, de l’interdit suivi du relâchement libératoire, est le lien qui fait cette tradition bien ancrée dans la peinture rococo d’un Fragonard. Quand il peignait des petits morceaux de virtuosité érotique. On y voit Le Feu aux poudres qui sait ravager le mont de Vénus d’une blandice, qui tient tout par les lèvres du volcan ouvert en son centre. Et mieux encore, Les Heureux Hasards de l’escarpolette semblent nous renvoyer à la fameuse scène du Basic Instinct 1. Quand la sympathique et sémillante Sharon Stone sait mener l’interrogatoire et l’entregent policier, depuis son infra-bouche dans son entrecuisse bellement écarté.

Cette peinture savante, de la scientia sexualis ou de l’art d’aimer, offre cet étonnant avantage qu’elle sait proposer un diagnostic de nos capacités au désir puis au plaisir. Si ces tableaux provoquaient en vous un effet de repoussoir, il y aurait fort à parier que vous devriez aussitôt vous administrer un pharmakon que la nature a mis en magasin dans nos organes génésiques. Et que l’organe le plus puissant de cette pharmacie est notre cerveau, qui sait faire ces images qui garantissent notre bonne santé. Du moins, c’est le conseil sexologique que la critique vous donne gracieusement...

Demian West

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