Monday, August 13, 2007

Marc Chagall à la Fondation Gianadda en Suisse

Jusqu’au 19 novembre, la Fondation Pierre Gianadda, à Martigny en Suisse, présente le parcours très singulier du plus surréel des peintres russes. En effet, le sentiment, qui naît au contact immédiat ou régulier des oeuvres de Marc Chagall, provoque une sorte d’hésitation pendulaire qui nous poste habilement entre la peinture et la poésie manifeste.

Chacun des visiteurs d’une exposition est en droit de se poser le peintre en objet devant soi. Interrogeons donc le peintre par le biais de son oeuvre. Chagall représente des rêves assez amoureux et, dans le même temps, il y place toutes les géographies des souvenirs ou de la tradition juive, pour le coup.

En conséquence, sa peinture est manifestée comme une mémoire individuelle et collective. Dans une expression de la nostalgie en cherche des moments heureux, qui sont parfois des moments que nous pensions, faussement, assez malheureux. C’est pourquoi, la misère dans ces oeuvres narratives est souvent teintée des fulgures de bleu ou des ors surabondants dans les toiles plaisantes de Marc Chagall.

C’est qu’il a beaucoup voyagé entre Vitebsk, Saint-Pétersbourg et la France et les Etats-Unis. Et plus vivement encore, il a dansé entre Bella Rosenfeld et d’autres femmes qui devinrent les yeux mêmes de sa peinture. Ne sont-elles point les plus précieux et rares motifs de peindre. Dans son oeuvre, des gens un peu paysans volent et leur bétail aussi. Tout est à l’envers, et tout est empreint de l’errance des paumés qui auraient tout raté même la pesanteur de Newton. S’il n’y avait la peinture ou ce cinoche qui sait tout sublimer. Et qu’on l’appelle tantôt la faculté de rêver...

Au début du XXe siècle, Chagall était bien installé dans l’avant-garde russe et au plus haut siège des commissariats des beaux-arts dans la Russie des Soviets. Mais, l’histoire le retint surtout comme le doppelgänger de Kandinsky qui a su mieux tout emporter du prestige de ces temps nouveaux. Chagall fut plus discret et le travailleur infatigable du pinceau, et moins de la théorie. En bon orfèvre ouvrieux, il était trop attaché à la représentation d’un cycle narratif villageois. Il était comme nous tous, qui aimons toujours à nous centrer autour de notre clocher, qui est notre mesure du temps et de l’espace.

Aussi Chagall parvint-il à force de discrétion laborieuse, à entretenir sa pratique picturale qui manifesta son propos vastement poétique. Et donc, il en conçut une poésie visuelle qu’il faut savoir approcher naïvement, pour la goûter sans trop de recul. On y entre sans y chercher trop loin des symboliques souvent fantasiées et outrancières. D’aucuns critiques ne les cherchent-ils pas dans leur bibliothèque sous la main, plutôt que dans les oeuvres mêmes.

Nous voulons dire que, dans les oeuvres naïves, les sentiments au vif seraient souvent éveillés dans le regardeur, par les flux colorés eux-mêmes assez brutaux ou francs. Plutôt que ces sentiments seraient conduits par les figures représentées. Ainsi, comme on ose un franc-parler, Chagall et Van Gogh osèrent aussi une sorte de franc-peindre de la couleur simple directe et puissante, en un mot : primaire.

Et c’est ce que nous retenons de l’art de Chagall, qu’il semble assez parent de celui de Van Gogh. Ces deux peintres nous disent que la vue ou la vision est un sens comme le toucher, qui sait générer des flux tournevirants ou des "thunderbolts" qu’on pourrait nommer des sentiments. Et qu’ils peuvent faire basculer des vies dans l’ailleurs, par le dépassement amoureux, ou par la grande réflexion sur le temps qui passe. Quand tous les souvenirs restent étampés sur le fond d’oeil, et dans la mémoire des visages aimés ou aimants disparus.

C’est une peinture simple qui resta et qui grandit, dans les bas-côtés des grands flux parliers des théories artistiques qui firent le siècle. Et qu’elle insista plus encore en dépit des accusations d’"art dégénéré" par qui vous savez. Mieux encore, c’est la modernité brutale et écrasante qui sut accentuer, paradoxalement, ce potentiel nostalgique dans cette peinture si différente. Ce qui veut dire cette leçon de Chagall. Que celui qui peindrait sans se préoccuper de ce que la foule ou les élites en diraient, s’il est sincère, il parviendra toujours à se faire entendre au milieu du plus buissonnant concert des "granditeux" rabelaisiens.

Cette peinture de Chagall est donc poétique, non pas pour les quelques bluettes savantes et légères qu’on y voit. Mais pour la raison suffisante qu’elle sait transfigurer le malheur et la misère en un bonheur de vivre et d’avoir vécu le film de sa vie.

Demian West

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