Thursday, August 09, 2007

Cindy Sherman au Martin Gropius Bau à Berlin

Jusqu’au 10 septembre à Berlin au Martin Gropius Bau, on se rendra à la rétrospective de l’oeuvre de Cindy Sherman, la grande photographe conceptuelle de la féminité en cherche de son identité remarquable au XXe siècle.

En effet, c’est le sujet de ce combat qu’elle a mené, entre la photographie et la peinture, depuis les années 70. On y vient en lien avec une femme assez prise dans un monde d’images, qui lui paraissent défavorables d’emblée. Et paradoxalement, par le dispositif a contrario qui présente la femme comme un cadeau mirifique offert à l’homme, sans doute pour la raison qu’il a fait une bonne chasse conquérante depuis la préhistoire.

Il apparaît que la photographie naissante au XIXe siècle empruntait les dispositifs des représentations de la femme en usage dans la grande peinture. Mais, parvenue au XXe siècle, la chambre obscure des photographes devait s’ouvrir un peu, pour qu’une femme en démontât les mécanismes, souvent partis en roue libre dans la dévoration de la femme objet de luxe et de misère.

L’oeuvre de Cindy Sherman n’est pas tant un travail féministe. Mais on y sent, par force de revanche, une réflexion très vive sur les usages et les coutumes dans un monde d’hommelets qui consomment la femme comme ils le feraient d’une tranche rosée de saumon dans l’assiette de leur ordinaire. Avouez que ça laisse quelques frustrations à la femme ainsi dévorée. Surtout quand elle est supposée passer son temps à se retirer, avec sa science du maquillage, les arêtes qui pourraient encore gâcher le repas dans la société des maîtres.

Depuis les années 70, Cindy Sherman a tout fait pour donner à voir les images qui truquent la vie et les identités. Elle est passée transversalement de l’autoportrait, à la photo stéréotypée selon les canons des séries B. Elle a mis, forcément, toute la panoplie des postiches pour suggérer que la femme n’est jamais là où l’homme la pense entre ses jambes. On comprendra que Cindy a résolument visité la réthorique de la photo érotique de la pornocratie contemporaine, qui est plus étendue qu’on ne le pense. C’est-à-dire à la politique même et aux décisions qui gouvernent le monde par le biais de nos télés et des images crues et cruelles qui y sont dépliées.

Alors, viennent les souvenirs d’une Cicciolina venue de la bande érotique pour atteindre jusqu’à la table des négociations politiques. Souvenons-nous, que la belle italo-hongroise proposa à Saddham Hussein de coucher avec lui pour qu’il arrêtât la guerre et la dictature. Ce qui fut un deal assez complexe et dissuasif, puisque d’une part, cette proposition, douce comme le lait, montrait effrontément les liens qu’on connaissait déjà entre la politique et le prix que l’homme attache à la femme en tant que trophée de ses guerres futiles. Et d’autres part, on comprit que la politique selon la femme serait aussi ouverte que ce voile de l’évidence.

On approuva dans le monde des arts, que cette sortie provocante de la Cicciolina rejoignait les scandales dadaïstes et post-dadaïstes, soit la performance. Une attitude érotico-artistique perpétuée, aujourd’hui, comme un genre en soi par l’irruptive Zara Whites. Quand elle s’est conditionnée nue et aspergée de faux sang dans une barquette de cellophane devant le Salon de l’Agriculture. Et tout pour bousculer la file des viandards qui venaient caresser le boeuf. Ce fut Jeff Koons, le plus important artiste post-moderne, qui accepta la proposition de la Cicciolina. Bien qu’il ne fut en guerre contre personne, hormis contre les contempteurs ou les ennemis de l’art contemporain, déjà vaincus par leur propre ridicule.

La question fondamentale qui ressort de cette exposition et donc du travail de Cindy, est d’une simplicité nucléaire. Si l’on considère ses dégâts qu’elle porte sans plus de ressource pour l’homme du XXIe siècle, assez loin d’Audiard, de Lino et même de Rocco. En effet, on comprend qu’il n’y a jamais eu et qu’il n’y aura jamais "des femmes" ou "les femmes", comme on dirait hâtivement d’une troupe servile un peu indifférenciée. Non ! Cindy Sherman est bien une femme indépendante. Et pour dire que toutes les femmes sont autres. Et qu’être une femme est un statut identitaire, au même titre qu’être un artiste ou une femme-artiste. C’est la photo de Cindy qui le dit...

Demian West

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