Friday, August 03, 2007

Le petit-grand Morellet au musée d’Art moderne de Paris

Le musée d’Art moderne de la ville de Paris laisse la place à François Morellet, pour qu’il mette en oeuvre une expérience d’art contemporain, certes intimiste mais qui accède aussi à l’universel par son changement d’échelle. En effet, jusqu’au 16 septembre, l’artiste joue sur le changement du rapport d’échelle dans la présentation de ses oeuvres choisies.

Ainsi, Morellet a-t-il décidé d’agrandir onze de ses oeuvres passées. Car à l’époque, il les avait réalisées dans de petits formats pour des raisons de manque d’espace. Ce que l’on découvre de ce pied-là, c’est que le changement d’échelle transpose immédiatement l’oeuvre en d’autres qualités nouvelles, et qui la changent par là-même. On pense sur-le-champ à l’"Eupalinos ou l’architecte" de Valéry, dans lequel il écrivait en 1921, que le rapport d’échelle changeait tout jusqu’à la physique des constructions. Par exemple, de petites colonnes portent aisément un entablement, quand nous sommes dans l’architecture grecque à l’échelle humaine. Mais, quand ces mêmes colonnes sont transposées dans une architecture hypertrophiée, c’est-à-dire dans l’architecture romaine aux dimensions monumentales, elles ne sauraient supporter le même entablement si le rapport de proportions entre tous les éléments restait le même.

Autrement dit, quand on agrandit une structure portante sans changer les rapports des éléments entre eux, le tout s’effondre. Car, le changement d’échelle exige, soit qu’on renforce le matériau puisqu’il subit de nouvelles contraintes, soit qu’on modifie toute la structure architecturale. La maquette de l’Arche de la Défense tient aisément sur le bureau de l’architecte. Mais, pour la faire tenir in situ et à l’échelle immense qu’on connaît dans le grand axe majestueux à Paris, c’est une autre histoire de béton surarmé jusqu’aux limites.

Il en est de même pour les oeuvres visuelles. Lorsqu’on change l’échelle, notre rapport visuel à l’oeuvre se modifie. D’abord on est immergé dans un champ pictural qui devient un monde en soi, telles les oeuvres des expressionnistes abstraits américains. Aussi, selon la théorie de la Gestalt, on ne verra plus des couleurs ou des champs colorés, mais outre des textures et des grains qui rendront plus réel et concret ce mur peint devant nous. Enfin, l’oeuvre peut nous écraser par sa monumentalité qui nous dépasse. Et, si les éléments qui la composent étaient symétriques, nous en serions plus encore écrasés et stupéfaits. De la même façon qu’on est avalé par une perspective que l’on voit quand on se place au centre de la façade symétrique d’un immense palais.

Ces jeux perceptifs sont parmi les dispositifs picturaux que les artistes emploient pour illusionner le regardeur. Bien sûr, Morellet est un artiste abstrait dont les oeuvres jouent sur la seule géométrie des formes simples et fracturées par des ruptures rythmiques. Il est vrai, qu’il vient aussi de l’art cinétique et de l’art optique, et donc de la grande tradition du Bauhaus, des Constructivistes russes et du "Stijl" de Van Doesburg. Des années 50 aux années 60, Morellet s’est impliqué dans des recherches plastiques, d’abord picturales puis autour du néon, soit de la sculpture de la lumière.

L’exposition est intitulée malicieusement, Blow-up 1952-2007, Quand j’étais petit je ne faisais pas grand. Ce qui n’est pas faux et qui vient habilement démentir que l’art contemporain serait propice aux charlatans. Aussi, qu’il ne serait pas si accessible. Puisque c’est notre âme d’enfant qui est conviée à trouver à nouveau ce changement d’échelle, qui évoque nos troubles devant la transformation même du monde. Quand l’enfant devient adulte et que les rêves se sont éteints dans l’oeuf et sa coquille brisée.

Pourquoi, l’artiste ne serait-il pas ce démiurge qui transpose la miniature en une oeuvre muraliste. Tout pour y entrer quand l’heure sonne du départ vers un autre monde, mais qu’on l’aurait choisi et même peint ?

C’est donc la dimension quasi religieuse ou mystique de cette démarche, toutefois très intellectuelle et concrète. Mais, nous vous l’avions annoncé. Le changement d’échelle nous amène à nous confronter à la transformation radicale de nos plus fermes et fixes conventions en leur contraire très mouvant. Si l’on agrandit une oeuvre abstraite informelle dans un effet de blow up, on verra bientôt quelque paysage se former en tous points semblable aux vues satellitaires de la Terre ou d’autres mondes encore inconnus.

Finalement, plus que la qualité inverse, cette recherche de Morellet nous fait entrer dans une planisphère d’où surgirait soudainement l’élément encore inconnu, qu’il faudra bien saisir au moment opportun du dévoilement de l’enfant en nous. Car cet inconnu c’est nous, quand nous faisions petit.

Demian West

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