Wednesday, June 27, 2007

Corot dessine au Louvre



Jusqu’à la fin août, le département des arts graphiques du musée du Louvre ouvre quelques salles précieuses des dessins de Camille Corot. Afin que le public puisse être bercé par une exposition, certes temporaire, mais dans les eaux vives de cet esprit si léger.

Corot est le génie simple de la peinture si achevée, qu’il a su traverser le XIXe siècle en saisissant l’art comme un mode perpétuel de vie généreuse et, paradoxalement, insouciante des rêves d’immortalité. Il fut si populaire, à la fin de sa chaste et frugale existence, qu’il put soulager bien des misères d’artistes. Ce qui le rendit encore plus aimé et reconnu. Il acheta une maison à Daumier complètement fichu et "pété" par la méchanceté du monde. Il arriva même que Corot signât les oeuvres de ses admirateurs rapins qui l’imitaient. Afin qu’ils puissent les vendre et en tirer de quoi vivre jusqu’à la fin de leurs jours, en un tournemain. Ce qui amena une collection inouïe de vrais-faux Corot dans les musées américains à la fin du XIXe siècle. Et que certains y sont encore...

Tout était légèreté en lui. Sa chevelure de petit gris évoquait les reflets de cet argent duveteux dans ses toiles si teintées de vertes et papillotantes nuées de poussières vivantes. Comme celles que les enfants voient encore dans les rais de lumière qui entrent parfois dans les chambres oublieuses. Légèreté du regard de Corot qui était si traversé par l’esprit du regard lui-même. Avec ces accents de la petite musique de la folie des peintres, qu’on voit tantôt dans les portraits du XVIIIe siècle, qui surent saisir un peu de la présence de Voltaire. C’est donc, au Louvre, une exposition de la légèreté expressive de l’esprit français, si classique qu’il n’est jamais lourd ni monumental. Mais un esprit intelligent et surtout sensible et aérien qui sait manifester plein de sous-entendus riches et sûrs d’eux-mêmes.

Avant tout, ce sont les toiles de Corot qui sont tissées de la gaze même de cette légèreté absolue. Car ses oeuvres savent briller d’une lumière qui joue dans la couche inframince de toutes les nuances picturales, qui tiennent tout par le tremblement. Ces teintes nous rappellent un peu de ces chants des midinettes qui venaient dans la boutique de sa mère modiste, non loin du quai Voltaire à Paris. Une touche de la féminité qui sait confondre sa peinture avec une musique insouciante, sinon avec la petite chanson du coin de la rue, ou du bord de l’étang à Ville-d’Avray.

Corot fut le dernier des classiques, je veux dire qu’il règne encore à la pointe achevée de cette tradition. A l’époque et depuis le XVIIIe siècle des archéologues, un artiste sérieux ou un "connoisseur" et dilettante, comme on les appelait, devait impérativement faire le "Grand Tour". C’est-à-dire qu’ils étaient censés voyager une année entière en Italie et en Grèce, pour connaître l’Antiquité et ses sites universels. Corot en a transposé quelques toiles en passant. Mais des toiles qui sont toutes des chefs-d’oeuvre de l’art mondial. Pourtant, il les avait conçues dans une pratique qu’il pensait constitutive de petites esquisses et d’études préparatoires, pour faire épaule à de grandes oeuvres historicistes à venir et pour briller au Salon carré du Louvre. Puisque l’art pompier avait ses exigences de la grande fabrique de la propagande bourgeoise un peu clinquante. Même pour notre XXIe siècle qui se complaît résolument dans le "kitsch" et le "wahouisme", qui sont les derniers courants de l’art international qui coule depuis les pétrodollars.

Pour connaître la subtilité touchante de Corot, il faut avoir vu le "Pont de Narni". Les teintes de la réalité n’avaient jamais été saisies à ce tout premier rang de réalisme, ajouté d’une charge poétique encore inépuisable aujourd’hui. Tout est dans ce tableau, qui est un manifeste du souvenir et de la nostalgie du film de notre vie à tous et à chacun, si l’on peut ainsi dire. On y comprend qu’il faut cultiver une sorte de mémoire visuelle, pour sauvegarder les moments précieux de nos vies incertaines et insensées.

Camille Corot avait tout appris des règles de la bienséance picturale classique. Comment on fait bouger quelques faunes et des nymphes dans des jardins édéniques. Sous des verts huilés d’olives qui savent nous rappeller ardemment les petits bosquets du forum buissonnant à Rome, et tantôt des bords de l’eau sous les saules argentins d’Ile-de-France. Revenu en France, Camille Corot osa peindre en extérieur à Barbizon, où il fut le premier et donc l’inventeur de l’Ecole de 1830 ou l’Ecole de Barbizon. Plus tard Millet et Rousseau le suivront dans la forêt immense à Fontainebleau, dont Corot connaissait les bon coins pour peindre. Comme d’autres vont aux champignons des vieilles familles aux cuisines et pharmacies secrètes.

C’est dans cette banlieue verte de Paris,qu’il a pensé, conçu et imposé sa technique définitive. Avec quelques masses bien bâties sur la toile avide de simplicité, il jetait tout son savoir-faire en quelques coups de pinceaux, tout de même guidés par sa mémoire visuelle imparable. C’est le secret. Car, chaque couleur y est juste et dans le ton lumineux qu’il y faut pour qu’on y croie. A la fin de cette économie de peindre, il lui suffisait de glisser de petits accents en un désordre savamment déréglé. Là, un béret rouge du petit pêcheur sur sa barque dessous "Le Pont de Mantes". Ailleurs, trois ou quatre petits coups d’ivoire furetant, pour suggérer des feuilles vrillantes, et donc, tout le vent à l’entour pour que le tableau s’animât comme un être vivant.

Et ce maître en cherche de l’âge d’or, selon la programmatique du classicisme, enseignait que le dessin était la base et la fin de l’art. Et donc, que rien ne change jamais. C’est la leçon de Corot au Louvre. Elle diffuse beaucoup de plaisir et de joie de vivre. Ce qui est si rare à notre époque, qu’il faut vite y courir, à ce qu’on dit tantôt.

Demian West

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