Friday, June 15, 2007

Les Paysages de Renoir à Ottawa

Jusqu’à la rentrée, le 9 septembre, le musée des Beaux-Arts du Canada à Ottawa accroche les paysages du peintre lumineux Pierre-Auguste Renoir. En effet, on assiste à une véritable concentration d’expositions impressionnistes sur plus d’un continent. Et ces manifestations, probablement concertées, rendent un hommage confirmé aux impressionnistes. Comme une nostalgie des oeuvres du primesaut écologiste dans le monde de la bourgeoisie industrielle qui triomphait à la fin du XIXe siècle.

Renoir était ce petit peintre humble venu des ateliers des peintres de porcelaine. Ce qui apporta beaucoup à la matière picturale des oeuvres impressionnistes assez brouillonnes. Puisqu’on y reconnaît ce rendu "porcelainé", qui sait évoquer les natures mortes aériennes "où l’air tourne autour des objets" chez Chardin. Et dans une pâte sensuelle si chargée des caresses du pinceau obsessionnel des tendresses de Renoir.

Il a connu Monet et les premiers impressionnistes dans l’atelier du peintre académique Gleyre. Un sacré coup de pinceau qui retrouvait le film des grandes heures de l’Histoire, dans une manière hyperréaliste, comme au cinéma de la 3 D du XXIe siècle. Ainsi, dans les années 1870, on trouvait déjà cette scission entre, d’une part, l’art qui donnait à voir des images grandioses et illusionnistes de l’Histoire par l’académisme, et, d’autre part, des groupes d’artistes bohèmes qui tentaient des expériences d’avant-garde théoriciennes et purement plastiques.

L’invention majeure de Renoir fut qu’il sut extraire de la peinture pleinairiste, hors de l’atelier de Gleyre, la manière claire. En effet, lors de ses séances en extérieur avec Monet, ou plus solitaire encore, il élabora une peinture marquée et soutenue par des tons plus clairs que les vieux tons encrassés des peintures exécutées en atelier. Et il poussa le principe jusqu’à trouver une luminosité qui sut éclabousser la toile, par ses effets picturaux de blancs colorés qui ont fait son style ou sa marque identitaire. Tant et si bien qu’on reconnaît un Renoir à cette fraîcheur de tons qui tient d’une volupté charnelle du plus raffiné rococo "à la Pompadour", et par le biais de la peinture précieuse des porcelaines ingresques assez.

Il est donc un maître majeur de la permanence de l’école française, et dans l’art naissant du paysage qui s’imposa à la fin du XIXe siècle. Après que Constable eut créé le genre en soi, avec sa "Charette de foin" du salon de 1824. A la vérité, ce fut un événement inouï. Car, pour la première fois, un peintre avait pris un "paysage" comme le sujet central de son tableau.

Pire encore, c’est Courbet qui cassa la boutique de l’académisme quand il a peint "L’Enterrement à Ornans" et qu’il a su élever la peinture de paysage au statut de la peinture d’Histoire qui était le "Grand Genre", depuis la création de l’Académie royale de peinture par Charles Le Brun sous Louis XIV. Ce que Courbet a osé fut une révolution sociale et culturelle, simultanément. Car il a peint une scène d’enterrement dans son village, avec des bourgeois et le peuple rassemblés dans un moment grave mais assez banal, puisqu’il ne s’agissait pas d’un événement historique. Et il présenta cette scène, qu’on peut voir à Orsay, dans le format monumental qui était réservé uniquement aux grandes scènes des reconstitutions historicistes. Cette transgression fit un énorme scandale puisqu’elle s’attaquait à la hiérarchie de l’ordre social lui-même.

C’est pourquoi ce fut un manifeste qui bascula aussitôt la peinture de paysage, comme le nouveau et grand champ de l’expérimentation picturale et sociale. Vers les grandes plages de l’abstraction, qui a su briser les noyaux mêmes des conventions de l’ordre ancien.

Et le rôle fondateur de Renoir fut qu’il sut dégager ce champ pictural des anciennes fumées obscures stagnant dans l’atelier, trop cérébral et manoeuvrier sinon fastidieux et trop technicien. Il a libéré la toile et donc le peintre par de puissants flux luministes que Cézanne installa ensuite, en laissant simplement la toile non peinte et blanche, pour poser le puits de lumière. Aussi, comment ne pas saisir cette synchronicité assez magique de la peinture luministe de Renoir avec l’apparition de la photographie et donc de la peinture projetée par la lumière même des photons ? Plus tard, dans cette même ligne de force au XXe siècle, des artistes contemporains, tel Dan Flavin, ont peint, si l’on peut ainsi dire, avec la lumière en soi, en sculptant des néons et toutes électricités conceptuelles.

On comprend alors, par le biais de toute cette chaîne qui sut jouer du support blanc et de la couleur lumineuse, l’apport fondateur du plus grand Turner qui fut aussi le précurseur de l’impressionnisme. Souvenons-nous que Joseph Mallord William Turner peignait à l’huile en maître achevé de l’aquarelle avec ses blancs lumineux qui laissaient le papier apparent en réserve. Finalement, sans la leçon de Turner, Renoir serait resté dans les ténèbres où nous errons tous jusqu’à la rencontre avec les paysages lumineux du plus ingresque et plus galant des impressionnistes. Renoir ne fut-il pas ce grand peintre français et donc forcément léger, qui cultivait la peinture des femmes et des paysages tous doux-fleurants ?

Demian West

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