Thursday, June 28, 2007

Le Triomphe de la Galerie des Glaces




La galerie des Glaces à Versailles a été restaurée. Et désormais, chacun peut s’y voir comme projeté dans le plus grand des siècles, le dix-septième. C’est un peu de la tradition de l’enfant roi qui succéda à Louis XIV, et qu’il inaugura son règne en se jetant sur le parquet ciré de la galerie mythique et pour se coucher au sol afin de s’en mettre plein les yeux de ces décors de Le Brun, d’avant le cinémascope.

Le règne du plus grand des monarques changea tout dans les arts, l’architecture et jusqu’à la conception même de l’univers. A la vérité, il était né et avait été conçu et élevé comme une arme de la monarchie française. Et pour qu’elle exerçât enfin son leadership mondial. Car, on n’avait pas oublié l’affront fait à Charlemagne, quand il fut couronné par la dextre suprême du pape et par les instances au-dessus de la vaticane. C’est Napoléon Ier qui fermera cette plaie narcissique, puisqu’il osa se couronner soi-même, et devant le pape médusé par un tel changement de régime chez les dieux.

Dans l’histoire et derrière ses conflits entre empires assez cousins, on savait qu’il régnait surtout une lutte entre le pouvoir ultramontain, c’est-à-dire du pape à Rome, et à l’autre versant, le pouvoir gallican du roi de France. Celui qui gagnait l’hégémonie savait qu’il régnait aussitôt sur le monde entier. Et bien que de droit divin, le roi de France contestait, mais sans le dire, la toute-puissance de la religion, du moins dans sa jeunesse. C’est assez dire, que, dans le classicisme du baroque versaillais, on y mettait tant de dieux et de déesses grecques et romains que le paganisme s’y peignait ses galeries assez trompeuses. Et, en des scénographies chargées de prétextes picturaux qui en disaient long à qui savait les lire.

Louis XIV était le roi soleil. C’est-à-dire que l’héliocentrisme s’opposait, en quelque sorte, à la conception médiévale et chrétienne des hiérarchies dans l’univers. Et ce soleil était plutôt grec ou romain même, par ses airs grandiloquents et triomphants. Ainsi, ces renaissances de l’Antiquité dans les arts sont-elles des manifestations des programmes voués à une lente émancipation du pouvoir gallican contre la puissance ultramontaine. Vers le pouvoir économique du marché de la bourgeoisie qui montait derrière la noblesse bien tenue par le souverain, seul contre tous. On n’imagine pas les protocoles et les peurs incessantes de ces puissants qui devaient défendre leur plus haut siège, devant la meute aux mâchoires d’or comme une libido attachée au pouvoir.

Toujours est-il, que le tout puissant Louis XIV eut l’idée nécessaire de montrer sa puissance. Et à tel degré, que nul n’oserait plus le chercher en des querelles ni même y penser. C’est pourquoi, il fit construire Versailles avec de grandes fenêtres ouvertes partout, et dans toutes les directions comme un message "urbi et orbi". Ce qui signifiait nettement, et pour tout visiteur qui sortait à peine du Moyen Âge et des châteaux forts aux meurtrières aveugles, que Louis XIV était si puissant qu’il laissait ses fenêtres ouvertes à quiconque voudrait encore l’agresser. Autrement dit, il ne craignait personne. C’est un peu la leçon de Montaigne, qui disait dans ses "Essais" qu’il avait passé toutes les guerres civiles des religions, sain et sauf. Car il laissait sa porte ouverte, et donc nul ne pensait qu’il y trouverait quelque objet à voler ou à trousser.

Plus encore, Louis XIV conçut la galerie des Glaces comme une montée vers sa qualité ou sa nature de demi-dieux un peu célestin. On se souvient encore de la visite de l’ambassadeur du Grand Turc. Et comment la procession des Orientaux devait avancer lentement et jusqu’au trône placé à hauteur de quelques marches si surhumaines qu’interdites au bout de la galerie. Là, Louis XIV se tenait comme l’arbre de Noël peint par Hyacinthe Rigaud. Tout coiffé d’une perruque d’oiseau emparadé et le bas de soie autour de son pied fin. La classe des emperiers fashion qui jouent du skeptron !

Et quand l’ambassadeur fut parvenu au terme de cette humiliante démonstration de puissance, il vexa carrément le nouvel Alexandre. Puisque sa troupe n’avait même pas cligné de l’oeil sur le faste surnaturel du lieu. C’est tout juste s’il fit montre d’avoir vu la presse des courtisans qui ne respiraient plus devant tant d’affront. Cette turquerie ficha quand même le programme ludovicien un peu par terre. Et dans un silence où l’on n’entendit plus buzzer la vox d’un courtisan de l’agora.

Tout de suite après l’affront, Louis demanda à Molière qu’il se moquât à fond des Turcs. Et dans une pièce enturbannée qu’il écrirait pour l’occasion de cette galère. Et c’est ainsi, entre autres, qu’on se marra bien aux turqueries de Molière dans les chambres vertes du parc à Versailles. Plus sérieusement, si l’ambassadeur avait exprimé son admiration devant tant d’art miroitant, qu’il éprouvait forcément, il en aurait perdu sa tête dès son retour en terre turquesque. Car, c’était la mode à l’époque, que les souverains se pensaient chacun le plus grand monarque du monde, et sans second. Et ils punissaient, à la manière cruelle des rois antiques, tout porteur de mauvaise nouvelles.

Cette galerie des glaces est donc, et d’une certaine façon prospective, un escalier céleste qui monte depuis la Terre vers l’espace où réside les dieux olympiens, dont le plus solaire Louis XIV. Cette montée n’est pas sans évoquer le triomphe curialis à Rome, décrit par Suétone. Quand les empereurs et les maîtres de cavalerie entraient à Rome après leur triomphe sur les peuples barbares, c’est-à-dire nous autres. Et que, montés sur le char bige de chevaux blancs, ils avançaient vêtus de leur clamyde blanche constellée d’étoiles d’or. Ils traversaient la foule des patriciens, vers le temple du Dies Piter ou Jupiter Dialis. Et l’empereur était peint en rouge pareil au Dieu bienveillant. Enfin, quand il entrait dans le temple, tous le laissaient seul en conversation étrangère avec le Dieu soi-même qui lui disait l’avenir de la Cité.

Dans cette galerie des Glaces historiennes, on ne peut manquer d’être troublé, à la suite de ces restaurations. Car on y retrouve chaque fois des couleurs si vives du passé. Puisque, sous les couches des repeints successifs, les restaurateurs ont retrouvé les bleus flashants des fêtes de Le Brun. Comme on retrouva, sous les repeints de la Sixtine de Michel-Ange, des teintes si acides et criardes, que les experts n’en crurent pas leurs yeux ni leurs bouquins relâchés aux reliures. La couleur ne fut-elle point, d’une certaine façon, la sensualité féminine et le paganisme qui entrèrent dans les églises de la plus chaste chrétienté ? C’est pourquoi, récemment, on comprit que Michel-Ange ne fut pas seulement un artiste de la Renaissance, mais aussi le premier des maniéristes.

Après tant de reflets trompeurs, il nous faudra bien terminer sur une anecdote du désenchantement. Louis XIV est mort assez bêtement et dans son plumard. Il avait pris une gangrène assez définitive à sa jambe, qui le putréfia de son vivant. Déjà était-il perdu dans ses prières du bigot qu’il jouait au naturel par l’effet de Madame de Maintenon qui le tenait bien. Et pire encore, le jour de sa mort quand il était encore vivant, tous les courtisans s’étaient rués au lever d’Orléans, le futur régent dans quelques minutes à ce qu’on disait. Tant et si bien que le concepteur de la galerie des Glaces s’est terminé comme l’éteignoir, dans une solitude de miroirs qui n’étaient plus utiles. Tellement la réalité misérable du monde lui enseigna cruellement que, même les soleils devaient s’éteindre.

Cette nouvelle en prime time ficha une sacrée angoisse dans les couloirs médiatiques de Versailles. Et tous se jetèrent dans une fête licencieuse et libertine, pour se défouler du règne le plus écrasant qu’on vit jamais. La galerie des Glaces est vraiment ce génie du lieu des effets du baroque en trompe-l’oeil, qui savent perdre les hommes par l’effet de la fausseté de leurs sens imparfaits.

Il reste que selon la programmatique du classicisme baroque français, ces décors déchaînés, en des jeux illusionnistes dans les intérieurs, sont toujours cachés et couverts par des façades rigoureuses des ordres antiques. Finalement, cet ordre classique, au-dehors, régule la société comme la raison ou la sagesse savent modérer les passions humaines des orgueilleux.

Demian West

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