Tuesday, June 12, 2007

Sophie Taeuber-Arp, Dada à Clamart

La fondation Jean Arp à Clamart consacre ses cimaises à Sophie Taeuber-Arp jusqu’au 22 juillet 2007. Cependant, il faut savoir que l’artiste est chez elle. Puisque l’exposition s’espace dans la maison-atelier du couple le plus fameux du dadaïsme. Si tant est qu’on osait encore se marier en pays dada.

Il est vrai qu’on a connu peu de femmes qui surent enfoncer l’art toujours réservé aux hommes, avant la période ouverte par dada. Il y eut bien Artemisia Gentilleschi qui peignait, sans cesser, des décollations d’hommes bibliques irréprochables, à ce qu’on dit tantôt. Et tout pour insister lourdement sur des violences qu’on suppose de son père, avec quelque raison des historiens d’art. Son père était un peintre fameux des Gentilleschi qui, malheureusement, ne lui avait pas défloré la seule peinture. En outre, il y eut plus tard une Camille Claudel gravement dévorée par son mentor Rodin, qui lui prit publiquement tout son art, et sous le couvert de son frère Paul Claudel tout en feintise et lâcheté. Tant et si bien que la malheureuse en perdit la raison, recluse à l’asile de Montfavet.

Une Jeanne Hébuterne fut tellement active en tant que modèle de Modigliani, qu’on pourrait aisément lui reconnaître un statut d’artiste de la pose comme d’une danse. Puisque les romains considéraient tous les gestes et les attitudes du corps que l’on tenait en société, comme l’art de la danse. Et c’est la danse qui mena Sophie Taeuber à la rencontre avec Jean Arp. Au plein du "Cabaret Voltaire" puisqu’elle avait rejoint la troupe des cinglés. Parmi tous masques absurdes, pour qu’elle sache bien cacher ses activités artistiques contre-culturelles. Car, en Suisse et au début du XXe siècle, il était assez nécessaire de sortir masquée quand on faisait le bal dada, qui tournait au scandale européen puis mondial avec Picabia. Et surtout, fallait-il se cacher quand on était une simple Sophie prof. d’arts appliqués, dans le civil à la ville.

Sophie avait appris la danse avec son amie Mary Wigman, et sous la dextre ailée du chorégraphe Rudolf van Laban. Ce qui n’est pas rien. Il advint naturellement que l’Alsacien de la fête dada ne sut pas trop se retenir. Et Sophie se fit outrageusement draguer par Jean Arp, qui plastronnait sa médaille du déserteur sinon du réformé volontaire de la guerre de 14. Car il était de ces apatrides bien assis sur la frontière alsaco-suisse. Tout ça pour faire dada, comme il convient de ne plus convenir.

C’est ainsi que la belle Sophie entra dans le panthéon des grandes hommes de l’art qui sont des femmes. La recherche singulière de Sophie Taeuber-Arp fut liée à l’extension des arts plastiques et abstraits à tout l’environnement architectural et de la vie même. Ainsi, elle créa le mobilier de sa maison-atelier à Clamart. Plus encore, elle influença considérablement les desseins de la nouvelle architecture constructiviste, par sa nature inventive et amicale des milieux artistiques et intellectuels. Elle fut l’amie de Théo Van Doesburg qui rivalisa avec Gropius au temps de l’expansion définitive du Bauhaus.

Et c’est dans ces années 20-30 que le trio Taeuber-Arp-Doesburg a créé le "Dancing de l’Aubette" à Strasbourg, qui fut une révolution en manière de coup d’éclat de l’architecture d’intérieur. L’oeuvre fut bâtie selon les concepts de l’"art concret", qui devint vite l’"art abstrait". Et le trio installa des modules géométriques en des couleurs primaires qui savaient réguler l’espace comme une musique plastique. Et pour induire un fonctionnalisme lié à la danse et donc à l’aisance des mouvements. Enfin, ce nouvel art proposait une économie radicale dans la fabrication des éléments, qui savait enfin démocratiser ou rendre librement accessible l’art et l’architecture pour l’homme de la rue.

Sophie Taeuber-Arp y voyait une recherche des formes "pures" dans la nature, et moins une recherche formaliste de l’idéal scientifique. Ainsi, était-elle assez proche du bio-morphisme de Jean Arp et, par ailleurs, des géométries de Mondrian qui peignait la mathésis du monde. C’est-à-dire qu’ils voulaient rendre visible sur la toile l’harmonie pythagoricienne mais inscrite dans la nature. Dans cet art, il y avait de fortes inspirations théosophiques, dont les apparences pouvaient tromper par des formes rigoureuses si semblables aux énoncés des sciences exactes. Alors que cet art abstrait exprimait surtout l’essence de l’arbre ou de la fleur. Tout ne paraît donc pas si simple en art et dans ses discours. Enfin, Mondrian, tout comme Sophie Taeuber-Arp, avait composé son atelier comme une suite de ses oeuvres peintes. Ainsi, l’environnement devint-il le prolongement de la toile-même expérimentale.

C’est donc une figure aussi novatrice qu’active et très attachante du monde des arts plastiques et architecturaux que l’on peut mieux saisir à Clamart. Et combien il est du meilleur goût qu’on puisse faire sa connaissance dans le lieu même où elle vécut. Dans cette maison qu’elle sut transformer en une atmosphère du monde nouveau. Où l’on bricole gentiment tout ce petit monde pour le mettre en oeuvres bien concrètes.


Demian West

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