Monday, June 25, 2007

Weegee l’oeil public au Musée Maillol




Jusqu’au 15 octobre 2007, le Musée Maillol et la Fondation Dina Vierny à Paris flashent à fond sur les photos black & white du plus mythique photojournaliste. En effet, Weegee fut le traqueur des scènes du crime de la vie newyorkaise de l’entre-deux guerres.

Il a réellement inventé un métier de toutes pièces et engrenages mécaniques et géniaux. Il exerçait depuis le coffre de sa Chevrolet rapide qui abritait son labo pour les tirages instantanés. Et à l’autre tableau de bord, il avait scotché sa radio portable toujours branchée sur les news abruptes de la maison poulaga genre cops. Ce qui était interdit par le réglement des citizen Kane. Hormis pour Weegee la star du shooting qui commençait ses nuits au commissariat de New York. Pour les achever à six heures du mat’ dans les rédactions du Herald et autres Daily News. Et pour y fourguer ses photos signées au dos, avec sa machine à écrire dans sa Chevrolet Chevy Coupe, d’un W qui voulait dire "Weegee the famous".

Les secrétaires des magazines et gazettes l’avaient appelé "Weegee". Comme une allusion finaude à sa science de la préscience des lieux des événements, enfin du crime quoi ! Un peu pour évoquer le jeu de Oui-ja. Car il était une sorte d’exorciste des picts qui te fichent franchement la trouille tout le long de la nuit du chasseur assez polar et roide. C’est qu’on avait un peu remarqué et causé des gorges chaudes dans les rédactions, sur ce fait imparable pour un scoop, que Weegee était toujours le premier sur les lieux. Tout d’abord il arrivait après la police, puis quand il acheta sa Chevrolet et sa radio, il était là bien avant les gyrophares carrément.

C’était un truc à l’instinct, comme des fauves pris dans la pire jungle des deep throats. Vrai, il avait conçu toute cette technique, pour être le premier à flasher le sang qui coule encore chaud de la déveine. Et surtout pour capter les images des accidents encore fumants des klaxons claqués. Juste avant que les maquilleurs de cadavres n’oeuvrent de leurs crèmes à ravalements. Pour mieux présenter toutes ses morts violentes à l’Amérique des glossy covers puritaines.

Aujourd’hui, on comprend mieux que les photos de Weegee sont des chefs-d’oeuvre de grimaces parlantes, qui savent dénoncer la solitude de chacun dans la grande ville où tous se crachent à la fin. C’est un peu du sang coagulé d’argentique, qu’il vendait à 5 $ le cliché. Et juste pour survivre, comme un vagabond passionné qui flashait et développait toute la nuit sans cesser. A la vérité, il était un peu nomade. Toujours un pied dans le cercueil pour prendre la photo. Et l’autre pied hors de la boîte ou hors de l’agence Acme, qui publiait lâchement ses clichés car souvent sans y apposer son nom.

Plus certainement, Weegee fut en fuite du judaïsme de son père rabbin qui avait vraiment trop marqué la photo de famille au centre. C’est d’ailleurs ainsi que Usher Fellig alias Weegee entra dans la carrière. Il prenait des clichés de la genteel qui sortait de l’église de son village du côté dimanche. Pour en faire aussitôt commerce, de ses photomatons, auprès des riches parents de ces enfants de kodack.

A notre époque, le journalisme citoyen voudrait tout photographier. Ainsi que le ferait un oeil immanent et irruptif. A l’instar de Weegee qu’on surnommait "the Public Eye". Et d’une certaine façon, il fut le précurseur de cette incitation. Sinon de cette pulsion de vouloir tout capter pour tout montrer et à tous. Tant et si bien, qu’on lui attribue la paternité de l’idéologie ou plutôt de la dévoration tabloïd. Quand, par ailleurs, on le canonise en artiste contemporain. Et malgré lui, puisqu’il était tout à fait étranger aux considérations intellectuelles.

Toujours est-il qu’il a su basculer l’ordre et les rangs des présentations sages et ordonnées des news dans la presse. Et c’est ainsi qu’il a su révéler l’épos sanglant de notre vie citadine, qui ne trouve sa raison que dans une forme de violence outrancière. Finalement, il incarnait cet esprit animal de l’immédiateté du flash, qui sait figer le maître-instant des victimes dans la toile qui fera la une : demain matin.

Comme si la presse n’était qu’un immense jardin ouvert à tous. Un peu comme les cimetières, fleuris de pleurs quotidiens, font couler le rimmel de toutes les couleurs de la vie. Quand le rouge coule noir sur la photo de l’instant Weegee.

Demian West

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